MASSU Jacques, ‘La vraie bataille d’Alger’.

par

dans Catégorie : ,

Sortie : 1971, Chez : PLON.

Jacques Massu (1908-2002) est un militaire français, membre de la division Leclerc qui parcourut avec elle la longue route du Fezzan jusqu’à la libération de Berlin en août 1945. Compagnon de la libération, il participa aux guerres d’Indochine et d’Algérie, ainsi qu’à l’expédition de Suez, il fut marqué à jamais comme ayant été le patron de la 10ème division parachutiste (DP) chargée par le pouvoir politique de rétablir l’ordre à Alger face à la rébellion du FLN (Front de libération nationale) en lutte contre la France pour obtenir l’indépendance de l’Algérie. C’est la « célèbre » bataille d’Alger avec son cortège de dérives qui arrivent quand on demande à des miliaires de jouer un rôle qui n’est pas le leur. Cette bataille va durer toute l’année 1957 et le général Massu restera connu comme celui ayant patronné la torture pratiquée par sa division de parachutistes, et assumée comme telle par ce patron qui eut au moins le mérite de couvrir ses subordonnées.

15 ans après les faits, 10 ans après l’indépendance acquise par l’Algérie, il écrit ce livre comme une sorte de justification de son rôle et de celui de ses hommes. Les arguments sont éculés et avaient déjà été confrontés durant la guerre elle-même. Massu revient sur le combat militaire qui a été « gagné par ses paras » qui ont démantelé la rébellion dans la capitale algérienne. Il explique dans quel contexte a été pratiquée la torture ou les « interrogatoires musclés » : pour empêcher de nouveaux attentats dévastateurs du FLN. Il raconte avoir demandé à subir lui-même la « gégène » (torture par l’électricité) pour se rendre compte de son effet sur son propres corps.

Et, bien sûr, il relate la sauvagerie du FLN, avec force photos des massacres et mutilations commis par le mouvement révolutionnaire qui a sans doute tué bien plus d’algériens que l’armée française. On sait aujourd’hui que tout ceci s’est passé, que le combat fut féroce entre les paras et le FLN, que la bataille d’Alger fut gagnée par Massu mais que le combat politique fut perdu par la France qui laissa l’Algérie voguer vers son indépendance au terme des négociations menées à Evian en 1962 par les politiques. Bien sûr, aucune autre issue n’était envisageable et l’erreur fatale du pouvoir parisien est d’avoir laissé l’armée s’enferrer dans une impasse après lui avoir donné les pleins pouvoirs, au moins à Alger.

L’armée française avait connu moulte déconvenues après 1945 : Diên Biên Phu en Indochine en 1954, l’expédition de Suez en 1956. Massu était en Afrique lors de la défaite contre le Vietnam, il participa par contre au repli de Suez. Alors, quand les pleins pouvoirs lui sont confiés à Alger, il s’emploie avec cœur à rétablir l’honneur de l’armée… Et pendant que son épouse fait de l’humanitaire pour les enfants défavorisés de la ville, il mène ses paras à l’assaut des forteresses du FLN, à la poursuite de ses chefs (Ali « la Pointe », Yacef Saadi, Larbi Ben M’hidi…) et de leurs poseurs de bombe (Djamila Bouhireb, Djamila Bouazza…). Tous sont pourchassés, arrêtés (parfois sur dénonciation des clans adverses au sein du FLN) pour connaitre des sorts divers, dont des exécutions judiciaires ou extrajudiciaires, mais aussi des grâces accordées dans la foulée des accords d’Evian.

Massu mène combat contre ce qu’on lui désigne comme un ennemi de la France, selon un schéma relativement classique pour ce soldat à la déjà grande expérience. Mais il doit également affronter les membres de la « cinquième colonne », ces français installés en Algérie ou résidant en métropole, qui prennent fait et cause pour le FLN, position juste incompréhensible pour le général… Le plus souvent ils ne posent pas eux-mêmes les bombes mais aident ceux qui le font. Ces français eurent aussi des comptes à rendre aux paras de Massu. Certains n’en revinrent pas (Maurice Audin). Il règle ses comptes avec le Général de Bollardière placé sous ses ordres, qui demanda à être relevé de son commandement puis, à son retour à Paris en 1957, dénonce la pratique de la torture en Algérie. L’ethnologue Germaine Tillon est abondamment citée, elle qui rencontra certains chefs du FLN à Alger pendant la bataille pour essayer de leur en faire atténuer l’intensité. Elle joue aussi le rôle d’intermédiaire auprès des autorités françaises pour dénoncer le torture pratiquée au nom de la France et tenter de faire adoucir le sort des prisonniers algériens, toutes actions qui ne sont évidemment pas bien vues de Massu comme il le raconte vertement sans ce livre.

Massu en Algérie c’est l’histoire d’un soldat qui a obéi à des ordres stupides, un homme formaté par et pour le devoir, qui a été placé dans une position inextricable dont il s’est sorti par l’obéissance et l’action, au détriment de la morale, lui qui pourtant était un catholique pratiquant. Hélas pour lui, l’efficacité qu’il revendique n’a sans doute pas servi à grand-chose puisque l’indépendance de l’Algérie, inévitable et d’ailleurs souhaitable, a été finalement acquise en 1962. Ce « département français » ayant été conçu depuis 1830 comme une colonie de peuplement, la position des politiques était également très inconfortable : comment accorder pacifiquement l’indépendance à un territoire qui abrite plus d’un million de ressortissants français, certains y résidant depuis plusieurs générations ? Alors on a laissé se faire les choses qui ont mené tout naturellement à la violence.

Seul le Général de Gaulle eut le courage de trancher dans le vif et de mettre fin, dans la douleur, à ces errements coloniaux qui n’avaient plus d’avenir en cette deuxième moitié du XXème siècle.

La simple photo du général Massu sur la couverture de son livre suffit à comprendre le personnage : raide et ne pliant pas. C’est sans doute la raison pour laquelle en mai 1968, un autre général, de Gaulle, en plein désarroi face aux émeutes de mai 1968 à Paris, rendit une visite impromptue à Baden-Baden où son « fidèle compagnon » commandait les forces françaises d’occupation en Allemagne fédérale. Ils eurent deux heures d’entretien en tête-à-tête, personne ne sait ce qu’ils se sont dit malgré toutes les supputations qui ont circulé. Massu a juste déclaré en 1982 que de Gaulle était arrivé en disant : « Massu, tout est foutu » mais qu’au terme de cet entretien mystérieux de Gaulle avait immédiatement pris le chemin du retour vers l’Elysée pour reprendre la main politique.

Massu fut un exécutant zélé de la politique algérienne de la fin de la IVème République qui conduisit la France dans l’impasse et ses militaires dans la dérive. Il aurait pu démissionner mais un homme de devoir de sa trempe, qui à suivi Leclerc jusqu’à Berlin en 1945, ne quitte pas le navire en train de couler. Au crépuscule de sa vie en 2000 il a lui aussi, finalement, « plié » en déclarant au journal Le Monde regretter que la torture ait été pratiquée par les forces armées françaises pendant le guerre d’Algérie en précisant que :

La torture n’est pas indispensable en temps de guerre.