C’est toujours avec une grande curiosité que l’on se rend à un concert de Radiohead, le groupe britannique mutant du rock d’aujourd’hui ; ce soir une foule pressée frétille d’impatience en investissant Bercy, quelques accros du ballon rond assistent dans les bistrots du coin aux dernières passes qui enterrent les footeux tricolores. Souriez, ce n’est que du sport et aujourd’hui Radiohead va vous offrir bien mieux.
L’immense scène est couverte par des rideaux de lianes suspendues qui vont s’avérer être des néons dans lesquels circulent, en sens parfois contraires, des flots de lumières telles des bulles dans un aquarium, en accord avec la musique, donnant au show une allure féérique et douce. Accrochés aux deux amplis du fond pavoisent des drapeaux tibétains.
Le groupe entre en scène pour des retrouvailles parisiennes avec un public qui les déifie depuis leurs débuts, les cœurs battent. Thom en veste blanche et jean noir, le cheveu hirsute, la barbe taillée, entame All I Need et enchaîne sur There There et Lucky, trois hymnes profonds tirés du cœur de la sombre et divagante inspiration ce groupe. Sa voix monte lentement dans le vaste hall accompagnée par une rythmique obsédante. Johnny quitte ses claviers et déchire Bercy sur le solo de guitare de Lucky : I feel my luck could change/ Pull me out of the aircrash. Notre chance nous la tenons d’être ici ce soir, le ton est donné, le show ne faiblira pas une seconde deux heures durant.
Un grand écran découpé en cinq carrés passe des images de la scène en noir et blanc avec des angles de prise de vue improbables, généralement des mini-caméras solidaires des micros ; on voit les bouches, les yeux, les poils de barbe et autres appendices de musiciens à l’œuvre. Et l’on assiste surtout à du grand œuvre ! Ce groupe soudé développe une musique d’une modernité telle que l’on s’étonne qu’il puisse remporter un tel succès populaire. Bonne nouvelle, au-delà du foot et de Madonna il reste encore un peu de place pour la création pure. Ces cinq bonhommes tournent et créent ensemble depuis des années, cela se voit et s’entend. On a l’impression d’un processus musical évident mais sophistiqué. La cassure est le maître mot de cette musique, celle de l’âme des disques qui se succèdent depuis quinze ans, celle des rythmes qui passent dans la même mesure d’une ballade romantique à un déchaînement métallique, celle des tonalités qui changent au cœur d’un même morceau. Tout est original chez ce groupe d’exception, et d’abord sa musique qui semble venir d’un autre monde, produite par des neurones d’un type nouveau, des textes souvent surréalistes, révélateur d’un monde intérieur complexe et d’une vision décalée, les livrets des disques sont à eux-seuls de véritables compositions artistiques, même le mode de diffusion de In Rainbows sur internet à un prix choisi par l’acheteur était novateur (et a d’ailleurs fait des émules : Nine Inchs Nails) !
In Rainbows, leur dernier disque est joué en totalité, le son est exceptionnel, l’énergie est débordante, ponctuée par des retours plus introspectifs sur Amnesiac et Kid A où Thom s’assied devant un piano droit. Le public suit partout où on l’emmène, vibrant lorsque Thom danse une tectonique de circonstance derrière son micro, souriant lorsqu’il fait des clins d’œil facétieux aux caméras, rêvant lorsque la musique s’étire en mélopées aériennes, déchaîné lorsque Johnny s’acharne sur les effets terrifiants de ses guitares électriques. Et chacun est bien sûr touché par la fragilité rémanente des compositions, même exprimées avec l’ardeur de l’électricité et de l’électronique.
Le show se termine sur un Bodysnatchers enfiévré qui laisse Bercy essoufflé alors que les musiciens disparaissent en coulisses.
Le premier rappel ouvre sur Exit Music, une émouvante ballade tirée de OK Computer : Thom seul à la guitare acoustique et de sa voix bouleversante narrant l’enlèvement d’une femme aimée des griffes familiales, puis Jigsaw et un faux départ sur Paranoid Android repris après un « sorry » de Thom souriant. On voudrait repousser la fin incontournable du show. Mais elle arrive avec Idioteque un morceau complexe tiré de Kid A qui clos en beauté (et en difficulté) le deuxième rappel du concert : Ice age coming/ Throw it in the fire !
Et le Palais de Bercy se vide de ses spectateurs époustouflés devant la performance hors du commun des Radiohead qui n’en finissent pas de nous surprendre.
Set list : All I Need/ There There/ Lucky/ Bangers’n Mash/ 15 Step/ Nude/ Pyramid Song/ Arpeggi/ The Gloaming/ My Iron Lung/ Faust Arp/ Videotape/ Morning Bell/ Where I End And You Begin/ Reckoner/ Everything In Its Right Place/ Bodysnatchers Rappel 1 : Exit Music (For A Film)/ Jigsaw Falling Into Place/ House Of Cards/ Paranoid Android/ Street Spirit Rappel 2 : Like Spinning plates/ You and whose Army ?/ Idioteque