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  • Les galonnés du Niger consolident leur pouvoir

    Les galonnés du Niger consolident leur pouvoir

    Malgré les oppositions de circonstance, occidentales comme africaines, les militaires nigériens qui ont pris le pouvoir à Niamey le consolide en nommant un premier ministre et un gouvernement, et en provoquant des rassemblements populaires pour soutenir la clique de galonnés initiateurs du coup d’état et vilipender la France, ex-puissance coloniale qui dispose toujours de garnisons militaires dans ce pays.

    La communauté des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fait entendre les bruits de bottes de sa soldatesque et menace d’envoyer une force africaine pour rétablir « l’ordre constitutionnel » au Niger. Cette communauté est actuellement présidée par le Nigeria qui constituerait le plus de la force militaire interafricaine si une intervention était finalement décidée, ce qui semble improbable. Le Mali et le Burkina qui en sont membres, qui eux aussi sont gouvernés par des galonnés issus d’un coup d’état, ont clamé que toute intervention armée contre leurs « frères » du Niger serait considérée comme une déclaration de guerre à leur encontre. Entendre le Nigeria donner des leçons de démocratie à l’un de ses voisins, c’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité, et cela prête à la franche rigolade.

    Lire aussi : Communiqué de la conférence des chefs de la CEDEAO

    Plus sérieusement, il est probable que la raison l’emportera et que tout ce petit monde oubliera rapidement ces intentions guerrières pour se retrouver et papoter sous l’arbre à palabres afin de trouver un compromis qui permettra aux galonnés de Niger de rester aux commandes du pouvoir qu’ils ont pris un peu brutalement en échange de quelques engagements de circonstance qui ne tromperont personne mais permettront d’apaiser la situation. La dernière guerre dans la région remonte à celle dite « de la bande d’Abacher » en 1985 entre le Mali et le Burkina pour le contrôle d’une bande désertique de 300 km de long sur 50 m de large. Elle donna lieu à quelques combats erratiques lancés le 25 décembre 1985 arrêtés par un cessez-le-feu dès le 29 décembre mais qui firent environ 200 morts des deux côtés. La zone litigieuse fut ensuite équitablement répartie entre les deux belligérants par une décision de la cour internationale de justice (CIJ), acceptée par les partis et on n’en parla plus.

    A l’époque le coup d’état était l’unique mode de transition politique. Il semble redevenir le moyen privilégié de changement de pouvoir dans les pays sahéliens, pourquoi s’y opposer systématiquement. N’en déplaise aux donneurs de leçons de démocratie, des élections dans un pays où la population alphabétisée est plutôt très minoritaire et où les organisations de partis politiques sont largement supplantées par les communautés ethniques, n’est guère plus efficace que le pronunciamiento. L’essentiel est que le pouvoir change de mains de temps en temps et, à ce niveau, les élections n’ont pas montré une meilleure efficacité que les coups d’état.

    Laissons donc le Niger aller vers son destin, avec la Russie si tel est son bon vouloir comme semble l’indiquer les drapeaux russes largement déployés par les manifestants pro-galonnés.

  • « La critique est facile mais l’art est difficile… »

    « La critique est facile mais l’art est difficile… »

    Entendu lors d’un dîner en ville de CSP+ (voire +++).

    • Macron est un incapable
    • Les élus sont nuls
    • La délocalisation dans l’industrie pharmaceutique entraîne la pénurie des médicaments
    • Les voitures électriques ne remplaceront jamais les véhicules thermiques
    • La politique énergétique du gouvernement est à jeter
    • La financiarisation de l’économie déconnecte les dirigeants de l’économie réelle
    • Les dividendes versés aux capitalistes augmentent quand le standing des hôtels diminue pour les salariés en mission
    • Etc. etc.

    On voit ici l’illustration du syndrome français : simplisme et critique généralisée, qui explique aussi pourquoi la France est un pays gros consommateur de psychotropes. Tout est noir, tout est à jeter et, du fond de son fauteuil, le Français a la solution évidente à tous les maux du pays, il suffit de l’écouter. Aucune réalisation ne rencontre son agrément, celles dont il bénéficie sont considérées comme normales, comme un dû, mais jamais portées au crédit de leurs initiateurs. Ce comportement pessimiste et négatif est en partie responsable de l’immobilisme, de l’inertie, du pays et de son enfoncement progressif dans le déclassement et une certaine décadence. Il marque aussi la différence avec les pays anglo-saxons plus dynamiques, plus réactifs pour chercher et mettre en œuvre des solutions à ce qui doit être amélioré.

    La vieille Europe latine est accrochée aux oripeaux de sa gloire passée, « c’était mieux avant », plutôt que de définir les conditions de son futur dans un monde qui évolue à un rythme encore jamais constaté.

  • « Hommage à Rachmaninov » au festival international de piano de la Roque d’Anthéron

    « Hommage à Rachmaninov » au festival international de piano de la Roque d’Anthéron

    Sergueï Rachmaninov (1873-1943), pianiste russe virtuose, compositeur majeur du XXème siècle, est célébré cette année par le festival de piano de la Roque d’Anthéron. Anna Geniushene et Lukas Geniusas, tous deux d’origine russe, nés à Moscou respectivement en 1991 et 1990, couple à la ville, jouent à deux pianos des œuvres du Maître, russe également.

    Le premier morceau est une transcription de Rachmaninov pour deux pianos de La Belle au bois dormant, le célèbre ballet de Tchaïkovski. Le second a très fortement influencé le premier mais on préfère les œuvres originales de Rachmaninov. La suite n°1 pour deux pianos, hommage posthume au même Tchaïkovski (1840-1893), tend au sublime, tragique et enlevée, au milieu du chant des cigales de l’Espace Florans situé en extérieur au milieu des platanes. La dernière œuvre « Danses symphoniques » composée en 1940 est l’une des dernières écrites par Rachmaninov décédé en 1943. Elle est déjà nimbée de sonorités et de rythmes jazzy marquant le XXème siècle américain où est exilé le musicien depuis 1917. Elle termine en apothéose une soirée musicale de verdure et de virtuosité.

    Le programme

    • Tchaïkovski/Rachmaninov : Suite de La Belle au bois dormant
    • Rachmaninov : Suite pour deux pianos n°1 opus 5 “Fantaisie-tableaux”
    • Rachmaninov : Danses symphoniques opus 45b

    Bis

    • Rachmaninov : Six morceaux pour piano Opus 11 Valse n°4
    • Leonid Desyatnikov : Homesickness
  • Changement politique au Niger

    Changement politique au Niger

    Changement politique au Niger : un nouveau président prend le pouvoir à Niamey, c’est un galonné issu d’un coup d’état ce 26 juillet. Il était le chef de la garde présidentielle et a donc trahi le président qu’il était chargé de protéger qui était lui-même arrivé au pouvoir via des élections « démocratiques ». Après le Burkina-Faso, le Mali, la Guinée, le coup d’état redevient le moyen favori pour changer de président dans les pays africains. Après tout la méthode a fait ses preuves et n’a pas apporté plus de troubles dans les pays concernés que le renouvellement à l’infini de dynasties familiales par l’intermédiaire d’élections sur le modèle occidental. Le Tchad, le Congo, le Togo ne sont pas mieux ni plus mal gérés par les mafias familiales que ces pays sahéliens qui ont rétabli des cliques militaires à leur tête, d’autant plus que ces coups ne sont généralement pas particulièrement violents.

    Lire aussi : Le Mali face à lui-même

    Comme à chaque pronunciamiento se déroulant dans d’anciennes colonies françaises, la France est immédiatement vouée aux gémonies, Paris accusé de manipulations et l’ancienne puissance coloniale, rendue responsable de tous les maux qui ont « forcé » les galonnés à se « dévouer » pour prendre le pouvoir, priée de rentrer dans ses pénates. Le cas du Niger ne dévie pas de cette bonne habitude et des foules excitées ont malmené les murs de l’ambassade de France en criant des slogans pro-russes puisque Moscou est redevenue la puissance amie de ce « Sud-global » comme elle le fut autrefois en soutenant les processus de décolonisation dans les années 1950-1960.

    Les pays occidentaux et les organisations multilatérales, africaines comme internationales, publient des communiqués désormais bien rôdés appelant au « rétablissement du président élu » et au retour à la « démocratie » et bla-bla-bla. Quelques sanctions de pure forme sont prises puis seront rapidement levées tout rentrera dans l’ordre et la nouvelle junte sera confirmée après, bien entendu, s’être engagée à « rendre le pouvoir aux civils… » un jour !

    Dans le cas particulier du Niger, la France y avait redéployé son dispositif militaire après avoir été chassée du Mali en 2021 puis du Burkina-Faso en 2023. Les Etats-Unis d’Amérique y disposent aussi d’un contingent militaire chargé de surveiller et de porter des coups au terrorisme religieux islamiste qui pullule dans la région. L’avenir dira rapidement si ces bases vont devoir être repliées ou, à l’image de la base américaine de Guantanamo à Cuba, pouvoir être maintenues en territoire désormais hostile. Le redéploiement des forces française sur des terrains où elles seraient plus utiles et bienvenues est certainement envisagé sérieusement pour les autorités françaises.

    Ces pays sahéliens veulent désormais se rapprocher de la Russie, eh bien il faut les laisser faire. La Russie a montré une certaine efficacité dans le traitement des rébellions religieuses, que ce soit en Syrie ou en Tchétchénie. Ses méthodes de terrain ne sont pas freinées par le droit de la guerre ou des considérations de droits de l’homme. Voyons-la à l’œuvre en Afrique où elle est acclamée et désirée. Nombre de dirigeants et de peuples africains veulent remplacer les puissances néocoloniales par Moscou. Ils y sont certainement un peu poussés par la propagande mais il ne faut pas mésestimer leur réelle volonté de changer de protecteur, en attendant qu’ils puissent être véritablement indépendants.

    Lire aussi : L’armée française a quitté le Burkina-Faso

    Ceux qui ont déjà scellé cette « amitié indéfectible » avec Moscou pourront édifier les autres sur les avantages et inconvénients de cette nouvelle alliance. Le devoir de l’ancienne puissance coloniale française qui a beaucoup failli dans ces affaires est de laisser l’Afrique aller vers son destin et où son cœur la mène !

  • « L’univers sans l’homme – les arts en quête d’autres mondes » au musée de Valence art et archéologie

    « L’univers sans l’homme – les arts en quête d’autres mondes » au musée de Valence art et archéologie

    Le monde a commencé sans l’homme et finira sans lui.

    Clause Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, 1955

    L’art sans l’être humain : le musée de Valence expose différentes œuvres de la nature, de la technique, de l’abstraction où l’homme est partout présent dans la création mais sans cesse absent de ce que nous voyons. Une déshumanisation bienfaisante et fictive puisque c’est l’homme qui produit tous ces objets, jusqu’aux robots qui dessinent en direct devant les visiteurs, sur de petits bureaux d’écolier, des parties d’une nature morte sur laquelle ils projettent leurs caméras qu’une intelligence artificielle leur fait reproduire sur des feuilles A4.

    La dernière salle finit en apothéose avec trois toiles abstraites de grandes dimensions d’Hans Achtung, sorte de visions du monde intergalactique, face à deux compositions de sa muse, Anna-Eva Bergman, peinture et feuilles métalliques représentant l’horizon de la terre.

    Le poète René Char conclut ce parcours étrange :

    La vie aime la conscience qu’on a d’elle.

  • Un kif de ouf pour le remaniement

    Un kif de ouf pour le remaniement

    A l’occasion d’un remaniement ministériel en France, sans grand intérêt, on apprend que la nouvelle sous-ministre de la ville, Sabrina Agresti-Roubache, une marseillaise, a signé et publié en 2022 un livre qui s’intitule « Moi la France, je la kiffe ! ».

    Ça promet…

  • « Elliot Erwitt, une rétrospective » au musée Maillol

    « Elliot Erwitt, une rétrospective » au musée Maillol

    Elliott Erwitt est un photographe américain né en 1928 à Paris où ses parents russes de confession juive avaient émigré, transformant leur nom d’Erwitz en Erwitt. Grand voyageur il rejoint l’agence Magnum en 1954 à l’initiative de Robert Capa. Il a marqué sa profession par des clichés des grands de ce monde, sa vision d’évènements historiques, ainsi qu’avec des photos publicitaires originales.

    Mais le plus marquant est sans doute le regard qu’il a porté sur les gens ordinaires dans leur vie quotidienne, rendus sur de magnifiques clichés, généralement en noir-et-blanc exposés au musée Maillol. Le coup d’œil de l’artiste est évident dans les cadrages, les personnages, les attitudes, les contrastes et l’humour qui imprègne souvent les agrandissements. L’exposition de 215 photos se répartit sur trois étages dont l’un est consacré à un rapprochement intéressant entre certaines sculptures d’Aristide Maillol et les photos d’Erwitt. Des vidéos montrent le photographe parlant un excellent français, expliquant sa technique, ses planques, ses ruses, destinées à capter la photo parfaite, objectif souvent atteint.

    L’exposition rencontre un franc succès, mérité, et est prolongée jusqu’à septembre 2023.

  • « Paula » de Angela Terrail Ottobah

    « Paula » de Angela Terrail Ottobah

    « Paula » est un film qui dérange par son sujet, l’emprise d’un père sur sa fille, et du fait de la façon de filmer, tout en gros plans, au plus près des personnages, parfois à l’occasion de scènes peu ragoutantes. Il s’agit du premier long-métrage de la réalisatrice Angela Terrail Ottobah qui a déclaré avoir été victime d’inceste par son « père biologique » durant cinq années de sa jeunesse. Le film est donc un peu autobiographique mais la réalisatrice, qui a fait des études de philosophie et d’ethnologie, n’a pas voulu montrer l’inceste en lui-même, se « limitant » à l’emprise exercée par un père se remettant d’une maladie respiratoire et qui emmène Paula vivre avec lui dans une petite maison de « poupées » au bord d’un lac dans une forêt.

    La question du viol c’est si énorme, si violent que ça peut prendre tout la place dans le récit et en laisser très peu pour d’autres composantes de l’inceste qui sont fondamentales pour moi. Je voulais raconter l’emprise sur le psychisme et le corps, et cette espèce d’idée de l’amour. Paula, c’est l’histoire d’un père qui aime sa fille mais très mal, au point de la tuer.

    https://www.arizonafilms.fr/upload/PAULA/Paula_dp%2006-06%20web.pdf

    On voit la situation se dégrader avec la montée des exigences du père qui force sa fille à devenir végan tendance extrême, détruit l’intérieur de la maison pour la transformer en une pièce unique et dénudée aux fenêtres obstruées, déscolarise Paula, lui fait subir des épreuves qui la terrifient la nuit dans la forêt, la coupe de toute communication, notamment avec sa mère qui est en mission en Corée… et la jeune fille réalise progressivement la démence qui s’empare de son père à son encontre. Malgré la solitude dans laquelle il l’a plongée pour mieux l’asservir, Paula va se défendre.

    Un film inquiétant qui décrit, sans doute de façon réaliste, l’aspect dévastateur du crime d’emprise ou d’inceste d’un parent sur ses enfants. La performance d’actrice de Paula dans ce film est assez stupéfiante compte tenu du sujet et de sa jeunesse, espérons qu’elle eut la maturité suffisante pour faire la différence entre le scénario et la vraie vie !

  • « Les herbes sèches » de Nuri Bilge Ceylan

    « Les herbes sèches » de Nuri Bilge Ceylan

    Un beau et étrange film du réalisateur turc Ceylan ; celui-ci reçut déjà la Palme d’or pour Winter Sleep en 2014 et cette année c’est sa comédienne Merve Dizdar qui a été primée du prix d’interprétation féminine pour son rôle dans Les herbes sèches. Le scénario se déroule dans les montages que l’on imagine au Kurdistan. Cette localisation n’est qu’à peine suggérée par une référence à la langue que parlent les enfants et au bruit de la canonnade que l’on entend parfois au loin dans la nuit.

    La majorité du film se déroule en hiver, dans un petit village au milieu de la vallée écrasée de neige, cernée par les montagnes et le plus souvent sous la tempête de flocons. Deux professeurs de l’école du village cohabitent dans la même maison et travaillent dans la même école. Ils sont perdus au milieu de nulle part et, sortis de leurs salles de classe, se retrouvent pour boire le thé autour de leur poêle. Il fait froid, humide, le climat et la saison se prêtent au nombrilisme et chacun se lamente sur son sort.

    A l’école ils jouent un peu les coqs du village et s’abandonnent à un petit jeu puéril de séduction des fillettes qu’ils enseignent. Nous sommes dans un pays de traditions ancestrales au conservatisme pesant, ils vont devoir rendre des comptes sur leur comportement.

    Lorsqu’ils se rendent à la ville la plus proche ils jouent aussi au jeu de la séduction avec Nuray qui y enseigne l’anglais après un engagement politique (pro-kurde ?) qui lui a fait perdre une jambe lors d’un attentat. Ce n’est pas celui qu’on attend qui va l’emporter dans ce jeu trouble mais il va devoir se justifier de son non-engagement face à Nuray et de sa trahison face à son camarade d’infortune.

    Le film dure 3h15, une durée à l’image des longues conversations existentielles menées par les trois personnages principaux au coin des poêles rougeoyants où chacun s’enflamme pour expliquer ses lâchetés, ses petits arrangements avec ses convictions ou sa morale. Ces huis-clos lourds et pesants sont seulement ponctués par les paysages de montagnes blancs et floconneux, c’est le face-à-face de la minéralité des lieux avec l’inertie des hommes.

    Un film lent et méditatif.

  • Des chroniqueurs de guerre inconséquents

    Des chroniqueurs de guerre inconséquents

    Le microcosme médiatique qui commente la guerre d’Ukraine depuis plus d’un an connaît des hauts et des bas au gré des avancées et reculades du front. Reporters de salon pour la plupart, renforcés par une escouade de généraux en retraite, « experts » en stratégie et différentes armes, ils commentent sans vraiment savoir grand-chose ce qui se passe au cœur de cette guerre et de ses états-majors. On se souvient de la guerre de libération du Koweït en 1991 qui fut le premier conflit filmé en direct par la chaîne américaine CNN. C’était l’apparition des chaînes d’information en continu et de la censure que les armées contrôlaient afin d’éviter le désastre informationnel de la guerre du Vietnam où les reporters de guerre avaient accès à tous les terrains de combats de leur choix, étaient même véhiculés gratuitement par les hélicoptères des Marines et pouvaient en diffuser toute l’horreur sans aucun contrôle militaire mais avec tout de même le délai nécessaire au rapatriement des bandes du Vietnam vers les Etats-Unis avant qu’elles ne soient diffusées sur les poste de télévision de l’Amérique moyenne.

    Au Koweït les journalistes assistaient aux briefings des états-majors, plus tournés vers une propagande de bon aloi que vers de l’information et ils pouvaient diffuser les images des combats fournées par l’armée. Certains étaient « embeded », c’est-à-dire choisis par la hiérarchie militaire pour accompagner telle ou telle unité de combat et autorisés, ou pas, à diffuser des images de ce qu’on leur laissait filmer. Alors sur les plateaux parisiens, ou new-yorkais, les journalistes mondains n’avaient strictement rien à dire d’intelligent sinon de constater des départs de missiles ou les cibles atteintes dont ils ignoraient la plupart du temps la localisation de ces images, ni même si elles étaient réelles ou trafiquées. C’était de la pure propagande mais les téléspectateurs restaient fascinés par ces images de la guerre moderne, garantissant ainsi de bonne audience à ces émissions qui n’ont duré que quelques semaines, le temps de renvoyer l’armée irakienne dans ses pénates.

    C’était en 1991 ! Nous sommes aujourd’hui en 2023 et la situation n’a guère changé sinon que cette guerre est beaucoup plus longue et militairement plus « équilibrée » entre les parties, ce qui laisse aux « experts » le temps et la fantaisie de changer d’avis. Admiratifs devant la résistance ukrainienne des premiers mois, enthousiastes après la débandade russe de fin 2022 qui permit la reprise de Kharkiv et de Kherson, ils sont aujourd’hui plus dubitatifs devant les difficultés ukrainiennes à reprendre du terrain à l’armée russe solidement installée derrière ses lignes sur la partie du territoire ukrainien qu’elle occupe.

    En novembre 2022 la Russie avait déjà « perdu la guerre, quoiqu’il arrive » et celle-ci allait bientôt se terminer, aujourd’hui nos commentateurs en sont moins assurés et prédisent au contraire une guerre longue, avant qu’une éventuelle nouvelle percée ukrainienne ne les fasse revenir sur leur première prédiction ?

    La réalité est que les « experts » de plateaux télévisés ne savent pas grand-chose sur ce qui se passe réellement sur le front, et encore moins sur ce que mijotent les états-majors dans le secret de leurs bunkers. Le mieux serait qu’ils commentent les images que les belligérants leur laissent filmer, donnent éventuellement quelques éléments techniques pour expliquer la différence entre les canons Ceasar et les lance-roquettes IMARS, et encore, mais qu’ils s’abstiennent de toute prévision sur l’issue de ce conflit comme tout observateur intelligent devrait le faire.

    Mais il est vrai que nous sommes dans un pays, la France, où les campagnes électorales se font désormais en partie dans les émissions de variété de caniveau de Cyril Hanouna… alors exiger de l’intelligence dans la corporation des journalistes et « experts » télévisés est une vaste tâche !

  • « Anna-Eva Bergman – voyage vers l’intérieur » au musée d’Art Moderne

    « Anna-Eva Bergman – voyage vers l’intérieur » au musée d’Art Moderne

    Anna-Eva Bergman (1909-1987) est une peintre norvégienne (puis également allemande par son mariage avec Hans Hartung) qui a vécu et créé à Stockholm, Paris, Dresde, Berlin, Oslo, Minorque (Baléares), sur la Côte d’Azur ; une artiste profondément européenne inspirée par les paysages et, surtout, les couleurs si diverses, admirés du nord au sud de ce continent. Reconnue et exposée de son vivant, elle se sépare d’Hartung pour réaliser son art par elle-même, puis se remarie avec lui près de vingt ans plus tard.

    Ses tableaux de début de carrière sont présentés dans les premières salles de l’exposition mais l’intérêt du visiteur est surtout attiré par ses tableaux composés plus tard, en route vers l’abstraction, à partir de fines feuille métalliques assemblées sur des toiles peintes. Elle utilise et perfectionne ce matériau pour restituer la minéralité des pierres ou des rochers, ou l’éternité de l’univers. Elle revient pleine d’inspiration de ces infinis à l’issue d’une croisière dans le grand nord norvégien avec Hartung en 1950.

    Pour moi, [l’horizon] contient l’éternité, l’infini, le passage vers l’inconnu […] L’horizon est la limite de l’expérience humaine […] ; une limite que j’essaie de dépasser, une expérience que je tente d’élargir. Au-delà de la frontière de l’horizon se trouve un domaine qui, quoique physiquement inatteignable pour l’homme, existe et dont on peut faire l’expérience de la Nature, quelque chose d’atmosphérique, d’irrationnel, comme l’est la métaphysique, ou l’absolu.

    Anna-Eva Bergman, 1984

    Sa technique et son sens des couleurs rendent parfaitement ce que l’on imagine être la pureté glacée de la lumière de ces contrées maritimes septentrionales.

    Jour-Nuit (Anna-Eva Bergman)

    La nuit était indescriptible. Dépassant tout ce que je pouvais imaginer. Le plus merveilleux des soleils pendant toute la nuit tandis que nous glissions entre toutes les silhouettes magiques et étranges que sont les [îles] Lofoten. Une aventure glorieuse, puissante et improbable. Les montagnes semblent transparentes, plus rien n’a d’épaisseur. Tout est comme une vision, une possibilité non encore réalisée. Si l’on veut peindre cela, il faut trouver l’expression qui suggère l’atmosphère, l’effet des couleurs. En aucune façon naturaliste.

    Anna-Eva Bergman, 29/07/1950, Journey to the North Cape

    Ses marines ressemblent à des toiles de Rothko où les bandes horizontales tracent la division de l’infini entre ciel, terre et, parfois, minéralité. Ses bleus profonds varient subtilement selon qu’ils représentent le jour ou la nuit, des notions que l’on sait étroitement mêlés dans le Grand Nord. Elle porte un regard perçant et personnel sur ce qui nous entoure et que nous ne voyons pas.

    Elle a aussi suivi des études de philosophie, est fascinée par les sciences et la cosmologie et a beaucoup écrit sur son art, ses inspirations, ses œuvres. Des vidéos sont diffusées dans le cadre de cette exposition qui la montrent en train de composer ses tableaux, quasiment jamais en train de parler. Elle est grande et fine, les traits de son visage taillés à la serpe, les cheveux courts, elle donne l’air d’une personne fiévreuse, concentrée sur ses pensées et son art, pas particulièrement épanouie ni communicative.

    Anna-Eva Bergman : une artiste très intéressante du XXème siècle.

    Ecouter aussi : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/bienvenue-au-club/anna-eva-bergman-lumiere-sur-une-artiste-oubliee-9806326

  • Le retour des sauvageons

    Le retour des sauvageons

    A la suite de la mort d’un gamin de Nanterre le 27 juin lors d’un contrôle de police qui a mal tourné, les émeutes ont repris dans un nombre important de villes françaises durant plusieurs nuits. Le policier qui a tiré a été mis en examen et attend la suite des évènements en prison. Le jeune de 17 ans conduisait une grosse berline sans permis et aurait refusé d’obtempérer au contrôle. La politicaille franchouillarde se déchaîne, rivalisant de slogans et d’absence d’analyse, la presse frétille en invitant sur ses plateaux et en montant les uns contre les autres les commentateurs les plus inconsistants et les « experts-sécurité » les plus répétitifs. L’enquête et l’éventuel procès en diront plus sur ce qui s’est vraiment passé et sur le profil des personnes impliquées dans ce drame.

    Les émeutiers n’ont pas attendu et sont descendus dans la rue pour tout casser, visant tout spécialement les bâtiments publics, et les forces de sécurité. Le pillage a été aussi une activité très pratiquée durant ces nuits de violence et nombre de magasins ont été dévalisés. Le journal Le Monde fait état d’un premier bilan font de 5 000 véhicules brûlés, 10 000 feux de poubelle, 1 000 bâtiments brûlés, dégradés ou pillés, 250 attaques de commissariats ou de gendarmerie et plus de 700 blessés du côté des forces de l’ordre. On a retrouvé une balle « réelle » dans le gilet pare-balle d’un policier en banlieue parisienne et une autre balle perdue a tué un citoyen en Guyane.

    Les images de ces émeutes sont marquantes et ce qu’on y voit relève de la guérilla urbaine. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu plus de morts et de blessés. L’arme favorite des émeutiers est le mortier de feu d’artifice dont ils semblent avoir stocké des quantités importantes leur permettant de tenir un siège. Tous ce petit monde se promène bien entendu avec des smartphones dernier cri et les abonnements internet leur permettant de communiquer sur les réseaux dits « sociaux » pour adapter leurs tactiques de minute en minute, et diffuser les vidéos de leurs exactions. Ce ne sont pas vraiment les émeutes de la pauvreté ! Le maire de L’Haÿ-les-Roses a vu le portail de sa maison défoncé par une voiture bélier et un début d’incendie forcer son épouse et ses deux enfants à fuir chez les voisins alors que le maire était à son bureau.

    Chappatte / Le Canard Enchaïné (05/07/2023)

    Les premiers jugements d’émeutiers attrapés par la police et présentés devant la justice en comparution immédiate montrent un nombre important de mineurs impliqués dans ces évènements et des citoyens lambda qui sont entrés « par hasard » ou « pour suivre » dans les magasins en cours de pillage. Un certain nombre sont allés directement du tribunal en prison. Et ce n’est pas fini, nombre de cas n’ayant pas encore été jugés.

    Bien entendu toutes ces dégradations de biens publics seront réparées aux frais des contribuables, dans un délai plus ou moins long. Les dégradations privées seront au moins partiellement payées par le secteur privé des assurances, pour les victimes qui ont souscrit des polices d’assurance. Toutes choses égales par ailleurs, la dette publique et les cotisations aux assurances privées vont augmenter. Le moral des victimes risque par ailleurs de connaître un « trou d’air » pour un moment et la Rassemblement national va se rapprocher encore un peu plus du pouvoir.

    Les pays en froid avec la France ne manquent pas une occasion de faire de l’ironie. En Russie, on se souvient que le président Poutine avait déjà rappelé que le système de retraite russe était bien plus généreux que le français et ne déclenchait donc pas de protestation du peuple, le ministre des affaires étrangères russe propose aujourd’hui que le sommet de l’OTAN soit consacré « aux divisions de la France, à la faiblesse de son armée et de ses services de sécurité ».

    L’Algérie communique par l’intermédiaire de son ministère « des affaires étrangères et de la communauté nationale à l’étranger » :

    Communiqué – L’Algérie suit avec beaucoup d’intérêt les développements de l’affaire du décès du jeune Nahel

    Le Ministère des Affaires étrangères et de la communauté nationale à l’Etranger a appris avec choc et consternation la disparition brutale et tragique du jeune Nahel et des circonstances particulièrement troublantes et préoccupantes dans lesquelles elle est intervenue.

    Le Ministère des Affaires étrangères et de la communauté nationale à l’Etranger exprime ses très sincères condoléances à la famille du défunt et l’assure que son deuil et sa peine sont largement partagés dans notre pays.

    Le Ministère des Affaires étrangères et de la communauté nationale à l’Etranger fait confiance au gouvernement français à assumer pleinement son devoir de protection, soucieux de la quiétude et de la sécurité dont doit [SIC] bénéficier nos ressortissants sur leur terre d’accueil.

    Le gouvernement algérien continue à suivre avec une très grande attention les développements de cette affaire tragique, avec le souci constant d’être aux côtés des membres de sa communauté nationale au moment de l’adversité et de l’épreuve.

    https://www.mfa.gov.dz/fr/announcements/communique-algeria-is-following-with-great-interest-developments-in-the-case-of-the-death-of-young-nahel-1

    Il faut lire le communiqué algérien pour apprendre que l’adolescent tué a à voir avec l’Algérie, la presse française n’en parle pas. Le ministère demande à la France de prendre soin de « nos ressortissants » et de « sa communauté nationale ». En fait Nahel est de nationalité française, a priori, né en France mais l’Algérie continue probablement à assimiler à sa « communauté nationale » les descendants de ses émigrés. D’ailleurs le nom du ministère intègre « la communauté nationale à l’étranger », ajoutant à la confusion qui règne déjà dans la relation entre les deux pays.

    Même l’ONU ne se prive pas de sermonner la France dans un communiqué du 20/06/2023 :

    Après une troisième nuit d’émeutes et de manifestations à travers la France à propos du meurtre par la police d’un adolescent d’origine algérienne et marocaine, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a déclaré vendredi qu’il était temps pour le pays de s’attaquer aux « profonds problèmes » de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre.

    https://news.un.org/fr/story/2023/06/1136572

    Au-delà de ces réactions internationales finalement de peu d’importance, ces émeutes, destructions du bien public et pillages qui reviennent à intervalle régulier ne font que confirmer le chemin de décadence déjà emprunté par le pays depuis quelques décennies et que ses dirigeants et élus n’arrivent à pas à inverser. Ce n’est pas étonnant, on a les dirigeants qu’on mérite. Les nôtres sont à l’image de leurs électeurs : râleurs permanents, nombrilistes impénitents, imperméables à la notion d’intérêt général, l’injure et la violence érigés en modes de fonctionnement, les élus se limitant, pour le moment, à la violence verbale. Les conditions d’une réconciliation nationale semblent s’éloigner de jour en jour. Ainsi va la France !

  • DUGAIN Marc, ‘La Volonté’.

    DUGAIN Marc, ‘La Volonté’.

    Sortie : 2021, Chez : Editions Gallimard – folio 7238.

    Avec « La volonté » le romancier Marc Dugain (né en 1957) s’éloigne (un peu) de la fiction pour le récit, celui de la vie de son père et de la relation agitée qu’il partagea avec lui. Fils d’un marin breton qui passe plus de temps en mer qu’à la maison et d’une mère austère, ce père est frappé par la poliomyélite alors que, adolescent durant la seconde guerre mondiale, il est déjà actif dans la résistance.

    Il mène alors un long combat contre les effets de cette maladie qui lui paralyse les deux jambes. Il va en récupérer une et réussira à mener une vie physiquement à peu près normale, à force d’énergie et de volonté. Il se marie avec la fille d’un grand invalide de guerre et ensemble ils partent en Nouvelle-Calédonie (il est ingénieur spécialisé dans l’étude des minéraux) puis au Sénégal où ils auront leur deux enfants. Ils fuient ainsi leurs deux familles à l’amour pesant, et pour assouvir leur envie de grands espaces et le besoin d’une vie hors de la norme.

    Ce livre est surtout l’histoire émouvante d’une relation complexe entre un père exigeant qui a connut la guerre et son fils aîné Marc, enfant des trente glorieuses et de l’apparition de la consommation de masse. Beaucoup d’incompréhension, parfois de violence, de longues périodes d’incommunicabilité et de séparation. Puis l’intervention affectueuse d’une marraine va apaiser l’adolescent Marc qui va retrouver le dialogue avec son père et faire émerger l’amour filial qui se dissimulait sous la révolte. Marc accompagne son père jusqu’au bout sur son lit de mort. Il va ensuite de rapprocher de sa mère, autour du souvenir de cet homme qu’ils ont passionnément aimé tous les deux, sous un jour différent.

    Dugain déroule la vie de sa famille à travers la grande histoire et décrit l’existence des siens comme un roman plus qu’un récit en précisant en avant-propos :

    La plus belle des fictions est celle qu’on entretient sur ses proches dans des souvenirs qui jalonnent une mémoire flottante. Ce n’est pas la biographie d’inconnus, c’est un vrai roman.

    Cet hommage brûlant aux anciens lui a forgé la conviction que nous sommes aussi et surtout ce qu’ils nous ont transmis. Il laisse ce livre émouvant à ses petits-enfants pour qu’ils sachent de qui ils viennent. C’est un noble ouvrage !

  • Buddy Guy– 2023/07/11 – Paris l’Olympia

    Buddy Guy– 2023/07/11 – Paris l’Olympia

    Buddy Guy, musicien américain né en Louisiane en 1936, émigré à Chicago, légende du blues et de la guitare, 87 ans, passe à l’Olympia ce soir dans le cadre de son « DAMN RIGHT FAREWELL TOUR », à ne surtout pas manquer ! Père d’une discographie impressionnante, 50 opus répertoriés par Wikipédia, dont le premier date de 1967 et le dernier de 2022, l’artiste est toujours productif même si le titre de cette tournée semble indiquer que l’on s’achemine doucement vers une fin…

    Buddy entre, habillé d’une resplendissante chemise à poids et d’une casquette grise, sa guitare crème en bandoulière. Il est accompagné d’un guitariste (Ric “Jaz” Hall) et d’un bassiste (Orlando Wright) qui pourraient être ses enfants, d’un batteur aux cheveux gris (Tom Hambridge) et d’un jeune claviériste (Dan Souvigny), tous deux blancs, qui ont d’ailleurs assuré la première partie.

    Le bonhomme déclenche son petit succès lorsqu’il apparaît, auréolé de sa légende du blues. C’est le dernier des survivants de tous ces guitaristes que l’on croirait sortis d’un champ de coton de la guerre de Sécession dans l’Alabama. John Lee Hooker, Muddy Waters, B.B. King, Albert King… tous partis. Alors ce soir Buddy Guy est un peu le dernier des mohicans, rôle qu’il assure avec aisance. Bavard comme une pie, malicieux avec son public, il mime les gestes de l’amour avec son bassin contre sa guitare sur She’s Nineteen Years Old, il pose celle-ci à plat sur une enceinte pour en jouer avec une baguette de tambour… mais le meilleur est quand il en joue normalement et là, c’est un déchaînement de virtuosité mêlé de sensibilité. On y retrouve ces années de blues où cette musique était écrite et jouée comme sa vie en dépendait. Mais Buddy Guy ne s’est jamais départi de son bonheur de vivre en trimballant sa guitare sur les scènes du monde entier même si pour les musiciens de sa génération la guitare et le blues étaient aussi, et surtout, des alternatives à la lutte pour les droits civiques dont les résultats furent des plus modestes au siècle dernier.

    Ce soir il interprète plus de reprises que de chansons originales, hommage à ses pairs, tous ces blueseux qui parcourent l’Amérique avec leur guitare pour s’extraire de leur condition misérable et, au passage, défendre l’émancipation des noirs dans leur pays. Cet extraordinaire sens musical leur a amené la reconnaissance et quand on voit leur influence sur le rock depuis des décennies on comprend la puissance de cette musique et l’incroyable talent de ceux qui l’ont créée et fait prospérer à travers les décennies. Il a joué avec les plus grands : Janis Joplin, The Grateful Dead, Eric Clapton, les Rolling Stones… Il a inspiré tant de groupes de rock et de guitaristes que l’on peinerait à les énumérer tous.

    Entre deux pitreries il redevient sérieux en évoquant les conditions de son enfance miséreuse en Louisiane, interpellant les premiers rangs d’un « vous ne savez sans doute même pas où est la Louisiane ! ».

    Mais il revient toujours à la musique et enchante l’assemblée lorsqu’il décline des solos avec une incroyable facilité. Et, lorsqu’il laisse la scène à son jeunot de guitariste, celui-ci développe une incroyable virtuosité, presqu’à l’égal de son Maître au meilleur de sa forme. Clou du spectacle : au terme d’une de ses envolées magiques, Ric « Jaz » fait tournoyer sa guitare comme une hélice de moulin ; elle est manifestement fixée sur un pivot accroché à sa bandoulière… Succès garanti !

    Après avoir convoqué et joué tous ses grands anciens, Buddy tire sa révérence sur I Let My Guitar Do the Talking, le premier titre de son dernier disque de 2022 :

    I left Louisiana
    Some 60 years ago
    Bought me a one way ticket
    To sweet home Chicago
    When I lost my way
    My fingers did the walking
    I don’t say too much
    I let my guitar do the talking

    Il quitte la scène un peu brusquement, signe quelques autographes sur des vinyles tendus à bout de bras par les spectateurs des premiers rangs, distribuent ses médiators et rejoint les coulisses. Il n’y a pas de rappel mais qu’importe, nous avons communié avec l’un des derniers soldats du blues, cause qu’il défend depuis toujours avec le même talent empreint d’une joie communicative. Bravo l’artiste ! Reverra-t-on Buddy Guy sur scène ?

    Dehors, une nuée de jeunes filles dorment sur le trottoir du boulevard pour être au premier rang du concert du groupe de bogoss britanniques The 1975 prévu demain. Avant-hier elles occupaient ce même trottoir pour assurer leurs places au concert de l’américaine Lana del Rey qui s’est déroulé hier. Pas sûr qu’elles connaissent Buddy Guy ?

    Setlist : Damn Right, I’ve Got the Blues/ I’m Your Hoochie Coochie Man / She’s Nineteen Years Old/ I Just Want to Make Love to You (Willie Dixon cover)/ Love Her With a Feelin’ (Tampa Red cover)/ Fever (Eddie Cooley cover)/ How Blue Can You Get? (Johnny Moore’s Three Blazers cover)/ Grits Ain’t Groceries (Little Milton cover) (with snippets of « Sunshine of… more)/ Boom Boom (John Lee Hooker cover)/ Voodoo Child (Slight Return) (The Jimi Hendrix Experience cover)/ Strange Brew (Cream cover)/ Drowning on Dry Land (Albert King cover)/ Skin Deep/ I Let My Guitar Do the Talking

  • Dialogue sur une aire de repos

    Dialogue sur une aire de repos

    Une grosse berline est arrêtée à l’ombre des arbres d’un parking de station essence au bord d’une route bretonne à quatre voies. A l’arrière une vieille femme, voilée et âgée, somnole, devant, une jeune maman donne le biberon un nourrisson et à l’extérieur un papa jovial s’occupe de sa petite fille. Ils sont en route pour des vacances à Perros-Guirec.

    Le chroniqueur est également au repos pas loin de la berline, la petite fille vient lui rendre visite et le voilà qui entame la conversation avec le papa jovial et sympathique, jeune quarantenaire avec un peu d’embonpoint et la barbe de quatre jours de rigueur, ingénieur informaticien, autrefois freelance mais désormais salarié depuis qu’il a deux enfants « pour la sécurité financière ».

    Et puis la conversation tourne vers la réforme des retraites françaises. Le papa goguenard ne semble pas traumatisé par l’allongement du nombre d’années à travailler pour sa génération avant de pouvoir prendre une retraite à taux plein :

    – Moi j’ai fait Bac+5, donc j’ai commencé à travailler à 25 ans, 25 + 43 cela une retraite à 68 ans !
    – Oui, c’est assez logique, mais vous n’avez jamais travaillé durant vos cinq années d’études, vous n’avez pas accumulé quelques trimestres à l’assurance vieillesse ?
    – Ah non, je n’ai pas travaillé durant mes études.
    – Ce n’était pas interdit pourtant et puis c’est plutôt intéressant même s’il s’agit de « petits boulots », ça forme le caractère et… ça rapporte des trimestres pour la future retraite.
    – Ah oui, c’est vrai, eh bien je le dirai à mes enfants pour plus tard !

    Et la petite famille repart dans sa confortable berline, probablement une voiture de fonction, vers un repos breton sans doute bien mérité. Encore un citoyen qui devait être opposé à la réforme des retraites et qui, manifestement, ignorait la fable de La Fontaine « La cigale et la fourmi ». Tant pis pour lui, il travaillera un peu plus longtemps que ses aînés et il n’en mourra pas.

    Ségolène Royal, toujours à propos
  • WEIL Simone, ‘L’Enracinement – prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain’.

    WEIL Simone, ‘L’Enracinement – prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain’.

    Sortie : 1943, Chez : Editions Gallimard.

    Simone Weil (1909-1943) est une philosophe française « humaniste » qui a cherché à expliquer la condition ouvrière à l’aune de l’analyse marxiste mais sans être véritablement « révolutionnaire ». Née juive, elle adhère (sans se convertir) à la spiritualité chrétienne. Normalienne, agrégée de philosophie à 22 ans, elle enseigne puis travaille en usine, fréquente l’Espagne aux temps de la guerre contre le franquisme, compagnonne un temps avec l’anarchisme, le trotskisme, visite l’Allemagne pour mieux comprendre l’hitlérisme dans les années 1930, elle se plonge dans les textes grecs, chrétiens, hindouistes, bouddhistes… Elle écrit le fruit de toutes ces multiples réflexions. La majorité de ses écrits sera publiée après sa mort. Elle s’exile à Londres en 1942 où elle écrit son œuvre majeure : « l’Enracinement ». D’une santé fragile, elle est tuberculeuse, épuisée physiquement et psychiquement, elle meurt d’une crise cardiaque à l’âge de 34 ans.

    C’est évidement son jeune âge qui frappe en premier lieu à la lecture de L’Enracinement, on reste stupéfait devant l’accumulation de lecture et de savoir sur laquelle elle forge ses analyses, ainsi que par la puissance de sa pensée. Comment à seulement 34 ans a-t-elle pu incorporer toute cette connaissance de la philosophie et de l’Histoire ? Par quelle intelligence supérieure arrive-t-elle à ordonner sa pensée et restituer ses analyses de façon aussi claire pour un lecteur non initié à la philosophie ?

    Dans la première partie intitulée « Les besoins de l’âme », Mme. Weil différencie la notion d’obligation de celle de droit qui lui est « subordonnée et relative », puis liste les « besoins de l’âme » à ne pas confondre avec « les désirs, les caprices, les fantaisies ou les vices » et de définir l’ordre, la liberté, l’obéissance, la responsabilité, l’égalité, la liberté d’opinion, la vérité… Bref, une sorte de vade-mecum de ce qui devrait être la ligne de conduite des démocraties.

    Dans la seconde partie « Le déracinement » elle déplore la « maladie du déracinement » lorsqu’un peuple ou une classe sociale n’a plus accès à ses racines morales, intellectuelles, spirituelles. Ces racines viennent soit de son milieu soit elles infusent par échanges entre les classes. Il y a déracinement, notamment, lors des conquêtes militaires : les Celtes en Gaulle, les Maures en Espagne, les Allemands en Europe ou la France en Océanie, les conquérants cherchant systématiquement à effacer l’histoire des nations conquises, à les déraciner. De ce fait, la conquête militaire est assimilée au mal.

    L’argent est aussi un puissant facteur de déracinement au sein d’une même société. Pour éviter celui-ci, Weil expose sa conception d’une organisation idéale du travail, ouvrier comme paysan, qui « serait éclairé de poésie », un système ni capitaliste ni socialiste qui abolirait la condition prolétarienne et dont l’orientation serait non pas « l’intérêt du consommateur » mais « la dignité de l’homme dans le travail, ce qui est une valeur spirituelle ».

    Elle explique aussi l’apparition de ce déracinement nuisible par la disparition du sens des collectivités qui correspondaient à des territoires, aujourd’hui balayé par celui de la nation « c’est-à-dire l’Etat » qui s’est substitué à tout pour « assurer à travers le présent une liaison entre le passé et l’avenir ». Et d’illustrer dans une vaste fresque historique, de l’empire romain à l’Europe de la première moitié du XXème siècle les notions de patrie, de nation, d’obéissante et de désobéissante, des contradictions insolubles du concept de patriotisme, de la brutalité des conquérants en relativisant leurs cruautés respectives.

    La troisième partie, L’Enracinement, débute par une analyse de l’effondrement de la France en 1870 malgré le fait que c’est elle qui ouvrit les hostilités contre la Prusse, jusqu’à la rédemption initiée par le mouvement gaulliste susceptible de restaurer le génie du pays au-dessus du chaos (rappelons que le livre est écrit entre 1940 et 1942, époque où la guerre est loin d’être terminée) :

    La vraie mission du mouvement français de Londres est, en raison même des circonstances politiques et militaires, une mission spirituelle avant d’être une mission politique et militaire.
    Elle pourrait être définie comme étant la direction de conscience à l’échelle d’un pays.

    S’en suivent de complexes déroulements sur la force, l’histoire, la poésie, la tradition, la spiritualité qui enracinent la puissance d’une nation. Si l’univers entier est régi par la force, comment l’homme pourrait-il s’en soustraire ? Elle constate ensuite l’incompatibilité entre religiosité et science et ramène le christianisme à « une convenance relative aux intérêts de ceux qui exploitent le peuple » où l’esprit de vérité est absent.

    La philosophe écrit fiévreusement sur les voies à emprunter pour élever l’inspiration de la nation et la spiritualité de son peuple en évitant les dérives constatées dans l’histoire, dont le cas Hitler n’est pas des moindres. Nombre de sujets résonnent encore aujourd’hui d’une brulante actualité : la spiritualité des nations, la science et la religion, la dévastation générée par les conquêtes militaires… Il faut faire quelques efforts pour pénétrer la pensée de la philosophe mais ceux-ci sont très largement récompensés par l’impression d’en partager la saveur.

    NB : le livre a été publié par Albert Camus.

    Lire aussi : La Corse déracinée

  • « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti

    « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti

    Un joli film de Nanni Moretti qui se met en scène lui-même dans « Vers un avenir radieux » dont il est l’acteur principal, Giovanni, réalisateur. Le film raconte le tournage d’un film par Giovanni au sujet d’une cellule du parti communiste italien en 1956 (cellule « Antonio Gramsci ») alors que les grands-frères soviétiques envahissent le « peuple frère » de Hongrie.

    Dans le même temps le réalisateur se montre embourbé dans les problèmes financiers de sa production, la psychanalyse de sa femme qui n’arrive pas à se séparer de lui, sa fille qui lui annonce son projet de mariage avec l’ambassadeur de Pologne de trois fois son âge, le monde du cinéma qui évolue au-delà de ce que Giovanni peut comprendre avec notamment un moment hilarant où une productrice Netflix lui annonce que son film est bon mais manque de moments « what the fuck! ». Les yeux ronds désespérés qu’ouvre Giovanni devant cette remarque attestent de son décalage avec le monde moderne dont il commence à prendre conscience.

    A défaut de se satisfaire du présent, il se jette à corps perdu dans le passé évoqué par son film dont il reprend la fin pour la rendre heureuse : le chef de la cellule « Antonio Gramsci » au lieu de se suicider devant la félonie du grand frère soviétique va prendre la tête d’une rébellion communiste pour forcer le PCI à prendre position contre l’invasion soviétique de la Hongrie de 1956. La vraie vie fut toute autre…

    Le film est délicieux et amère. L’humour de Moretti est toujours désopilant pour aborder les sujets légers comme tragiques. C’est le portait d’un septuagénaire et le tableau d’une époque qui s’effacent doucement, sans drame, avec l’élégance italienne.

  • « La Musique dans les camps nazis » au Mémorial de la Shoah

    « La Musique dans les camps nazis » au Mémorial de la Shoah

    Le Mémorial de la Shoah revient sur l’utilisation qui a été faite de la musique dans les camps de concentration et d’extermination allemands durant la décennie du pouvoir nazi. Pour la patrie de Brahms et de Beethoven la musique était, bien sûr, un élément fondateur de la culture aryenne, partie prenante de l’éducation de ses enfants et de son environnement militariste. Elle a accompagné la logique des camps et a été utilisée par leurs dirigeants pour ponctuer les entrées et sorties des camps, mais aussi des séances de tortures ou d’exécutions publiques, voire des fêtes organisées par les soldats « SS » pour un anniversaire ou une célébration quelconque.

    Les prisonniers devaient aussi apprendre des chants de guerre allemands pour marcher au pas et en rythme. Une vidéo hallucinante extraite du film « Shoah » de Jacques Lanzmann (tourné à la fin des années 1970) montre l’adjoint d’un camp de la mort chantonner l’hymne du camp écrit par son supérieur et dans lequel il est question de discipline, de bonheur par le travail et de lendemains enchanteurs…

    Les déportés musiciens bénéficiaient d’un statut légèrement favorisé par rapport aux autres. Du fait de leur faible nombre, les Allemands voulaient les garder en vie afin qu’ils assurent cette fonction orchestrale, à la fois « divertissante » mais aussi marquant la discipline qu’ils voulaient imposer à leurs prisonniers. Les nazis déifiaient Wagner, Beethoven, Strauss (décédé en 1949, son hymne olympique est joué aux Jeux Olympiques de Verlin en 1936, il est acquitté en 1948 par le tribunal de dénazification) qu’ils interdisent de jouer aux musiciens juifs de ces orchestres des camps !

    Manquant d’instruments et de partitions, les nazis en commandent à l’extérieur aux frais des déportés. Une contrebasse fabriquée à Mauthausen avec les moyens du bord est exposée.

    Immuablement, nous jouons matin er soir, par n’importe quel temps, qu’il gèle, qu’il neige ou qu’il vente ; il semble impossible aux Allemands d’envisager la sortie ou la rentrée des commandos sans notre concours. Lorsqu’il y a du brouillard, les commandos ne sortent pas avant qu’il ne soit dissipé : le brouillard favorise les évasions. Nous devons alors rester de longues heures à jouer des airs divertissants jusqu’à ce que l’ordre d’attaquer nos marches soit donné.

    Simon Laks, René Coudy, Musiques d’un autre monde, 1948

    Mais la musique est aussi un moyen de réconfort pour les déportés qui s’organisent pour en jouer et en composer à l’abri des regards et des oreilles allemands, dans l’intimité de leurs baraquements sinistres. Certains des poèmes mis en musique à l’époque sont exposés et des bandes-son sont proposées. Une des chansons bouleversantes a été écrite par un des membres du commando en charge d’incinérer les corps des prisonniers assassinés et qui reconnait celui de son fils.

    Qui a visité le camp d’Auschwitz-Birkenau se souvient de cette dalle, tout juste à droite après le portique d’entrée « Arbeit mach free » sur laquelle se tenaient les « musiciens » lorsque les déportés entraient ou sortaient, et se pose toujours la même question sans réponse de savoir comment la patrie de Brahms a-t-elle pu engendrer une telle horreur ?

  • Dans un bistrot du Vème

    Dans un bistrot du Vème

    Street Art

    Un philosophe a décoré les toilettes de ce bistrot.