PEYREFITTE Alain, ‘C’était de Gaule 1/3 « La France redevient la France »‘.

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Sortie : 1994, Chez : Editions de Fallois / Fayard.

Alain Peyrefitte (1925-1999), homme politique et écrivain, fut ministre de l’information et porte-parole du gouvernement à partir de 1962 pour cinq ans avant de poursuivre une carrière ministérielle jusqu’en 1981. C’est au titre de porte-parole du gouvernement de De Gaulle et qu’il aura des entretiens particuliers avec le Général après chaque conseil de ministres. En tant que ministre de l’information il était le seul autorisé à prendre des notes en conseil des ministres. Dès sa prise de fonction gouvernementale il décide de consigner pour l’Histoire tous ces entretiens qu’il publie dans les trois volumes de « C’était de Gaulle ».

C’est évidemment un très intéressant retour sur les débuts de la Vème République voulue par de Gaulle revenu au pouvoir en 1958 après l’effondrement de la IVème empêtrée dans son instabilité gouvernementale et la guerre d’indépendance de l’Algérie. Les entretiens commencent en 1962 et ce premier volume couvre les trois grandes affaires du moment.

Les accords d’Evian et les débuts de l’Algérie indépendante

Les temps sont à la dislocation des empires coloniaux, pas seulement en Algérie, mais, pour la France, dans toute l’Afrique.

Les peuples colonisés supportent de moins en moins leur colonisateur. Un jour viendra où ils ne se supporteront plus eux-mêmes. En attendant nous sommes obligés de tenir compte des réalités. Ce que nous avions à faire de plus urgent , c’était de transformer notre empire colonial, en remplaçant la domination par le contrat. Nous avons grand avantage à passer le témoin à des responsables locaux, avant qu’on nous arrache la main pour nous le prendre.

Puisque nous ne pouvons leur offrir l’égalité [aux populations d’outre-mer], il vaut mieux leur donner la liberté.

20/10/1959 (lors d’un entretien où Peyrefitte n’était que député et revenait d’un déplacement en Afrique)

Mais autant la décolonisation des pays africains suit son cours de façon relativement naturelle au début des années 1960, en Algérie, la guerre fait rage. De Gaulle a accepté le principe de l’indépendance algérienne. Les accords d’Evian ont été signés en 1962, le résultat du référendum pour l’indépendance organisé en Algérie est un « OUI » massif et de Gaulle veille a exécuter les accords au plus vite malgré nombre d’oppositions en France comme en Algérie. A Alger les attentats de l’OAS font rage et le général sera lui-même l’objet de deux tentatives d’assassinat en France métropolitaine. Les « pieds-noirs » finalement décident de revenir massivement en France, bien au-delà de ce qui avait été anticipé.

De Gaulle reste ferme sur ce qui a été décidé et dirige ses ministres, parfois indécis, durant la période de transition entre le référendum d’indépendance et la prise effective du pouvoir par les nouvelles autorités algériennes, elles-mêmes tiraillées entre leurs tendances contradictoires :

Quels que soient les délais qui ont été fixés par les accords d’Evian, ils seront respectés. Ils ne sauraient être remis en cause. A bon entendeur, salut !

18/04/1962

Le référendum constitutionnel de 1962

Dans la constitution élaborée en 1958 pour la création de Vème République, le président était élu par un collège de grands électeurs. Les premières années de cette nouvelle République marquent la prééminence du président. De Gaulle ressort son vieux projet d’une élection du président au suffrage universel direct afin d’enterrer définitivement la logique mortifère des partis qui pourrait réapparaître après lui. Le texte du référendum soumis au parlement déclenche une motion de censure qui fait tomber le gouvernement. Le président du sénat, Gaston Monnerville, accuse de Gaulle de « forfaiture ». Le président dissous l’assemblée nationale. Le référendum finalement organisé malgré l’opposition parlementaire, est remporté à plus de 62% et les gaullistes gagnent la majorité absolue dans la nouvelle assemblée issue de la dissolution.

Ils [les partis] sont à la fois incapables de gouverner, puisqu’ils n’existent qu’en divisant les Français, et incapables d’imaginer une autre pratique que celle-là. Voila pourquoi nous venons d’échapper à un grand danger. Maintenant, l’opposition est écrasée. Elle est en débris. Il faut en profiter pour travailler.

07/12/1962

La place de la France dans le monde

Nous sommes en pleine guerre froide et en période de construction de l’Europe des six. L’obsession du général de Gaulle est de redonner à la France une stature internationale et indépendante. Pour ce faire, il va reconnaître la Chine populaire, monter la force nucléaire française, se battre contre l’idée du pouvoir « multilatéral » de l’Europe et en bloquer l’accès au Royaume-Uni qui voulait « noyer le Marché commun dans une grande zone de libre-échange ».

Nous assistons à l’affrontement de deux énormes masses, la Russie [de Gaulle ne parle quasiment jamais de l’Union soviétique] et la Chine. Les Russes seront dans une position difficile. De deux choses l’une. Ou ils restent avec la Chine, mais elle les boulottera quand elle sera plus forte. Ou ils sont contre, mais alors c’est la fin des Rouges et le camp communiste s’effondrera. C’est peut-être déjà fait.

07/11/1962

Voyez-vous, la France est souveraine. Ou plutôt, elle le redevient, ce qui ne lui était pas arrivé depuis la Première guerre. Elle s’était blottie à l’ombre des Anglais dans l’entre-deux guerres, puis des Américains après la Seconde. Tout ça, c’est fini. La France a fini de se blottir.

19/12/1962

Le sentiment national s’est toujours affirmé en face d’autres nations : un sentiment national européen ne pourra s’affirmer que face aux Russes et aux Américains. L’idée européenne, depuis la fin de la guerre, a progressé grâce à la menace des Russes. Maintenant que les Russes s’amollissent, et c’est heureux, nous avons l’occasion de nous durcir à l’égard des Etats-Unis, et c’est notre devoir ; sinon, l’Europe dite intégrée se dissoudrait dans l’ensemble atlantique , c’est-à-dire américain, comme du sucre dans le café.

23/01/1963

A la lecture de ces dialogues on est frappé une nouvelle fois par la capacité d’analyse et d’anticipation du général ainsi que sa compétence pour diriger et commander. Certes, sa stature de sauveur de la France en 1940 et le respect qu’elle inspire y sont pour beaucoup mais l’homme est véritablement un chef, qui plus est, doté d’une remarquable intelligence. Chaque mot rapporté par Peyrefitte en atteste admirablement.

Ce récit dévoile aussi quelques détails de la vie politique de l’époque : la bonhommie de Pompidou (premier ministre), l’indéfectible soutien qu’il apporte avec constance à « son cher Malraux » en conseil des ministres, sa maîtrise de la langue française qui lui permet une expression limpide, sa remarquable capacité d’assimilation des sujets qu’il ne maîtrise pas complètement, sa capacité de synthèse exceptionnelle…

Passionnant !

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