Sortie : 1947, Chez : La Découverte Poche n°193 (2010)
Rudolph Hoess (1901-1947) fut un officier SS dont le plus haut fait d’arme est d’avoir étendu et dirigé le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau durant la IIe guerre mondiale. Il organisa la montée en puissance du processus d’extermination des prisonniers condamnés par le régime nazi, majoritairement juifs. Il fut ensuite membre de l’administration des camps jusqu’à la fin de la guerre où il continua son œuvre maléfique avant d’être arrêté, condamné à mort le 2 avril 1947 par la justice polonaise puis pendu à Auschwitz sur les lieux mêmes de ses crimes.
Le livre a été écrit durant son emprisonnement en 1946 entre les quatre murs d’une geôle polonaise où il reconnut avoir été bien traité, ce qui ne fut pas le cas après son arrestation en Allemagne par les forces britanniques le 11 mars 1946. Caché dans une ferme allemande, il est dénoncé par sa femme sur qui les alliés exercent une forte pression pour savoir où se trouve son mari qui a été identifié come l’un des personnages clé du fonctionnement des camps d’extermination.
La réaction du lecteur dès les premières pages est que ce livre est bien écrit. Curieusement on ne s’attend pas à une certaine fluidité littéraire de la part d’un barbare. Hoess fut manifestement bien éduqué et avait l’esprit construit. Il introduit d’ailleurs ce mémoire en revenant sur sa jeunesse au cœur d’une famille allemande catholique et ultra-rigide où la vie n’était pas franchement tournée vers la douceur et le bien-être. Il s’engage, à 16 ans, en 1914 dans l’armée impériale qui l’envoie sur le front en Orient. Au retour, après la défaite, il s’engage dans les corps francs, une milice nationaliste et plus ou moins d’extrême-droite, qui combat dans les pays baltes contre une possible invasion des bolchéviques qui ont mené la révolution en URSS. C’est au cours de cette expérience qu’il forge ses valeurs de nationalisme, de la camaraderie des armes et de l’obéissance aveugle aux ordres. Il est condamné à 10 ans de prison par la justice allemande pour le meurtre d’un militant communiste dont il s’accuse pour couvrir ses hommes.
Libéré après cinq ans dans le cadre d’une amnistie générale, il gardera en mémoire sa connaissance fine de l’organisation d’une prison, des relations entre gardiens et prisonniers, des réseaux qui se créent entre les prisonniers eux-mêmes, expérience qui lui sera ensuite utile pour comprendre comment gérer les camps dont il sera responsable, avec un effectif limité et des milliers de prisonniers.
Le récit décrit ensuite avec minutie les réflexions et actions de Hoess pour exécuter les instructions de son chef suprême, Himmler, à le tête des SS et responsable de la mise en œuvre de « la solution finale » visant à exterminer les juifs, mais aussi les opposants au régime, les tsiganes, les témoins de Jéhovah, les « asociaux », bref, toutes les communautés pouvant faire de l’ombre aux folies du pouvoir hitlérien. Sans trop d’états d’âme il va mettre toute son ingéniosité au service de cette œuvre mortifère. Sa plus grande réalisation sera bien entendu l’édification du camp de Birkenau, gigantesque usine de mort accolée à Auschwitz qui va permettre d’industrialiser le processus d’extermination avec une redoutable « efficacité ».
C’est Hoess qui aurait fait afficher sur la grille d’entrée du camp la tristement célèbre slogan « Arbeit macht frei » (le travail rend libre). Il explique dans son mémoire que :
Le travail représente pour les prisonniers non seulement une punition efficace… mais aussi un excellent moyen d’éducation pour ceux d’entre eux qui manquent de fermeté et d’énergie…
Rudolph Hoess
Son antisémitisme ne fait aucun doute, c’est la politique du régime qu’il soutient aveuglément, il n’a donc pas de raisons de la contester. Il ne la théorise pas particulièrement dans son mémoire, il l’applique, tout simplement. Mais il manifeste quand même quelques réserves sur le processus d’extermination qu’on lui demande d’appliquer et qui met à l’épreuve son humanité et celle de ses hommes. La construction des chambres à gaz industrielles de Birkenau est présentée aussi comme le moyen de contourner les réticences qu’affrontent mêmes les SS les plus endurcis à assassiner à la chaîne de leurs propres mains 24 h sur 24. Avec ces installations les tueries sont plus « productives » et plus anonymes.
Au cœur de la machine SS chargée de faire « le sale boulot », Hoess a fait massacrer quand on le lui a demandé, a fourni de la main d’œuvre à l’industrie allemande quand c’était nécessaire, évacué les camps quand la défaite est devenue évidente début 1945. Il a appliqué les ordres comme on lui avait appris à le faire, sans les discuter. Comme il a été dit au procès de Nuremberg : « Hitler aurait été bien inoffensif sans des exécutants aussi doués » !
Cette autobiographie n’est pas vraiment une justification, elle détaille froidement le chemin vers l’inhumanité suivi par le régime nazi, par conviction. Elle montre combien la barbarie est au cœur de l’Homme et peut relativement facilement prendre le dessus sur son humanité si l’intelligence est écrasée par des idéologies malfaisantes.
Les historiens juge le récit de Hoess assez honnête, son auteur ne cherche pas particulièrement à se dédouaner comme tentèrent de le faire nombre de dignitaires nazis, mais juste à expliquer les objectifs et la réalisation des exterminations menées sous son autorité. Il fera de même en témoignant à Nuremberg ou lors de son propre procès à Cracovie. Il présente d’ailleurs la froideur dont il a toujours fait preuve, dans l’exécution de ses tâches comme dans ses témoignages ou dans son livre, comme une nécessité, un devoir. Cacher tout sentiment est ce qu’on lui a toujours commandé depuis sa plus tendre enfance. Il le fera jusqu’au bout lorsqu’il est monté sur la potence sans dire un mot.
Ce récit plonge le lecteur dans un abyme de perplexité sur l’émergence du Mal, les méfaits de la discipline lorsqu’elle est appliquée sans discernement, l’inhumanité qui peut s’emparer de l’Humanité malgré les philosophes, les lumières, malgré l’intelligence… Hélas cette barbarie s’est de nouveau exprimée au XXIe siècle avec d’autres génocides dans les Balkans et au Rwanda. C’est une histoire sans fin !
Hoess termine son récit par un aveu :
Que le grand public continue donc à me considérer comme une bête féroce, un sadique cruel, comme l’assassin de millions d’êtres humains : les masses ne sauraient se faire une autre idée de l’ancien commandant d’Auschwitz. Elles ne comprendront jamais que, moi aussi, j’avais un cœur…
Rudolph Hoess – Cracovie, février 1947
Bien entendu la publication de ce mémoire a donné lieu à des controverses car il contient des erreurs et certaines approximations, volontaires ou pas, qui ont fait la joie des négationnistes de tous bords. Il ne s’agit pas d’un travail d’historien mais d’une biographie rédigée dans une cellule, sans aucune documentation, uniquement basée sur le souvenir, après que son auteur ait été condamné à mort. Mais l’essentiel est dit et le lecteur est en mesure de se faire une idée suffisamment précise de l’état d’esprit d’un homme qui a dirigé l’extermination de populations entières durant la Iie guerre mondiale. Les vrais historiens ont eu ensuite tout leur temps pour corriger ce qu’il était nécessaire de rectifier.
Le commandant d’Auschwitz-Birkenau a fait l’objet d’une fascination certaine tant son dévouement à une cause barbare fut total. Nombre d’ouvrages et de films ont été écrits et réalisés mettant en exergue son personnage maléfique.
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