Le combat idéologique de la Russie

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Les réalités du champ de bataille de la guerre entre la Russie et l’Ukraine sont ce qu’elles sont et ne semblent pas aussi brillantes que ce à quoi s’attendait l’armée russe en franchissant la frontière pour « libérer » ses « frères » ukrainiens.

En revanche, sur le terrain du « softpower », la Russie démontre toujours témérité et efficacité. Depuis le début de la guerre, une dizaine d’oligarques (ceux qui se sont approprié l’outil industriel soviétique lors des privatisations de l’ère Eltsine) sont morts dans des conditions mystérieuses, parfois violentes et accompagnés de membres de leurs familles, parfois même en dehors de Russie. Des officiers supérieurs des services de sécurité auraient aussi disparu suite à leurs performances jugées insuffisantes au cours de cette guerre, sans parler des généraux russes tués eux sur le champ de bataille, en principe, par les forces ukrainiennes.

La disparition des oligarques semble relever plus de la restructuration de l’économie que de la guerre en Ukraine, mais l’occasion fait le larron et le pouvoir russe n’a pas laissé passer la situation de chaos provoquée par la guerre en cours pour régler ses propres comptes. L’assassinat récent de la fille d’un idéologue nationaliste dans l’explosion de son véhicule près de Moscou semble aussi relever de cette logique. Elle-même journaliste engagée dans la promotion des idées de son père, la victime aurait décidé au dernier moment de prendre la voiture paternelle, il n’est donc pas exclu que ce fût le père qui était visé et non sa fille.

Pus pernicieuse et potentiellement inextricable est la politique de russification et de déportation des populations appliquée dans les territoires ukrainiens « libérés » par l’armée russe. Aussitôt installée une administration prorusse dans ces zones, le rouble remplace la monnaie ukrainienne, idem avec les réseaux de téléphonie mobile et les chaînes de télévision. Les programmes et les manuels scolaires sont réécrits par la Russie et il est question que des référendums soient organisés de façon express pour rendre définitif le rattachement de ces territoires à la Russie, sur le modèle appliqué avec la Crimée en 2014.

La Russie a par ailleurs accueilli quelques millions de citoyens évacués des zones de guerre, y compris des enfants isolés. Ceux-ci sont présentés comme des « réfugiés » par Moscou mais qualifiés de « déportés » par Kiev. Evidemment, personne ne leur a demandé où ils souhaitaient se rendre. Pas sûr qu’ils aient choisi la Sibérie si on leur avait proposé la Pologne, mais la Russie présente ce flux d’Ukrainiens vers son territoire comme une opération humanitaire, même si cela rappelle furieusement les mouvements massifs de population pratiqués en Union soviétique pour une raison ou pour une autre.

Tout ceci va être difficile à défaire dans l’hypothèse où cette guerre se terminerait un jour. Moscou le sait bien et ne se gêne pas pour avancer ses pions et marquer « son territoire ». Après tout, en 1945, l’Occident avait bien dû entériner les territoires conquis par l’Armée rouge au jour du cessez-le-feu, et avait même dû en restituer quelques-uns à Staline dans le cadre de la reddition allemande. Il est vrai qu’à l’époque l’Union soviétique faisait partie des vainqueurs de la IIème guerre mondiale, mais il n’est pas encore écrit qu’elle soit vaincue dans son conflit contre l’Ukraine !

Malgré tout, le rideau de fer s’était ouvert cinquante ans plus tard et nombre des « pays frères » de l’Union soviétique en avaient profité pour renier aussitôt la protection ex-soviétique et rejoindre l’Occident. C’est d’ailleurs l’une des origines de la guerre en cours : comment empêcher les dernières républiques soviétiques qui n’ont pas déjà pactisé avec l’Occident de le faire ? L’ours russe utilise ses méthodes habituelles qui ne sont pas empreintes de beaucoup de subtilité et n’ont jamais produit de succès durable !