Le président russe n’est certainement pas tout seul

Juin/Charlie Hebdo (02/03/2022)

Les commentateurs bon clients de plateaux télévisés reprennent d’une seule voix que le président russe Vladimir Poutine serait l’unique responsable de la guerre en cours déclenchée par la Russie contre l’Ukraine. Certes il est le premier responsable puisqu’il est le grand chef mais il semble assez peu probable que le président ait pu prendre le chemin de la guerre sans l’étroite participation de son entourage, voire sans le soutien d’une bonne partie de la population russe biberonnée au nationalisme depuis des décennies. On se souvient d’ailleurs que lors de l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014 la cote de popularité de Poutine avait connu un fort regain tant cette reconquête territoriale a semblé assez naturelle pour nombre de citoyens. Les sondages russes ne sont sans doute pas des modèles du genre mais il est probable qu’ils reposent sur une certaine réalité. Il n’est pas exclu qu’une partie de la population russe ne soit pas fondamentalement en désaccord avec l’idée d’un retour de l’Ukraine sous tutelle russe. Le complexe militaro-industriel doit certainement aussi approuver ce concept.

Cette guerre ne semble pas la meilleure décision prise récemment par la Russie mais seule l’Histoire dira si elle aura servi ses intérêts ou pas. La réponse n’est pas aussi évidente que ce qu’on en dit au Café du Commerce. Il faut encore attendre pour en connaître le dénouement. Et même si le président Poutine était déchu de son poste dans la tourmente, il est probable qu’il serait remplacé par un clone. Il faut bien l’admettre, malgré Chostakovitch, Dostoïevski et Soljenitsyne, la Russie n’aime pas l’occident comme elle le confirme dans ses actes depuis des siècles. Il y a assez peu de raisons logiques d’imaginer que cette situation puisse changer un jour, que le Kremlin soit occupé par Poutine ou par un autre. Il faudra en tenir compte une fois cette tragédie guerrière terminée : nous ne sommes pas amis et nous avons des conceptions opposées sur quasiment tout : l’organisation de nos sociétés, le corpus de valeurs qui les fondent, l’analyse du passé, la vision de l’avenir… Mais nous pouvons nous parler, faire du business ensemble, simplement la Russie n’a jamais changé sa méthode qui est plutôt du genre dure et sauvage. L’Occident s’est illusionné sur la compatibilité de ce pays avec l’Europe, c’était un leurre. Le mérite de la guerre en cours sera probablement de remettre les pendules à l’heure en attendant le prochain ramollissement occidental.