BARBUSSE Henri, ‘Le Feu’.

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Sortie : 1916, Chez : Flammarion.

Cet ouvrage d’Henri Barbusse (1873-1935) est l’un des classiques sur la « Grande Guerre » qui a ravagé l’Europe de 1914 à 1918. Engagé volontaire dans l’infanterie en 1914 à 41 ans malgré une santé fragile et une conviction pacifiste marquée, il va vivre les affres de la ligne de front durant presque deux années et les restituer dans ce récit marquant qui est publié et récompensé du prix Goncourt en 1916 alors que les horreurs de la guerre sont encore loin d’être terminées.

La première partie décrit le monde des « poilus », ces soldats venus de la France entière, plus ou môns gradés, chacun avec son patois (retranscrit dans les dialogues du livre, pas toujours faciles à suivre…), son histoire, son humour, ses racines. Tout ce petit monde vit, cerné par les bombardements et la mort, dans la solidarité des tranchées, l’héroïsme des individus, alternant les montées en première ligne avec le repos dans des villages de l’arrière. Où qu’ils soient, les conditions de vie sont dures mais les poilus papotent entre eux de l’air du temps, des « boches », des disparus, de la fin de la guerre. C’est un peu le Café du commerce des tranchées rapporté par l’auteur.

On en vient ensuite à la vie dans les tranchées en première ligne dans les conditions dantesques de la pluie d’acier des obus, ceux reçus des boches, ceux envoyés par l’artillerie française, les tués qui restent parfois des jours entiers là où ils ont été touchés, au milieu des survivants (« En attendant, ils ne sont enterrés que dans la nuit. ») , les blessés souvent dans des conditions atroces. Comme Maurice Genevoix dans « Ceux de 14 », l’auteur détaille longuement l’envahissement de la boue dont personne n’arrive à se protéger, qui envahit les guitounes où les soldats essayent de se reposer malgré le bruit continu des bombes, qui recouvrent les cadavres, noie les blessés… Les soldats se perdent parfois dans les méandres du réseau de ces tranchées boueuses et peuvent se retrouver… du côté allemand. C’est un enfer qui s’ajoute à l’angoisse de cette guerre sinistre qui voit la mort et la peur roder partout.

Les derniers chapitres sont plus réflexifs sur la pensée de ces glorieux poilus quant à la paix, l’éventualité de nouvelles guerres après celle-ci, leurs propres interrogations sur les morts qu’ils ont tués, sont-ils aussi des « tueurs » ?

Deux armées qui se battent, c’est comme une grande armée qui se suicide.

Un livre hommage aux frères d’armes d’Henri Barbusse qu’ils ont mérité au prix de leur sang et de leurs souffrances. Heureusement que des écrivains comme lui ou Genevoix ont aussi participé à cette guerre pour avoir pu nous en rendre compte avec tant de réalisme. Ils ont écrit l’indicible avec tout leur talent (peut-on employer ce mot en de telles circonstances ?).

Il fait dire à l’un de ses camarades :

…Non, on ne peut pas s’figurer. Toutes ces disparitions à la fois excèdent l’esprit. Il n’y a plus assez de survivants.. Mais on a une vague notion de la grandeur de ces morts. Ils ont tout donné ; ils ont donné petit à petit , toute leur force, puis finalement, ils se sont donnés, en bloc. Ils ont dépassé la vie ; leur effort a quelque chose de surhumain et de parfait.