Avec pas mal de perversité et une plutôt bonne efficacité le Kremlin mène sa guerre contre l’Ukraine, non seulement sur le terrain mais en utilisant le soft power à sa main, en troublant le jeu occidental.
Alors que l’Occident se demandait s’il fallait utiliser « l’arme du gaz » pour ralentir ou stopper ses achats d’hydrocarbures à Moscou, c’est en fait la Russie qui prend la décision de fermer progressivement le robinet vers l’Europe, l’augmentation considérable des prix compensant largement l’éventuelle baisse des volumes. Le Kremlin observe avec un sourire en coin l’affolement des gouvernements occidentaux devant l’inflation sur les produits énergétiques, désorganisant la stabilité sociale dans ces pays.
La décision de la Russie d’exiger le paiement des ventes de pétrole et de gaz russes dans leur devise locale, le rouble, et non plus en euros ou en dollars, est techniquement très avisée et a permis le maintien de la valeur du rouble, de façon un peu superficielle certes mais qui offre à Moscou l’occasion de triompher. La gouverneure de la banque centrale russe semble avoir été de bons conseils et la politique monétaire de crise mise en place très rapidement après le début du conflit a permis d’éviter une crise financière pour ce pays par ailleurs peu endetté et à la balance des paiements largement excédentaire, guerre ou pas guerre.
La Russie explique que les difficultés sur le marché des céréales sont liées aux sanctions occidentales ce que nombre de pays émergents sont tout à fait disposés à croire. Des popes orthodoxes russes bénissent les avions et les missiles avant qu’ils ne fassent feu sur l’Ukraine. Des images de militaires tchétchènes barbus expliquant en territoire occupé que si M. Poutine le leur demande ils iront jusqu’à Berlin, ponctuant leurs sorties tonitruantes de cris de gloire à Allah. Quant à la télévision officielle russe, ses analyses auraient fait pâlir d’envie la Pravda de l’époque soviétique. Cerise sur le gâteau, différents dirigeants russes font valoir d’autres revendications territoriales, notamment sur l’Alaska américain, des villes dans les pays baltes, etc.
Dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie, le Rouble est mis en place pour remplacer la devise ukrainienne, les réseaux de téléphonie mobile russes remplacent leurs homologues ukrainiens, la nationalité russe est octroyée sans vergogne aux citoyens restés sur place dont une partie semble plutôt russophile, la piste du référendum est envisagée pour russifier définitivement ces territoires. Une stratégie similaire avait été mise en place en 2014 lors de l’annexion de la Crimée. A défaut de victoire militaire majeure sur le terrain, la Russie utilise tous les moyens à sa disposition pour rendre définitive les conquêtes déjà réalisées
Quelle que soit l’issue de la guerre, on voit mal aujourd’hui comment on pourrait revenir en arrière sur cet état de fait à moins que l’Occident ne rentre en guerre totale contre la Russie, hypothèse peu probable. Nous rentrons dans un nouveau genre de guerre froide dont ne connaît pas encore bien les conditions. Ce qui semble très probable est que la fâcherie avec la Russie va durer longtemps et que l’un des enjeux sera la lutte entre les régimes démocratiques et les régimes autoritaires. C’était déjà un peu le cas lors de la première guerre froide contre l’Union soviétique de la seconde moitié du XXème siècle, mais à l’époque la puissance économique se trouvait sans conteste du côté des démocraties ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui où elle est désormais partagée. Le vainqueur de ce nouveau combat n’est pas désigné d’avance.
On assiste également à l’effondrement d’une des thèses défendues par l’Occident qui voulait que le développement économique, la mondialisation du commerce, poussent les pays de la planète à s’entendre et à s’unir. Cela n’a pas été le cas en ce début de XXIème siècle où la puissance économique acquise par des pays comme la Chine ou la Russie a été utilisée pour remettre en cause l’ordre établi au profit de l’Occident après la deuxième guerre mondiale. Le monde rentre dans l’inconnu et bouleverse ses fondamentaux, en commençant par le réarmement des démocraties pour rattraper le retard pris à l’égard du monde autoritaire. L’heure des révisions déchirantes a sonné, dans l’incertitude !