La propension à la guerre de différents régimes politiques selon Aron

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Dans la neuvième leçon (sur 19) du cours « Démocratie et totalitarisme » donné à la Sorbonne durant l’année universitaire 1957-1958, le philosophe politique Raymond Aron (1905-1983) explique la liaison entre la guerre de conquête et le régime politique des Etats.

Entre 1933 et 1939 les régimes constitutionnels pluralistes [les démocraties] paraissaient absolument décadents parce qu’ils avaient en face d’eux des régimes dirigés par des hommes dont la façon de penser et le style d’action étaient essentiellement différents du style de pensée et de la méthode d’action des dirigeants parlementaires. Un dirigeant parlementaire croit au compromis, et de manière générale n’aime pas la violence, le chef d’un parti monopolistique croit en la violence et méprise les compromis. Les chefs des régimes fascistes pensaient que la guerre est l’état normal des collectivités et que la conquête est la fin normale de toutes les collectivités vivantes…

Or, incontestablement les régimes pluralistes au XXème siècle sont mal adaptés à la conquête, et même jusqu’à un certain point à la préparation de la guerre.

Au bout du compte, les régimes que nous étudions [pluralistes] au XIXème siècle ont conquis de grands empires, ajoutons qu’ils les ont perdus au XXème… Ces régimes sont de plus en plus dépourvus des moyens idéologiques de justifier leurs empires et ils ne possèdent ni la capacité de violence ni la capacité d’hypocrisie pour maintenir en permanence une politique contraire à leurs idées.

On a ici la parfaite description de l’impossibilité du dialogue entre les dirigeants d’un parti monopolistique en poste au Kremlin et les pays occidentaux qui soutiennent l’Ukraine dans la guerre de conquête que lui a déclarée la Russie. La conquête reste un objectif de la Russie pour étendre ou reconstituer son Empire quand les démocraties occidentales se réfèrent à l’Etat de droit et à « l’intangibilité » des frontières, et donc au compromis pour ne pas déroger à ces principes. C’est un dialogue de sourds dans lequel la partie attaquante mise sur l’usure attendue des démocraties soutenant la partie attaquée. Le gagnant sera celui qui aura le plus de patience dans ce conflit délétère.

Les tentatives de compromis ont échoué lorsque l’Occident a plus ou moins laissé faire les invasions de la Géorgie, de la Crimée ou la réduction sanglante de la réduction tchétchène par le Kremlin. Elles n’ont pas empêché de nouvelles guerres de conquête comme celle en cours contre l’Ukraine. L’histoire de l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne en 1939 puis par l’Union soviétique en 1968 n’ont pas donné lieu à réactions militaires immédiates des « régimes constitutionnels pluralistes », elles ont néanmoins emmené les pays et régimes agresseurs vers leur défaite en liguant les démocraties contre ces envahisseurs.

L’histoire dira si la Russie aura fait le pas de trop ce 24 février en envahissant militairement l’Ukraine !