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  • Interpol – 2005/04/21 – Paris le Zénith

    Interpol – 2005/04/21 – Paris le Zénith

    Interpol est de retour à Paris, au Zénith, après un concert à l’Elysée Montmartre en novembre, raccourci pour cause de malaise du batteur. Le quatuor new-yorkais fait salle comble, et le mérite après la sortie de son remarquable deuxième disque : Antics.

    L’ambiance sur scène est crépusculaire, à l’image de la musique, les éclairages venant de derrière le groupe font baigner celui-ci dans une lumière en contre-jour dans laquelle les musiciens se déplacent comme des fantômes. A chaque intermède la salle est replongée dans une obscurité totale où l’on sent que ces quatre là aiment se ressourcer. Bien habillés, ils jouent avec application une musique sombre et urbaine.

    Paul Banks, chanteur/guitariste reste collé derrière son micro pour scander ses textes d’une voix sépulcrale. Daniel Kessler, fondateur du groupe, superbe guitariste amène sa touche de légèreté dans cette atmosphère blafarde ; il danse et bouge connecté sur l’infini. La rythmique est obsédante, menée par le bassiste Carlos Denger, tout de noir vêtu, grimé en Nosferatu filiforme

    La pureté du son, les arpèges mineurs, les rythmes puissants, nous délivrent une ambiance poignante. On sent des influences post-punk : Joy Division, The Cure, Echo & The Bunnymen… Ce groupe nous emmène voyager au fil d’un Temps qui n’est pas toujours celui qu’on espère : Time is a like broken watch/And make money like Fred Astaire/…/We sail today/Tears are drowning in the wake of your life/There’s nothing like this built today/You’ll never see a finer ship in your life (Take you on a Cruise).

    Interpol, un groupe abouti et sincère qui évite le macabre gothique et transforme en musique de qualité sa vision de la vie, sombre mais créatrice.

  • Mark Knopfler – 2005/04/19 – Paris Bercy

    Mark Knopfler – 2005/04/19 – Paris Bercy

    Mark Knopfler est à Bercy pour un concert complet, multi générations où tout le monde se presse sans doute plus pour revoir l’ex-héros des Dire Straits que le récent compositeur de ballades solos. Il présente son 4ème disque solo Shangri-La. Ecrit et enregistré en Californie, il en restitue la mollesse langoureuse et surannée des feux de bois au coucher de soleil sur une plage du Pacifique…

    Le groupe est accompagné de deux claviéristes et de l’ancien batteur de Dire Straits, dont les reprises égrènent ce concert. Knopfler nous insuffle alors un peu de son énergie d’antan lorsqu’il assure les guitares de Sultan of Swing mais ces tubes éculés ont tout de même passablement vieilli ! Et lorsqu’il s’assoit sur une chaise pour jouer ses dernières compositions bluesy, on se verrait mieux au New Morning plutôt qu’à Bercy, temple peu propice aux manifestations d’intimisme.

    Knopfler n’en reste pas moins un guitariste d’exception, au toucher si particulier ; un chanteur remarquable à la voix grave et l’articulation si personnelle, reconnaissable entre mille. Ces remarquables qualités furent exprimées ce soir dans une salle qui ne correspond plus à l’atmosphère musicale d’une inspiration, par ailleurs en petite forme.

  • Lou Reed – 2005/04/18 – Paris le Grand Rex

    Lou Reed – 2005/04/18 – Paris le Grand Rex

    Hey Lou ! Te revoilà à Paris, vieux Frère. On s’y est croisé souvent tout au long de ma carrière d’homme normal que tu as ponctuée de mots exceptionnels. Te revoilà avec un groupe intense et une violoncelliste aux longs cheveux.

    Tu as l’air de bien te porter Lou. Tes rides se creusent et accentuent ta morgue apparente mais tu continues à écrire des choses si bouleversantes. Tu pourrais changer de tailleur mais tu t’en fous, et puis ce n’est pas grave puisque tu caches tout ce fatras derrière les guitares auxquelles tu t’accroches depuis 35 ans.

    Hey Lou ! Tu n’imagines pas combien ta musique a ponctué ma route. A la différence de Jenny dans Rock ’n’ Roll je n’ai pas découvert le rock sur une station de New York mais à l’écoute du Velvet Underground. Je n’avais que 10 ans quand le premier VU est sorti mais j’ai rattrapé mon retard et il a meublé mes tourments post-adolescents. Pale blue Eyes et Femme Fatale ont accompagné mes nuits nostalgiques à l’inspiration stérile. Je n’ai pas su écrire I’ll be your Mirror/ …Let me be your eyes/ A hand to your darkness/ So you won’t be afraid, et je n’avais personne à qui l’offrir, alors j’ai écouté Nico chanter ces vers en boucle pendant les heures sombres.

    Tu as quitté ensuite tout ce beau monde : Andy, John Cale, Nico, pour t’enfoncer vers la mort et sortir Rock’n Roll Animal. A l’époque on pensait que tu ne passerais pas l’hiver. Ah, ce disque de légende ! Quelle fulgurance, quelle référence ! Les solos de Steve Hunter ont marqué à jamais les déambulations de Jack et Sweet Jane. Ce microsillon à la couverture si obscure m’a suivi tellement longtemps que je n’ai pas encore osé racheter le CD. Mais je vais bientôt le faire Lou car c’est une pièce essentielle de notre passé.

    Mon histoire, elle a aussi été jalonnée par Transformer, Berlin et Coney Island baby. Ces trois joyaux ils sont avec moi pour toujours. J’ai marché des heures dans les rues New York, guettant ton ombre, en écoutant She’s my Best Friend sur mon walkman. Et lorsque j’étais épuisé, j’allais griller des cigarettes au bar du Chelsea Hotel à la recherche des Chelsea Girls disparues pour toujours.

    Tu sais Lou, Perfect Day, c’est devenu la référence du bonheur dans mon univers. Chaque fois que je passe au Jardin des Plantes je vais pour Feed the animals in the zoo/ And then later a movie too and then home/ …Just a perfect day !

    Alors, ce soir au Grand Rex, Lou, je me suis souvenu de tout ça. Lorsque tu nous a dit que Vanishing Act était la chanson préférée de ton dernier disque, j’ai écouté religieusement It must be nice to disappear/ To have a vanishing act/ To always looking forward/ And never looking back et j’ai pensé que tout allait bien mieux, pour tout le monde, que lorsque tu ânonnais I’m gonna try to nullify my life sur Heroin il y trente ans !

    Et ce soir, Lou, tu nous a joué beaucoup de récentes compositions pour rappeler à ceux qui l’aurait oublié que tu continues à créer avec autant de d’excitation que par le passé : Guardian Angel (…who often saved my life), Halloween Parade, Mad, Ecstasy, et bien d’autres interprétées avec cette voix chevrotante mais assurée qui débite les poèmes de notre urbanité sclérosante, les vers inspirés par New York et le coté sombre de sa force, car toujours tu reviens sur la rue de New York où les déchets cohabitent avec la plus incroyable créativité. Sur ce tas de fumier, Lou, toi et les tiens, vous avez déposé les diamants désespérés de la culture de notre XX° siècle et c’est inoubliable.

    Hey Lou ! Tu es revenu une dernière fois ce soir pour nous servir Perfect Day. Ah le cello Lou, ce cello déhirant est venu comme une larme salée, coulant sur une fontaine de glace. Just a Perfect Day !

    Merci Lou, tu es un mythe vivant maintenant. Je serai là pour la prochaine et en attendant nous continuons derrière toi à marcher sur le coté sauvage de la Route.

  • Willy DeVille – 2005/04/17 – Paris le Bataclan

    Willy DeVille toujours fidèle à la France s’arrête un soir au bataclan. Il arrive claudiquant sur une canne noire à pommeau d’argent, habillé d’un costume en daim noir de desperado mexicain, chemise blanche à jabot et longue chevelure indienne retenue par une broche. Comme lui, les membres du groupe sont assis sur des tabourets, y compris deux pulpeuses choristes noires. Pas farouche, affichant une américanité rebelle, il nous régale de ses rythmes hispanisants et brûlants, allumant des Marlboro et décapsulant des canettes de bière à la chaîne.

    L’actualité est son dernier disque Crow Jane Alley. Mais il nous rappelle aussi à ses anciennes compositions. Le style est inchangé, définitivement mixé peau blanche/peau rouge ! L’inspiration est latinos.

    De son accent du Sud traînant il nous fait voyager au cœur de l’été moite et torride de la Louisiane. Avec lui, on se retrouve sous les arcades d’une rue dans la nuit de la Nouvelle Orléans, John Lee Hooker jouant du blues dans l’arrière salle, à regarder passer des filles fières dans la fumée s’échappant négligemment d’un fume-cigarette She got style, she got taste/ She’s got long long legs/ She got savoir faire. Il a la voix rocailleuse et puissante des flots boueux du Mississippi charriant des crues gigantesques. Il a le ton nasillard et aussi aigu que son profil aux joues creuses, taillé à la serpe. Son jeu de guitare est un plaisir lorsqu’il surenchérit sur le guitariste du groupe. Ces deux là s’amusent avec un brio de vieux professionnels, une facilité de complices de la première heure.

    Ses textes nous parlent de femmes She got flamme in her blood, fire on her breath, du Sud et de son Bacon fat, mais aussi parfois de la nostalgie des amours perdus et de l’histoire trouble d’une Spanish Stroll.

    Le concert est ponctué de reprises tirées de son monde musical, tellement bien arrangées à l’aune de son inspiration personnelle et qu’on les dirait composées par lui. On y trouve de vieux classiques du blues mais aussi le Slave to Love de Bryan Ferry, et bien sûr Hey Joe de Billy Roberts popularisé par Jimmy Hendrix joué en rappel :

    Hey Joe, I heard that you shot your woman down/ Yes I did, ‘cos I caught her messin ’round/ Well I’m going down South/ Way down to Mexico/ Where there ain’t no hangman/ Gonna put no noose around me.

    Et Willy est reparti en faisant tournoyer sa canne et justifiant une fois encore la joyeuse fidélité que lui vouent ses fans parisiens.

  • Eno Brian, ‘Une année aux appendices gonflés’.

    Sortie : , Chez : .

    Le journal de l’année 1995, rédigé par l’un des concepteurs de la scène musicale moderne. Eno nous fait partager au jour le jour la vie d’un producteur (Bowie, U2,…) engagé dans la réflexion sur l’art, la culture (« tout ce que nous ne sommes pas obligés de faire ») et la musique au dessus de tout. On y partage également son engagement humanitaire en faveur de l’ex-Yougoslavie, en plein déchirement à l’époque.

  • Vanilla Cherry, ‘Les Papiers de Ziggy Stardust’.

    Sortie : , Chez : . Chroniques imaginaires de Ziggy Stardust, écrites par une théatreuse warholienne qui servait de communicatrice en chef de Bowie au cours des années Ziggy. Superficiel et sans grand intérêt.

  • Soulwax – 2005/02/21 – Paris l’Elysée Montmartre

    SoulWax est de retour à Paris après sa prestation au Festival des Inrock, avortée pour cause de couvre feu. Ils sont précédés d’une honorable première partie : Whitey qui sonne dur et hargneux.

    Fondé par les frères Dewaele, les SoulWax, groupe de cinq musiciens belges, vedettes de la soirée, arrivent ensuite, tous de noir vêtus, sur fond de décor crypto-ska (à moins d’une réminiscence de Parallel Lines de Blondie ?), lignes noires et blanches verticales.

    Guitares et machines synthétiseurs composent la base de cette musique de DJs qui mixe le rock et l’électro. Le son est fort et les rythmes brutaux. Le chanteur dégoise dans un micro à l’ancienne, style Elvis. Désertant par moment leurs guitares et micros cette équipée sauvage de musiciens déjantés se penche sur ses ordinateurs, tournant boutons et agitant curseurs, nous délivrant du Kraftwerk revisité transe.

    Avec les Radio4 et autres The Killers, cette nouvelle vague de gamins fringants et pressés reviennent à une punk attitude modernisée du meilleur effet. A suivre de près.

  • Radio 4 – 2005/02/16 – Paris le Trabendo

    Une petite foule passionnée d’habitués se presse ce soir au Trabendo pour de nouvelles découvertes rock. La programmation de cette annexe du Zénith se fait pointue pour le plus grand bonheur des parisiens qui assistent dans une ambiance bar-boîte à la présentation des groupes de demain.

    Nadj démarre le show par une demi-heure rafraîchissante. Une jeune néo-punkette grenobloise emmène un trio de choc qui ne mesure pas son énergie pour nous servir de courts morceaux plaqués de riffs vengeurs. C’est carré, charmeur et concis. Trois musiciens de circonstance se font plaisir en nous présentant leur création et en rêvant de gloire future. Je laisse 10 euros au comptoir pour repartir avec le disque de Nadj

    Les cinq new-yorkais de Radio4 prennent la suite. Proprets, ils cachent bien leur jeu lorsque démarrent la lourde bass du chanteur-leader qui nous révèle un musique urbaine et saccadée. Un percussionniste placé sur le devant de la scène enrichit la classique batterie d’une touche exotique tirant parfois sur l’hystérique. Un guitariste funky sur le fil du rasoir assène des riffs électriques, grimaçants et coupants. Un clavier joue les utilités en trifouillant dans des machines au son techno. C’est une réincarnation des Talking Heads, moderne et attirante comme la formation de leurs glorieux aînés, peut-être pas encore aussi machiavélique.

    La musique file à toute allure sur les rails d’une dance-punk originale et évidente. La salle s’en donne à cœur joie et goûte une félicité sans partage. Après un premier rappel, les musiciens, cédant aux hourras, reviennent sans instrument pour expliquer qu’ils ont joué toutes les chansons qu’ils connaissaient. On ne aurait bien réécouté une ou deux. Rideau !

  • Etxebarria Lucia, ‘Amour, Prozac et autres curiosités’.

    Sortie : , Chez : . Biographe de Courntey Love, Etxebarria nous raconte la vie déjantée de trois sœurs madrilènes, l’une accrochée à Joy Division et à l’ecstasy, la deuxième au Prozac et la troisième à sa carrière. C’est une chronique désopilante et troublante des malheurs ordinaires de nos vies sans relief. On y trouve tous les ingrédients du désastre : le sexe lâche, la drogue illusoire, le père disparu, la mère envahissante, le travail sans création ; bref, la vie sans passion dans un quotidien sans enjeu.

  • Harrison Jim, ‘En Marge’.

    Sortie : 2022, Chez : Christian Bourgois Editeur

    Harrison revient sur le parcours qui l’a fait un des écrivains importants du XX° siècle. Bien sûr il y est question de la nature sauvage du Michigan nord, de chasse, de pêche, de bouffe et, toujours, d’écriture et de poésie qui sont la trame du livre et de la vie de son auteur. Un destin pensé pour et orienté vers la création littéraire, qui a produit parmi les œuvres majeures de la littérature américaine. De l’université à Hollywood, du Nebraska à la Bourgogne, Harrison absorbe tout ce qui passe à sa portée et le restitue dans l’écriture. Il pêche son matériau dans les eaux profondes de l’humanité et ce qu’il ferre n’est pas toujours réjouissant mais c’est ce qui a forgé Dalva et Sur La Route Du Retour alors on en redemande.

    Je suis de nature un semi-reclus, un mélancolique bénin à la recherche d’un équilibre précaire entre des extrêmes effrayants, bien décidé à ne pas me faire remarquer, mais tout aussi désireux de ne pas garder un profil bas.

    Dans son style foisonnant et riche mais sans fioritures, Harrison cite Steinbeck, Rimbaud, Rilke (« Qu’est-ce que le destin, sinon la densité de l’enfance ? ») et moulte autres écrivains peu connus du lecteur français. Il jongle avec les mots et les idées, ose des rapprochements acrobatiques entre situations et pensées, souvent drôles, jamais cyniques.

    Malheureusement, les diverses variantes de l’apitoiement sur soi sont les émotions les plus dangereuses que nous puissions connaître.

    Malgré quelques dérives alimentaires à Hollywood cet homme n’est que littérature et maîtrise des mots. Déjà une légende !

  • Kasabian – 2005/01/27 – Paris le Trabendo

    Kasabian, le groupe dont on parle est en tournée à Paris. C’est le Trabendo qui accueille cette joyeuse bande de va-nu-pieds de 25 ans, chevelus et barbus, à l’humour crypto lycéen : Kasabian est le nom de la petite amie de Charles Manson…

    Dans cette petite salle au plafond bas plane l’atmosphère garage rock qui sied excellemment à ce groupe vainqueur assurant ici la promotion de son premier et unique disque. A la découverte du rock nouveau, on se prend à se souvenir de la Factory si créatrice sous l’ombre tutélaire d’Andy.

    La musique de Kasabian est tendue, servie par un light show stroboscopique ajoutant à l’urgence de ce rock. La rythmique prééminente emmène l’ensemble dans une logique résolument moderne, pleine de joyeuse énergie. Les musiciens se relaient aux claviers pour produire quelques arabesques sonores synthétisantes qui viennent briser l’axe évident suivis par les guitares.

    La voix grave du chanteur-compositeur Sergio Pizzorno déclenche l’hystérie de jeunes girls qui grimpent sur la scène pour déposer de bruyants smack sur ses joues mal rasées, débordant les body-guards qui ne savent plus où donner de la tête.

    Puisqu’il est de bon ton de faire référence à Primal Scream, n’hésitons pas à confirmer. Avec Kasabian, Radio4, The Strokes et quelques autres, c’est le rock du 21ème siècle qui balbutie pour trouver ses marques. Rien de fondamental mais simplement des gamins de notre temps, avides de musique, qui nous développent une vitalité audacieuse et enthousiasmante.

  • Rouaud Jean, ‘Les Champs d’Honneur’.

    Sortie : , Chez : . Un livre étonnant sur la mort des proches de l’auteur qui publie un premier roman d’une grande maturité. La Mémoire est investie dans ses moindres détails par un narrateur à la précision balzacienne. On y retrouve les habitudes de famille, les petites querelles et les grandes valeurs, les paysages trempés de la Loire inférieure et les tranchées tragiques de la Grande guerre. Au gré de ces brumes et de ces souffrances, on plonge au coeur de l’enchevêtrement des personnalités qui font notre Société. Ceux qui restent poursuivent l’Histoire !

  • Beigbeder Frédéric, ‘Windows on the World’.

    Sortie : , Chez : . Les dernières minutes de visiteurs du dernier étage du World Trade Center entre le crash des jets et l’effondrement des tours. Beigbeder, incorrigible, en profite largement pour parler de lui et de ses angoisses « existentielles » d’ancien pubeur cocaïné. Malgré ces dérapages égocentriques, c’est enlevé dans le tragique, percutant dans le style, déprimant dans la narration de cet événement fondateur de la décadence de notre Monde.

  • Beautiful Losers

    Arte a diffusé en 1997 un merveilleux documentaire : Beautiful Losers, ou les pérégrinations vitales de Willy De Ville, Marianne Faithfull et Leonard Cohen, troubadours désespérés, transformés en créateurs inspirés par les affres de la drogue. C’est une ballade triste mais sereine dans les années 60’ qui ont engendré parmi les plus belles pages du Rock’n Roll.

    Tout ce petit monde, désormais à l’abri du besoin mais sans ostentation, se penche avec une nostalgie analytique sur un passé fondateur de la musique qui a bercé plusieurs générations depuis. Un passé de désastre et de fracture qui a trouvé son aboutissement dans une création artistique apaisée pour ces survivants quinquas.

    A leur écoute on ressent du soulagement d’être présents pour raconter. Il n’y a plus d’amertume face à leur révolte défaite. La poésie a comblé le vide et la perte, la musique a stoppé les artistes au bord du gouffre. L’art a vaincu la déchirure, finalement ! Il a sauvé l’essentiel !

    Les voix de notre trio sont doucement troublantes, des voix décavées, usées par l’alcool et la nicotine, extraites des profondeurs de la souffrance qui n’est jamais loin. La légèreté des années 60s a fondu dans leurs expériences tragiques. Leur quête constante pour transcender les peurs de notre siècle s’est libérée dans une énergie revigorante bien qu’un soupçon désabusée, forgée au cœur d’une solitude créatrice qui a pris le pas sur la vie communautaire d’antan.

    On sent des artistes matures, en paix avec eux-mêmes, simplement en lutte avec le processus d’écriture et de composition si exigeant, ne voulant rendre des comptes qu’à leur public et à leurs muses. Qu’il en soit ainsi pour encore de longues années !

    A la fin du DVD, Leonard Cohen, tranquillement accoudé à la fenêtre de sa cuisine de Los Angeles récite calmement quelques strophes de son poème A Thousand Kisses Deep :

    Don’t matter if the road is long,
    don’t matter if it’s steep,
    don’t matter if the moon is gone
    and the darkness is complete,
    don’t matter if we lose our way
    it’s written that we’ll meet,
    at least, that’s what I heard you say
    a thousand kisses deep.

    I loved you when you opened
    like a lily to the heat
    you see, I’m just another snowman
    standing in the rain and sleet
    who loved you with his frozen love
    his second hand physique
    with all he is and all he was
    a thousand kisses deep.

    I know you had to lie to me,
    I know you had to cheat,
    you learned it on your father’s knee
    and at your mother’s feet,
    but did you have to fight your way
    across the burning street
    when all our vital interests lay
    a thousand kisses deep.

    I’m turning tricks,
    I’m getting fixed,
    I’m back on boogie street,
    I’d like to quit the business
    but I’m in it, so to speak,
    the thought of you is peaceful
    and the file on you complete
    except what I forgot to do
    a thousand kisses deep.

    Don’t matter if you’re rich and strong,
    Don’t matter if you’re weak,
    Don’t matter if you write a song
    the nightingales repeat,
    don’t matter if it’s nine to five
    or timeless and unique,
    you ditch your life to stay alive
    a thousand kisses deep.

    The ponies run
    the girls are young
    the odds are there to beat,
    you win a while, and then it’s done
    your little winning streak,
    and summon now to deal with your invincible defeat
    you live your life as if it’s real
    a thousand kisses deep.

    I hear their voices in the wine
    that sometimes did me seek,
    the band is playing Auld Lang Syne
    but the heart will not retreat,
    there’s no forsaking what you love
    no existential leap
    as witnessed here in time and blood
    a thousand kisses deep.

    Leonard Cohen
  • Derrida / Roudinesco , ‘De quoi demain… Dialogues’.

    Sortie : , Chez : . Élévation fascinante dans le monde de la pensée de ces deux grands esprits. L’un est le philosophe de la « déconstruction », l’autre est historienne. Ensemble ils « déconstruisent » les idées et passent notre monde à la moulinette de l’analyse philosophique, historique et psychanalytique. Ils montent à l’assaut des principes et idées reçues sur des sujets aussi divers que la peine de mort, la famille, les violences contre les animaux, les héritages politiques et la révolution, ou l’antisémitisme. Derrida, juif né à Alger, évoque ses origines avec discrétion au hasard des pages. Les références littéraires et philosophiques sont nombreuses et rendent l’ensemble pas forcément évident à suivre pour les néophytes qui sentent tout de même passer le souffle de l’Esprit sur ces débats.

  • Rocard Francis, ‘Planète Rouge, Mars : mythes et exploration’.

    Sortie : , Chez : . Francis Rocard, fils de… et ancien pote du Lycée Montaigne, ci-devant astrophysicien médiatique, m’a dédicacé son livre sur Mars. Un peu compliqué à suivre entre les ellipses orbitales, les glaces carboniques ou le spectromètre de l’hématique, mais suffisamment romantique pour laisser la place aux rêves face à ces espaces aussi sidéraux que sidérants, et reposer la question lancée par David Bowie dans les 70s : Life On Mars?

  • Festival les Inrocks – 2004/11/09 – Paris l’Elysée Montmartre

    C’est la finale du Festival des Inrockuptibles ce mardi soir à l’Elysée Montmartre. Quatre groupes au programme à partir de 18h pour terminer avant la deadline incontournable à 23h pour cause de couvre-feu urbain.

    Nouvelle Vague ouvre le feu et nous sert la quasi intégralité de son disque qui caracole en tête des ventes. Deux gamines sucrées qui susurrent les standards punks de l’époque de leurs parents, accompagnées du guitariste arrangeur (qui, lui, a du hanter les concerts du Clash) et d’un clavier. Robe-noire-collants-verts, robe-blanche-bottes-crèmes, elles sont douces sur Love Will Tear Us Apart (Joy Division), langoureuses sur Making Plans For Nigel (XTC), rythmiques sur Just Cant Get Enough (Depeche Mode), émouvantes sur This Is Not A Love Song (PIL), polissonnes sur Too Drunk To Fuck (Dead Kennedys), décidées sur Guns Of Brixton (The Clash), originales sur le bonus de la soirée Ever Fall In Love des Buzzckoks. Quelle merveilleuse idée que ce disque de reprises qui coule comme un filet d’eau fraîche dans une gorge assoiffée. On a envie de leur refourguer tout notre catalogue de classiques pour qu’elles les ré-assaisonnent à leur sauce toute en rondeurs et bossa-nova. Sucrées-salées, aigres-douces, Camille et Mélanie s’en donnent à cœur joie sous la baguette inspirée de leur producteur et nous collent la joie au cœur lorsqu’elles s’arrosent en finale sous un déluge de bière.

    Estelle prend la suite et installe son combo black pour un set soul-hip-hop. Huit garnements venus de Londres rappouillent sur les ziggouillis d’un DJ en casquette à l’envers. Ca reste globalement mélodique et ponctué de messages peace & love délivrés par Estelle affublée d’un turban de mama sénégalaise. Pas inoubliable !

    LCD Soundsystem entre ensuite en piste et on parle un autre langage avec ce gang dur et hargneux venu de New York. Retour sur une électronique urbaine en noir et blanc. C’est fort et violent, définitivement dance et agrémenté de ritournelles à la New Order jouées par une petite asiatique cachée derrière des fils et ses machines, fondue dans une incroyable rythmique soulignée à l’occasion par deux bass. James Murphy, leader-chanteur, est immense à la tête d’un show incendiaire mené sans respiration. Le rideau noir retombe sur un set de braises, la température de l’Elysée est sérieusement montée sur le mercure du beat. Pour ceux qui en redemande, on retrouve LCD aux cotés de The Rapture et d’autres sur la récente compilation mijotée par DFA, le nouveau label hype lancé par EMI et… Murphy.

    Tout le monde est en retard et lorsque que les Soul Wax, groupe phare de cette soirée, entrent en scène, ils n’ont que 20 minutes avant l’extinction des feux. Juste de quoi faire saliver l’assemblée et monter le plaisir. La scène s’ouvre sur un ensemble de lignes verticales noires et blanches et nos flamands tous de noir vêtu qui alternent entre leurs instruments à manches et à cordes, et des boîtes à électronique qui font couler la lave. On a juste le temps de se forger l’image d’un groupe inspiré de Kraftwerk mâtiné de Devo déchaînant le feu hypnotique du 21e siècle sur nos esprits dérangés, et Soul Wax plie bagage sous les huées des festivaliers frustrés par ce coitus interomptus affichant des doigts d’honneur à un parterre de VIP branchouilles dégustant des coupes de champ à la balustrade de l’Elysée Montmartre. Les Inrokuptibles, bon prince et incorruptibles, annonceront le lendemain un nouveau concert de Soul Wax en janvier, gratuit pour les rescapés qui auront conservé leur souche de billet. Il y a une morale, même au royaume de la dance.

  • Sagan Françoise, ‘Bonjour Tristesse’.

    Sortie : , Chez : . Le roman qui a lancé Françoise Sagan en 1954. On y parle d’été dans le sud, de mer chaude, de cigales chantant dans les pins, d’insouciance, de plaisir et de la jeunesse « dont c’est le privilège de penser peu au futur ». La Sagan fera flores sur la base de ce roman tout fou qui fondera un élan d’affirmation du féminisme, léger mais volontaire. Cette aventure est aussi celle d’une époque de joie et d’optimisme pour une intelligentsia qui croyait encore que tout était possible. Depuis, Sagan a fini sa vie dans un manoir normand, ruinée, impliquée dans des affaires de drogue et de corruption politique. Du soleil éclatant de Saint-Tropez aux bruines tristounettes de Honfleur, tout un symbole !

  • Nuit Blanche… assurément !

    Nuit Blanche… assurément !

    Je passe une partie de la nuit à parcourir les créations culturelles contemporaines de La Nuit Blanche. Programme en papier glacé signé par Delanoé, directeurs artistiques melting-pot, foules en deux-roues, agents d’accueil bigarrés, RATP et Batobus qui font des heures supp., l’art contemporain a fondu sur Paris, me laissant perplexe et frigorifié !

    Comme tout événement populaire, il y a le peuple et les files d’attente conséquentes. Après avoir retrouvé mes potes cyclistes devant une bière au Delaville Café, décidément de plus en plus hype, nous nous tapons une première heure de queue devant l’ancien hôpital Saint-Lazare dans les arbres duquel sévissent quelques acrobates chorégraphiés façon Roi de la Jungle. La performance physique est impressionnante ne serait-ce une musique live quelque peu agaçante à coté de laquelle Stockhausen joué par Boulez passe pour une Nocturne de Chopin… Une artiste monte et descend dans toutes les positions imaginables le long d’une corde lisse accrochée à une câblerie végétale dans une sorte de ballet mi-téléphérique, mi-Homme. Elle est souple la bougresse, et affiche une technique remarquable qui la fait se mouvoir verticalement avec une facilité déconcertante. De temps en temps elle fait une pause dans un filet suspendu où l’attend un de ses comparses avec qui elle « s’exprime corporellement » via des attouchements de pieds, de mains, de corps, avant de redescendre le long de son fil d’Ariane la tête en bas. Pendant ce temps, un troisième larron s’agite au sol dans ce qui doit être des mouvements de danse moderne, caressant au passage quelques spectateurs esbaudis.

    On n’arrive pas trop à identifier le début ni la fin du show, alors quand la foule commence à onduler vers la sortie, on suit et on laisse Jane suspendue à ses lianes pour se retrouver face (i) à des murs intérieurs sur lesquels sont projetés des vidéos immobiles : plans fixes d’un aéroport, d’une meute de chiens de chasse vue d’un arbre, etc. (ii) un mur extérieur où s’affichent des mots et phrases en écriture automatique que l’on peut lire depuis une batterie de transats installés façon promenade des Anglais, mais désertés par l’assistance pour cause de froid de canard.

    Et l’on passe ensuite dans la cour suivante à la reconstitution d’un chantier de travaux publics où s’agitent une petite troupe en casque jaune, dont deux donzelles, debout sur un tas de sable, égrenant dans un micro une succession de chiffres pendant que des ingénieurs, toujours en casque canari, consultent des ordinateurs. Il fait de plus en plus froid alors on laisse ce petit monde à sa créativité.

    Interloqués, en sortant on relit le programme qui parle de :

    musique donnant l’urgence, la temporalité, la certitude du présent…

    et je passe sur :

    l’atmosphère qui est à l’œuvre permanente, à la nuance et au vertige… le sens devenu sensation et la sensation des sens.

    Encore sous l’émotion du choc culturel, on hésite à poursuivre ce vaste itinéraire contemporain de la Nuit Blanche de peur de ne pouvoir s’en remettre, sans parler du rhume qui couve. Bon, mais les potes nous appellent pour les rejoindre dans la communion des Caresses de Marquises. Soyons fous puisque nous sommes encore vivants ! Et va pour les Marquises caressantes.

    On se retrouve sur une balustrade qui surplombe les quais de la gare de l’est et là, toujours transis, nous contemplons les rails de la SNCF, à la poétique industrielle si marquée, éclairés aléatoirement par des spots clignotant en rythme sur une musique gargouillante. On s’attend à voir émerger E.T. de la salle des pas perdus. Les spectateurs entassés prennent des photos en pagaille de ce spectacle peu commun et on imagine les impressionnants diaporamas qui émergeront de cette séance pour animer les longues soirées d’hiver. Un point rapide sur le programme nous apprend que nous sommes ici en présence d’une œuvre qui :

    est non seulement inventée mais apprise et développée en temps réel.

    Les potes sont déjà repartis pour les Buttes Chaumont pour la création Les Marmottes Vocales. C’en est trop pour votre serviteur qui heureusement est toujours avec deux copines plutôt dubitatives et nous décidons un repli stratégique sur le Delaville pour faire le bilan de cette soirée. Dans l’escalier de la gare nous croisons une jeune femme en train de photographier une bétonneuse Bouygues, ne figurant a priori pas dans le programme des créations contemporaines. On imagine qu’elle est chef de chantier TP reconvertie en espionne industrielle, ou que les Marquises caressantes lui ont grillé les synapses.

    Le mot de la fin revient à un anonyme spectateur : « tout ceci est très Jack Lang » ! On ne peut mieux dire.

    Il est deux heures du mat et le Delaville est fermé. Bad news ! On se replie sur le troquet d’en face pour écluser dans la bière une nuit de création contemporaine. Je résume : tout ceci est éminemment sympathique, volontaire, tendance, structurant, généreux, et le succès populaire atteint est rassurant sur les limites du décervelage que la Star’Ac exerce sur les neurones de nos concitoyens sous l’égide appliquée et consciencieuse de Le Lay le (très) laid. Mais je suis décidément trop traditionaliste pour partager une quelconque émotion face à ces élucubrations contemporaines. Heureusement ma bonne fée me rappelle que la modernité c’est justement la manière dont on traite la tradition. À la bonne heure et à l’année prochaine pour la Nuit Blanche 2005.

    Rehve 10/2004
  • SOLLERS Philippe, ‘Passion Fixe’.

    Sortie : 2000, Chez : Gallimard. 

    Dora (Mar ?), avocate vagabonde, Clara (Schumann ?), pianiste virtuose, François, révolutionnaire itinérant, inspire le narrateur, écrivain (manqué ?) qui nous emmènent dans une pérégrination haletante à travers la planète, à travers l’art et l’Histoire.

    De digressions en références, Sollers saute d’un continent à une théorie, de Bach au Tao pour nous servir un roman aussi vif que son auteur qui se joue des idées et se régale des délices de la pensée. C’est léger, ça palpite et ça concentre la vie sur la création et les créateurs, tout ce qu’on aime pour donner un sens à nos existences.