La proximité des élections présidentielles françaises en avril 2022 relance les débats sur l’immigration en France de personnes issues d’un certain nombre de pays tiers, dont l’Algérie.
Les accords de cessez-le-feu en Algérie du 18/03/1962
Il est régulièrement fait référence aux accords de cessez-le-feu de 1962 dits « d’Evian » comme ayant octroyé un statut spécifique à l’immigration algérienne, hors du droit commun. Une relecture rapide de ces accords, qui comportent onze articles et des déclarations annexes permet de relever la mention suivante dans le chapitre « Déclaration de garantie », 1ère partie, 2ème paragraphe :
Sauf décision de justice, tout Algérien muni d’une carte d’identité est libre de circuler entre l’Algérie et la France. Les Algériens sortant du territoire algérien dans l’intention de s’établir dans un autre pays pourront transporter leurs biens mobiliers hors d’Algérie. Ils pourront liquider sans restrictions leurs biens immobiliers et transférer les capitaux provenant de cette opération dans les conditions prévues par la Déclaration de principes relative à la coopération économique et financière. Leurs droits à pension seront respectés dans les conditions prévues dans cette même déclaration.
Un statut similaire est également prévu pour les Français résidant en Algérie en qualité d’étrangers, 3ème partie, 1er paragraphe :
Les ressortissants français pourront entrer en Algérie et en sortir sous le couvert, soit de leur carte d’identité nationale française, soit d’un passeport français en cours de validité. Ils pourront circuler librement en Algérie et fixer leur résidence au lieu de leur choix. Les ressortissants français résidant en Algérie, qui sortiront du territoire algérien en vue de s’établir dans un autre pays, pourront transporter leurs biens mobiliers, liquider leurs biens immobiliers, transférer leurs capitaux, dans les conditions prévues au titre III de la Déclaration de principes relative à la coopération économique et financière et conserver le bénéfice des droits à pension acquis en Algérie, dans les conditions qui sont prévues dans la Déclaration de principes relative à la coopération économique et financière.
Mais la complication extrême de ces accords fut de régir le statut des Français « pieds noirs » résidant en Algérie avant mars 1962, qu’ils souhaitent rester sur place (une minorité) ou s’exiler (la grande majorité).
En outre, des articles stipulent également l’établissement d’une amnistie pour tous (qui ne fut pas respectée pour les « harkis » qui n’ont pas pu embarquer pour la France et dont beaucoup ont été exécutés), d’une coopération économique et culturelle, la location par la France du port militaire de Mers-el-Kébir pour quinze années, le maintien d’une préférence accordée à la France pour l’exploitation pétrolière dans le Sahara. On sait maintenant qu’existait aussi un protocole annexe secret pour la poursuite des essais nucléaires français dans ce même Sahara.
Le pouvoir des vainqueurs, mais pas toujours…
Nombre de ces engagements n’ont pas été respectés par les parties, chacun devait d’ailleurs le savoir en signant les accords, mais il s’agissait de sortir impérativement du bourbier de cette guerre coloniale. Le Traité de Versailles mettant fin à la première guerre mondiale, les Accords de Paris signés entre le Vietnam et les Etats-Unis d’Amérique, ne l’ont pas plus été. Dans ces contextes de fin de guerre, bien entendu, le vainqueur militaire a bien plus tendance que le vaincu à prendre des libertés avec les engagements qu’il a signés, mais dans le cas du Traité de Versailles c’est pourtant le vaincu qui a violé les accords…
Dans une situation plus pacifique et récente, on voit que le Royaume-Uni n’aura pas mis plus de quelques mois à refuser d’appliquer le volet irlandais des accords de sortie de l’Union européenne qu’il avait pourtant signés peu auparavant.
Ainsi va la vie dans le monde des traités internationaux !
Le décret français de 1969 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles
Pris six années après la fin de la guerre d’Algérie, un décret du 18/03/1969 signé de MonGénéral, du premier ministre Maurice Couve de Murville et de son ministre des affaires étrangères Michel Debré précise les conditions du statut spécifique accordé aux migrants algériens en France.
Ce texte relatif à « la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles » institue un contingent pluriannuel de travailleurs algériens entrant en France « en vue d’y occuper un emploi fixe ». Ils disposent d’une période de neuf mois pour trouver un emploi, période à l’issue de laquelle leur est délivré un titre de séjour (certificat de résidence) renouvelé gratuitement et automatiquement. Le regroupement familial est également autorisé par ce décret. Les détenteurs de titre de séjour sont ensuite dispensés de visas d’entrée en France.
Evidemment, ce texte datant de 1968 a été amendé au cours du temps mais les citoyens algériens continuent à bénéficier à ce jour de conditions dérogatoires, et plus favorables, au droit commun comme le mentionne le site internet du ministère français des affaires étrangères :
L’entrée des Algériens en France est facilitée (condition d’entrée régulière, et non de visa de long séjour, pour la délivrance de certains titres de séjour). ;
Les Algériens bénéficient de la liberté d’établissement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante ;
Les ressortissants algériens peuvent accéder plus rapidement que les ressortissants d’autres États à la délivrance d’un titre de séjour valable 10 ans.
https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Europe-et-International/Les-accords-bilateraux/Les-accords-bilateraux-en-matiere-de-circulation-de-sejour-et-d-emploi/L-accord-franco-algerien
Il semble que certains dirigeants français, y compris l’ex-président Sarkozy, aient envisagés de rouvrir la négociation sur ce statut privilégié accordé aux citoyens algériens. Le faire reviendrait à remettre en cause les accords de cessez-le-feu de 1962 et, finalement, personne n’a osé s’y frotter. Eh oui, Alger a aussi des moyens de pression sur Paris et la crise actuelle déclenchée, entre autres, par la liaison faite entre la délivrance de visas (ne pas confondre visa et titre de séjour) et la bonne volonté des pays d’origine à réadmettre leurs ressortissants en situation illégale en France est là pour le rappeler.
Nous verrons sous peu si le prochain pouvoir français issu des élections d’avril 2022, s’il était issu de la « droite dure et décomplexée » osera s’attaquer à ce statut mais il est plus probable que personne ne le fera, préférant laisser le sujet sous le tapis tant il y a de coups à prendre à le sortir de l’oubli. D’ailleurs aucun des candidats ne parle vraiment des accords d’Evian, au-delà des slogans de circonstance sur le « 0 immigration ».
Ce qui ne manque pas d’ironie c’est que l’immigration algérienne est aussi l’un des produits de la guerre coloniale perdue par la France. Il a bien fallu consentir des faveurs pour mettre fin « aux évènements » comme on disait à l’époque. Outre le droit à l’autodétermination accordé en 1962 au « département français » qu’était l’Algérie, les négociateurs français, sous l’autorité de MonGénéral, ont facilité l’accès des ressortissants du pays vainqueur au territoire du pays vaincu ! L’histoire ne dit pas si la demande en avait été faîte par la partie algérienne, mais c’est probable, ce qui accentuerait encore le paradoxe de la situation : le vainqueur veut continuer à pouvoir accéder librement au pays qu’il a défait.
La relecture des accords « d’Evian » permet de penser qu’ils constitueraient un excellent modèle de négociation pour un accord d’accès à d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, évidemment sans le volet « cessez-le-feu » puisque la France n’est pas à proprement parlé en guerre avec Nouméa, mais tous les autres chapitres seraient quasiment duplicables en l’état pour une relation future entre la France et une Nouvelle-Calédonie indépendante.