Des chroniqueurs de guerre inconséquents

Le microcosme médiatique qui commente la guerre d’Ukraine depuis plus d’un an connaît des hauts et des bas au gré des avancées et reculades du front. Reporters de salon pour la plupart, renforcés par une escouade de généraux en retraite, « experts » en stratégie et différentes armes, ils commentent sans vraiment savoir grand-chose ce qui se passe au cœur de cette guerre et de ses états-majors. On se souvient de la guerre de libération du Koweït en 1991 qui fut le premier conflit filmé en direct par la chaîne américaine CNN. C’était l’apparition des chaînes d’information en continu et de la censure que les armées contrôlaient afin d’éviter le désastre informationnel de la guerre du Vietnam où les reporters de guerre avaient accès à tous les terrains de combats de leur choix, étaient même véhiculés gratuitement par les hélicoptères des Marines et pouvaient en diffuser toute l’horreur sans aucun contrôle militaire mais avec tout de même le délai nécessaire au rapatriement des bandes du Vietnam vers les Etats-Unis avant qu’elles ne soient diffusées sur les poste de télévision de l’Amérique moyenne.

Au Koweït les journalistes assistaient aux briefings des états-majors, plus tournés vers une propagande de bon aloi que vers de l’information et ils pouvaient diffuser les images des combats fournées par l’armée. Certains étaient « embeded », c’est-à-dire choisis par la hiérarchie militaire pour accompagner telle ou telle unité de combat et autorisés, ou pas, à diffuser des images de ce qu’on leur laissait filmer. Alors sur les plateaux parisiens, ou new-yorkais, les journalistes mondains n’avaient strictement rien à dire d’intelligent sinon de constater des départs de missiles ou les cibles atteintes dont ils ignoraient la plupart du temps la localisation de ces images, ni même si elles étaient réelles ou trafiquées. C’était de la pure propagande mais les téléspectateurs restaient fascinés par ces images de la guerre moderne, garantissant ainsi de bonne audience à ces émissions qui n’ont duré que quelques semaines, le temps de renvoyer l’armée irakienne dans ses pénates.

C’était en 1991 ! Nous sommes aujourd’hui en 2023 et la situation n’a guère changé sinon que cette guerre est beaucoup plus longue et militairement plus « équilibrée » entre les parties, ce qui laisse aux « experts » le temps et la fantaisie de changer d’avis. Admiratifs devant la résistance ukrainienne des premiers mois, enthousiastes après la débandade russe de fin 2022 qui permit la reprise de Kharkiv et de Kherson, ils sont aujourd’hui plus dubitatifs devant les difficultés ukrainiennes à reprendre du terrain à l’armée russe solidement installée derrière ses lignes sur la partie du territoire ukrainien qu’elle occupe.

En novembre 2022 la Russie avait déjà « perdu la guerre, quoiqu’il arrive » et celle-ci allait bientôt se terminer, aujourd’hui nos commentateurs en sont moins assurés et prédisent au contraire une guerre longue, avant qu’une éventuelle nouvelle percée ukrainienne ne les fasse revenir sur leur première prédiction ?

La réalité est que les « experts » de plateaux télévisés ne savent pas grand-chose sur ce qui se passe réellement sur le front, et encore moins sur ce que mijotent les états-majors dans le secret de leurs bunkers. Le mieux serait qu’ils commentent les images que les belligérants leur laissent filmer, donnent éventuellement quelques éléments techniques pour expliquer la différence entre les canons Ceasar et les lance-roquettes IMARS, et encore, mais qu’ils s’abstiennent de toute prévision sur l’issue de ce conflit comme tout observateur intelligent devrait le faire.

Mais il est vrai que nous sommes dans un pays, la France, où les campagnes électorales se font désormais en partie dans les émissions de variété de caniveau de Cyril Hanouna… alors exiger de l’intelligence dans la corporation des journalistes et « experts » télévisés est une vaste tâche !