Les périodes de guerre sont assez peu propices aux analyses historiques subtiles, on le voit aujourd’hui avec les bagarres de communiqués en cours. La Russie annone depuis le début que l’un de ses buts de guerre est de « dénazifier » l’Ukraine, faisant ainsi allusion à l’attitude d’une partie de ce pays durant la deuxième guerre mondiale. En réalité le « grand frère » russe reproche aussi à l’Ukraine de s’être toujours opposée à l’Union soviétique. Face aux tentatives d’autonomie, voire d’indépendance, l’Armée rouge soviétique a toujours eut à batailler sévèrement en Ukraine pour la maintenir dans l’ordre bolchévique et s’opposer à toutes tentatives « d’ukrainisation ».
L’application forcenée de la collectivisation des terres par le pouvoir de Staline a déclenché de terribles famines au début des années 1930 qui ont provoqué entre 3 et 5 millions de morts en Ukraine. Lors des grandes purges staliniennes les Ukrainiens n’ont pas été les derniers à souffrir des exécutions et des déportations de masse qui ont touché encore quelques millions de citoyens supplémentaires à la fin des années 1930. Ça laisse des souvenirs…
Durant la seconde guerre mondiale, après la rupture du pacte germano-soviétique signé en 1939 par l’Allemagne et l’Union soviétique, Berlin envoie ses troupes vers Moscou, l’opération « Barbarossa », en traversant l’Ukraine. L’armée allemande est alors accueillie comme un sauveur libérant le pays de l’oppression stalinienne. Le fort antisémitisme régnant alors dans cette République, comme dans toute l’Europe centrale ainsi d’ailleurs qu’en France, va entraîner des collaborations nauséabondes entre les Nazis et des groupes locaux. Certains Ukrainiens qui ont été utilisés comme gardiens dans les camps de concentration allemands étaient réputés parmi les plus brutaux d’un personnel qui ne faisait généralement pas dans la poésie. Il y eut même une division SS « Galice » crée avec des volontaires ukrainiens. Les Russes ne sont pas en reste à ce sujet puisque l’un des héros de l’Armée rouge, soutien indéfectible à Staline dans les années 1930, le général Vlassov, qui s’illustra du côté soviétique durant la guerre civile mais aussi à l’occasion du siège de Léningrad où après avoir estimé que Staline avait abandonné l’armée qu’il dirigeait en rase campagne, capturé par les Allemands, il passa à l’ennemi et fonda « l’Armée russe de libération » qui aida la Wehrmacht à lutter contre l’Union soviétique. A la fin de la guerre, capturé par les alliés il fut remis à Moscou puis jugé, torturé et exécuté avec une dizaine de ses officiers supérieurs.
Evidemment, lors du reflux des Allemands, quand l’Armée rouge a retraversé l’Ukraine vers l’Ouest pour arriver à Berlin en 1945, les Russes se sont vengés de la collaboration germano-ukrainienne. Moscou et Kiev n’ont pas su mener une réconciliation comme l’ont fait en leur temps de Gaulle et Adenauer en France et en Allemagne, l’animosité actuelle entre la Russie et l’Ukraine s’explique aussi par cette histoire.
Dans un rapprochement osé, le président Poutine a même expliqué récemment avoir déclenché la mise au pas de l’Ukraine en février dernier pour ne pas renouveler les erreurs du pacte germano-soviétique.
Rappelons que ce pacte signé en 1939 entre les Allemands et les Soviétiques (voir photo) a permis, notamment, aux Nazis et aux Soviétiques de se partager la Pologne plus quelques autres territoires. Cette signature entre fascistes et bolchéviques a en tout cas fondé l’anticommunisme de plusieurs générations d’Européens. Poutine affirme que ce pacte était destiné à retarder l’agression allemande et permettre ainsi à l’armée soviétique de se renforcer car elle n’était pas encore prête à combattre efficacement en 1939, mais que ce fut un échec puisque durant les deux années que dura ce pacte, de nombreux territoires et des millions de personnes ont été perdus. Il ne veut pas renouveler cette « erreur » une deuxième fois et il lui a donc fallu envahir l’Ukraine avant qu’elle ne soit trop forte. C’est évidemment une interprétation toute personnelle de l’Histoire et il est plus probable que le pacte germano-soviétique, idéologiquement inattendu, n’était qu’un rapprochement entre dictateurs félons qui était fait pour durer.
Il reste certainement des groupes d’extrême droite à tendance pronazi en Ukraine comme il en existe dans tous les pays, y compris d’ailleurs en Russie ou en France, mais il ne semble pas que le pouvoir ukrainien soit significativement influencé par l’idéologie nazie.
Aujourd’hui, et quelle que soit l’issue de la guerre en cours, la Russie et l’Ukraine sont séparées pour longtemps. Et puis, le temps passera…