Sortie : 2000, Chez : Editions de Fallois / Fayard.
Voici le troisième et dernier tome du magistral récit écrit par Alain Peyrefitte sur sa collaboration avec le Général de Gaulle. Il s’agit ici des dernières années de pouvoir de 1966 à 1970, année où le Général est mort à Colombey-les-Deux-Eglises d’une rupture d’anévrisme sept mois après avoir quitté l’Elysée.
Sous la plume agile de Peyrefitte on revient sur les grandes étapes que la France a franchi guidée par son président visionnaire. L’aboutissement de la force nucléaire, le passage de la bombe A et la bomber H, les grands défis industriels comme le supersonique Concorde, l’instauration de la participation en entreprise, la relance de la recherche et le soutien à la science, la sortie du commandement militaire de l’OTAN, la régionalisation, la relation avec le « Canada français », l’opposition à la guerre américaine au Vietnam et, bien sûr, les « évènements » de 1968 puisque c’est ainsi qu’est désignée la révolte étudiante, jusqu’à sa démission.
Quelles que soient les fonctions gouvernementales qu’il occupait durant cette période, Alain Peyrefitte est resté en contact relativement étroit avec le président et a couché sur le papier le fruit des entretiens ou réunions auxquels il participait. « Il vous aimait bien » lui a dit Mme de Gaulle le jour des obsèques de son mari.
On reste subjugué par la fulgurance de la pensée de ce grand chef telle que racontée par l’auteur. Sans doute Peyrefitte est-il dans l’admiration totale du personnage mais son honnêteté intellectuelle ne fait pas de doute et il revient en détail sur les possibles interrogations de De Gaulle lorsqu’il quitte secrètement la capitale en proie aux émeutes pour rallier le Général Massu, son compagnon d’armes, en garnison à Baden-Baden. La légende voudrait que Massu ait remonté le moral d’un Général déprimé pour le regonfler avant de le renvoyer « au front » à Paris. Peyrefitte défend la thèse que tout était organisé par le président qui déroulait une tactique sous son contrôle et qui voulait simplement s’assurer de la fidélité de l’armée pour gérer la situation au cas où il devrait faire appel à elle.
Ce long récit est évidemment traversé des phrases chocs prononcées par de Gaulle lors des conseils des ministres sur différents sujets et dont il n’y a pas grand-chose à changer 50 ans plus tard. En voici un petit florilège.
Sur l’économie monétaire (il était conseillé par Jacques Rueff sur le sujet), 12/01/1966
« L’augmentation des salaires publics n’est pas incompatible avec la stabilité monétaire, à une condition : qu’elle soit en rapport avec la progression du revenu national. »
Sur le système carcéral 02/03/1966
« Un système trop libéral : des libérations conditionnelles dans réelles conditions. On libère à tort et à travers pour avoir des places – et c’est vrai pour les pires, comme on l’a vu avec ce repris de justice qui a assassiné un malheureux policier alors qu’il devait être en de purger sa peine. S’il n’y a pas assez de places dans les prisons, il faut en construire; »
Sur l’Algérie 22/03/1966
« L’Algérie est fragile. Les Algériens n’ont pas encore trouvé d’autre moyen d’exister que de nous haïr. Ce n’est pas une solution sûre pour l’avenir. »
Sur la réunification de l’Allemagne 11/09/1966
« Pour la France, il n’est pas acceptable que l’Allemagne ait la bombe atomique. D’ailleurs, il n’est pas non plus dans l’intérêt de la France qu’elle redevienne un Etat centralisé comme le Reich, ni qu’elle retrouve ses anciennes frontières, ni qu’elle soit réunifiée. Ca nous arrange qu’elle soit coupée en deux, qu’elle soit fédérée en onze Länder, qu’elle soit cantonnée dans les frontières de 1945, qu’elle n’ait qu’une armée conventionnelle. »
Sur la souplesse de la Constitution septembre 1966
« Cette Constitution a été faite pour gouverner sans majorité. Je ferais appel, comme en 1958, à des hommes nouveaux, des techniciens, des spécialistes qui ne se soient pas compromis dans les luttes politiques, mais qui soient respectés pour leur compétence. »
Sur la non-prolifération du nucléaire 22/02/1967
« L’affaire de la non-prolifération du nucléaire touche au fond des choses. Ou bien l’on désarme vraiment et pour tout le monde. Mais les Américains ne veulent pas. Ou bien on se borne à tenir les autres à l’écart de la course aux armements. Mais cela n’est plus que du chiqué et suscite des réactions. Pour nous, la question est celle du désarmement. Donc, nous ne nous mêlons pas de la concertation sur la non-prolifération. »
Sur l’Allemagne 09/11/1966
« La Guerre froide s’atténuant, l’Allemagne est à la dérive et, Adenauer disparu, la vérité apparaît aux Allemands. Il est à craindre que, faute de rechercher des arrangements avec les Russes, l’Allemagne reste en porte-à-faux. Mais Dieu sait où elle peut aller. Il faut donc rester en contact avec elle, l’orienter vers des voies pacifiques et veiller à ce qu’elle ne tourne pas mal. Mais en pareil cas, elle aurait beaucoup de monde contre elle ! »
Sur la contraception (loi Neuwirth) 07/06/1967
« Il ne faut pas faire payer les pilules par la Sécurité Sociale. Ce ne sont pas des remèdes ! Les Français veulent une plus grande liberté des mœurs. Nous n’allons quand même pas leur rembourser la bagatelle ! »
Sur la relation à instaurer avec le Québec 11/09/1966
« Maintenant que nous avons décolonisé, notre rang dans le monde repose sur notre force de rayonnement, c’est-à-dire avant tout sur notre puissance culturelle. La francophonie prendra un jour le relais de la colonisation ; mais les choses ne sont pas encore mûres. Le Québec doit être une pièce maîtresse de la francophonie. »
Sur l’Education nationale 16/01/1968
« J’ai horreur des sociologues, des psychologues, des psycho-sociologues et des psychopédagogues. Ce sont tous des fumistes ou des communistes. »
Sur les nouveaux désirs du peuple 23/05/1968
« Le désir général de participer, il se manifeste particulièrement dans la jeunesse. Et le désir d’améliorer la condition matérielle, il ne se manifeste pas spécialement chez les plus défavorisés, mais plutôt chez les cadres, qui naturellement entraîne les autres.
Ainsi, tout le monde veut plus qu’il n’a. Et tout le monde « veut s’en mêler », « être consulté », « participer ». »
Sur les émeutes de 1968, 27/05/1968
« On a eu grand tort de laisser ces manifsestations se poursuivre et s’enchaîner. On a eu grand tort de libérer les quatre étudiants détenus. On a eu grand tort d’ouvrir la Sorbones aux émeutiers. S’il y a encore des fauteurs de troubles, il faut les mettre hors d’état de nuire. Je vous ai dit et je vous répète : il aurait fallu en ramasser 500 tous les soirs. »