Alors que Moscou fait résonner des bruits de bottes à sa frontière ouest avec l’Ukraine, sa capacité de nuisance et sa détestation de l’Occident se confirment. L’Ukraine est tiraillée entre sa partie est, le Donbass, russophone et russophile, et ses trois-quarts ouest plutôt attirés par l’Occident. La Russie a déjà annexé la Crimée (également russophone et russophile) en 2014 qui avait été bien imprudemment rattachée à l’Ukraine en 1954 sur décision de l’Union soviétique. Moscou se verrait bien croquer le reste de l’Ukraine…
Après la fin de l’URSS, quelques esprits ignorants ou mal intentionnés ont laissé entendre à ce pays qu’il pourrait intégrer l’alliance militaire de l’Atlantique nord (OTAN) et l’Union européenne (UE), afin de l’ancrer loin de l’influence russe. Moscou ne l’entend pas de cette oreille et agit actuellement en plein jour en massant son armée à la frontière, en sous-main via ses habituelles attaques cyber et autres actions de déstabilisation, une spécialité de ce pays depuis des décennies.
Evidemment la frontière géographique entre l’Europe et l’Asie est difficile à situer précisément. Si l’on regarde le massif de l’Oural, traditionnellement évoqué comme frontière géographique entre ces deux continents, l’Ukraine est plutôt située côté ouest. Mais si l’on se penche sur l’histoire politique et culturelle de la région, l’Ukraine fait plutôt partie du monde slave de l’est bien que les relations entre l’Ukraine et l’Empire russe, puis l’URSS, puis de la Fédération de Russie de nouveau après 1989, n’ont jamais été vraiment apaisées dans l’époque contemporaine et plutôt ponctuées de conflits, de déportations, d’empoisonnements, de rébellions, d’exécutions, de famines, de goulags, de spoliations et de vengeances…
Ce qui est sûr c’est que l’intégration de l’Ukraine dans l’UE ne serait qu’une mine de problèmes pour tout le monde et pour très longtemps, sans parler des coûts gigantesques qu’il faudrait investir dans ce pays pour ne pas arriver à le mettre à niveau des exigences occidentales, économiques comme démocratiques. Malgré un passé industriel et agricole solide, ravagé par une corruption endémique le pays reste dans les mains d’oligarques qui se sont partagés les dépouilles de l’Ukraine soviétique et gèrent depuis le pays comme s’il en allait de leur propre patrimoine. Les quelques tentatives d’aller vers plus de démocratie et d’Etat de droit ont toutes plus ou moins échoué, la dernière ayant porté au pouvoir en 2019 un ancien comédien de télévision qui semble rencontrer quelques difficultés à s’imposer. A la tête d’un pays dont la Crimée a été annexée par Moscou en 2014 et la partie orientale est en sécession avec l’aide de la Russie, il faut admettre que sa tâche n’est pas aisée.
La perspective d’un élargissement occidental à l’Ukraine a le don d’énerver considérablement Moscou qui verrait ainsi, s’il se réalisait, le système démocratique tant honni se rapprocher de ses frontières. La Russie, comme d’autres pays autoritaires, considère la démocratie comme décadente et nuisible à son propre pouvoir. C’est une vieille histoire. Depuis Catherine II (1729-1796) l’Empire russe s’étend vers l’ouest et vers le sud. Moscou a défait Napoléon et Hitler dans des batailles homériques devenues mythiques. Il s’étend même à l’est au début du XXème siècle contre les empires perse et ottoman. La Russie est une puissance qui a les ambitions de la puissance, hier comme aujourd’hui. La Révolution bolchévique a poursuivi cette internationalisation sous le drapeau de l’URSS puis a cédé la place à la Fédération de Russie avec un peu moins d’idéologie mais toujours la même volonté de s’occuper plus de ce qui se passe à l’extérieur de ses frontières qu’à l’intérieur. Et les Russes ne s’encombrent pas de subtilités diplomatiques pour le faire savoir. Avec la discrétion d’un ours dans un magasin de porcelaine, ils déploient leur armée et menacent l’Ukraine tout en expliquant qu’ils se sentent agressés par la volonté de l’Occident d’accueillir l’Ukraine en son sein.
En réalité, tout le monde a intérêt au statuquo, l’Occident comme la Russie. Peut-être que les menaces russes sont la meilleure façon de l’obtenir. Pour autant qu’elles ne soient pas mises en œuvre, faut-il s’en plaindre ?