Retour sur le pouvoir maoïste au Cambodge

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Une série de passionnantes émissions sur France Culture accompagne le café du matin depuis plusieurs jours : l’Histoire des quatre années Khmères rouges au Cambodge entre 1975 et 1979, ou comment ce régime est arrivé au pouvoir, l’a exercé, l’a plus ou moins quitté et n’a toujours pas rendu compte du massacre d’un tiers de sa population en relativement peu de temps. Il s’est agi de la mise en œuvre de la Vraie Révolution, telle que même Mao l’a rêvée sans arriver à l’appliquer en Chine. La Révolution pure !

Ces quatre années dépassent l’entendement : la ville de Phnom Penh vidée de ses deux millions d’habitants le jour de sa libération par les Khmers rouges (2 millions d’habitants expulsés en une journée !!!), le peuple ancien composé des bons paysans et le peuple nouveau des mauvais citadins pollués par l’Occident. Tout ce petit monde envoyé dans les rizières, l’esclavage, la famine, les camps de rééducation, les millions de morts, l’Organisation Angkar, anonyme et toute puissante (pendant les deux premières années le nom des dirigeants du pays restera inconnu, une première dans la diplomatie internationale !) décide de tout. La fermeture totale du Royaume à toute influence externe en dehors de la Chine qui ne ménage pas son soutien à cette expérience révolutionnaire et qui accueille d’ailleurs le prince Sihanouk quelque peu dépassé par les évènements.

L’aveuglement du reste du monde, médias comme politiques, personne n’a cru à ce qui se passait : le massacre idéologisé et industrialisé des cambodgiens par d’autres cambodgiens, fomenté par une clique maoïste, en partie formée par l’Université française (Khieu Samphan a soutenu sa thèse à la Sorbonne dans les années 50, détaillant grosso modo le programme polico-économique qu’il mettra en œuvre avec L’Angkar) germé sur le fumier de la guerre civile et des guerres sud-asiatiques attisées par l’Occident en lutte contre le communisme.

C’est le Vietnam, ennemi historique du Cambodge, qui mettra fin à l’expérience sanglante. Du coup, la Chine et les Etats-Unis, ennemis historiques du Vietnam soutiendront longtemps la représentation Khmer rouge à l’ONU pour éviter d’y accueillir un représentant cambodgien provietnamien ! Grandeur et décadence de la politique internationale.

Le plus incroyable est que le pouvoir actuel provietnamien reste plus ou moins issu du régime Khmer rouge et que cela ne dérange personne. Ieng Sary et Khieu Samphan, Frères n° « 3, 4 ou 5 » de l’Angkar coulent des jours paisibles à Phnom Penh en assistant goguenards à la constitution d’un Tribunal international pour juger les crimes contre l’Humanité Khmers rouges, jugement dont personne ne veut, ce qui laisse douter de la tenue d’un procès avant la disparition des derniers protagonistes vivants. Jacques Vergès est bien entendu déjà sur les rangs pour défendre Khieu Samphan… En attendant, le peuple Khmer vaque à ses occupations et gère ses traumatismes. Dans les campagnes, comme au Rwanda, les anciens tortionnaires cohabitent avec les survivants, sans trop de problèmes semble-t-il.

Cette Histoire est proprement incroyable, et tout se passait dans les années 70, si près. La seule leçon à en tirer : livré à lui-même, laissé à la merci de l’idéologie et sans contrôle démocratique, l’Homme laisse libre cours à sa noirceur et n’est pas capable de réfréner ses ambitions de domination et ses instincts sanguinaires. C’est malheureusement un axiome confirmé quel que soit le continent.

Depuis le régime cryptocommuniste au pouvoir a rétabli une république populaire moitié mafieuse, moitié capitaliste qui n’a pas vraiment sorti le pays de ses démons passés. Le peuple bouddhiste continue à méditer dans ses rizières sur l’une de ses rengaines favorites :

Quand tu entres dans la rivière, le crocodile t’attend ; quand tu montes sur la berge c’est le tigre qui t’attend !