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  • Le partage de la valeur

    Le partage de la valeur

    Avec un bel ensemble, les politiques et les journalistes se prennent les pieds dans le tapis en mélangeant les termes de « partage de la valeur » et de « partage de la valeur ajoutée » alors qu’ils pensent au « partage des bénéfices ». Il leur faut relire Marx qui a longuement délayé ce sujet dans le premier tome du « Capital » ainsi que « Salaire, prix et profit » du même auteur. Ces réflexions décousues sont renforcées ces derniers temps par la publication des résultats 2022 très significatifs publiés par les compagnies liées au secteur énergétique, tous semblant s’étonner que lorsque que les prix augmentent, en principe, les bénéfices suivent.

    Alors les idées fusent pour taxer ces profiteurs et mieux répartir « la valeur » on ne définit pas ce que cette « valeur » que l’on veut partager entre les salariés et les actionnaires, les premiers apportant leur force de travail et les seconds leurs sous. En réalité, les salaires versés aux salariés font partie de la valeur ajoutée dont une définition simple est [Valeur ajoutée = Valeur de la production – Coûts intermédiaires]. En français cela signifie que la valeur ajoutée est composée de toutes les charges de l’entreprise moins ce qu’elle achète à l’extérieur, elle comprend donc bien les salaires payés aux salariés mais pas les dividendes rétribuant les actionneurs apporteurs de capitaux. Dans le partage de la « valeur ajoutée » le salarié a beaucoup et l’actionnaire n’a rien.

    En revanche, dans le « partage des bénéfices », l’actionnaire reçoit des dividendes, le cas échéant, et le salarié peut recevoir une participation si son employeur est éligible au processus « d’intéressement/participation » mis en place en France sous le Général de Gaulle et consistant à octroyer aux salariés une répartition du bénéfice (la participation), s’il y a bénéfice bien entendu, ce qui s’assimile aux dividendes versés aux actionnaires, et un bonus dépendant de l’atteinte d’objectifs (l’intéressement) qui est comparable à un supplément de salaire.

    Les partenaires sociaux viennent de convenir d’élargir les entreprises éligibles à l’intéressement/participation qui devraient désormais bénéficier à plus de salariés. Les syndicats ouvriers les plus à gauche ne sont pas d’accord car ils privilégient l’augmentation des salaires qui est plus automatique que le versement d’un intéressement et d’une participation qui est conditionné à l’atteinte d’objectifs pour le premier et à la réalisation d’un bénéficie pour le second. Marx indiquait d’ailleurs que si une entreprise réalise un bénéfice c’est donc qu’elle sous-paye les travailleurs… la position des syndicats de la gauche dure intègre ce principe !

    En résumé quand on parle de partage de valeur dans l’entreprise entre les salariés et les actionnaires, il faut mettre dans la balance aussi les salaires déjà versés aux salariés. Ensuite, il n’est pas interdit de partager les bénéfices, ou d’améliorer ce partage lorsqu’il existe déjà. C’est ce qui est en train de se mettre en place en France et c’est aussi bien.

  • L’armée française a quitté le Burkina Faso

    L’armée française a quitté le Burkina Faso

    L’armée française a annoncé avoir terminé le repli de sa troupe du Burkina Faso à la suite de la dénonciation par ce pays de l’accord de défense le liant à la France. C’est une bonne chose, les troupes françaises et les économies budgétaires ainsi réalisées pourront être utilement redéployées sur des terrains plus en rapport avec les intérêts de la France et de ses citoyens. Il reste maintenant à poursuivre ce repli des militaires français de l’Afrique de l’Ouest où subsistent encore des bases, notamment au Niger et en Côte d’Ivoire.

    Cela devrait se faire assez naturellement désormais. Le ministre français de la défense vient d’ailleurs de faire une visite à Abidjan le 20 février et de convenir d’une « réarticulation » (signifiant « réduction » en français) du nombre de soldats français stationnés dans ce pays, 950 à ce jour. Le journal Le Monde a rapporté ses propos :

    L’armée de Côte d’Ivoire n’a rien à voir aujourd’hui avec celle d’il y a dix ans […] Cela fait de la Côte d’Ivoire un pays de stabilité dont le rôle de puissance d’équilibre régionale s’établit de plus en plus.

    Peut-être le ministre français croie à ses propos, peut-être pas. Le mieux à faire est effectivement de tester ce « rôle de puissance d’équilibre » et de laisse la Côte d’Ivoire face à son destin.

    Ce même journal Le Monde informe que les Etats-Unis d’Amérique auraient proposé en décembre 2022 à la République Centrafricaine (RCA) de former son armée et d’accroître son aide humanitaire en échange du renvoi des mercenaires russes de la milice « Wagner ». Ceux-ci assurent non seulement la protection rapprochée du président centrafricain mais sont investis dans l’économie du pays qui leur a délégué, non seulement l’exploitation de mines de métaux et quelques autres activités économiques, mais aussi le contrôle des douanes locales qui sont la principale source de revenus publics dans ce genre de pays.

    Cette proposition américaine est raisonnable car la transformation de ces pays en Etats mafieux présente un risque pour le continent et même pour l’Occident, mais elle est vouée à l’échec tant ce pays a fait la preuve de son incompatibilité avec toutes normes minimales de gouvernance. Il est hélas à craindre que le gouvernement centrafricain continue de faire affaire avec la milice Wagner ou d’autre forbans du même acabit, qui seuls sont en mesure de s’adapter aux pratiques de la RCA. Les Etats libéraux et démocratiques, et même l’ancienne puissance coloniale, se sont révélés impuissants à comprendre et à collaborer avec ce pays. Une nouvelle tentative des Etats-Unis devrait connaître le même sort. C’est regrettable mais faut-il insister pour tenter une nouvelle fois d’accompagner la RCA sur une voie qu’elle ne veut pas prendre ?

  • La Russie vue par Michel de Saint Pierre en 1967

    La Russie vue par Michel de Saint Pierre en 1967

    Relire l’essai de Michel de Saint Pierre (1916-1987) « Le drame des Romanov » est intéressant. Il fut un écrivain prolifique de XXème siècle, ancien résistant, plutôt conservateur, un peu « catho-tradi », un peu « Algérie française », anti-communiste féroce, tombé aux oubliettes depuis. Il n’en demeure pas moins l’auteur de nombre de romans, essais, dont on a parlé à l’époque. Le « Drame des Romanov » n’est sans doute pas un livre historique au sens scientifique du terme mais le récit d’un écrivain passionné par la Russie et fasciné par le destin tragique de cette famille de tsars qui l’a dirigée d’un main de fer.

    Dans le premier chapitre, Saint Pierre trace un sentiment global de ce qu’est « l’âme russe » en citant certains auteurs russes. Certaines d’entre elles sont édifiantes à la lumière de la guerre d’Ukraine menée aujourd’hui par Moscou.

    Le Russe a toujours besoin de dépasser la mesure, d’arriver au précipice, de se pencher sur le bord pour en explorer le fond et souvent même s’y jeter comme un fou. C’est le besoin de la négation chez l’homme le plus croyant, la négation de tout, la négation des sentiments les plus sacrés, de l’idéal le plus élevé, des choses les plus saintes de la patrie. Aux heures critiques de sa vie personnelle ou de sa vie nationale, le Russe de déclare avec une précipitation effrayante pour le bien ou pour le mal.

    Dostoïevski (Journal d’un écrivain)

    Une définition des Romanov :

    Dans la maison des Romanov comme dans celle des Atrides une malédiction mystérieuse passe de génération en génération. Meurtre sur adultère, du sang sur de la boue, « le cinquième acte d’une tragédie jouée dans un lupanar », Pierre 1er tue son fils, Alexandre 1er tue son père, Catherine II tue son époux. Et, parmi ces victimes célèbres, les petits, les inconnus, les malheureux avortons de l’autocratie, dans le genre d’Ivan Antonovitch, étranglés comme des souris dans les recoins obscurs, dans les cachots de Schlusselbourg. Le billot, la corde, le poison, tels sont les vrais emblèmes de l’autocratie russe. L’onction de Dieu sur le front des tsars s’est transformée en la marque et la malédiction de Caïn.

    Merejkowski (écrivain et critique littéraire russe 1865-1941)

    La Russie, un empire nihiliste qui respecte ses traditions malgré le temps qui passe.

  • « Les tribulations d’Erwin Blumenfeld 1930-1950 » au mahJ

    « Les tribulations d’Erwin Blumenfeld 1930-1950 » au mahJ

    Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) expose Erwin Blumenfeld (1897-1969), devenu photographe un peu par hasard à défaut d’avoir su faire propérer le business familial au décès de son père en 1918. Né à Berlin dans une famille bourgeoise juive il va être balloté en Europe au gré de la première guerre mondiale et de la montée du nazisme, avant de se réfugier aux Etats-Unis d’Amérique en 1941 avec sa femme et leurs trois enfants, échappant sans doute ainsi au sort funeste de nombre de ses coreligionnaires.

    C’est au début des années 1930 qu’il devient photographe. Il expérimente des procédés novateurs de solarisation, réticulation, surimpression. Avant son émigration outre-Atlantique il se spécialise dans le nu féminin. Avec l’avènement d’Hitler au pouvoir en 1933 il réalise quelques compositions marquantes du dictateur allemand ajoutant à son portrait des surimpressions de svastikas, de cranes ou de larmes de sang. En tant qu’étranger allemand, il est interné avec sa famille dans des camps par le régime français et il y réalisera des reportages marquants. De même lors de son voyage vers les États-Unis qui est interrompu par une longue escale au Maroc. Ses enfants restent ses sujets préférés au cours de cette errance et sa fille aînée deviendra même son assistante dans son studio de New York.

    Aussitôt installé dans cette ville refuge où il avait déjà travaillé entre les deux guerres, il devient le photographe fétiche des grands magazines de mode comme Vogue et Harper’s Bazaar et se lance dans la photographie en couleur. Son inventivité lui fait signer quelques couvertures devenues iconiques comme celle-ci datant de 1950 :

    Le mahJ, magnifiquement installé dans un vaste hôtel particulier de la rue du Temple, expose avec à-propos le parcours de Blumenfeld que les tragiques évènements des années 1930-1940 n’ont jamais éloigné de sa vocation de photographe, alternant des tirages accrochés par ordre chronologiques et des notices historiques des différentes étapes et créations de cet artiste-photographe de premier ordre.

  • « Le retour des hirondelles » de Li Ruijun

    « Le retour des hirondelles » de Li Ruijun

    Ce film du réalisateur chinois Li Ruijun nous montre la Chine rurale, plus proche du moyen-âge que de l’agriculture moderne, à travers le parcours émouvant d’un couple réuni par un mariage arrangé, tous deux méprisés par leurs familles respectives plus tournées vers la recherche de la prospérité que du bonheur conjugal de leurs enfants… Elle a été battue comme plâtre dans son enfance ce qui l’a rendue incontinente, lui est attaché à son âne qui l’aide de la cuture de son petit lopin de terre. Nous sommes au bout du monde, le village est entouré de dunes de sable et voit progressivement la ville arriver vers lui, celles des immeubles « modernes » où l’Etat veut reloger les paysans après avoir détruit leurs cahutes en terre séchée, celle des Chinois avides d’enrichissement qui souhaitent mettre fin au mode de vie ancestral des paysans. Comment les urbains peuvent-ils comprendre l’attention portée par le coupe aux nids d’hirondelles accrochés aux murs de leurs cabanes ?

    Il ne se passe pas grand-chose durant ce long métrage de deux heures quinze qui défile au gré des quatre saisons d’une année ponctuée par les semences, la plantation, la récolte, la vente de celle-ci et le remboursement des dettes. Pas grand-chose sinon l’apparition de la tendresse qui naît entre ces deux êtres rebus d’une société chinoise qui les abandonne. Tout ceci ne se termine pas très bien pour eux et l’on comprend mieux pourquoi la diffusion de ce film a été brutalement interrompue en Chine. Même si non officiellement censuré, il se dit que le pouvoir chinois n’a pas apprécié l’image qui lui est ainsi attribuée d’abandonner son peuple rural dans la misère.

    On peut imaginer que les situations décrites dans ce film sont réelles, au moins dans certaines régions du pays. Elles ont existé en Europe et la transition vers la modernité ne s’y est pas non plus faite sans douleur.

    Au-delà de la traditionnelle opposition villes/campagnes, ce film est émouvant en ce qu’il traite de la tendresse entre deux personnes défavorisées, qui leur apporte le réconfort dans une vie de labeur et de misère. Il faut être patient devant ce film lent et méditatif, mais la patience est récompensée.

  • A Chartres

    A Chartres

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    Voir aussi : Chartres
  • John Cale – 2023/02/14 – Paris Salle Pleyel

    John Cale – 2023/02/14 – Paris Salle Pleyel

    L’indestructible John Cale est de retour à Paris. Né au Pays de Galles en 1942, il vient de sortir un nouveau disque à 80 ans : Mercy, et en assure la promotion à l’occasion de cette tournée. Entouré de trois musiciens (guitare, bass et batterie) c’est désormais un « vieux » monsieur qui se produit sur scène. La démarche un peu claudicante, habillé d’une tunique noire, il passe le concert derrière un clavier. Il ne joue ni de son alto, ni de ses guitares, mais uniquement de sa voix toujours bien assurée sur sur ses touches.

    Le concert pioche dans l’incroyable catalogue de cet artiste qui a signé des dizaines de disques, de bandes originales de films, de collaborations multiples avec des musiciens aussi variés qu’Iggy Pop ou Agnes Obel, en passant par Lio. Il a également produit deux albums de légende : The Stooges d’Iggy Pop & the Stooges et Horses de Patti Smith.

    Mais John Cale, c’est d’abord le cofondateur Velvet Underground en 1965 avec l’ami maléfique Lou Reed, sous la houlette d’Andy Warhol dans sa Factory new-yorkaise, un groupe fondateur du rock du XXème siècle qui influe toujours aujourd’hui nombre de groupes. De formation académique, il était le musicien du Velvet dans lequel Lou était le magicien des mots. Il s’était même initié à la musique contemporaine en croisant John Cage ou La Monte Young avant de rencontrer Lou Reed et de découvrir le monde du rock, et tous ses excès…

    Cale est expulsé du Velvet Underground en 1968 après d’incessants conflits avec Lou Reed, le tout dans un délire d’égos et de drogues en tous genres. Le groupe sera dissous peu après et chacun poursuivra des routes fructueuses et créatives dans le monde du rock. Ils se retrouveront à différentes occasions : une reformation éphémère pour une tournée du Velvet en 1993, un disque Song for Drella en hommage à Andy Warhol en 1990, notamment. Lou est mort en 2013, John est toujours sur la route.

    Le concert s’ouvre sur un morceau de 2006 Jumbo in tha Modernworld, une histoire improbable d’animaux de la jungle qui déjeunent ensemble sous les arbres mais semblent rencontrer quelques difficultés à s’intégrer dans le monde moderne. Le groupe se met en jambe, la voix de John est un peu tirée dans les aigues lorsqu’il imite le cri du singe dans le refrain. Sur le grand écran de fond de scène sont diffusées des images en ombres chinoises où tournoient des mobiles façon Calder. Puis est enchaîné un extrait de Mercy, Moonstruck (Nico’s Song), dédié à Nico. Sa tête est affichée en double sur l’écran, les deux faces se regardant, régulièrement déformées par un rictus composé sur un film de 10 secondes repassé à l’infini. Egérie du Velvet, créature d’Andy, mannequin allemande, elle passait par là s’est retrouvée chanteuse sur le premier disque du groupe après en avoir ensorcelé les membres. John Cale, qui l’a aimée, accompagnera la suite de sa carrière musicale comme producteur et musicien sur ses différents albums.

    You’re a moonstruck junkie lady
    Staring at your feet
    Breathing words into an envelope
    To be opened on your death
    Moonstruck (Nico’s Song)

    Bien que les nouvelles compositions n’aient plus grand-chose à voir avec le Velvelt Underground, la dédicace à Nico est le rappel de cette période fondatrice de la vie de Cale et de l’histoire mondiale du rock.

    Le concert se poursuit en abordant des morceaux bien sombres. Sur Wasteland, une histoire de terrain vague, de fantômes du passé, d’éléments hostiles… seuls « ses » bras (sans doute ceux de l’être aimé) réconfortent le narrateur dans l’obscurité. Le groupe laisse libre cours à son imagination et sort des sentiers battus de l’harmonie. Les sons dissonent, les larsens envahissent l’espace, des bruits étranges s’échappent des enceintes, les musiciens s’affairent sur leurs machines, le bassiste sort un archer… sur l’écran des insectes s’affairent sur une surface plane puis sont remplacés par une femme anorexique qui marche sur une plage en montrant ses membres et son torse d’une maigreur cadavérique. Ambiance…

    D’autres chansons sont moins tragiques mais l’atmosphère musicale délivrée par John Cale n’est pas portée par une grande joie de vivre, c’est le moins que l’on puisse dire. Qu’importe, il est un survivant d’une page de la musique qui est en train de se refermer. Il affiche un petit sourire sous sa chevelure uniformément blanchie, celui d’un musicien qui en a tant vu et qui a su nous faire partager tant de ses émotions et inspirations.

    Une chanson en rappel : Heartbreak Hotel, une reprise d’Elvis Presley.

    Setlist : Jumbo in tha Modernworld/ Moonstruck (Nico’s Song)/ Rosegarden Funeral of Sores/ Mercy/ Night Crawling/ Pretty People/ Wasteland/ Guts/ Noise of You/ Cable Hogue/ Half Past France/ Villa Albani

    Encore : Heartbreak Hotel (Elvis Presley cover)

    Warmup : HSRS

    Lire aussi : John Cale – 2011/10/17 – Paris la Maroquinerie & John Cale – 2005/10/06 – Paris le Café de la Dance
  • Tic verbal compulsif

    On ne dit plus : « le gouvernement accepte de dépenser plus d’argent public pour contenir la colère du peuple » mais :

    Le gouvernement procède à un bougé.

    Le dictionnaire Larousse en ligne donne la définition suivante du « bougé » :

    Mouvement de l’appareil de prise de vue au moment du déclenchement, qui produit une image plus ou moins floue.

    On dirait que l’emploi de ce terme « bougé » en politique vient d’être inventé par l’actuelle majorité au pouvoir. On se demande à quoi cela sert ? Le dictionnaire de la langue française n’est-il pas suffisamment riche pour éviter d’avoir à détourner le sens des mots ?

  • « Senghor et les arts – réinventer l’universel » au Musée du Quai Branly

    « Senghor et les arts – réinventer l’universel » au Musée du Quai Branly

    Le musée du Quai Branly, ex-musée des Arts Premiers, produit une intéressante exposition sur Léopold Sédar Senghor (1906-2001), homme d’Etat, poète, d’abord Français sous la colonisation puis Sénégalais après l’indépendance de ce pays acquise en 1960. Comme un certain nombre de leaders africains pré-indépendance qui avaient accepté le principe de rester loyal à la France et d’entériner celui de l’Union française, il sera élu député de l’assemblée nationale à Paris puis nommé ministre sous la IVème République. Il mène en parallèle son œuvre de poète et d’écrivain engagé.

    Avec Aimé Césaire il définit le concept de négritude et œuvre pour la reconnaissance d’une culture « noire » et l’avènement d’une civilisation de l’universel aux valeurs métisses. Elu à la tête du nouvel Etat du Sénégal il est un président qui investit dans la culture, plus que tout autre Etat africain, comme source de l’émancipation de son peuple. Il lance nombre d’initiatives en ce sens : création du Musée Dynamique de Dakar, organisation du premier Festival mondial de l’Art nègre en 1966, ouverture de différentes écoles de formation dédiées à l’enseignement artistique au Sénégal. Dans le même temps il poursuit le dialogue des cultures avec l’Occident, et même avec l’ancienne puissance coloniale. Il fait notamment exposer et venir à Dakar Picasso et Soulages.

    Le musée Quai Branly retrace les nombreuses actions de cet humaniste qui a parié sur l’harmonie des cultures comme mode de gouvernement. Sont exposés également ses recueils de poèmes magnifiquement illustrés par Chagall. Il a fait de son pays un havre de paix et de démocratie au cœur d’une Afrique de l’ouest dont la plupart des pays nouvellement indépendants ont choisi des voies plus radicales, celle du communisme, de la dictature ou des deux à la fois. Depuis sa démission de la présidence du Sénégal en 1980, le pays est resté libre et l’influence du père fondateur y est certainement pour beaucoup. Il n’est pas sûr que la jeunesse sénégalaise lui en soit tellement gré aujourd’hui tant l’Afrique contemporaine a majoritairement opté pour la radicalité et le rejet de toute compromission avec l’ancienne puissance coloniale. Senghor était le parangon d’une décolonisation douce et d’une transition apaisée assise sur le partage des cultures. Il était un homme du XXème siècle, il a échoué à convaincre les autres puissances africaines d’adopter sa vision politique et poétique mais lorsqu’on voit l’état dans lequel se débattent aujourd’hui les pays d’Afrique de l’ouest, les jeunes Sénégalais pourraient lui être reconnaissants de vivre dans un pays relativement calme et démocratique.

  • « Tel Aviv Beyrouth » de Michale Boganim

    « Tel Aviv Beyrouth » de Michale Boganim

    De l’occupation du Sud-Liban par Israël entre 1985 et 2000, à la prise d’otages de soldats israéliens dans les années 2000, le film nous fait rencontrer deux familles entremêlées et déchirées par ces guerres : l’une libanaise-chrétienne, l’autre israélienne-juive. Des liens sont créés lors de la présence des l’armée au Sud-Liban qui est soutenue par les milices chrétiennes ayant le même objectif : vaincre le Hezbollah, milice musulmane. Ils vont perdre face à la puissance de leur ennemi commun. Au départ soudain de l’armée israélienne du Sud-Liban en 2000, une partie de la famille libanaise les suit un peu piteusement par crainte de l’épuration qui s’annonçait (et qui s’est effectivement produite).

    Et c’est par les yeux de la mère israélienne et de la fille libanaise que l’on vit l’après, au milieu des affrontement entre Israël et le Hezbollah qui perdurent plus ou moins sporadiquement. La première part à la recherche de son fils engagé dans l’armée israélienne alors que deux soldats israéliens viennent d’être pris en otage, la seconde, exilée depuis des années en Israël, sans espoir de retour, assiste à la lente déchéance de son père qui a combattu aux côtés du mari de sa compagne d’escapade. Sa sœur est restée au Liban et elles peuvent communiquer à travers le grillage de la frontière…

    Un lien étrange et, finalement, affectueux se tisse entre elles dans cet environnement de haine et de séparation, de mort et de destruction. La frontière entre leurs deux pays est hermétiquement fermée et seul le destin les a rassemblées du même côté de la barrière que seuls les cercueils ont le droit de franchir. La réalisatrice aborde le drame de ces guerres civiles avec leur cortège de choix sans retour, de règlements de compte, d’exil… On peur sans difficulté s’imaginer qu’il se passe la même chose dans la guerre d’Ukraine, envahie par la Russie comme Israël est entré au Liban, où les uns soutiennent la Russie et les autres la combattent. D’ailleurs, la réalisatrice Michale Boganim, est israélienne d’origine maroco-ukrainienne, ayant grandi en Israël jusqu’à l’âge de 7 ans avant de suivre sa famille émigrée en France. Elle avait réalisé un très intéressant documentaire sur son exil :

    Lire aussi : « Mizrahim, les oubliés de la terre promise » de Michale Boganim

    Cette histoire de quête du fils fait tristement penser au roman de David Grossman « Une femme fuyant l’annonce », le drame des fils qui partent faire leur devoir laissant leurs mères désemparée et seules face à un destin tragique.

  • Les restes de la manif

    Les restes de la manif

    Les immeubles boulevard Port Royal après le passage de la manifestation contre la réforme des retraites du 31 janvier.

  • BOUAZIZ Pascal, ‘Leonard Cohen’.

    BOUAZIZ Pascal, ‘Leonard Cohen’.

    Sortie : 2021, Chez : Editions Gallimard, collection Hoëbeke.

    Pascal Bouaziz, musicien, auteur-compositeur, poète, est un inconditionnel de Leonard Cohen dont il connait la vie et l’œuvre sur le bout des doigts. Il choisit dans ce livre de revenir sur dix caractères de cet artiste éternel : l’éternel étranger, le séducteur, le juif errant, le déprimé, etc. Ce n’est pas une biographie mais une plongée dans la personnalité de cet étrange créateur illustrée de magnifiques photos de Leonard.

    L’écriture est sensible, les mots sont documentés, les petites histoires racontées sont souvent déjà des classiques, mais qu’importe, on aime bien les relire. Mais surtout, Bouazic rentre dans les textes des chansons-poèmes de Cohen ce que, par paresse, le spectateur non anglophone ne fait pas assez, et les restitue dans le contexte de la vie de l’artiste.

    Un très joli livre pour nous rappeler combien Leonard Cohen fut un artiste important de son époque et combien ses mots peuvent continuer à nous inspirer.

  • L’Ukraine et le Brexit

    L’Ukraine et le Brexit

    Le président ukrainien fait une visite surprise au Royaume Uni pour remercier Londres très engagée dans le soutien de Kiev sous tous ses aspects. L’aspect ironique de ce déplacement est que l’Ukraine fait le forcing pour intégrer l’Union européenne quand le Royaume Uni vient d’en claquer la porte avec fracas. Même si certains sondages semblent indiquer que les citoyens britanniques se demandent s’ils ont pris la bonne décision, on aimerait connaître ce que le premier ministre anglais a dit au président ukrainien sur sa demande d’adhésion à l’Union ?

  • Les experts de plateaux télévisés

    Les experts de plateaux télévisés

    Dans la guerre d’Ukraine l’armée russe semble reprendre du poil de la bête. Alors que les « experts » de plateaux télévisés l’avait déjà enterrée après la contre-offensive ukrainienne plutôt victorieuse de l’été dernier, ils sont en train d’avaler leurs képis et, finalement, d’admettre du bout des lèvres que la soldatesque russe dispose encore d’une certaine capacité de nuisance contre l’Ukraine et l’Occident. Outre l’inquiétude de voir cette guerre encore perdurer, cela pose la question de la crédibilité de la presse télévisuelle française quasi-unanimement pro-ukrainienne et antirusse. Les généraux en retraite qui peuplent les plateaux, experts d’un jour à fort égo, généralement formés à l’ombre de la guerre froide et de l’anticommunisme, dévident à longueur de programmes des banalités et des certitudes sur les sujets militaires pour lesquels ils ne sont évidemment pas dans le secret des opérations.

    D’une façon plus générale il est des sujets qu’il ne fait pas bon aborder en ce moment sous peine d’être taxé d’être un « munichois », un défaitiste voire un traître. L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne qui va entraîner des révisions déchirantes pour les pays fondateurs, la cohabitation future avec une Russie génétiquement anti-occidentale, les coûts de la reconstruction qui vont s’accroissant à chaque jour de guerre qui passe, les accords de Minsk qui n’ont jamais été appliqués par les parties mais qui restent probablement un bon plan de départ pour une future négociation, la volonté occidentale d’éviter de mettre les doigts dans une guerre directe avec la Russie pour éviter une guerre mondiale… tous ces sujets sont globalement interdits pour le moment. Ils reviendront sur le devant de la scène forcément un jour.

    En attendant la guerre continue et les experts de plateaux télévisés n’ont guère de solution à proposer si ce n’est la victoire militaire totale de Kiev qu’ils estiment, dans la phrase suivante, peu probable. Quelques voix plus politiques, comme celles de l’ex-ambassadeur Araud ou l’ancien ministre Lelouche écrivent des articles pour dire qu’il est temps maintenant de parler paix pour arrêter une guerre ravageuse initiée par le clan au pouvoir au Kremlin, et même envisager des compromis pour ce faire avec l’éternel ennemi : la Russie. Ils sont plutôt ostracisés, voire insultés, sur les plateaux d’experts qui certifiaient encore il y a deux mois que la Russie avait perdu la guerre.

    Malgré tout il faut bien arrêter cette guerre qui dévaste les hommes… et les budgets. Le concept d’’autodétermination des peuples pourrait être mis en œuvre pour les régions contestées dans un cadre légal international comme proposition pur mettre fin aux hostilités ? Le modèle appliqué par la France en Nouvelle Calédonie pourrait être un exemple à suivre. Quelle que l’issue de la guerre d’Ukraine, la Russie restera une puissance maléfique qui n’aime pas l’Occident. Il faudra en tenir compte pour quelques siècles dans le futur avant, peut-être, de pouvoir une relation « normale » entre voisins.

  • Le misérabilisme érigé en mode de pensée

    Le misérabilisme érigé en mode de pensée

    Le débat en cours sur le projet de loi visant à repousser l’âge légal pour faite valoir ses droits à la retraite et à augmenter le nombre minimum de trimestres cotisés pour ce faire illustre ad nauseam le drame du misérabilisme érigé en mode de pensée. L’essence de la réforme étant de faire travailler les citoyens plus longtemps, ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour nombre d’entre eux. Leur principale argumentation consiste à citer le cas du « cariste » ou de la « femme de ménage » qui ont travaillé dans des conditions physiques difficiles toute leur vie et qui ne peuvent pas envisager de travailler plus longtemps que l’actuel âge légal de 62 ans. Certes, et personne ne le conteste. Des conditions spécifiques de « pénibilité » et de « carrière longue » sont prévues pour permettre de prendre en compte ces cas particuliers mais il n’en reste pas moins que nombre des citoyens mènent des carrières qui leur permettent sans difficultés physiques de poursuivre deux années de plus comme envisagé dans le projet de loi. Ceux qui partent en retraite en ce moment ont démarré leur carrière alors que l’âge légal de départ était de 65 ans, comme d’ailleurs pour la génération précédente. Ils ont vu cet âge légal baisser à 60 ans en 1983 (pouvoir socialiste) puis repasser à 62 ans en 2010 (gouvernement conservateur) et il est probable que leurs enfants vont le voir repasser à 64 sous peu, en attendant d’autres éventuels relèvements.

    Cette question du misérabilisme revient à se demander, dans le cas d’espèce, si une réforme des retraites doit être formatée pour répondre aux besoins des plus défavorisés ou si elle doit répondre aux besoins moyens et prévoir des exceptions pour les cas particuliers. Les partis d’opposition, y compris ceux de droite, répondent « oui » au premier terme de l’équation, ceux actuellement au pouvoir optent pour la vision moyenne. C’est un peu une question de philosophie politique.

    Le plus comique est de voir aujourd’hui le parti Les Républicains (LR) qui avait fait ses campagnes électorales 2022 présidentielle et législative sur la base d’un âge légal à porter à 65 ans, se battre aujourd’hui pour baisser cette limite, déjà proposée à 64 ans et obtenir d’autres assouplissements à cette réforme qu’il qualifie de « brutale ». Plus des concessions financières sont faites aujourd’hui et plus la prochaine réforme des retraites devra intervenir dans un futur proche. Les prochaines majorités parlementaires auront à gérer la suite.

  • WOOLF Virginia, ‘Mrs Dalloway’.

    WOOLF Virginia, ‘Mrs Dalloway’.

    Sortie : 1925, Chez : Le Livre de Poche.

    Un roman délicat consacré à une plongée dans la vie de Mrs Clarissa Dalloway à Londres dans les années 1920. Grande bourgeoise, fréquentant la haute société anglaise, elle se lève le matin, sort acheter des fleurs, avec en tête les derniers préparatifs de la réception mondaine qu’elle organise en soirée. En sa compagnie nous allons parcourir ses souvenirs, ses fréquentations, la ville de Londres, bref, un portrait de l’Angleterre aristocratique post-première guerre mondiale.

    Il ne se passe pas grand-chose dans cette histoire où le style sophistiqué de Mme. Woolf permet de donner vie à une multitude de petits détails sans importance sur lesquels elle brode son histoire. Comme si de rien n’était elle aborde en passant certains de ses sujets de prédilection : l’attirance entre femmes, le suicide… Elle passe d’un personnage à l’autre, les évoque aujourd’hui et dans leur passé. Mrs Dalloway est au centre du livre mais n’en est pas la narratrice. Elle croise tous ces personnages dans la rue, décrit ce qu’elle sait de leurs sentiments et leurs pensées, parfois démentie un peu plus loin par la vérité dispensée par la narratrice, et le roman saute des uns aux autres.

    Tous ce beau monde se retrouve le soir à la réception, avec ses accointances, ses haines, ses souvenirs croisés, sauf Septimus qui s’est jeté de sa fenêtre quelques heures plus tôt, dans un accès aigu de dépression. En décrivant par le menu détail leurs comportements et leurs habitudes, leur rigidité aussi, celle d’une époque révolue, elle nous fait pénétrer avec délice le monde élitiste de cette bourgeoisie de haut-vol, sans doute avec un peu d’ironie, très certainement avec beaucoup de perspicacité.

  • Indécent

    Indécent

    Le débat sur le projet de loi visant à repousser l’âge légal pour faite valoir ses droits à la retraite, et à augmenter le nombre minimum de trimestres cotisés pour ce faire, a démarré à l’assemblée nationale dans un chaos indécent largement mené par l’extrême gauche mais sans doute observé avec malice et intérêt par les autres partis d’opposition. Et les députés y vont de leurs claquements de pupitres, hurlements et beuglements, interruptions et interjections, effets de manche et claquements de porte… bref, tous les artifices usés sur les bancs par des générations de députés continuent à être mis en œuvre par des irresponsables, dont les salaires et accessoires sont payés par les contribuables et qui remplissent fort mal le job pour lequel ils sont rémunérés.

    Alors évidement tout le monde rappelle que ce genre de comportements de gamins morveux mal élevés a toujours été pratiqué et que, parfois, les injures et noms d’oiseaux volaient bas sous les IIIème ou IVème Républiques. Certes, mais probablement la hauteur de vue de Jaurès, Clémenceau, Blum ou Simone Veil n’avait guère à voir avec celle de Mathilde Panot ou d’Olivier Faure, mais est-ce une raison pour se satisfaire de la médiocrité affichée aujourd’hui par nos élus ? Certainement non mais, hélas, ces élus sont l’image de la société qui les a élus.

    Nos enfants vont devoir travailler plus longtemps pour gagner leur retraite, ils vont aussi avoir la tâche vitale de redresser le niveau du pays et des ses élus, en voie de crétinisation avancée. C’est maintenant une question de survie pour la Nation.

  • La Collection de l’Art Brut de Lausanne

    La Collection de l’Art Brut de Lausanne

    Montée à partir de 1945 par le peintre Jean Dubuffet (1901-1985), cette collection est constituée d’œuvres réalisées généralement par des patients atteints de maladies psychiques, hospitalisées ou pas, sous forme de dessins, de peintures, de sculptures. Une partie de celles-ci sont exposées, complétées par l’exposition temporaire « Art Brut et Bande Dessinée » au rez-de-chaussée.

    Les œuvres retracent souvent les obsessions de leurs auteurs, mais n’est-ce pas le propre d’une création artistique ? Elles sont abordables et, le cas échéant, expliquées par une guide locale ou quelques lignes sur un présentoir. Un parcours intriguant !