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  • « Ramona fait son cinéma » d’Andrea Bagney

    « Ramona fait son cinéma » d’Andrea Bagney

    Un film délicieux, premier long métrage de la réalisatrice espagnole Andrea Bagney sur l’histoire intimiste d’une apprenti-actrice (Lourdes Hernandez) ballotée entre son fiancé et le réalisateur du film dans lequel elle tourne. L’actrice, la vraie, est une chanteuse folk connue en Espagne sous le nom de Russian Red (du nom du rouge-à-lèvres qu’elle utilise) avec quatre albums à son actif depuis 2008 et des tournées internationales.

    Elle fait parfaitement l’affaire dans le rôle de la femme amoureuse et versatile qui hésite à choisir l’homme de sa vie et n’arrive pas à cacher à son financé-cuisinier qu’elle éprouve un coup de cœur pour un potentiel fiancé-réalisateur… Le film est en noir-et-blanc, tourne autour des trois personnages et de la réalisation du film dans le film. Lourdes est désarmante de fraîcheur et d’indécision. C’est la comédie de l’amour dans notre vie de tous les jours. Un très joli moment.

  • ANTELME Robert, ‘L’espèce humaine’.

    ANTELME Robert, ‘L’espèce humaine’.

    Sortie : 1947, Chez : Gallimard (1957)

    Robert Antelme (1917-1990) est un écrivain entré dans la résistance durant la seconde guerre mondiale. Arrêté en juin 1944, il est déporté à Buchenwald puis transféré dans une « annexe » du camp à Gandersheim où se situait une usine dans laquelle travaillaient et étaient détenus des déportés affectés là pour travailler. Très vite après son retour en France, Antelme écrit et publie cet ouvrage qui prend immédiatement une place marquante dans la littérature de la barbarie.

    Il décrit longuement de façon clinique l’état de dégradation extrême dans laquelle les déportés sombrent, non seulement physiquement du fait des mauvais traitements, mais aussi moralement face à la stratégie de déshumanisation appliquée par les geôliers (les Allemands) et leurs affidés : les kapos (de différentes nationalités), également détenus, souvent comme « droit commun » et à qui les Allemands délèguent les basses tâches qu’ils appliquent à l’encontre des prisonniers avec parfois encore plus de sauvagerie que leurs maîtres. Les kapos récoltent quelques avantages de leur compromission, notamment en étant moins mal nourris. Et l’on voit des égos prospérer sur la misère, les comptes se régler entre victimes du même système concentrationnaire, des égoïsmes se heurter violemment, des classes de prisonniers se créer. Dans la lutte pour la survie il n’est pas facile de rester noble.

    Antelme insiste douloureusement sur l’état de famine dans lequel étaient laissés les déportés, sans doute de façon calculée pour diminuer les risques de révolte. Il décrit sa propre déchéance jusqu’à mendier des épluchures ou voler des pommes pourries lorsque la faim était par trop intolérable.

    Ils avaient l’estomac vide, et, à défaut d’autre chose, la haine occupait ce vide. Il n’y avait que la haine et l’injure qui pouvaient distraire de la faim. On mettait à en découvrir le sujet autant d’acharnement qu’à chercher un morceau de patate dans les épluchures. Nous étions possédés.

    Dans l’usine aéronautique dans laquelle ils travaillent, les prisonniers sont encadrés par des civils dont la majorité est plutôt pronazie et appliquent leurs méthodes. Parfois une heureuse surprise émerge avec la complicité entre les prisonniers et un civil allemand, ce qui ne permet pas d’arrêter la machine indusrielle de guerre mais fait briller un petit coin de ciel bleu sur l’horizon tragique des déportés.

    Début 1945 les rumeurs du camp annoncent la fin de la guerre et, bientôt, le bruit de la canonnade de la ligne de front se rapproche de Buchenwald. Un bruit et une agitation qui réjouissent la majorité des déportés. Mais la libération n’est pas encore pour tout de suite. Les responsables du camp de Gandersheim l’évacuent avec les déportés encore valides, les éclopés sont assassinés dans le bois d’à côté par les SS et leurs kapos avant le départ. Ceux qui n’arriveront pas à suivre au cours du chemin le seront plus tard. La cohorte va marcher 15 jours pour rejoindre le camp de Dachau, traversant des villages allemands dans lesquels de bonnes familles bien nourries regardent, hallucinées, passer ces zombies en costumes rayés tout en commençant à réaliser que la guerre est en train d’être perdue. Ce voyage dantesque se termine en train d’où les déportés sont débarqués à Dachau. Le 29 avril 1945 les soldats alliés libèrent le camp, y entrent et découvrent l’indicible.

    Le grand intérêt de l’écriture d’Antelme est qu’elle décrit de l’intérieur le processus de délabrement humain qui est infligé aux déportés tout autant que sur les sévices physiques qu’ils subirent sous le joug allemand. Il est difficile de comparer les deux traumatismes, beaucoup sont morts du second, tous ont été dévastés par le premier pour le restant de leurs jours. Il y a ceux qui ont choisi le silence pour survivre, et certains qui ont décidé de parler, voir d’écrire, pour transmettre : Robert Antelme, Charlotte Delbo, Primo Levi… Ils ont fait œuvre utile pour expliquer que la barbarie peut survenir même au cœur des civilisations les plus hautes. Ces ouvrages sont des appels à la vigilance et les évènements en cours dans la guerre d’Ukraine montrent une nouvelle fois combien ils sont nécessaires.

    Le livre est dédié à sa sœur Marie-Louise, déportée elle aussi mais décédée après la libération du camp de Ravensbrück.

    Antelme fut par ailleurs marié avec Marguerite Duras de 1939 à 1947. Dans un livre bouleversant, La Douleur, elle raconte le retour de son mari en 1945 et les soins moraux et physiques qu’elle lui prodigua pour tenter de le faire revenir à la vie d’avant les camps… On y apprend aussi l’énergie du désespoir qu’elle déploya pour faire libérer Robert qui était consigné dans le camp libéré mais en quarantaine pour cause d’épidémie de typhus. Il fut « enlevé » par des camarades français rendus sur place avec cette mission et ramené chez son épouse.

    Lire aussi : DURAS Marguerite, ‘La Douleur’.

  • Bonjour les gogos

    Bonjour les gogos

    On ne dit plus « influenceuse » mais « créatrice de contenu » !

    Sur le fond rien n’a changé, on parle toujours de nunuches à gros seins assurant la promotion de marques de vernis à ongles histoire de vendre à des gogos des produits dont ils n’ont pas besoin.

    Lire aussi : Booba Robin de Bois

  • Bruce Springsteen & The E-Street Band – 2023/05/15 – Paris Défense Arena

    Bruce Springsteen & The E-Street Band – 2023/05/15 – Paris Défense Arena

    Bruce Springsteen et les 17 musiciens du E-Street Band ont asséné un coup de massue aux 40 000 spectateurs de la Défense Arena ce soir pour le deuxième concert parisien de leur tournée mondiale. La dernière fois que ce groupe de légende et son leader de fer étaient passés par Paris remonte à 2016. A 73 ans, Bruce ne lâche pas l’affaire, continue à sortir des disques (en solo ou avec le E-Street Band), à faire des tournées internationales et, surtout, à déclencher le même déchaînement d’affectueuse reconnaissance de ses fans à travers le monde entier.

    Lire aussi : Bruce Springsteen & The E-Street Band – 2016/07/16 – Paris Bercy

    Ce soir n’a pas dérogé à la règle maintenant bien établie depuis le début des années 1970, les débuts du groupe et la sortie son premier album : Greetings from Asbury Park, N. J.. Seule la taille des salles les accueillant et la composition de la bande a évolué vers le toujours plus grand.

    Après le décès de deux membres fondateurs, Clarence Clemons, saxophoniste, en 2011 et Danny Frederici, claviériste, en 2008, tous amis très proches de Bruce, le groupe a été étoffé d’une section cuivre, dont Jack Clemons, neveu de Clarence, au saxophone et de choristes. Ce soir c’était 17 musiciens qui œuvraient sur scène pour encadrer Bruce et cela fait tout de même beaucoup de monde.

    « One-Two-Three-Four »

    Les lumières s’éteignent à 19h15 pour laisser entrer les musiciens qui montent, un par un, un escalier violemment éclairé pour atteindre la scène gigantesque, les images retransmises sur trois vastes écrans, déclenchant un hourvari grandissant des spectateurs, Springsteen arrivant le dernier dans un tonnerre d’acclamations. Ne perdant pas trop de temps à cultiver les applaudissement, Bruce n’a jamais le temps, il démarre le show sur My Love Will Not Let You Down et ne l’arrêtera que 3 heures plus tard, sans un instant de respiration, les notes finales d’un morceau devenant celles lançant la chanson suivante, lancée par les classiques « One, Two, Three, Four ». My Love est une chanson datant des années 1980 jouée plutôt rarement sur scène ; une excellente façon de démarrer cette soirée dont la setlist réservera d’autres surprises. Il enchaîne ensuite sur Death to My Hometown le single de Wrecking Ball sorti en 2012, reconnaissable à sa rythmique celtique jouée avec ardeur par les cuivres.

    Sur No Surrender Steve arbore une guitare décorée aux couleurs bleu et jaune du drapeau ukrainien :

    Blood brothers in the stormy night with a vow to defend
    No retreat, baby, no surrender

    There’s a war outside still raging
    You say it ain’t ours anymore to win
    I want to sleep beneath peaceful skies
    In my lover’s bed
    With a wide open country in my eyes
    And these romantic dreams in my head

    Because we made a promise we swore we’d always remember
    No retreat, baby, no surrender
    Like brothers in the stormy night with a vow to defend
    No retreat, baby, no surrender
    No retreat, baby, no surrender

    Régulièrement Bruce hurle « Come on Steve » et son vieux compère vient reprendre les refrains au même micro, à l’octave au-dessus, d’une voix un peu nasillarde, la tête toujours couverte d’un foulard-bandana, les oreilles décorées de plumes accrochées à des boucles, portant d’improbables costumes moitié-pirate, moitié-pacha ottoman, des bottes effilées à bouts (très) pointus et aux reflets argentés, ses guitares décorées de motifs cachemire plutôt originaux. Steve Van Zandt, le vieux pote du New Jersey, qui a déserté le E-Street Band quelques mois avant d’y redevenir le pilier qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.

    Le sombre Darkness on the Edge of Town vient calmer quelque peu l’ouragan qui fait rage dans l’Arena, extrait du disque du même nom, sorti en 1978, sans doute le meilleur de tous, dont est extrait également l’inégalable Badlands qui clôture le premier set du show.

    Il y en a pour tous les goûts

    Deux reprises (les Comodores [où a chanté Lionel Richie] et The Weavers [fondés par Pete Seeger]) donnent lieu, peut-être, à quelques longueurs durant lesquelles les cuivres sont en démonstration. Evidemment les vieux fans préfèrent la formation initiale du E-Street Band dans laquelle seul Clarence Clemons assurait les cuivres avec son sax, et il n’y avait pas de choristes. Aujourd’hui le groupe tourne parfois un peu au brass band de la Nouvelle Orléans s’éloigant de l’esprit rock d’origine. Tous ces musiciens ajoutés ne sont pas présents sur la scène pour tous les morceaux. Il y en a ainsi pour tous les goûts. C’est aussi bien.

    Last Man Standing est jouée par Bruce seul à la guitare acoustique avec seulement un déchirant solo de trompette au milieu. Springsteen explique en introduction (traduite en français sur les écrans) qu’il a écrit cette chanson après la mort de son ami George Theiss : « En 1965 il m’a fait intégrer mon premier groupe de Rock & Roll, The Castiles. Il sortait avec ma sœur et c’est très bien ainsi. Il a transformé ma vie pour toujours et maintenant je suis le dernier survivant de ce groupe. La mort offre aux survivants une vision élargie de la vie elle-même. Cela m’a permis de saisir à quel point il est important de vivre chaque instant. Alors soyez bons avec vous-mêmes, avec ceux que vous aimez et envers ce monde dans lequel nous vivons. »

    Born to Run

    Lorsque Springsteen entame une chanson au micro, il se débarrasse de sa guitare en la balançant à un roady en fond de scène dix mètres plus loin. Dans la brulante urgence qui saisit le concert, il n’a pas le temps de la déposer sur un support, les musiciens ont déjà lancé l’intro. Bruce n’a jamais le temps, « Born to run » est la devise ! Ce soir en tout cas le roady a réceptionné les guitares sans casse à chaque envoi…

    L’indestructible Roy Bittan, le seul non vêtu de noir mais d’une veste en cuir marron, entame l’intro de Because the Night, une ode à l’amour et à la jeunesse, coécrite en 1978 par Bruce et Patti Smith. Le pianiste virtuose apporte une touche particulière à l’atmosphère musicale du groupe. Il est plutôt rare de voir un piano à queue sur une scène rock mais en martelant ses accords sur les touches de son piano il enrichit l’électricité des guitares. Un cocktail parfait. Nils Lofgrens effectue un magnifique et original solo sur ce morceau. Il joue avec un onglet au pouce droit ce qui donne une allure particulière à son jeu de main. De petite taille il ressemble un peu au fou du roi : chapeau rond en cuir noir, tunique noire décorée de motifs blancs dans le bas, des morceaux de tissus sont accrochés au manche de sa guitare et volètent au fur et à mesure du jeu.

    La première partie se termine sur un Badlands enfiévré repris en chœur par des gamines de 17 ans pour un morceau écrit 40 ans avant leur naissance…

    Badlands, you gotta live it everyday
    Let the broken hearts stand
    As the price you’ve gotta pay
    We’ll keep pushin’ till it’s understood
    And these badlands start treating us good

    Un diabolique enchaînement

    Les dix-huit musiciens se réunissent sur le devant de la scène pour saluer, ne prennent même pas la peine de réintégrer les coulisses et repartent d’un seul homme sur leurs instruments pour les rappels avec un diabolique enchaînement de Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark. L’audience hurle, saute, trépigne, chante, déborde de bonheur et l’arène de Nanterre rend les armes, estourbie et comblée.

    Contrairement à l’habitude Bruce n’invite pas une spectatrice sur scène sur Dancing in the Dark, grosse déception dans les premiers rangs où manifestement toute une armada de jeunes filles se préparaient à ce quart d’heure de gloire dans les bras du « Boss ». De même, il ne propose pas à l’audience de demander des chansons particulières, généralement écrites sur un carton brandi devant la scène. Les cartons fleurissent mais sans succès.

    Les dernières notes de Tenth Avenue Freeze-Out retentissent alors que les images-hommage de Clarence et Dany défilent sur les écrans. Bruce se tient ensuite en haut de l’escalier et salue chacun de ses musiciens qui le redescendent, fourbus, débordant de bonne humeur, manifestement heureux de cette nouvelle messe rock célébrée à Paris. Le dernier à passer est Jack Clemons qui échange une longue accolade avec le Boss. C’est le neveu de son ami Clarence qui a tant donné au E-Street Band. Sans doute une relation filiale qui perdure…

    « The E-Sreet Band loves you Paris »

    Et Springsteen revient sur scène avec sa guitare acoustique pour une émouvante interprétation de I’ll See You in My Dreams, précédé d’un « on vous aime Paris » ! Une chanson douce et mélancolique de 2020 sur l’ami qui est mort mais dont on a gardé les disques et la guitare et qu’on reverra dans nos rêves pour vivre et rire ensemble, encore, car « la mort n’est pas la fin ».

    D’origine irlandaise par son père, italienne par sa mère, Bruce Springsteen a su capter comme aucun les humeurs et la vigueur de l’Amérique. Avec son incroyable et unique bande de copains-musiciens il délivre la puissance dont son pays est capable, avec ses mots simples il illustre la sensibilité des histoires de tout le monde. Sa voix rocailleuse soulève les âmes et les foules. Lorsqu’il chante les veines de son front se gonflent sous la tension, les jugulaires strient le cou, les rides sur ses joues s’étirent, ses yeux se plissent de joie et, le plus souvent, un rire éclatant illumine son visage rayonnant.

    Une légende vivante

    Alors bien sûr, à 73 ans les thèmes abordés tournent un peu à la mélancolie, mais qu’il parle d’histoires d’amour adolescentes, de vétérans de la guerre du Vietnam, des usines qui ferment, des Twin-Towers qui s’effondrent, des amis qui disparaissent, il le fait avec le feu et la tendresse qui lui valent le respect de tous, depuis plus de 50 ans.

    On ne sait pas bien quand Springsteen raccrochera ses guitares, sans doute jamais, ce genre d’artistes meure sur scène même si on lui, et nous, souhaite encore de nombreuses années de musique. Mais quand on se retourne sur sa carrière, l’œuvre immortelle déjà laissée laisse pantois. Quand on l’entend asséner Born to Run avec la même énergie qu’il y a 50 ans : chapeau bas ! Et puis l’homme inspire aussi tellement de sympathie comme l’illustrent sa flamboyante autobiographie en 2016 « Born to Run », ses engagements politiques, sa prestation avec Pete Seeger pour chanter This Land is your Land sous la statue de Lincoln à Washington pour la première investiture du président Obama…

    Bruce Springsteen, une légende américaine !

    Setlist

    My Love Will Not Let You Down/ Death to My Hometown/ No Surrender/ Ghosts/ Prove It All Night/ Darkness on the Edge of Town/ Letter to You/ The Promised Land/ Out in the Street/ Kitty’s Back/ Nightshift (Commodores cover)/ Mary’s Place/ Pay Me My Money Down (The Weavers cover)/ The E Street Shuffle/ Last Man Standing (acoustic, with Barry Danielian on trumpet)/ Backstreets/ Because the Night (Patti Smith Group cover)/ She’s the One/ Wrecking Ball/ The Rising/ Badlands

    Encore : Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark (followed by band introductions)/ Tenth Avenue Freeze-Out (pictures of Danny Federici… more)/ I’ll See You in My Dreams (solo acoustic)

    Composition du groupe ce soir

    4 historiques  

    1 guitariste (Steve Van Zandt), 1 bassiste (Garry Talent), 1 batteur (Max Weinberg), 1 pianiste (Roy Bittan),

    13 plus récents

    1 guitariste (Nils Lofgrens qui joue aussi dans le groupe de Neil Young Crazy Horse, presque désormais devenu « historique »), 1 clavier (Charles Giordano), 1 violoniste/guitariste/choriste (Soozie Tyrell), 1 percussionniste, 5 cuivres (dont Jack Clemons devenu le clone instrumental de son père et avec un vague air de Laurent Voulzy en plus costaud), 4 choristes.

    Patti Scialfa, Mme. Springsteen à la ville, choriste/guitariste, souvent présente sur les tournées n’est pas là ce soir.

  • « Esclavage, mémoires normandes » à l’Hôtel Dubocage de Bléville du Havre

    « Esclavage, mémoires normandes » à l’Hôtel Dubocage de Bléville du Havre

    C’est la partie havraise de l’exposition sur l’esclavage partagée entre les villes de Rouen, Honfleur et Le Havre. La traite des esclaves a considérablement enrichi les armateurs normands et toute la région, comme ce fut le cas pour les autres ports « négriers » de Nantes, La Rochelle et Bordeaux. Le Havre revient sur cette histoire trouble dans l’hôtel Dubocage de Bléville, du nom du navigateur-explorateur havrais (1676-1727) qui y installe une grande maison de négoce maritime après un voyage de neuf années qui l’a mené jusqu’en Chine.

    L’histoire est désormais connue et documentée mais il ne fait jamais de mal d’y revenir. L’Europe disposait de colonies en Amérique (sur le territoire continental américain et les îles des Caraïbes [Saint-Domingue notamment]) qui produisent des biens (coton, bois, cacao…) qui étaient vendus sur le vieux continent qui, à l’époque, est encore « neuf ». Au début travaillaient dans les colonies des européens plus ou moins volontaires. Assez rapidement il fallut augmenter la productivité de la production et seule une force de travail « bon marché » pouvait permettre d’attendre cet objectif. Les Etats comme la France encouragent l’achat d’esclaves en Afrique et leur installation dans les colonies d’Amérique. Le « code noir » officialise en 1685 sous Louis XIV ce trafic dit « triangulaire » tout en édictant quelques limites pour le traitement des exclaves, qui furent généralement allègrement dépassées.

    Les marchands esclavagistes français affrétaient des bateaux quittant les ports français chargés de « verroterie » (bracelets, bijoux de pacotille, mais aussi des armes plus ou moins antédiluviennes) qui servaient à payer les esclaves achetés à leurs propriétaires africains. L’esclavage existe bien entendu depuis des millénaires, y compris en Afrique. La traite (le « commerce » de ceux-ci) se pratique également depuis des lustres mais la « traite atlantique » va industrialiser le phénomène avec des objectifs « commerciaux » ambitieux. Pour les atteindre il va falloir déshumaniser les esclaves et les traiter comme des « intrants » au processus industriel…

    L’exposition de l’Hôtel Dubocage revient sur les différentes étapes de ce trafic d’êtres humains et sur les conditions de celui-ci à travers des tableaux et des gravures d’époque. Sont également exposés des relevés « comptables » des échanges de marchandises : combien de verroterie remises aux vendeurs locaux pour acheter les esclaves. Ceux-ci étaient complètement anonymisés sur ces relevés : pas de nom, juste des valorisations. Des schémas montrent la disposition des esclaves dans les bateaux qui les transportaient d’Afrique vers les Amériques, installés tête-bêche dans les entreponts du navire où ils ne pouvaient pas même se tenir debout, ce qui n’est pas sans rappeler les châlis où étaient entassés les déportés dans les camps de concentration allemands de la seconde guerre mondiale. Cela explique les taux de mortalité de 10 à 20% constatés au bout du voyage et consciencieusement notés sur le journal de bord car venant minimiser la marge des négociants.

    Les conditions de vie dans les plantations antillaises où ils étaient débarqués n’étaient guère meilleures et leurs maîtres prenaient des libertés avec le « Code noir » et avaient quasiment droit de vie ou de mort sur leurs esclaves. Certains esclaves se révoltèrent, en Haïti notamment, d’autres furent libérés, certains mêmes habitèrent aux Havre pour servir leurs maîtres en France. Il y eut tout de même des consciences pour s’élever contre l’esclavage comme l’écrivain havrais Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre qui publia « Paul et Virginie » en 1788. Ouf, cela rattrape un peu la réputation de la région…

    Une exposition troublante !

    Voir aussi : https://esclavage-memoires-normandes.fr/

  • « Marquet en Normandie » au MuMa du Havre

    « Marquet en Normandie » au MuMa du Havre

    Le Musée André Malraux (MuMa) expose Albert Marquet (1875-1947) peintre « fauviste » et inspiré par la Normandie et ses couleurs si particulières. Les œuvres accrochées ont toutes rapport à la côte normande, Le Havre, Honfleur, Rouen, la Seine…, des ports, des plages, et, surtout, la mer et le ciel, avec toutes les nuances de vert et de bleu que la Normandie sait offrir. Marquet a arpenté cette côte avec son chevalet et son ami de Raoul Duffy. C’est le résultat de ces pérégrinations artistiques que présente de MuMa. Il a aussi parcouru le monde dont l’Algérie où il passe la seconde guerre mondiale quelques années avant sa mort, là-encore un pays de toutes les lumières. Certaines toiles de cette période sont exposées.

    Je ne sais ni écrire ni parler mais seulement peindre et dessiner. Regardez ce que je fais. Ou je suis arrivé à m’exprimer ou j’ai échoué. En ce cas, que vous me compreniez ou pas, par votre faute ou par la mienne, je ne peux pas faire plus.

    Albert Marquet (1936)

    L’eau est partout, rendue dans des paysages de plages ou de falaises bucoliques mais aussi peinte sur fond d’outils industriels et portuaires. Marquet est spécialisé dans la « vue plongeante » comme ne le montre pas le port d’Honfleur ci-dessus. Il est surtout un maître hors pair de la lumière dont le rendu dans ses toiles est subjuguant. Les personnages ou objets présents dans ses tableaux sont les plus souvent esquissés d’un trait, sans trop de détails, laissant le visiteur se plonger dans la méditation inspirée par les couleurs de la nature et des paysages.

    Lire aussi : Marquet au musée d’art moderne de Paris

    Le MuMa est posé sur le port marquant l’influence de la mer sur l’art en Normandie. Entre la digue et le musée trône une sculpture monumentale d’Henri-Georges Adam : « Le Signal ». En plus de Marquet, il dispose d’une belle collection de tableaux des artistes Sisley, Duffy, Renoir, Braque, Pissarro, Boudin, Monet… C’est l’ancien musée des Beaux-Arts qui n’a pas résisté aux bombardements de 1944, les sculptures ont été transformées en cendres mais les peintures qui avaient été déplacées en lieu sûr furent épargnées. Il est reconstruit en 1952 à l’entrée du port. Inauguré par André Malraux en 1961, il préfigure à l’époque ce que seront les « maisons de la culture », grand œuvre du ministre de la culture de De Gaulle.

    Le MuMa et, devant, la scupture « Le Signal »

    Avant de sortir, repas ou café au restaurant du musée, vue sur les incessantes entrées et sorties de gros navires au milieu desquels se mêlent des kite-surfers agiles et élégants ; la mer, vous dit-on, toujours la mer.

  • La France pas assez raisonnable

    La France pas assez raisonnable

    L’une des trois grandes agences de notation des dettes, « Fitch Ratings », vient de dégrader la note de la dette française sur base d’une analyse relativement classique et prévisible. Pour les critères les plus inquiétants :

    • Déficit des finances publiques supérieur aux pays comparables et « plan de stabilisation » (en français, plan de désendettement) annoncé basé sur les prévisions de croissance peu réalistes
    • Incapacité à contrôler les dépenses publiques
    • Niveau de la dette publique élevé
    • Hausse des taux d’intérêt

    Lire aussi : https://www.fitchratings.com/research/sovereigns/fitch-downgrades-france-to-aa-outlook-stable-28-04-2023

    Le pays n’a pas réussi à équilibrer ses dépenses publiques depuis 1974, date du dernier budget équilibré. Cela veut dire que depuis plus de cinquante ans l’Etat dépense plus qu’il ne gagne, l’ajustement se faisant par une augmentation de la dette dont nous laissons à nos enfants le soin de rembourser. L’habituelle argument des partisans de la dépense publique à tout va, « s’endetter pour investir pour le futur est une bonne chose » ne tient plus que très partiellement. On sait aujourd’hui qu’une bonne partie de cet endettement vient financer des dépenses courantes de l’Etat (sécurité sociale, salaires…) et non plus uniquement de l’investissement. On le voit tous les jours dans les médias, un ministre ou un président de la République n’existe plus qu’en annonçant de nouvelles dépenses pour de bonnes comme pour de mauvaises causes et, surtout, sans expliquer comment de nouvelles dépenses seront financées : par baisse d’autres dépenses, augmentation des impôts ou endettement additionnel.

    Les débats parlementaires et politiques ubuesques qui se sont déroulés ces dernières semaines sur la réforme des retraites (report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans) ont consisté principalement pour l’opposition à conditionner ses votes favorables à l’abandon de certaines économies incluses dans le projet de réforme (en termes purement financiers, une non-recette équivaut à une dépense). Le gouvernement à la recherche du consensus a progressivement cédé et adoucit la « brutalité » de la réforme, baissant ainsi le niveau des économies que devait rapporter la réforme pour se retrouver à la fin sans les votes de ceux qui s’étaient engagés à les donner…

    Il est vrai que les partis et syndicats d’opposition de gauche proposaient des pistes de financement alternatives au maintien de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans : « taxons les dividendes versés aux actionnaires » ! La classe politique française ne sait financer de nouvelles dépenses publiques qu’en augmentant les impôts, rarement en faisant des économies par ailleurs. La proposition sur les dividendes n’était pas idéologiquement acceptable pour le gouvernement en place qui a donc réussi à faire passer l’âge légal de départ à 64 ans. Il y a déjà des candidats potentiels aux élections présidentielles de 2027 qui s’engagent à ramener cet âge légal à 60 ans s’ils sont élus. Nous verrons bien d’ici-là s’ils maintiennent ce projet et comment ils envisageront de le financer. Ils ont largement le temps « d’avaler leur chapeau » avant cette échéance.

    La dégradation de la note de la dette publique française n’a pas entraîné de hausse immédiate des taux d’intérêt auxquels s’endette la République puisque les marchés l’avaient déjà intégrée dans les taux qui sont passés en quelques mois pour les nouvelles émissions de dette de 0 à 3%, et risquent de poursuivre encore leur hausse dans le court terme. S’endetter aujourd’hui coûte plus cher aux contribuables qu’hier. C’est hélas la seule situation qui peut pousser la France à « stabiliser » ses dépenses publiques. De même que faire payer plus cher l’eau ou l’électricité pour le consommateur lui font contrôler ses consommations, augmenter les taux d’intérêt devrait pousser l’Etat à une gestion plus rigoureuse de ses dépenses. Dans notre monde capitaliste, le « signal prix » est le seul qui soit vraiment efficace, pour un Etat comme pour ses citoyens.

    Lire aussi : La dette française va coûter plus cher aux contribuables

  • « Julia Pirotte, photographe et résistante » au mémorial de la Shoah

    « Julia Pirotte, photographe et résistante » au mémorial de la Shoah

    Julia Pirotte (1907-2000) est une photographe de presse polonaise. Sa famille d’origine juive s’installe à Varsovie avec les trois enfants après le décès de la mère où Julia, son frère et sa sœur, encore adolescents, adhèrent au parti communiste polonais. A ce titre Julia est emprisonnée quatre ans par la justice polonais, à 17 ans, et son frère s’exile en URSS pour fuir le régime autoritaire du pays au mitan des années 1920. L’oppression se renforçant en Pologne, Julia doit fuir à son tour et trouve refuge en Belgique où elle épouse Jean Pirotte, un syndicaliste belge, et obtient la nationalité belge. Ouvrière dans différentes usines en Belgique elle poursuit son engagement politique et écrit des articles dans la presse « progressiste » illustrés par ses propres photos.

    En 1940, fuyant l’invasion de la Belgique par l’Allemagne elle s’installe à Marseille alors située en zone libre où elle va réaliser des reportages sur le monde ouvrier et populaire local et entre en résistance dans le réseau communiste Francs-tireurs et partisans (FTP) Main-d’œuvre immigrée (MOI). Sa sœur Mindla, également résistante est capturée par les Allemands, torturée, déportée puis guillotinée. Julia participe et photographie l’insurrection de Marseille. Immédiatement après la libération elle retourne en Pologne encore agitée par des vagues antisémites. Elle photographie le pogrom de Kielce de 1946, crée une agence de presse « Walf », photographie la reconstruction de son pays, le congrès pour la paix de 1948 à Wroclaw où elle prend des portraits, notamment de Picasso et Irène Joliot-Curie qui y participent, elle fait un reportage dans un kibboutz en Israël.

    La soeur de Julia, Mindla, assassinée par les allemends pour fait de résistance

    Dans les années 1960-1970 son travail commence à être reconnu et exposé à travers le monde. C’est une partie de celui-ci qui est exposé aujourd’hui par le mémorial de Shoah. Les clichés noir-et-blanc marquent son attrait pour les milieux populaires, particulièrement les portraits. Son engagement communiste et résistant transpire de toutes ces photos et quelques vidéos montrent cette femme modeste au crépuscule de sa vie, qui toujours est retournée dans son pays natal, la Pologne, quels qu’en soient les régimes et les risques pour une juive.

    Elle est passée au travers de toutes les embûches de ce siècle et a témoigné de toutes ses tragédies.

    Une exposition émouvante !

  • PEYREFITTE Alain, ‘C’était de Gaule 1/3 « La France redevient la France »‘.

    PEYREFITTE Alain, ‘C’était de Gaule 1/3 « La France redevient la France »‘.

    Sortie : 1994, Chez : Editions de Fallois / Fayard.

    Alain Peyrefitte (1925-1999), homme politique et écrivain, fut ministre de l’information et porte-parole du gouvernement à partir de 1962 pour cinq ans avant de poursuivre une carrière ministérielle jusqu’en 1981. C’est au titre de porte-parole du gouvernement de De Gaulle et qu’il aura des entretiens particuliers avec le Général après chaque conseil de ministres. En tant que ministre de l’information il était le seul autorisé à prendre des notes en conseil des ministres. Dès sa prise de fonction gouvernementale il décide de consigner pour l’Histoire tous ces entretiens qu’il publie dans les trois volumes de « C’était de Gaulle ».

    C’est évidemment un très intéressant retour sur les débuts de la Vème République voulue par de Gaulle revenu au pouvoir en 1958 après l’effondrement de la IVème empêtrée dans son instabilité gouvernementale et la guerre d’indépendance de l’Algérie. Les entretiens commencent en 1962 et ce premier volume couvre les trois grandes affaires du moment.

    Les accords d’Evian et les débuts de l’Algérie indépendante

    Les temps sont à la dislocation des empires coloniaux, pas seulement en Algérie, mais, pour la France, dans toute l’Afrique.

    Les peuples colonisés supportent de moins en moins leur colonisateur. Un jour viendra où ils ne se supporteront plus eux-mêmes. En attendant nous sommes obligés de tenir compte des réalités. Ce que nous avions à faire de plus urgent , c’était de transformer notre empire colonial, en remplaçant la domination par le contrat. Nous avons grand avantage à passer le témoin à des responsables locaux, avant qu’on nous arrache la main pour nous le prendre.

    Puisque nous ne pouvons leur offrir l’égalité [aux populations d’outre-mer], il vaut mieux leur donner la liberté.

    20/10/1959 (lors d’un entretien où Peyrefitte n’était que député et revenait d’un déplacement en Afrique)

    Mais autant la décolonisation des pays africains suit son cours de façon relativement naturelle au début des années 1960, en Algérie, la guerre fait rage. De Gaulle a accepté le principe de l’indépendance algérienne. Les accords d’Evian ont été signés en 1962, le résultat du référendum pour l’indépendance organisé en Algérie est un « OUI » massif et de Gaulle veille a exécuter les accords au plus vite malgré nombre d’oppositions en France comme en Algérie. A Alger les attentats de l’OAS font rage et le général sera lui-même l’objet de deux tentatives d’assassinat en France métropolitaine. Les « pieds-noirs » finalement décident de revenir massivement en France, bien au-delà de ce qui avait été anticipé.

    De Gaulle reste ferme sur ce qui a été décidé et dirige ses ministres, parfois indécis, durant la période de transition entre le référendum d’indépendance et la prise effective du pouvoir par les nouvelles autorités algériennes, elles-mêmes tiraillées entre leurs tendances contradictoires :

    Quels que soient les délais qui ont été fixés par les accords d’Evian, ils seront respectés. Ils ne sauraient être remis en cause. A bon entendeur, salut !

    18/04/1962

    Le référendum constitutionnel de 1962

    Dans la constitution élaborée en 1958 pour la création de Vème République, le président était élu par un collège de grands électeurs. Les premières années de cette nouvelle République marquent la prééminence du président. De Gaulle ressort son vieux projet d’une élection du président au suffrage universel direct afin d’enterrer définitivement la logique mortifère des partis qui pourrait réapparaître après lui. Le texte du référendum soumis au parlement déclenche une motion de censure qui fait tomber le gouvernement. Le président du sénat, Gaston Monnerville, accuse de Gaulle de « forfaiture ». Le président dissous l’assemblée nationale. Le référendum finalement organisé malgré l’opposition parlementaire, est remporté à plus de 62% et les gaullistes gagnent la majorité absolue dans la nouvelle assemblée issue de la dissolution.

    Ils [les partis] sont à la fois incapables de gouverner, puisqu’ils n’existent qu’en divisant les Français, et incapables d’imaginer une autre pratique que celle-là. Voila pourquoi nous venons d’échapper à un grand danger. Maintenant, l’opposition est écrasée. Elle est en débris. Il faut en profiter pour travailler.

    07/12/1962

    La place de la France dans le monde

    Nous sommes en pleine guerre froide et en période de construction de l’Europe des six. L’obsession du général de Gaulle est de redonner à la France une stature internationale et indépendante. Pour ce faire, il va reconnaître la Chine populaire, monter la force nucléaire française, se battre contre l’idée du pouvoir « multilatéral » de l’Europe et en bloquer l’accès au Royaume-Uni qui voulait « noyer le Marché commun dans une grande zone de libre-échange ».

    Nous assistons à l’affrontement de deux énormes masses, la Russie [de Gaulle ne parle quasiment jamais de l’Union soviétique] et la Chine. Les Russes seront dans une position difficile. De deux choses l’une. Ou ils restent avec la Chine, mais elle les boulottera quand elle sera plus forte. Ou ils sont contre, mais alors c’est la fin des Rouges et le camp communiste s’effondrera. C’est peut-être déjà fait.

    07/11/1962

    Voyez-vous, la France est souveraine. Ou plutôt, elle le redevient, ce qui ne lui était pas arrivé depuis la Première guerre. Elle s’était blottie à l’ombre des Anglais dans l’entre-deux guerres, puis des Américains après la Seconde. Tout ça, c’est fini. La France a fini de se blottir.

    19/12/1962

    Le sentiment national s’est toujours affirmé en face d’autres nations : un sentiment national européen ne pourra s’affirmer que face aux Russes et aux Américains. L’idée européenne, depuis la fin de la guerre, a progressé grâce à la menace des Russes. Maintenant que les Russes s’amollissent, et c’est heureux, nous avons l’occasion de nous durcir à l’égard des Etats-Unis, et c’est notre devoir ; sinon, l’Europe dite intégrée se dissoudrait dans l’ensemble atlantique , c’est-à-dire américain, comme du sucre dans le café.

    23/01/1963

    A la lecture de ces dialogues on est frappé une nouvelle fois par la capacité d’analyse et d’anticipation du général ainsi que sa compétence pour diriger et commander. Certes, sa stature de sauveur de la France en 1940 et le respect qu’elle inspire y sont pour beaucoup mais l’homme est véritablement un chef, qui plus est, doté d’une remarquable intelligence. Chaque mot rapporté par Peyrefitte en atteste admirablement.

    Ce récit dévoile aussi quelques détails de la vie politique de l’époque : la bonhommie de Pompidou (premier ministre), l’indéfectible soutien qu’il apporte avec constance à « son cher Malraux » en conseil des ministres, sa maîtrise de la langue française qui lui permet une expression limpide, sa remarquable capacité d’assimilation des sujets qu’il ne maîtrise pas complètement, sa capacité de synthèse exceptionnelle…

    Passionnant !

    Lire aussi

  • « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 30 » au musée de l’Orangerie

    « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 30 » au musée de l’Orangerie

    Henri Matisse (1869-1954) est exposé à l’Orangerie et, plus précisément, sa période post-1930 mise valeur par la revue Cahiers d’art dont sont également montrés les archives sous vitrine. Revue porte-voix du modernisme, elle plaça à juste titre Matisse dans cette catégorie, avec Picasso. Il rentre cette année-là d’un voyage à Tahiti sur les traces de Gauguin, il en ramène une nouvelle inspiration, pleine de couleurs chatoyantes. Des odalisques et des nus sont montrés avec ce dessin caractéristique du peintre, les formes sont juste esquissées mais le rendu est extrêmement précis. Le « Nu rose » mérite le déplacement à lui tout seul : une merveille de sensualité et de modernité, rehaussée par cette originale couleur rose.

    Les années 1930 sont aussi la période où Matisse se met à la sculpture dont des exemplaires tout en rondeur sont montrés ici, accompagnés également de nombre de dessins de l’artiste. Lors d’un séjour aux Etats-Unis en 1930 il fut commandité par le collectionneur Albert Barnes pour réaliser une œuvre monumentale, La Danse, afin de d’orner sa fondation à Philadelphie.

    Fondation Barnes

    Une pièce d’essai en grandeur nature est exposée, toujours ce dessin matissien, simple, expressif et tout en rondeur.

    Recommandation

    Nous sommes à l’Orangerie, un passage dans les deux salles des Nymphéas s’impose.

    Devant les huit toiles gigantesques de Claude Monnet, brancher Piano Works de Philippe Glass interprété par l’excellent pianiste Vinkingur Olafsson, écoutez et laissez-vous plonger dans la méditation.

    Les deux premiers tableaux ont été offerts par Monet à la France au lendemain de l’armistice du 11 novembre 1918 comme symbole de paix par l’intermédiaire de Georges Clémenceau.

  • « Les âmes perdues » de Stéphane Malterre et Garance Le Caisne

    « Les âmes perdues » de Stéphane Malterre et Garance Le Caisne

    Un documentaire glaçant sur l’affaire « César », du nom de code de ce photographe de l’armée syrienne qui a pris plus de 50 000 clichés des cadavres d’opposants syriens torturés puis tués par la police du régime au cours des années 2010 : fuyant Damas, il remit ses photos aux autorités occidentales (gouvernements, organisations non gouvernementales [ONG] et institutions multilatérales) qui les utilisent pour documenter les crimes du gouvernement syrien.

    Le film suit surtout les démarches initiées par des familles syriennes exilées en France et en Espagne, bénéficiaires de la double-nationalité et qui ont reconnu des parents sur les photos des victimes, pour déposer plainte dans les pays d’accueil contre des dirigeants syriens. Ces processus judiciaires avancent difficilement car mettant en jeu des aspects politiques et diplomatiques, outre ceux ayant trait aux droits de l’homme. Toutefois des premières condamnations tombent en Allemagne contre des officiers syriens qui s’y étaient installés après avoir suivi la route des réfugiés en 2015 puis été identifiés par certaines de leurs victimes. La France s’apprête de son côté à juger par contumace trois généraux syriens pour crime contre l’humanité.

    Les photos de « César » sont juste survolées. Même floutées elles montrent l’horreur à laquelle ont été soumises les victimes, hommes et femmes, jeunes et vieux. Elles illustrent aussi le sentiment de total impunité des autorités syriennes qui ont-elles-mêmes documenté leurs crimes avant d’émettre les certificats de décès nominatifs pour toutes victimes décédées, reconnaissant ainsi les faits… Un juriste explique dans le documentaire que les crimes syriens sont bien mieux documentés que l’ont été ceux des nazis au procès de Nuremberg en 1945 contre les 24 principaux responsables du régime nazis encore vivants à la fin de la seconde guerre mondiale.

    Par les temps qui courent on peine à imaginer qu’un procès similaire puisse être tenu contre la famille al-Assad qui gouverne ce pays d’une main de fer depuis 1971, le fils Bachar ayant succédé à son père Hafez ayant en 2000. En réalité, sans doute la majorité des pays de la planète ne voit pas véritablement de problème dans la gestion de la Syrie. Le film montre d’ailleurs la Chine et la Russie voter contre une résolution du conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) condamnant le régime syrien, bloquant ainsi toute action de la communauté internationale.

    Le concept des « droits de l’Homme » que l’on croyait universel depuis 1945 après la découverte des horreurs nazis est en train de faire naufrage. Même si la communauté des pays réunis au sein de l’ONU en a approuvé le principe à travers nombre de traités et conventions, les régimes autoritaires les récusent désormais par leurs actes. La guerre d’Ukraine en cours ne fait que confirmer cette tendance. Les migrants et les victimes, eux, votent avec leurs pieds en faveur des droits de l’Homme et viennent se réfugier dans les pays occidentaux qui respectent encore le concept. On voit même des tortionnaires se joindre aux flux des réfugiés pour tenter de se réinstaller en Europe. L’officier syrien en rupture de ban qui a été arrêté et condamné à perpétuité en Allemagne n’a pas choisi d’émigrer en Russie ni en Chine, mais… en Allemagne. L’oncle du dictateur Bachar as-Assad, Rifaat, ancien vice-président de son frère Hafez est venu se réfugier à Paris après un coup d’Etat manqué en 2004. Il serait récemment retourné en Syrie après avoir été condamné par contumace à quatre années de prison dans l’affaire des « biens mal acquis » concernant sa fortune immobilière constituée en France pour une somme estimée à 90 millions d’euros, ce patrimoine a été saisi par la justice.

    C’est d’ailleurs la seule note d’espoir de ce film terrifiant, le fait que même les tortionnaires choisissent de s’installer et mener leurs affaires en Occident plutôt que chez leurs « amis » politiques semble indiquer que la démocratie a encore un peu d’avenir sur la planète. Il suffit sans doute de rester ferme sur les principes et… patient.

  • Un avion russe bombarde Belgorod par erreur

    Un avion russe bombarde Belgorod par erreur

    A la suite d’une forte explosion à Belgorod le 20 avril qui a laissé un cratère de 20 mètres dans une rue de la ville et qui aurait fait deux blessés et d’importants dégâts matériels, l’armée russe a admis qu’il s’agissait d’une erreur technique :

    Au cours du vol de l’avion Su-34 des forces aérospatiales au-dessus de la ville de Belgorod, une tombée anormale de munition d’aviation s’est produite.

    Voilà qui laisse planer encore plus de doutes sur la compétence de l’armée russe après ses échecs répétés dans la guerre d’Ukraine. Alors que l’on croyait, avant ce conflit, que l’armée russe était redoutable, au dernier cri de la technologie, avec à sa disposition des armes redoutables et invincibles, on constate aujourd’hui que ce n’est pas le cas et, qu’en plus, elle est mal dirigée. Cela fait penser à l’armée irakienne qui était présentée comme « la quatrième armée du monde » lors de son invasion du Koweït en 1990 et qui fut assez rapidement renvoyée dans ses frontières par la coalition internationale menée par les Etats-Unis d’Amérique.

    C’est évidemment une nouvelle rassurante pour l’Occident de voir l’armée ex-soviétique en sérieuses difficultés face aux armes occidentales livrées à l’Ukraine. La capacité de nuisance de Moscou reste très forte même avec une armée limitée et elle se traduit de façon douloureuse actuellement pour l’Ukraine.

    Il ne faut toutefois pas s’endormir sur ses lauriers. Il est à craindre qu’à l’issue de cette guerre, la Russie de demain ne réagisse et tire les enseignements de ses insuffisances pour tenter de reconstituer une armée à la hauteur de ses ambitions. La véritable question est de savoir si un régime autoritaire comme celui de Moscou est capable de motiver et diriger une armée qui devrait être aux ordres de dirigeants politiques ? Depuis février 2022 et le lancement de l’invasion russe on voit une véritable valse des généraux à l’état-major qui sont changés tous les quatre matins, sans même avoir le temps d’assoir leur commandement sur des troupes à la dérive où se mêlent des mercenaires, des appelés et des professionnels.

    Toutefois, si l’Occident constate sa supériorité technologique en matière militaire, il déplore le désarmement général par lequel il s’est laissé séduire et qui a vu les budgets militaires européens baisser drastiquement, au point que les stocks de munition sont largement insuffisants pour fournir l’Ukraine. L’un des effets collatéraux de cette guerre est d’avoir fait prendre conscience à l’Europe de cette dérive. Le réarmement est général à l’Ouest mais il faudra quelques années avant qu’il ne produise pleinement ses effets.

    Avec cette guerre le monde est véritablement rentré dans une sérieuse période d’incertitude.

  • Fin de conflit en vue Yémen

    Fin de conflit en vue Yémen

    Le Yémen est un vieux pays dont on retrouve des traces plusieurs millénaires avant Jésus-Christ. Mais une nation à problèmes dans l’histoire contemporaine, sans arrêt entre deux guerres civiles et trois coups d’Etat, en permanence le jouet d’interventions extérieures pour des motifs idéologiques divers, dont religieux bien entendu. Placé géographiquement au sud de l’actuelle Arabie Saoudite, le Yémen a été dirigé par différents califats islamiques, puis colonisé par les Ottomans, les Britanniques, puis partitionné en deux Yémen distincts dans les années 1960, dont l’un d’inspiration communiste, puis de nouveau réuni en un seul pays en 1990.

    Depuis les années 2000 une énième rébellion agite les tribus, soutenue par l’Iran ennemi juré de l’Arabie Saoudite qui a toujours voulu exercer une sorte de tutelle sur le Yémen. Du coup, énervée par suite d’une tentative de coup d’Etat menée par la rébellion Houthis (pro-iranienne chiite), Ryad prend la tête d’une coalition arabe (sunnite, opposante à l’Iran) en 2015 et se met en tête de réduire la rébellion. Aussitôt décidée, l’opération « Tempête décisive » met en branle une armada arabe sunnite menée par l’Arabie Saoudite qui lance ses avions, ses chars, son artillerie et son infanterie contre les Houthis. Comme très souvent les guerres d’invasion à visée coloniale échouent. Celle-ci ne déroge pas à la règle. Sept ans plus tard le pays affronte l’une des plus graves crises humanitaires jamais endurée dans le monde selon l’ONU, des millions de déplacés, des destructions considérables, des milliers de morts de chaque côté, des hôpitaux bombardés, des cessez-le-feu non respectés, et, surtout, aucun but de guerre n’a été atteint par les uns ni par les autres, on est au point mort et le pays a régressé d’un siècle.

    Plusieurs trêves sont convenues en 2022, plus ou moins respectées. En 2023, sous les auspices de la Chine, l’Arabie Saoudite et l’Iran se parlent et rétablissent leurs relations diplomatiques. Sans doute le sort de la guerre du Yémen faisait partie de l’accord ? Conscientes que cette guerre est vaine et couteuse, les deux parrains de Ryad et Téhéran poussent leurs affidés à s’entendre. Ils ont déjà procédé à des échanges de prisonniers et la trêve semble durer. Peut-être un accord de paix sera la prochaine étape ?

    La fin d’une guerre au Yémen est une bonne nouvelle, même si elle est sans doute aussi fondée sur l’anti-occidentalisme de ses principaux acteurs. Elle pourrait inspirer les parties à la guerre d’Ukraine en cours, largement aussi meurtrière et, sans doute, sans plus d’avenir, que celle du Yémen. Et si la Chine est capable de mettre son grain de sel dans l’affaire ukrainienne pourquoi ne pas lui donner la main. Il faut mettre fin à ce conflit avant d’en perdre le contrôle et, si possible, sans attendre sept longues années comme au Yémen.

    Lire aussi : La Chine a proposé un plan de paix pour la guerre d’Ukraine

  • L’erreur tragique de 1974 sur Mayotte, ses conséquences inextricables

    L’erreur tragique de 1974 sur Mayotte, ses conséquences inextricables

    Depuis l’erreur tragique commise en 1974 par la France en manipulant le référendum d’autodétermination de l’archipel des Comores de façon que le scrutin soit décompté par île et non pas pour l’archipel d’un seul bloc, la République française compte un territoire perdu dans le canal du Mozambique, Mayotte, et ce confetti va de Charybde en Scylla, s’enfonçant toujours plus dans la misère et la violence sans guère de solutions pour sortir de ce marasme. La départementalisation proposée par un gouvernement stupide en 2010 via un référendum local qui fut bien entendu approuvé à plus de 95%, n’a rien changé sinon accroître encore les attentes et les frustrations des mahorais.

    Ces dernières années, l’île de Mayotte s’est transformée en plateforme d’immigration illégale de migrants venant des autres îles de l’archipel des Comores devenues indépendantes en 1974, attirés par le niveau de vie français et la possibilité d’être un jour régularisés en obtenant la nationalité française. Nombre de parturientes comoriennes viennent accoucher à Mayotte afin que leurs enfants y bénéficient du droit du sol et obtiennent automatiquement un passeport français, rendant ainsi plus difficile l’expulsion des parents en situation illégale. Ce droit « du sol » a même été restreint par l’administration pour tenter de décourager les candidats à la traversée des Comores vers Mayotte qui ne fait qu’une petite centaine de kilomètres mais durant laquelle plusieurs milliers de migrants ont déjà péri en mer.

    Ces derniers mois une violence endémique s’est développée sur ce caillou où la simple compréhension des lois de la République par les citoyens relève du rêve, et leur application strictement s’avère impossible. Les Comores indépendantes passent des accords avec la France en contrepartie d’aides financières mais savonnent consciencieusement la planche de Paris puisqu’elles ont pour objectif de réunifier Mayotte à sa mère patrie, d’autant plus que la France n’a pas laissé que des bons souvenirs aux Comores. On se souvient des « exploits » du mercenaire Bob Denard que Paris a laissé co-diriger le pays pendant des années avant de mettre fin à cette galéjade par une opération militaire qui permit d’arrêter le mercenaire et sa troupe de pieds nickelés en 1995.

    La communauté internationale va dans le même sens et l’Organisation des Nations Unis (ONU) a inscrit Mayotte dans la lite des pays à décoloniser. Dans différentes résolutions, systématiquement renouvelées, son l’Assemblée générale rappelle « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande Comore, de Mayotte et de MohéliRéaffirme la souveraineté de la République fédérale islamique des Comores sur l’île de Mayotte » et « prie instamment le Gouvernement français d’accélérer le processus de négociation avec le Gouvernement comorien en vue de rendre rapidement effectif le retour de l’île de Mayotte dans l’ensemble comorien ». Cela va de soi.

    Lire aussi : UN_Mayotte_1994.pdf

    A chaque assemblée générale de l’ONU le président comoriens réaffirme sa volonté de réunification de Mayotte soutenu par les pays membres.

    Devant l’exaspération des mahorais en situation légale et la récupération politique à laquelle de se livrent les partis d’opposition en métropole avec gourmandise afin de stigmatiser « le laxisme » du gouvernement, le ministre de l’Intérieur déclenche cette semaine une opération « nettoyage » prévoyant la destruction des bidonvilles construits par les migrants et l’expulsion des illégaux. Comme ils viennent à plus de 90% des îles proches des Comores, les dirigeants de pays ont déjà averti qu’ils refuseraient de réadmettre leurs citoyens… C’est grosso-mode le genre de refus qu’essuie la France de la part de toutes ses anciennes colonies lorsqu’elle veut y expulser leurs ressortissants en situation illégale ou, pire, condamné pour délinquance. C’est la revanche des anciens damnés de la terre. Bienvenue dans le monde des relations post-coloniales !

    En réalité la France n’a aucune autre solution pour se sortir de ce bourbier que de restituer cette île colonisée à sa « maison-mère ». Personne n’ose le dire mais tout le monde le pense (sauf les mahorais bien sûr). Ce sera évidemment tragique, une sorte d’indépendance algérienne en modèle réduit. Le problème serait essentiellement humain puisque les citoyens français installés sur l’île, d’origine mahoraise ou expatrié, s’opposeraient à cette décolonisation. Il faudrait pouvoir leur donner le choix : soit rester sur place, soit émigrer dans un autre territoire français. Il y doit y avoir aujourd’hui environ 300 000 habitants à Mayotte dont 1/3 d’illégaux. Il faudrait donc pouvoir accueillir au maximum 200 000 citoyens en France si Mayotte était restituée aux Comores.

    Ce ne sera pas simple à réaliser mais ce serait conforme au droit international et la seule solution pour se débarrasser du problème sans trop nuire aux habitants français de l’île qui auraient ainsi la possibilité de garder cette nationalité s’ils le souhaitent. Continuer sur la voie actuelle ne fera qu’amener de nouveaux déboires, et probablement des drames bien plus graves que ceux rencontrés jusqu’ici. Le statuquo ne fera qu’empirer la situation et plus on attendra, plus le passif à régler sera lourd. Aller sur cette voie sera long et demandera un courage politique à la hauteur de celui que MonGénéral a déployé en 1962 pour conclure l’indépendance de l’Algérie. Espérons pour les générations futures qu’un dirigeant français osera initier ce processus d’indépendance de Mayotte. A défaut, le problème sera reporté sans fin sur nos enfants.

    La devise du Département : « Ra Hachiri » signifie « Nous sommes vigilants », on ne saurait mieux dire !

    Lire aussi : Mayotte… encore et toujours

  • BLUMENFELD Erwin, ‘Jadis et Daguerre.’

    BLUMENFELD Erwin, ‘Jadis et Daguerre.’

    Sortie : 1975, Chez : Editions Textuel (2013)

    La merveilleuse autobiographie du photographe Erwin Blumenfeld (1897-1969) : juif allemand né à Berlin il a fui le nazisme avec sa famille dans l’Europe des années 1930, fréquenté les camps de concentration ouverts en France pour regrouper certains étrangers à partir de 1940, puis émigré aux Etats-Unis où il est devenu un grand photographe de mode.

    Dans un style délicieux, plein d’humour juif, il parle de son enfance dans la capitale allemande, de son père marchand de parapluies, de son premier travail chez un oncle marchand de tissus, de ses émois adolescents, de la mort de son père, ruiné, de ses rapports à la religion et de tout cette communauté juive de Berlin, active et débrouillarde, avant que ne viennent les heures sombres du nazisme qui déferla sur l’Allemagne. Il n’arrive pas à éviter sa mobilisation comme ambulancier durant la guerre de 1914-1918 du côté de l’Empereur, bien sûr, car il est toujours de nationalité allemande. Il déploie des trésors d’imagination pour aller visiter sa fiancée hollandaise dont le pays est neutre dans cette guerre, tente de déserter, est repris par la police, considéré comme un traître, apprend la mort de son frère sur le front. La défaite allemande en novembre 1918 le sauve, il rejoint sa fiancée à Amsterdam où ils demeurent quelques années, vivotant d’un commerce de cuir qui périclite.

    Durant les années 1930 il visite Paris-Montparnasse, New York, puis délaisse progressivement les affaires diverses, et souvent malheureuses, pour la photographie dont il deviendra l’un des maîtres. Lorsque Hitler prend le pouvoir à Berlin puis jette son dévolu sur l’Europe, la famille s’installe à Paris qu’elle va fuir pour les Etats-Unis, en passant par les camps de concentration français où étaient regroupés les étrangers dans des conditions pas toujours très honorables, surtout pour les juifs… A l’époque il est déjà un photographe relativement reconnu, notamment des magazines américains de mode. Après d’incroyables péripéties il réussit à obtenir des visas pour l’Amérique où la famille s’installe mi-1941 et où il mènera une brillante carrière.

    Dans un style truculent et plein d’autodérision il raconte ses petites affaires en citant Paul Valéry ou Matisse, aborde aussi les grandes questions de notre temps, l’air de rien. Sa description du New York des années 1940 et des new yorkais du secteur de la mode est un modèle du genre : la cocaïne voisine le bourbon, les dollars sont les compagnons de la mode, la folie incarne le busines, les clodos de Times Square voisinent les ladies sur-fardées…

    Mes chaussures restèrent collées dans l’asphalte brulant sur Times Square, place mondialement célèbre, tas de baraquements couverts d’affiches, plus sale encore que Pigalle, peuplée de mendiants, d’ivrognes, de pickpockets et de flics. Avais-je forcé sur la boisson ? Après différents highballs dans différents bars (A chaque fois que je demandais un orange juice, les barmens riaient et m’apportaient un whisky. Était-ce dû à ma prononciation ?), les maisons s’étiraient haut dans le ciel. Vers Wall Street, elles se dépassaient elles-mêmes, grattant le ciel de manière vertigineuse. Je devenais au contraire de plus en plus petit, comme Gulliver à Brobdingnag et me mis à courir, jusqu’au moment où je parvins enfin au 10 Broadway, et trouvai porte close : à New York, les bureaux ferment à 5 heures. Les vespasiennes de Paris me manquaient horriblement, il n’y avait même pas d’arbres, ni de cafés.

    Ce récit de la vie d’un grand photographe révèle aussi le talent d’un vrai écrivain qui a traversé les tragédies et les espérances du XXème siècle.

    Lire aussi : « Les tribulations d’Erwin Blumenfeld 1930-1950 » au mahJ

  • Booba Robin de Bois

    Booba Robin de Bois

    On connaît le poète Booba et ses compositions romantiques (lire aussi : Les idoles de la jeunesse), on ignorait son côté Robin de Bois volant à la rescousse des gogos escroqués par les « influenceurs et influenceuses », une espèce extrêmement nuisible au développement intellectuel des citoyens.

    Nabilla est la parfaite représentante de ces VRP (voyageur représentant placier) du XXIème siècle : charcutée par la chirurgie esthétique (poitrine démesurée, lèvres refaites…) et peu gâtée par la nature en termes de neurones connectés, ex-vedette de la télé-réalité, habituée des magazines à scandales, résidante à Dubaï et prête à tenter de vendre n’importe quoi aux suiveurs des réseaux dits « sociaux » qu’elle anime (trois millions sur Twitter notamment).

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    Nabilla ou l’effondrement intellectuel d’une population

    Booba fait la une (le « buzz » comme on dit aujourd’hui) depuis plusieurs semaines sur les réseaux dit « sociaux » dans le cadre du combat qu’il mène contre ceux qu’il qualifie « d’influvoleurs ». Il s’en prend tout particulièrement à l’une d’entre elles qui dirige une entreprise mettant en rapport les sociétés commerciales et des « influenceurs » censés promouvoir leurs produits. La nunuche visée n’est probablement pas plus voleuse que ses coreligionnaires mais c’est elle qui prend. Booba, avec la délicatesse d’un rappeur musculeux dans un magasin de porcelaine attaque « l’influvoleuse » à coups de tweets vengeurs et peu délicats. Le garçon ayant 6 millions de suiveurs (contre 40 mille à sa cible) ses tweets sont relayés par ses fans qui y ajoutent souvent des insultes et parfois des menaces de mort envers la malheureuse « influenceuse ».

    Harcelée, elle et sa famille, depuis un an, elle vient de porter plainte contre la plateforme Twitter qui laisse faire le rappeur ! Booba qui harcèle une « influenceuse » sur Twitter c’est l’hôpital qui se moque de la charité. La situation serait risible si elle n’étai pas si symptomatique de l’effondrement moral de notre époque qui glorifie le vide la pensée, le narcissisme ravageur de ses acteurs, la vulgarité endémique de ses héros.

    Il ne manquerait plus que Booba et cette influenceuse soient invitées sur le plateau de Cyril Hanouna pour couronner cette affaire de si peu d’intérêt !

  • Résilience, quand tu nous tiens

    Résilience, quand tu nous tiens

    Aujourd’hui, si u ne dis pas le mot « résilience » dans une phrase, un discours ou un programme, tu as raté ta vie. Le dictionnaire en ligne Larousse définit le mot ainsi :

    Résilience – nom féminin – (anglais resilience, rebondissement)

    1. Caractéristique mécanique définissant la résistance aux chocs d’un matériau. (La résilience des métaux, qui varie avec la température, est déterminée en provoquant la rupture par choc d’une éprouvette normalisée.)

    Psychologie
    2. Aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques.

    Écologie
    3. Capacité d’un écosystème, d’un biotope ou d’un groupe d’individus (population, espèce) à se rétablir après une perturbation extérieure (incendie, tempête, défrichement, etc.).

    Informatique
    4. Capacité d’un système à continuer à fonctionner, même en cas de panne.

    En gros, être résilient c’est être capable de faire face à l’adversité, de continuer à vivre même en cas de pépin. Comme c’est un mot qui ne fait pas encore vraiment partie du langage commun, cela en jette de l’employer à tour de bras, tout spécialement dans les discours politiques, cela impressionne le populo !

    En 2021 a été lancé le Plan national de relance et de résilience (PNRR) par le ministère des finances et qui présente les investissements pour lesquels la France sollicite un financement européen à hauteur d’environ 40 milliards d’euros afin de renforcer l’efficacité des investissements et le potentiel de croissance de l’économie française. On voit bien la logique de relance : on dépense de l’argent aujourd’hui en espérant que cela rapportera demain, mais on comprend difficilement où est la résilience ?

    La même année a été promulgué la Loi climat et résilience afin d’accélérer « la transition de notre modèle de développement vers une société neutre en carbone, plus résiliente, plus juste et plus solidaire. Elle a l’ambition d’entraîner et d’accompagner tous les acteurs dans cette indispensable mutation. »

    Il existe même un Haut comité français pour la résilience nationale (HCFRN) qui est « une association loi 1901 qualifiée d’intérêt général. Par ses activités d’événementiel, de veille, d’analyse et de labellisation, l’association aide ses membres à améliorer leurs dispositifs de sécurité-sûreté, afin d’être plus résilients face aux risques et aux menaces majeurs. »

    Et il doit y en avoir bien d’autres…

  • Transition au Soudan

    Transition au Soudan

    Le galonné qui avait pris le pouvoir au Soudan lors d’un coup d’état en novembre 2021 voit sa position contestée par un autre galonné, qui faisait d’ailleurs partie de l’équipe ayant mené le putsch de 2021. Les deux galonnés s’affrontent à Khartoum, le premier à la tête de l’armée « légale », le second dirigeant une bande de mercenaires, ex-rebelles, en cours d’intégration dans l’armée officielle. Tout ce petit monde semble relativement bien armé et les combats font rage. En principe les munitions devraient se tarir assez vite, les convictions des uns et des autres s’émousser tout aussi rapidement et un vainqueur émerger sous peu.

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    Cette soldatesque s’est plutôt illustrée ces dernières années par ses crimes de guerre contre les tribus du Darfour, le trafic d’otages et celui de réfugiés, ou le pillage des ressources locales, que par son sens de la discipline et de la défense de l’Etat. On se souvient qu’une autre guerre civile à forte connotation religieuse entre les musulmans du nord et les chrétiens du sud avait amené à l’indépendance du Soudan du Sud, Etat créé de toutes pièces en 2011 au terme d’un conflit sauvage qui fit deux millions de morts. Ce nouvel Etat est quasiment en guerre civile depuis sa création. On scinde les Etats pour résoudre les guerres civiles, mais telle la division cellulaire, les guerres civiles se divisent également et se multiplient dans les nouveaux Etats tout en se maintenant dans les anciens.

    Au-delà des combats en cours qui ont tout de même fait quelques centaines de morts, dont des civils, cette montée de tension enfonce sans doute un dernier clou dans le cercueil des illusions occidentales sur la démocratisation en Afrique. Le coup d’Etat devient désormais le mode privilégié de changement de pouvoir sur le continent, largement approuvé par les pays « illibéraux » anti-occidentaux comme la Chine et la Russie qui n’arrêtent pas de ressasser que le système démocratique est minoritaire sur la planète et que le mode de gouvernance international doit maintenant évoluer en faveur de leur système autoritaire.

    General Mohamed Hamdan Daglo, Sudan’s deputy head of the Transitional Military Council, attends the signing of the constitutional declaration with protest leaders, at a ceremony attended by African Union and Ethiopian mediators in the capital Khartoum on August 4, 2019. (Photo by ASHRAF SHAZLY / AFP)

    Il n’est pas sûr qu’une telle évolution se réalise, en attendant, les réfugiés soudanais lorsqu’ils en ont la possibilité choisissent plutôt la route vers l’Occident que celle vers la Chine ou la Russie…