MERLE Robert, ‘La mort est mon métier’.

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Sortie : 1952, Chez : Editions Gallimard / Le livre de Poche n°688|68.

C’est un classique de Robert Merle (1908-2004), écrit 7 ans après la fin de la 2e guerre mondiale et la libération des camps de concentration et d’extermination mis en place par l’Allemagne nazie, qu’il fait bon de relire. L’auteur a lui-même été mobilisé en 1939 comme agent de liaison avec les forces britanniques, fait prisonnier dan la poche de Dunkerque et est resté en captivité jusqu’à 1943.

Librement inspiré de la vie de Rudolph Höss (1901-1947) qui fut commandant du camp allemand d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et expérimenta, puis mis en œuvre la « solution finale », sous l’autorité de Himmler patron de l’armée SS. Dans ce livre, Merle imagine ce que fut la vie de Höss, son éducation rigoureuse, son sens du « devoir » et de l’obéissance, son idéologie nazie. Il s’est basé sur les mémoires écrites par l’officier SS emprisonné avant d’être pendu sur le gibet d’Auschwitz, sur le lieu même de ses crimes. Il eut également accès aux comptes-rendus des psychologues qui ont dialogué avec Höss alors qu’il était en prison à Nuremberg avant de comparaître comme témoin au procès international des dignitaires nazis dans cette ville.

Une très importante littérature a été produite après la guerre pour tenter de comprendre comment la patrie qui avait donné naissance à Bach, Brahms et Goethe avait pu également produire l’idéologie nazie mortifère qui créa l’effondrement de l’Europe et la mort de millions de personnes dont six millions de juifs qui étaient désignés comme l’ennemi définitif de la nation allemande. Le camp d’Auschwitz-Birkenau et son commandant ont souvent servi de cadre à ces analyses tant leur cas s’est révélé paroxystique de la barbarie de ce siècle.

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« La mort est mon métier », paru assez rapidement après la guerre, en tout cas bien avant la somme d’ouvrages, de films et d’études sur le phénomène nazi au XXe siècle, raconte simplement l’éducation rigoureuse, voire militaire, subie par le jeune Rudolph, sous l’empire d’une foi chrétienne moyenâgeuse. Engagé à 17 ans lors de la première guerre mondiale, il est passé ensuite « naturellement » dans les corps francs qui luttent contre le communisme, avant de finir encore plus « naturellement » dans les SA puis la SS en adoptant ses codes raciaux sinistres.

Ecrit à la première personne, Höss se raconte et affirme sa détermination totale pour exécuter les ordres et sa volonté d’optimiser les « flux logistiques » des déportés pour que les objectifs d’extermination fixés par sa hiérarchie soient atteints. La déshumanisation du SS fait bien entendu froid dans le dos d’autant plus qu’elle a été confirmée dans la vraie vie, les témoignages et interrogatoire qu’il a produits brillant tous par leur glaçante indifférence face à l’œuvre de mort qu’il accomplissait. Il « faisait son devoir » en se concentrant sur « l’aspect technique de sa tâche » ne cessera-t-il d’affirmer devant ses juges admettant juste qu’il se rendait compte seulement maintenant que ce qu’il avait fait n’était pas bien. Il n’a jamais nié ses actes ni renié l’idéologie qui les avait inspirés.

Rudolph Höss (1945 – procès de Nuremberg)

Ce livre de Robert Merle a le mérite d’avoir été l’un des premiers à se pencher sur le sujet, en 1952. Le choix du format-roman lui a permis de synthétiser le personnage tout en faisant œuvre d’historien. Son style clinique semble correspondre à la froideur indifférente que Höss afficha sa vie durant, jusqu’aux pieds du gibet qui a mis fin à son séjour sur terre. Il ne répond bien entendu pas à la question de « comment tout ceci a-t-il été possible au cœur de la vieille Europe ? » mais il rappelle bien à propos que les dérives sont toujours possibles dès que la dictature s’empare des âmes et de la liberté des hommes.