La société des Amis du Louvre a invité l’universitaire Florence Naugrette, auteur d’une récente biographie de Juliette Drouet, et Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor-Hugo (1806-1883) à Paris-Place des Vosges mais aussi à Guernesey (Hauteville House) à deviser sur le rôle que jouât Juliette Drouet, maîtresse en titre de Victor Hugo (1802-1885), sur la personnalité et l’œuvre de l’écrivain.
Ils nous déroulent l’incroyable destin de Juliette, bretonne née à Rennes, orpheline très jeune, pensionnaire d’un couvent parisien dont elle sort à peine adulte pour se livrer à une prostitution plus ou moins mondaine, avant de tenter sa chance comme actrice. C’est dans ce cadre qu’elle rencontre Victor Hugo et que naît ce coup de foudre qui va durer leur vie entière. Elle ne fut pas une très grande actrice semble-t-il et elle renonce assez rapidement à une carrière, décision facilitée lorsque Hugo s’engage à l’entretenir, elle et sa fille Claire Pradier. Hugo va alors emmener officiellement Juliette partout où il va vivre avec sa femme Adèle, qui elle entretient des relations équivoques avec Sainte-Beuve… Cette double vie n’empêche d’ailleurs pas l’écrivain de multiplier les conquêtes.
Evidemment, à l’heure du féminisme un peu revanchard qui s’est fait jour au XXIe siècle, il est délicat de qualifier la frénésie affective et sexuelle de Hugo au XIXe, et ce jusqu’au crépuscule de sa vie, mais Juliette Drouet sera plus qu’une amante. Elle fut aussi sa muse, sa conseillère et sa partenaire. Elle lui a écrit au moins une lettre par jour durant 50 ans et ce sont 22 000 lettres que Mme. Naugrette a lues pour mener à bien ses travaux sur cette amante magnifique. Hugo fut par ailleurs un amant plutôt dictatorial voulant tout régir et surveiller dans la vie de Juliette.
L’écrivain-poète, est également dessinateur et Juliette va couver le talent de son amoureux en exigeant toujours plus de lui dans ce domaine. Lorsqu’il quitte son appartement de la Place des Vosges qu’il occupe avec sa famille légitime elle lui installe un atelier de dessin chez elle dans le XIXe arrondissement où il dessine sous son regard amouraché. Une bonne part de la documentation préparatoire à ces dessins est accumulée lors de leurs voyages estivaux qu’ils partagent de façon tout à fait publique. Il développe un talent propre qui fait passer sa production de « dessin d’écrivain » au « dessin de Victor Hugo » qui veut traduire son âme et sa poésie. Et son cœur parfois où l’on voit ses initiales VH entremêlées avec des JD. Il offre nombre de ses dessins à Juliette encadrés dans des cadres souvent également peints par lui.
Leur histoire d’amour se réalise aussi dans les lieux qu’ils partagent. A Paris ou dans les îles anglo-normandes Hugo laisse éclater sa créativité dans l’aménagement et l’ameublement de ses résidences familiales comme de celles de Juliette. Souvent ces dernières sont le miroir de celles d’Hugo. A Guernesey notamment Hauteville II, la maison achetée par l’écrivain pour sa maîtresse, est à l’image de Hauteville House occupée par lui et sa famille. Il développe une attention particulière pour l’ameublement en chinant des vieux meubles qu’il fait démonter et remonter selon ses instructions. C’est ainsi que l’on peut retrouver un bas de buffet réinstallé en haut d’une armoire car telle est sa fantaisie.
Pour avoir une idée du style assez empesé et encombré qu’il chérissait, il suffit de se rendre au musée installé dans son ancienne demeure de la Place des Vosges à Paris : meubles tarabiscotés en bois sombre, lourdes teintures murales, plus un centimètre carré libre sur les murs remplis de tableaux et de dessins…
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C’est ensemble aussi qu’ils affrontent le malheur, à quelques années d’intervalle : la perte de Claire, la fille de Juliette (âgée de 20 ans) et de Léopoldine la fille de Victor (âgée de 19 ans).
Et alors que Louis Napoléon Bonaparte, président de la IIe République mène son coup d’Etat en 1851 pour rétablir l’Empire dont il prend les commandes sous le nom de Napoléon III, c’est Juliette qui persuade Hugo de prendre la route de l’exil, lui évitant ainsi sans doute l’emprisonnement tant ses positions politiques, exprimées en tant que parlementaire élu de la seconde République, étaient opposées à la dictature qui se mettait en place par celui qu’il appellera « Napoléon le petit ».
C’est ainsi que Victor Hugo, sa femme, ses enfants (au moins pour un temps) et sa maitresse vont partir à Bruxelles, puis vivre près de vingt ans à Jersey et Guernesey. Il ne reviendra à Paris qu’en 1870 après la capture de l’Empereur à la suite de la défaite militaire de la France à Sedan face aux Prussiens. Sa femme Adèle est morte en 1868, son fils Charles en 1871, puis son autre fils François-Victor en 1873. Il s’installe avec Juliette à son retour à Paris où ils reçoivent à leur table le tout Paris politique et artistique. L’écrivain qui est devenu sénateur va alors faire des accidents vasculaires cérébraux qui l’affaiblissent mais ne l’empêcheront pas de défendre ses causes de cœur que sont l’abolition de la peine de mort, le pardon à octroyer aux « communards ». Juliette meurt en 1883, deux ans avant Victor. Elle a transmis au neveu d’Hugo tout ce qu’elle avait accumulé sa vie durant concernant l’écrivain : dessins, œuvres, objets, correspondances, jusqu’aux décors de sa maison Hauteville II à Guernesey.
A sa mort en 1885 Victor Hugo reçoit un hommage national et près de deux millions de personnes suivent son cercueil le jour de son transfert au Panthéon le 1er juin 1885. S’il fut incontestablement « homme du siècle », les conférenciers qualifient Juliette Drouet de « compagne du siècle » ! Pendant cinquante ans Juliette a déployé amour, admiration et dévouement pour Victor Hugo ce qui a aussi contribué à l’œuvre gigantesque de cet homme de légende.