The Stranglers – 2004/04/01 – Paris le Trabendo

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« Always Heroes… »

Mais après quoi courent The Stranglers depuis vingt-cinq ans ? Tout ce temps passé depuis le déferlement punk jusqu’à la vague électronique n’a pas fait dévier d’un iota nos hommes en noir. Exsudant toujours la même sinistrose, teintée de violence urbaine et inspirée d’un bestiaire obscur : entre la peste vicieuse du rat et l’élégance racée de la panthère noire, le vol rectiligne du corbeau vient nous rappeler que la fin rode.

A l’écart des grands courants du Rock, ils continuent de décliner les mêmes rythmes tribaux en montant à l’assaut de notre tranquillité bourgeoise. Ils sont restés fidèles à la pureté initiatique du Rock premier lorsque leurs camarades de couloirs de maisons de disques dérivaient vers des formats FM sans âme. Et pendant que Sid Vicious chantait My Way sur les plateaux télé en prime time Hugh Cornwell et sa bande composaient la mélodie dévastatrice de No More Heroes en faisant poser Jean Jacques Burnel sur la tombe de Troksky… c’était en 1977 !

The Stranglers ne courent finalement plus après grand-chose. Ils emmagasinent simplement le plaisir d’aller jusqu’au bout d’une idée, celle de l’essence d’une musique/attitude à une époque où le zapping est érigé en standard de vie.

Et maintenant, que la Scène, oubliant ses renoncements, redécouvre le Rock, les Stranglers reviennent en odeur de sainteté. Ils sortent même en single Norfoalk Coast, chanson éponyme de leur récent album, alors que, fâchés avec l’industrie du disque, ils s’étaient toujours refusés à toute promotion de leur œuvre. C’est sous les nuages lourds et sombres de la cote britannique que Burnel est allé composer cette ode solitaire :

I was a looser in the loving wars / I took my treasure to the Norfoalk Coast /… / I walked alone on the Norfoalk coast / And the screams of the birds they echoed around my mind

Il en résulte un petit joyau de musique entêtante qui sera présenté au cours de la soirée.

Le concert a lieu au Trabendo, bar-boîte aux pieds du Zénith. Peu d’espace et une atmosphère confinée. La ritournelle aigre-douce de Waltzinblack annonce, comme depuis des années, l’arrivée du groupe sur scène. Tous de noir vêtu, ils attaquent Norfoalk Coasti suivi de Skin Deep, Bing Thing Comming, Long Black Veil. Les trois lascars d’origine ont pris quelques années mais tiennent leurs places : Burnel à la basse, un Jet Black balzacien, barbe et cheveux blanc, à la batterie, et Dave Greenfield aux claviers. Paul Roberts le chanteur, qui a rejoint le groupe depuis 10 ans et Baz Warne (ex-guitariste des Small Town Heroes) depuis 4, rajeunissent la bande, mais on les dirait nés Stranglers. Une étrange nostalgie émane des textes de ce groupe tourné vers un futur urgent où la révolte rémanente continue d’irriguer une inspiration fataliste sur l’incontournable nécessité d’accompagner ce Temps qui passe en laissant les loosers dans le fossé : There is a new time coming / We’re gonna have to change / Big thing coming and it’s comming real soon. Mais malgré tout, comment oublier les souvenirs fondateurs qui sont finalement si proches : To sin and repent just wasn’t for me / I’ve been wild / I’ve been wild.

Les chansons défilent non-stop, celles du dernier album et des reprises, notamment : Always The Sun, Duchess, Something Better Change, Walk On By, Five Minutes.

Ces hymnes sont menés sur le même rythme ardent qui a fait le son du groupe : une ligne mélodique de basse appuyée, des nappes de claviers obtuses et entêtantes ajoutant une touche gothique à l’ensemble, une batterie épileptique portant la voix grave du chanteur sur des mélodies sulfureuses et concises. Bref, la même furia sophistiquée qui les avait fait détester par les Sex Pistols et adorer des frustrés de la vague punk. Mais à force de crier No Future, les punks sont morts et les Stranglers nous font danser sur leur tombe :

I need a dream where I can live what I said / I need a place where I can put my head / I need a hole where I’ll find darkness now…

Quelques rares moments de respiration avec Golden Brown, une ode à l’héroïne composée sur une bluette pour clavecin ou Tucker’s Grave et son envolée de claviers de cathédrale.

Le groupe reprend sa course effrénée avec Lost Control, Who Wants The World, Grip, Tank, I’ve Been Wild…, la salle chauffe, Roberts ouvre sa chemise et dévoile des pectoraux qui font se pâmer les jeunes femmes, on voit même quelques sourires se dessiner sur la bouche des musiciens. La machine infernale Stranglers trace son sillon dans un terreau qui reste des plus fertiles : celui du Rock’Roll honnête et dur, prévisible donc éternel.

Pour terminer le deuxième rappel JJ frappe sur sa basse et lance No More Heroes et son hallucinante mélopée synthétique aux relents purificateurs :

Whatever happened to all the heroes? / All the Shakespearoes? / They watched their Rome burned / Whatever happened to all the heroes? / No more heroes any more…

Et nos héros sont partis ! On les retrouvera 48 heurs plus tard pour un dernier concert en direct sur FIP avant de poursuivre une tournée européenne. On espère que le prochain disque avant les cinq années qui furent nécessaires à l’accouchement de Norfoalk Coast !