Bourses étudiantes et démagogie

A la suite de la tentative de suicide d’un étudiant voulant lutter contre la précarité dont lui et les siens ont à se plaindre, un mouvement estudiantin a été déclenché pour porter ses revendications avec, notamment, l’arrachage de la grille d’entrée du ministère en charge des universités à Paris. Le mode opératoire n’est pas neutre puisqu’il s’est immolé par le feu devant le CROUS de Lyon, institution en charge du versement des bourses. Cela rappelle les suicides de bonzes au Vietnam pour lutter contre la répression antibouddhiste dans les années 70’ ou la mort dans les mêmes conditions d’un jeune tunisien qui fut le déclencheur en 2010 de ce qu’on appelle depuis les « printemps arabes » et dont les résultats finaux furent mitigés, en tous cas pour ce concerne l’instauration de la démocratie. L’étudiant lyonnais est toujours entre la vie et la mort.

Si l’on tente de dépasser la légitime émotion provoquée par un tel drame, on peut essayer de faire preuve d’un peu de raison pour analyser la situation. Il semble que le garçon triplait sa deuxième année de licence (on ne sait pas dans quelle spécialité). Les conditions de maintien des bourses étudiantes sur critères sociaux sont aussi soumises à des critères de validation de trimestres ou d’années. Ces conditions sont détaillées sur le site du ministère de l’enseignement supérieur (Modalités d’attribution des bourses d’enseignement supérieur sur critères sociaux, des aides au mérite et des aides à la mobilité internationale pour l’année 2018-2019) et stipulent que pour bénéficier d’une troisième année de bourse l’étudiant doit avoir validé « … au moins 60 crédits, 2 semestres ou 1 année ». Il semble que l’étudiant lyonnais ne remplissait plus cette condition d’où l’arrêt du paiement de sa bourse. Tripler une seconde année de faculté semble indiquer que l’orientation prise n’était peut-être pas la plus adaptée au profil du demandeur d’où, sans doute, le plafond prévu dans le règlement afin d’inciter l’étudiant à passer à autre chose.

Si l’on veut changer ces règles il suffit d’en débattre quand l’émotion actuelle sera passée ; on peut déplacer la limite de validation, vers le haut ou vers le bas, cela coûtera ou économisera, ou carrément supprimer toute conditionnalité de validation. Nous avons pour ce faire un parlement où des élus sont en train de travailler sur le budget de l’année et classe les priorités par ordre d’importance quand toutes ces priorités devraient être numéro 1 quand on écoute leurs bénéficiaires… Il convient malgré tour de décider des priorités et même des principes généraux : faut-il que l’Etat (donc le contribuable) prenne-t-en charge intégralement ou partiellement tous les étudiants, seulement certains ? Si oui, de quel montant et sur quelles ressources (où et à qui faudra-t-il prendre l’argent nécessaire) ? Faut-il favoriser le travail des étudiants pour qu’ils se constituent un revenu annexe lorsque nécessaire (a priori c’est déjà le cas pour un étudiant sur deux), comment et à quel niveau les familles peuvent/doivent participer à l’aide aux étudiants ? A la fin, et comme toujours c’est une affaire de sous et d’égalité/inégalité. Certains sont plus défavorisés que d’autres même si le système français de redistribution tend à atténuer ces différences.

Nous sommes encore dans une République où il existe des lieux de débat et de décision démocratiques. Ce sont les voies à privilégier plutôt que les manifestations violentes pour porter des revendications diverses et, bien sûr, les actes désespérés comme celui que nous avons à déplorer.

Avant de commettre sa tentative de suicide, l’étudiant aurait publié sur Facebook le message ci-dessous rapporté par le syndicat « Solidaires étudiant-e-s » dont il était membre :

« Aujourd’hui je vais commettre l’irréparable. Si je vise donc le bâtiment du CROUS à Lyon, ce n’est pas par hasard. Je vise un lieu politique, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et par extension, le gouvernement.
Cette année, faisant une troisième I2, je n’avais pas de bourse, et même quand j’en avais une, 450 euros par mois, est-ce suffisant pour vivre ?
J’ai eu de la chance d’avoir des personnes formidables autour de moi, ma famille et mon syndicat, mais doit-on continuer à survivre comme nous le faisons aujourd’hui ?
Et après les études, combien de temps devons-nous travailler, cotiser pour une retraite décente ? Pourrons-nous cotiser avec un chômage de masse ?
Je reprends donc une revendication de ma fédération de syndicat aujourd’hui, avec le salaire étudiant, et d’une manière plus générale, le salaire à vie, pour qu’on ne perde pas sa vie à la gagner.
Passons à 32 heures de travail par semaine, pour ne pas avoir d’incertitude vis-à-vis du chômage, ce qui conduit des centaines de personnes comme moi chaque année à ma situation, et qui meurent dans le silence le plus complet.
Luttons contre la montée du fascisme, qui ne fait que nous diviser et crée du libéralisme qui crée des inégalités.
J’accuse Macron, Hollande, Sarkozy et l’UE de m’avoir tué en créant des incertitudes sur l’avenir de tou-te-s. J’accuse aussi Le Pen et les éditorialistes d’avoir créé des peurs plus que secondaires.
Mon dernier souhait, c’est aussi que mes camarades continuent de lutter pour en finir définitivement avec tout ça.
Vive le socialisme, vive l’autogestion, vive la sécu.
Et désolé pour l’épreuve que c’est.
Au revoir.»