Forte capacité de nuisance de Moscou

Un ex-agent double russe, Sergueï Skripal, réfugié au Royaume-Uni est empoisonné avec sa fille par un gaz de combat innervant. A ce jour les deux russes sont soignés en soins intensifs et dans un état critique, de même qu’un policier qui a été atteint par ce gaz en voulant intervenir sur les blessés. On se souvient qu’en 2006 un opposant russe, Alexandre Litvinenko, avait aussi été empoisonné avec un produit radioactif polonium. Il avait mis une vingtaine de jours à en mourir et produit quelques déclarations et écrits avant son décès. Ce polonium était tellement radioactif que la police britannique a pu suivre à la trace le retour à Moscou des deux agents qui avaient mélangé au thé de M. Litvinenko ; même les avions commerciaux qui les avaient transportés exsudaient la radioactivité… L’un de ces agents a été élu depuis député au parlement russe.

Le président russe et son entourage n’ont jamais caché qu’ils voulaient tuer les agents doubles russes considérés comme des traîtres à la patrie, probablement largement soutenus par la population locale. Les autorités britanniques ont déclaré que l’Etat russe lui semblait responsable de l’empoisonnement de M. Skripal et, du coup, ont rouvert les enquêtes concernant les décès douteux de nombre de citoyens russes, ou d’origine russe, sur le territoire britannique. En attendant des sanctions diplomatiques ont été annoncées par Londres, soutenue par d’autres pays d’Europe de l’ouest ainsi que les Etats-Unis d’Amérique. La Russie conteste son implication dans ces meurtres dans le langage fleuri qui est le sien et parle de manipulation occidentale pour interférer sur l’élection présidentielle se déroulant ce dimanche. Tout est possible, bien sûr.

Quelle que soit le fin mot de cette histoire on sait la Russie portée de tous temps à l’agit-prop internationale et en utilisant les moyens qui sont les siens, souvent brutaux, en tous cas manquant parfois de discrétion. Les bolcheviks et l’Union soviétique ont tout fait pour exporter leur révolution à l’étranger, n’hésitant pas à exécuter leurs opposants où qu’ils se trouvent. Trotski fut de ceux-là. Après une courte période de repli sur elle-même suivant la dissolution de l’Union soviétique, la Russie de Poutine a repris le chemin de l’interventionnisme malfaisant en dehors de ses frontières nationales. On a découvert avec une relative stupeur que ce pays développait ses compétences informatiques pour interférer dans les campagnes électorales occidentales et favoriser les candidats qu’elle estime meilleurs pour la Russie : ainsi de Trump aux Etats-Unis ou Marine Le Pen en France.

Dans le cas des Etats-Unis d’Amérique, le plus croquignolet dans l’affaire est que Donald Trump a effectivement été élu et que la nouvelle équipe républicaine marquait de réelles sympathies pour la Russie mais le dévoilement des interventions de Moscou et des liens un peu trop étroits de forbans américains proches de Trump avec l’ennemi intime de Washington force le gouvernement américain à prendre lui aussi des sanctions contre la Russie.

Ainsi vont les relations internationales. Il n’y a pas grand-chose de nouveau en ce XIXème siècle sinon les outils utilisés, mais l’ambition des hommes et des Etats restent toujours aussi malsaine et porteuse de violence. La Russie considère l’Occident comme décadent et faible, elle fait tout pour lui nuire. Ce que les démocrates optimistes déplorent est qu’un pays comme la Russie dépense autant d’énergie et d’argent pour chercher à perturber l’extérieur plutôt qu’à se concentrer sur son développement intérieur. Mais les démocraties sont prises à leur propre piège puisque le président russe actuel est élu à peu près librement à une très significative majorité, il est vrai après avoir éliminé, au besoin physiquement, ses opposants et noyauté les médias.

Chaque partie diffuse sa propagande en vantant les mérites de son système, persuadé de son bon droit. Le peuple russe dont l’armée intervient en Syrie sans mandat de l’ONU ne voit pas vraiment la différence avec l’invasion de l’Irak par les forces anglo-saxonnes en 2003 sans plus de mandat onusien, ou celle de la France et du Royaume-Uni en Lybie quelques années plus tard, outrepassant largement le mandat donné par l’ONU. Le peuple russe estime qu’il est autant fondé à aller abattre les traîtres russes réfugiés à l’étranger que l’armée françaises à éliminer les djihadistes nationaux partis guerroyer en Syrie. Il est vrai que les situations sont pour le moins ressemblantes…

Malgré tout, des oligarques russes viennent passer leurs vacances à Nice ou Gstaad, plutôt qu’à Sotchi, et investissent les milliards accumulés plus ou moins légalement à Londres et dans cet « Occident décadent » plutôt qu’à la bourse de Moscou. C’est aussi un moyen d’exercer des pressions sur le « capitalisme rapace » au sujet duquel Lénine disait « qu’ils [les capitalistes] nous vendront la corde pour les pendre ». Le dicton présente toujours une part de vérité mais il n’est pas sûr que Moscou gagne sur le long terme en basant son développement socio-économique et sa puissance d’abord sur sa capacité de nuisance extérieure plutôt que ses qualités et richesses intrinsèques. L’avenir le dira !