« Vermeer, la plus grande exposition » au cinéma

L’exposition Vermeer au Rijksmuseum d’Amsterdam était à peine en train de se terminer au printemps 2023 qu’un film sur l’exposition était diffusé dans les salles. Les tableaux présentés sont magnifiquement filmés, vues d’ensemble comme gros plans sur les détails. Les commentaires et explications des spécialistes du peintre néerlandais du XVIIème siècle (1632-1675) et des commissaires de la rétrospective éclairent intelligemment le spectateur.

On se laisse aller à plonger dans cette superbe transcription d’une époque passée des Pays-Bas et de ses habitants. Vermeer fut le peintre d’une quarantaine d’œuvres, seulement, mais chacune d’elle est éclairée d’une lumière qu’il sait rendre de façon magique et sophistiquée donnant une apparence très caractéristique à ses couleurs. Voir la peinture au cinéma est une bonne idée, d’ailleurs le petit cinéma de quartier où le film était présenté en matinée ce dimanche était complet.

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« Basquiat x Warhol, à quatre mains » à la fondation Louis Vuitton

1983, New York, la Factory d’Andy Warhol (1928-1987) a déménagé, le Velvet Underground a raccroché des guitares depuis longtemps, Basquiat (1960-1988) a transformé la culture populaire du graffiti mural en une explosion de peinture magistrale, il rencontre enfin Warhol qui l’a toujours profondément inspiré. Une génération les sépare et ils décident de travailler ensemble sur des toiles gigantesques. Ils en produiront 160. Les locaux de la Factory, vides, sont encore disponibles et servent d’atelier à la mesure des ambitions de nos deux compères qui partageait les services du même marchand d’art. La fondation Louis Vuitton expose le résultat de ce travail dans onze salles déployées sur trois étages.

Leur méthode est détaillée : Andy démarrait la toile en y inscrivant un élément d’actualité ou une marque commerciale, sérigraphiée ou peinte (ce travail à quatre mains l’a fait revenir à la peinture), sur laquelle intervenait ensuite Basquiat avec, généralement, ses thèmes favoris : ses origines africaines (haïtiennes en fait) illustrées par des masques d’homme noir, des mots raturés, des nombres, des prix en $, des instruments de musique… Les premières toiles exposées sont également cosignées par le peintre italien Francesco Clemente, acteur de cette période new-yorkaise débridée et créative.

Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, 6,99, (1984)

Les conceptions du monde l’art des deux artistes s’affrontent, Warhol sans doute plus impliqué dans le business joue avec les marques quand Basquiat les conteste. Ils dialoguent et se répondent par pinceaux et couleurs interposés. Ils se portraiturent l’un-l’autre, l’un avec l’autre, jouant avec les symboles qu’ils ont contribué à créer. Warhol est décliné à plusieurs reprise mêlé à la fameuse banane dessinée pour la couverture du premier album du Velvel Underground. On se croirait dans un article du Village Voice.

Les toiles à deux sont immenses, à la fois infantiles et complexes, aux couleurs vives. A première vue elles ressemblent à du Basquiat tant son dessin est caractéristique mais l’intervention de Warhol, généralement plus discrète, est aussi notable. Il faut se perdre dans les détails quand le regard veut prendre du recul, fasciné par l’ensemble coloré éclatant. Les deux artistes ont fait preuve d’une incroyable productivité et une exposition sera montée à New York en 1985 avec une (petite) partie de ces créations et dont l’affiche est celle des deux boxeurs, reprise par la fondation Louis Vuitton près de quarante années plus tard. Ces tableaux réjouissent le visiteur tant ils sont représentatifs du foisonnement de l’art à New York à cette époque, sous toutes ses formes. Ce fut une véritable explosion de créativité dans laquelle ces deux là ont pris une place de choix.

La mort inattendue de Warhol en 1987 surprend et peine son premier admirateur qui a su s’émanciper du maître avec beaucoup de talent. Il produit une installation en sa mémoire : « Gravestone », une porte beigne sur laquelle est incrit deux fois la mention « Perishable », entourée de chaque côté de deux petits panneaux joints à la porte par des charnières, une croix et une fleur sur celui de gauche, un masque africain sur celui de droite. Hélas, Basquiat lui succédera dans l’au-delà un an plus tard. Il reste leurs œuvres, sublimes !

La fin de l’exposition revient justement sur l’atmosphère de ces années 1980 avec moulte photos où l’on reconnait, outre Warhol et Basquiat, les acteurs de la scène artistique du downtown new-yorkais de ce temps : Keith Haring, David Hockney, William Burroughs, Timothy Leary, mais aussi Brian Ferry, Madonna, Grace Jones, Nick Rhodes et Simon Le Bon (du groupe Duran Duran), Julian Schnabel… On se croirait dans un article du Village Voice.

Keith Haring & La II (1987)

Une dernière vidéo montre les deux artistes, émouvants, Basquiat aux cheveux courts lui donnant un air adolescent, Warhol, énigmatique et souverain, posant des questions absurdes à son « élève qui l’a dépassé [en $] » et qui y répond dans de grands éclats de rire.

Lire aussi : Basquiat-Shiele à la Fondation Louis Vuitton

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« Manet / Degas » au musée d’Orsay

Edouard Manet (1832-1883) et Edgar Degas (1834-1917) ont marqué la peinture de la fin du XIXème siècle. Ce que l’on ne savait pas forcément est qu’ils furent amis, ont subi des influences communes et porté un regard croisé sur le monde d’alors. Le musée d’Orsay (sur-fréquenté en ce jeudi de l’ascension) expose les deux peintres en une succession de tableaux : portraits variés de familles (les leurs ou celle de Berthe Morisot), amis et donneurs d’ordre, autoportraits, scènes de bistrot, de salles-de-bain, de champs de course… On apprend que les deux peintres se sont fâchés et réconciliés, menant de concert une rivalité artistique très féconde.

Degas le solitaire s’est consacré sur des atmosphères un peu diffuses et brumeuses quand Manet, plus mondain et ouvert sur le monde marque les contours de ses peintures de façon plus nette et précise. Tous deux ont été marqués par la guerre contre les Prussiens en 1870 et la commune qui s’en suivie. Des dessins rendent la violence de cette période. Le dernier tableau montré est de Manet qui reprend l’exécution de l’empereur Maximilien au Mexique par les rebelles républicains en 1867 après avoir été lâché par la France de Napoléon III.

Toute une époque… et une époque qui fait des émules si l’on en juge par le nombre de téléphones mobiles qui défilent devant les tableaux avec des visiteurs derrière prenant des photos !

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« Ramona fait son cinéma » d’Andrea Bagney

Un film délicieux, premier long métrage de la réalisatrice espagnole Andrea Bagney sur l’histoire intimiste d’une apprenti-actrice (Lourdes Hernandez) ballotée entre son fiancé et le réalisateur du film dans lequel elle tourne. L’actrice, la vraie, est une chanteuse folk connue en Espagne sous le nom de Russian Red (du nom du rouge-à-lèvres qu’elle utilise) avec quatre albums à son actif depuis 2008 et des tournées internationales.

Elle fait parfaitement l’affaire dans le rôle de la femme amoureuse et versatile qui hésite à choisir l’homme de sa vie et n’arrive pas à cacher à son financé-cuisinier qu’elle éprouve un coup de cœur pour un potentiel fiancé-réalisateur… Le film est en noir-et-blanc, tourne autour des trois personnages et de la réalisation du film dans le film. Lourdes est désarmante de fraîcheur et d’indécision. C’est la comédie de l’amour dans notre vie de tous les jours. Un très joli moment.

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« Esclavage, mémoires normandes » à l’Hôtel Dubocage de Bléville du Havre

C’est la partie havraise de l’exposition sur l’esclavage partagée entre les villes de Rouen, Honfleur et Le Havre. La traite des esclaves a considérablement enrichi les armateurs normands et toute la région, comme ce fut le cas pour les autres ports « négriers » de Nantes, La Rochelle et Bordeaux. Le Havre revient sur cette histoire trouble dans l’hôtel Dubocage de Bléville, du nom du navigateur-explorateur havrais (1676-1727) qui y installe une grande maison de négoce maritime après un voyage de neuf années qui l’a mené jusqu’en Chine.

L’histoire est désormais connue et documentée mais il ne fait jamais de mal d’y revenir. L’Europe disposait de colonies en Amérique (sur le territoire continental américain et les îles des Caraïbes [Saint-Domingue notamment]) qui produisent des biens (coton, bois, cacao…) qui étaient vendus sur le vieux continent qui, à l’époque, est encore « neuf ». Au début travaillaient dans les colonies des européens plus ou moins volontaires. Assez rapidement il fallut augmenter la productivité de la production et seule une force de travail « bon marché » pouvait permettre d’attendre cet objectif. Les Etats comme la France encouragent l’achat d’esclaves en Afrique et leur installation dans les colonies d’Amérique. Le « code noir » officialise en 1685 sous Louis XIV ce trafic dit « triangulaire » tout en édictant quelques limites pour le traitement des exclaves, qui furent généralement allègrement dépassées.

Les marchands esclavagistes français affrétaient des bateaux quittant les ports français chargés de « verroterie » (bracelets, bijoux de pacotille, mais aussi des armes plus ou moins antédiluviennes) qui servaient à payer les esclaves achetés à leurs propriétaires africains. L’esclavage existe bien entendu depuis des millénaires, y compris en Afrique. La traite (le « commerce » de ceux-ci) se pratique également depuis des lustres mais la « traite atlantique » va industrialiser le phénomène avec des objectifs « commerciaux » ambitieux. Pour les atteindre il va falloir déshumaniser les esclaves et les traiter comme des « intrants » au processus industriel…

L’exposition de l’Hôtel Dubocage revient sur les différentes étapes de ce trafic d’êtres humains et sur les conditions de celui-ci à travers des tableaux et des gravures d’époque. Sont également exposés des relevés « comptables » des échanges de marchandises : combien de verroterie remises aux vendeurs locaux pour acheter les esclaves. Ceux-ci étaient complètement anonymisés sur ces relevés : pas de nom, juste des valorisations. Des schémas montrent la disposition des esclaves dans les bateaux qui les transportaient d’Afrique vers les Amériques, installés tête-bêche dans les entreponts du navire où ils ne pouvaient pas même se tenir debout, ce qui n’est pas sans rappeler les châlis où étaient entassés les déportés dans les camps de concentration allemands de la seconde guerre mondiale. Cela explique les taux de mortalité de 10 à 20% constatés au bout du voyage et consciencieusement notés sur le journal de bord car venant minimiser la marge des négociants.

Les conditions de vie dans les plantations antillaises où ils étaient débarqués n’étaient guère meilleures et leurs maîtres prenaient des libertés avec le « Code noir » et avaient quasiment droit de vie ou de mort sur leurs esclaves. Certains esclaves se révoltèrent, en Haïti notamment, d’autres furent libérés, certains mêmes habitèrent aux Havre pour servir leurs maîtres en France. Il y eut tout de même des consciences pour s’élever contre l’esclavage comme l’écrivain havrais Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre qui publia « Paul et Virginie » en 1788. Ouf, cela rattrape un peu la réputation de la région…

Une exposition troublante !

Voir aussi : https://esclavage-memoires-normandes.fr/

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« Marquet en Normandie » au MuMa du Havre

Le Musée André Malraux (MuMa) expose Albert Marquet (1875-1947) peintre « fauviste » et inspiré par la Normandie et ses couleurs si particulières. Les œuvres accrochées ont toutes rapport à la côte normande, Le Havre, Honfleur, Rouen, la Seine…, des ports, des plages, et, surtout, la mer et le ciel, avec toutes les nuances de vert et de bleu que la Normandie sait offrir. Marquet a arpenté cette côte avec son chevalet et son ami de Raoul Duffy. C’est le résultat de ces pérégrinations artistiques que présente de MuMa. Il a aussi parcouru le monde dont l’Algérie où il passe la seconde guerre mondiale quelques années avant sa mort, là-encore un pays de toutes les lumières. Certaines toiles de cette période sont exposées.

Je ne sais ni écrire ni parler mais seulement peindre et dessiner. Regardez ce que je fais. Ou je suis arrivé à m’exprimer ou j’ai échoué. En ce cas, que vous me compreniez ou pas, par votre faute ou par la mienne, je ne peux pas faire plus.

Albert Marquet (1936)

L’eau est partout, rendue dans des paysages de plages ou de falaises bucoliques mais aussi peinte sur fond d’outils industriels et portuaires. Marquet est spécialisé dans la « vue plongeante » comme ne le montre pas le port d’Honfleur ci-dessus. Il est surtout un maître hors pair de la lumière dont le rendu dans ses toiles est subjuguant. Les personnages ou objets présents dans ses tableaux sont les plus souvent esquissés d’un trait, sans trop de détails, laissant le visiteur se plonger dans la méditation inspirée par les couleurs de la nature et des paysages.

Lire aussi : Marquet au musée d’art moderne de Paris

Le MuMa est posé sur le port marquant l’influence de la mer sur l’art en Normandie. Entre la digue et le musée trône une sculpture monumentale d’Henri-Georges Adam : « Le Signal ». En plus de Marquet, il dispose d’une belle collection de tableaux des artistes Sisley, Duffy, Renoir, Braque, Pissarro, Boudin, Monet… C’est l’ancien musée des Beaux-Arts qui n’a pas résisté aux bombardements de 1944, les sculptures ont été transformées en cendres mais les peintures qui avaient été déplacées en lieu sûr furent épargnées. Il est reconstruit en 1952 à l’entrée du port. Inauguré par André Malraux en 1961, il préfigure à l’époque ce que seront les « maisons de la culture », grand œuvre du ministre de la culture de De Gaulle.

Le MuMa et, devant, la scupture « Le Signal »

Avant de sortir, repas ou café au restaurant du musée, vue sur les incessantes entrées et sorties de gros navires au milieu desquels se mêlent des kite-surfers agiles et élégants ; la mer, vous dit-on, toujours la mer.

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« Julia Pirotte, photographe et résistante » au mémorial de la Shoah

Julia Pirotte (1907-2000) est une photographe de presse polonaise. Sa famille d’origine juive s’installe à Varsovie avec les trois enfants après le décès de la mère où Julia, son frère et sa sœur, encore adolescents, adhèrent au parti communiste polonais. A ce titre Julia est emprisonnée quatre ans par la justice polonais, à 17 ans, et son frère s’exile en URSS pour fuir le régime autoritaire du pays au mitan des années 1920. L’oppression se renforçant en Pologne, Julia doit fuir à son tour et trouve refuge en Belgique où elle épouse Jean Pirotte, un syndicaliste belge, et obtient la nationalité belge. Ouvrière dans différentes usines en Belgique elle poursuit son engagement politique et écrit des articles dans la presse « progressiste » illustrés par ses propres photos.

En 1940, fuyant l’invasion de la Belgique par l’Allemagne elle s’installe à Marseille alors située en zone libre où elle va réaliser des reportages sur le monde ouvrier et populaire local et entre en résistance dans le réseau communiste Francs-tireurs et partisans (FTP) Main-d’œuvre immigrée (MOI). Sa sœur Mindla, également résistante est capturée par les Allemands, torturée, déportée puis guillotinée. Julia participe et photographie l’insurrection de Marseille. Immédiatement après la libération elle retourne en Pologne encore agitée par des vagues antisémites. Elle photographie le pogrom de Kielce de 1946, crée une agence de presse « Walf », photographie la reconstruction de son pays, le congrès pour la paix de 1948 à Wroclaw où elle prend des portraits, notamment de Picasso et Irène Joliot-Curie qui y participent, elle fait un reportage dans un kibboutz en Israël.

La soeur de Julia, Mindla, assassinée par les allemends pour fait de résistance

Dans les années 1960-1970 son travail commence à être reconnu et exposé à travers le monde. C’est une partie de celui-ci qui est exposé aujourd’hui par le mémorial de Shoah. Les clichés noir-et-blanc marquent son attrait pour les milieux populaires, particulièrement les portraits. Son engagement communiste et résistant transpire de toutes ces photos et quelques vidéos montrent cette femme modeste au crépuscule de sa vie, qui toujours est retournée dans son pays natal, la Pologne, quels qu’en soient les régimes et les risques pour une juive.

Elle est passée au travers de toutes les embûches de ce siècle et a témoigné de toutes ses tragédies.

Une exposition émouvante !

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« Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 30 » au musée de l’Orangerie

Henri Matisse (1869-1954) est exposé à l’Orangerie et, plus précisément, sa période post-1930 mise valeur par la revue Cahiers d’art dont sont également montrés les archives sous vitrine. Revue porte-voix du modernisme, elle plaça à juste titre Matisse dans cette catégorie, avec Picasso. Il rentre cette année-là d’un voyage à Tahiti sur les traces de Gauguin, il en ramène une nouvelle inspiration, pleine de couleurs chatoyantes. Des odalisques et des nus sont montrés avec ce dessin caractéristique du peintre, les formes sont juste esquissées mais le rendu est extrêmement précis. Le « Nu rose » mérite le déplacement à lui tout seul : une merveille de sensualité et de modernité, rehaussée par cette originale couleur rose.

Les années 1930 sont aussi la période où Matisse se met à la sculpture dont des exemplaires tout en rondeur sont montrés ici, accompagnés également de nombre de dessins de l’artiste. Lors d’un séjour aux Etats-Unis en 1930 il fut commandité par le collectionneur Albert Barnes pour réaliser une œuvre monumentale, La Danse, afin de d’orner sa fondation à Philadelphie.

Fondation Barnes

Une pièce d’essai en grandeur nature est exposée, toujours ce dessin matissien, simple, expressif et tout en rondeur.

Recommandation

Nous sommes à l’Orangerie, un passage dans les deux salles des Nymphéas s’impose.

Devant les huit toiles gigantesques de Claude Monnet, brancher Piano Works de Philippe Glass interprété par l’excellent pianiste Vinkingur Olafsson, écoutez et laissez-vous plonger dans la méditation.

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« Les âmes perdues » de Stéphane Malterre et Garance Le Caisne

Un documentaire glaçant sur l’affaire « César », du nom de code de ce photographe de l’armée syrienne qui a pris plus de 50 000 clichés des cadavres d’opposants syriens torturés puis tués par la police du régime au cours des années 2010 : fuyant Damas, il remit ses photos aux autorités occidentales (gouvernements, organisations non gouvernementales [ONG] et institutions multilatérales) qui les utilisent pour documenter les crimes du gouvernement syrien.

Le film suit surtout les démarches initiées par des familles syriennes exilées en France et en Espagne, bénéficiaires de la double-nationalité et qui ont reconnu des parents sur les photos des victimes, pour déposer plainte dans les pays d’accueil contre des dirigeants syriens. Ces processus judiciaires avancent difficilement car mettant en jeu des aspects politiques et diplomatiques, outre ceux ayant trait aux droits de l’homme. Toutefois des premières condamnations tombent en Allemagne contre des officiers syriens qui s’y étaient installés après avoir suivi la route des réfugiés en 2015 puis été identifiés par certaines de leurs victimes. La France s’apprête de son côté à juger par contumace trois généraux syriens pour crime contre l’humanité.

Les photos de « César » sont juste survolées. Même floutées elles montrent l’horreur à laquelle ont été soumises les victimes, hommes et femmes, jeunes et vieux. Elles illustrent aussi le sentiment de total impunité des autorités syriennes qui ont-elles-mêmes documenté leurs crimes avant d’émettre les certificats de décès nominatifs pour toutes victimes décédées, reconnaissant ainsi les faits… Un juriste explique dans le documentaire que les crimes syriens sont bien mieux documentés que l’ont été ceux des nazis au procès de Nuremberg en 1945 contre les 24 principaux responsables du régime nazis encore vivants à la fin de la seconde guerre mondiale.

Par les temps qui courent on peine à imaginer qu’un procès similaire puisse être tenu contre la famille al-Assad qui gouverne ce pays d’une main de fer depuis 1971, le fils Bachar ayant succédé à son père Hafez ayant en 2000. En réalité, sans doute la majorité des pays de la planète ne voit pas véritablement de problème dans la gestion de la Syrie. Le film montre d’ailleurs la Chine et la Russie voter contre une résolution du conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) condamnant le régime syrien, bloquant ainsi toute action de la communauté internationale.

Le concept des « droits de l’Homme » que l’on croyait universel depuis 1945 après la découverte des horreurs nazis est en train de faire naufrage. Même si la communauté des pays réunis au sein de l’ONU en a approuvé le principe à travers nombre de traités et conventions, les régimes autoritaires les récusent désormais par leurs actes. La guerre d’Ukraine en cours ne fait que confirmer cette tendance. Les migrants et les victimes, eux, votent avec leurs pieds en faveur des droits de l’Homme et viennent se réfugier dans les pays occidentaux qui respectent encore le concept. On voit même des tortionnaires se joindre aux flux des réfugiés pour tenter de se réinstaller en Europe. L’officier syrien en rupture de ban qui a été arrêté et condamné à perpétuité en Allemagne n’a pas choisi d’émigrer en Russie ni en Chine, mais… en Allemagne. L’oncle du dictateur Bachar as-Assad, Rifaat, ancien vice-président de son frère Hafez est venu se réfugier à Paris après un coup d’Etat manqué en 2004. Il serait récemment retourné en Syrie après avoir été condamné par contumace à quatre années de prison dans l’affaire des « biens mal acquis » concernant sa fortune immobilière constituée en France pour une somme estimée à 90 millions d’euros, ce patrimoine a été saisi par la justice.

C’est d’ailleurs la seule note d’espoir de ce film terrifiant, le fait que même les tortionnaires choisissent de s’installer et mener leurs affaires en Occident plutôt que chez leurs « amis » politiques semble indiquer que la démocratie a encore un peu d’avenir sur la planète. Il suffit sans doute de rester ferme sur les principes et… patient.

« David Hockney – collection de la Tate » au musée Granet d’Aix en Provence

Le musée Granet présente les tableaux de David Hockney exposés à la Tate de Londres (ex-Tate Gallery). C’est toujours un émerveillement de revisiter l’artiste britannique du « pop art » de 85 ans tellement inventif et dont l’âge ne réduit en rien l’incroyable productivité.

L’exposition montre quelques tableaux emblématiques (la chaise hommage à Van Gogh, le hall fleuri d’un hôtel mexicain, ses deux parents dans le salon, la grande fresque tarabiscotée de lui-même dans son atelier…) mais aussi beaucoup d’œuvres de ses débuts, moins connues : dessins, eaux fortes, traçant son parcours artistique et sa progression vers le maître de l’art contemporain hyperréaliste qu’il est devenu.

Un très intéressant film documentaire au début de l’exposition nous fait mieux comprendre sa vision de la peinture. Dans ses interviews enregistrés à différentes époques de sa vie il évoque sa fascination pour la nature et les couleurs, et son obsession pour la perspective et la réalité : comment rendre celle-ci sous le pinceau et est-elle bien ce que nous voyons ? Passionnants monologues, illustrés par les célèbres peintures du Grand Canyon. Il raconte son inspiration et ses idées avec une désarmante simplicité et un petit sourire goguenard plutôt séduisant. Le film documentaire est la meilleure introduction possible au cheminement des visiteurs devant les œuvres !

Lire aussi :
« David Hockney. A Year in Normandie » au musée de l’Orangerie
David Hockney à Beaubourg

En sortant de Granet une petite visite s’impose ensuite dans la collection Jean Planque dans l’annexe du musée logée dans la chapelle des Pénitents blancs : Monet, Van Gogh, Picasso, de Staël… Le collectionneur suisse a entretenu une relation amicale avec Picasso au crépuscule de sa vie qui a accepté de vendre plusieurs tableaux à la galerie qu’il représentait. Certains sont exposés dans ce lieu magnifiquement rénové.

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« Ghada Amer » à Marseille

Ghada Amer est une artiste plasticienne égyptienne née au Caire en 1963 qui est exposée dans trois sites marseillais dont le Mucem et le Centre de la Vieille Charité, un hospice construit au XVIIème siècle pour « accueillir les gueux », recyclé depuis en un vaste centre culturel, utilisant ainsi à très bon escient la magnifique architecture du bâtiment.

Amer marque un fort engagement féministe qu’elle illustre par de grandes sculptures, des céramiques, des tableaux avec des broderies incrustées, où apparaissent des personnages féminins et des slogans répétés à l’infini prônant la libération de la femme. Un peu abstraite, mi orientale-mi occidentale, un peu érotique, un peu expressionniste, l’œuvre est déclinée avec des matériaux variés, marquant l’inspiration de l’artiste et une obsession pour le statut de la femme.

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« A mon seul désir » de Lucie Borleteau

Une jeune étudiante décide de s’encanailler en entrant dans un club de striptease, juste pour voir. Sous le pseudonyme d’Aurore, elle se lance avec le sourire dans un parcours de stripteaseuse, autant pour l’aspect disruptif de cette nouvelle voie, que pour payer son loyer. Elle a abandonné ses études et elle plonge avec curiosité dans ce monde de la nuit où le sexe est omniprésent, ainsi que les comportements parfois déviants de spectateurs venus confronter leurs frustrations à la nudité aguichante de ces jeunes femmes.

Aurore initie aussi une relation amoureuse avec une de ses collègues de scène. Un peu d’amour lesbien, un peu de polyamour, un peu de transgression, bref, un film dans l’air du temps qui traite d’un sujet vieux comme le monde.

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« Les soldats du désert – Leclerc et les Britanniques » au Musée de la Libération de Paris

Le « musée de la Libération de Paris / musée du Général Leclerc / Musée Jean Moulin » (pourquoi un nom si long pour un musée plutôt modeste ?) raconte l’épopée des Français libres, en Afrique et dans le désert durant la deuxième guerre mondiale, sous le commandement de Philippe de Hauteclocque dit « Leclerc » (1902-1947), représentant du général de Gaulle sur le continent.

Fait prisonnier par les Allemands en juin 1940 après les combats en Champagne, il s’évade, rejoint de Gaulle à Londres qui l‘envoie au Cameroun d’où il commence une véritable épopée qui le conduira avec ses soldats jusqu’à Berlin après avoir libéré Paris puis Strasbourg qu’ils atteignent en novembre 1944.

En Afrique Leclerc a pour mission de convaincre les autorités françaises coloniales de passer sous la bannière gaulliste en abandonnant celle de Pétain. Quasiment seul, sans armes ni troupes, il monte progressivement une division de soldats de bric et de broc avec le soutien des Britanniques, le ralliement de soldats grecs et les « tirailleurs sénégalais », soldats plus ou moins volontaires issus de l’Empire français.

Il mène et emporte des batailles dans le désert devenues légendaires, contre les Italiens puis les Allemands, dans l’immensité hostile du Sahara. En 1943 il se place avec ses hommes sous l’autorité du commandant en chef britannique de la région, le général Montgomery. En avril 1944 il rejoint le sol français avec sa « 2ème DB », est envoyé libérer Paris en août et poursuit jusqu’à la reddition allemande. L’exposition décrit un chef de guerre de grand charisme, proche de ses hommes, stratège imaginatif et n’hésitant pas à prendre des risques personnels. Les opérations qu’il a menées en plein désert en 1942 et 1943 en infériorité criante par rapport aux ennemis sont admirables et participèrent à leur mesure à chasser les Italiens et les Allemands d’Afrique pour préparer la libération de l’Europe.

Après sa victoire dans la bataille de Koufra le 28/02/1941 (dans l’actuelle Libye) de Gaulle lui télégraphie :

Vous avez ramené la victoire sous les plis du drapeau. Je vous embrasse.

C’est à Koufra également qu’il prononce avec ses hommes le « serment de Koufra » dans lequel ils s’engagent à ne déposer les armes que lorsque les couleurs françaises flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ! Le serment sera tenu plus de quatre années plus tard. Le drapeau en question est présenté dans la dernière salle de l’exposition. Bricolé à la hâte dans la ville tout juste libérée, la couleur rouge du drapeau tricolore aurait été cousue avec des restes de drapeaux nazis !

« Léon Monet – frère de l’artiste et collectionneur » au Musée du Luxembourg

Léon Monet, peint par son frère Claude

Léon Monet (1836-1917) était le frère aîné de Claude qui cumula une activité de collectionneur avec sa profession de chimiste, spécialiste dans la création de couleurs. Il a grandi au Havre avec son frère qui y produit ses premiers dessins (y compris des caricatures) et peintures des paysages marins et campagnards de la région. Très tôt intéressé par la peinture, il démarre une collection à partir de 1870 et s’installe comme directeur d’usine pour le chimiste helvétique Geigy. Il va jouer le rôle de mécène de l’impressionnisme naissant dont Claude fut l’un des fondateurs. Par son intermédiaire il rencontre Sisley, Pissaro, Renoir, Morisot et achète certaines de leurs œuvres montrées dans cette exposition. Il s’agit beaucoup de Normandie où Léon passa toute sa vie, des paysages de mer, de la Seine, des champs, assortis de couleurs sublimes, images d’un certain bonheur. Claude lui rend visite régulièrement à Rouen et y peint ses 28 célèbres tableaux de la cathédrale sous différentes lumières.

Une pièce du musée est consacrée à l’activité industrielle dans laquelle évolue Léon, elle aussi tournée vers les couleurs et l’apparition de la chimie pour les composer.

A la fin de la vie de Léon, les deux frères s’éloignent un peu à cause de Jean, fils de Claude, chimiste lui aussi, qui travaille avec son oncle et avec qui les relations sont orageuses. Qu’importe cette mésentente n’est rien au regard de l’œuvre immense de Claude à l’élaboration de laquelle Léon aura aussi apporté son écot grâce au soutien affectif et artistique qu’il porta sa vie durant à son frère.

Lire aussi : Musée des Beaux-Arts de Rouen

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« Shutter Island » de Martin Scorsese

La sympathique chaîne de cinémas parisiens indépendants Portail | Dulac Cinémas (dulaccinemas.com) propose une soirée cinéclub avec le film Shutter Island en « version 35 mm », c’est-à-dire visionné à partir d’une pellicule et non un support numérique. L’animateur qui introduit le film de Scorsese de 2010 présente cette technologie ancienne comme un joyau permettant une re-visitation de ce film de 2010. C’est une affaire de spécialistes car le spectateur moyen ne voit guère de différence entre les deux versions…

Qu’importe, le film est passionnant et un peu terrifiant. Le thème en est la folie et la noirceur de l’âme. Un hôpital psychiatrique accueillant exclusivement des criminels psychiquement dérangés est installé sur une île au large de Boston et sur laquelle débarquent deux inspecteurs venus enquêter sur la disparition d’une patiente. Nous sommes dans les années 1950, Teddy (Leonardo DiCaprio) a fait partie des troupes américaines qui ont libéré le camp d’extermination nazi de Dachau et il en garde un profond traumatisme. Les deux policiers vont se trouver confrontés à l’équipe soignante et de surveillance dont les comportements sont étranges, notamment deux psychiatres dont l’un est allemands.

Tout le scénario consiste à faire douter Teddy de son propre état mental. De manipulations en retours sur le passé (sa femme serait décédée dans l’incendie de leur maison), d’évasions en rencontres impromptues, de rêves en cauchemars, de soupçons en délires, le spectateur ne sait toujours pas à la fin du film si Teddy est l’un des patients de l’hôpital depuis deux ans ou un enquêteur de passage depuis deux jours, ni s’il est véritablement un meurtrier. L’histoire se déroule alors qu’une tempête se déchaîne et coupe l’île du reste du monde. Fascinant ! Les plus optimistes espèrent qu’un tel scénario dépasse les bornes de la réalité…

Nous sommes au Cinéclub alors Florence Colombani qui a écrit un livre sur le jeu d’acteur de DiCaprio vient nous parler de sa performance et de son lien presque filial avec Scorcese. Un court métrage est également projeté en présence de son réalisateur et ses deux acteurs : « Ainsi commença le déclin d’Antoine » de Paul Rigoux, l’histoire d’un garçon qui épie les filles depuis sa table stratégique d’un café de la Place Clichy.

Merci le cinéma !

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« Félins » au Muséum d’Histoire naturelle

Le Muséum d’Histoire naturelle du Jardin des Plantes présente une exposition consacrée aux félins, du tigre féroce au chat domestique, en passant par lynx, jaguars et autres panthères. Il y a plein de ces animaux naturalisés, des explications pédagogiques sur leur histoire qui remonte à plusieurs millénaires. Des vidéos également montrant leur incroyable talent de prédateur. Evidemment c’est plutôt une exposition à destination des enfants, d’ailleurs nous sommes mercredi et le musée en est envahi. Mais leurs aînés qui vénèrent ces félins y trouvent aussi leur compte.

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« Néo-romantiques – Un moment oublié de l’art moderne 1926-1972 » au Musée Marmottan Monet

Le mouvement du néo-romantisme est présenté par le musée Marmottan comme l’un des premiers mouvements post-modernes fondé sur la remise en cause de l’abstraction et sur le retour à la figure. L’exposition démarre sur un Picasso qui inspira les néo-romantiques qui cherchèrent aussi à s’en démarquer. Datant de la première moitié du XXème siècle les œuvres prennent parfois un aspect fantasmagorique pas toujours aisé à décrypter. Quelques paysages aux couleurs claires et naturelles paraissent un peu incongrus au milieu de tableaux sombres et excentriques. Ce sont encore les jamais sourire mais ils nous ramènent à leur époque.

Ce petit monde parisien néo-romantique réunissait des artistes « russes blancs » émigrés de la révolution bolchévique, des anglo-saxons et tous semblaient beaucoup faire la fête où se retrouvaient Jean Cocteau, Gertrude Stein, Julien Green, Max Jacob.

Comme nous sommes au musée Monet le visiteur descend ensuite au sous-sol où est exposée la superbe collection permanente de tableaux de Claude Monet, histoire de se réconcilier avec la couleur et la peinture plus classique produite par l’un des géants de l’impressionnisme.

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« Chili 1976 » de Manuela Martelli

Nous sommes au Chili en 1976, la dictature militaire est en place depuis deux ans, sous la férule du général Pinochet. Les institutions démocratiques sont mises au pas, la répression contre les opposants est féroce et les « gauchistes » sont pourchassés, torturés, assassinés à travers le pays, et même à l’étranger. Le film de l’actrice et réalisatrice chilienne Manuela Martelli suit la vie d’une bourgeoise de Santiago se rendant dans sa résidence secondaire au bord de l’océan pour y superviser des travaux de rénovation et qui, un peu malgré elle, va se trouver embringuer dans le soutien à un opposant révolutionnaire blessé.

Digne et élégante, jeune grand-mère, Carmen est l’épouse d’un médecin de Santiago qui soigne aussi des dignitaires militaires, elle n’a entendu parler de la dictature que via ses deux fils adultes qui s’opposent sur le sujet lors des repas familiaux. Les gens de sa condition ne soutiennent pas forcément les méthodes de la dictature mais préfèrent regarder ailleurs, la destitution du précédent régime de gauche arrangeant globalement leurs affaires. Tout ce petit monde vaque à ses occupations et fréquentent assidûment les églises.

C’est d’ailleurs à la demande du prêtre du coin que Carmen, ex-volontaire de la Croix Rouge va prodiguer des soins à ce révolutionnaire, jusqu’à rencontrer son réseau pour essayer de le faire exfiltrer une fois l’avoir remis sur pieds. Elle n’en dit rien dans sa famille bien entendu et vit cette intrusion dans la révolution avec angoisse et générosité. Cela se termine tragiquement pour l’opposant et pas trop mal pour elle qui, malgré ses maladresses de rebelle de pacotille, va être protégée par les siens sans le savoir.

C’est aussi un film sur la difficulté de l’engagement politique lorsque celui-ci fait courir de véritables dangers à ceux qui le prennent. Un danger que n’ont pas hésité à affronter nombre de résistants à différentes époques sur la planète, et qu’affrontent toujours aujourd’hui des opposants en Russie, en Birmanie ou en Chine. Ils sont admirables et c’est souvent grâce à leur combat que des dictatures se sont transformées en démocraties, système où l’engagement politique ne fait plus courir grands risques à ceux qui s’y opposent. Le cas de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale est caractéristique de ces transitions à la fin du XXème siècle. Il n’est pas sûr qu’aujourd’hui les nouvelles dictatures se laissent abattre aussi « facilement »…

Lire aussi : « Missing » de Costa-Gavras (1982)

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« Thomas Demand – Le bégaiement de l’histoire » au Musée du Jeu de Paume

Thomas Demand, « Control Room », 2011

Le musée du Jeu de Paume expose le photographe allemand Thomas Demand, né en 1954, dont le concept artistique consiste à prendre une photo d’un décor, choisi généralement pour une raison bien particulière, puis recréer celui-ci minutieusement en papier et en carton de couleurs, en grandeur réelle, pour rephotographier le décor fictif expurgé des personnages qui existaient éventuellement dans l’original réel et, enfin, détruire le décor en papier.

Sculpteur de formation, Demand prend un soin infini à recréer le réel dans une parfaite illusion qui donne ensuite aux clichés de grandes dimensions un côté parfaitement clinique et déshumanisé, avec une impression d’immobilité irréelle. Un environnement de poupées Barbie sans les imperfections de la réalité. La préparation des décors est extraordinaire, pour une photo de la canopée il a fabriqué plus de 270 000 feuilles d’arbres en papier…

Le « bégaiement de l’histoire » qui donne son titre à l’exposition se réfère aussi au choix des évènements tragiques objets des décors photographiés : la salle de contrôle de la centrale nucléaire de Fukushima après le désastre nucléaire, la baignoire où fut retrouvé le corps d’un ministre allemand en 1997, la passerelle accrochée à l’avion qui amena le Pape Jean-Paul II à Berlin en 2001, un bureau dévasté de la Stasi (police secrète est-allemande) après la réunification…

C’est une étrange démarche artistique que de rendre fictive la réalité pour photographier cette fiction mais le résultat est stupéfiant nous faisant voguer à travers le réel via des photos de décors reconstruits.

Si vous voulez acheter certaines de ces œuvres, visitez aussi la galerie Esther Schipper place Vendôme.

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« Toute la beauté et le sang versé » de Laura Poitras

Nan Goldin

C’est un documentaire émouvant de Laura Poitras qui sort en salle cette semaine, centré sur la photographe Nan Goldin. On y retrouve les combats de sa vie, dont le dernier via l’association P.A.I.N. (Prescription Addiction Intervention Now) créée pour ce faire, contre la famille Sackler, dont l’entreprise pharmaceutique Purdue Pharma produisait et diffusait l’OxyContin, un anti-douleur addictif participant à la « crise des opioïdes » qui continue de faire des dizaines de milliers de morts chaque année aux Etats-Unis.

Née en 1953 à Washington, Nan Goldin est une rebelle qui s’est engagée dans toutes les luttes de sa génération, à titre personnel et à travers son œuvre. Elle a commencé par vivre les affres d’une famille psychorigide et bien-pensante dont la mère fut victime d’agressions sexuelles dans sa jeunesse de la part d’un membre de sa famille et qui fut terrorisée à la puberté de sa fille aînée, qui affichait des tendances lesbiennes, qu’elle ne subisse le même sort. Elle la plaça dans une espèce d’institution-orphelinat ce qui la mena à se suicider après plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Bien sûr, on ne parle de rien dans la famille et on laisse les non-dits dévaster l’atmosphère.

Nan s’inscrit à une école de photographie à 15 ans et va plonger dans le monde underground. Elle se déclare bisexuelle, vit de près l’épidémie du Sida durant laquelle elle voit disparaître ses amis les uns après les autres, travaille dans un bordel (pour se payer des pellicules), s’installe dans un squat du Bowery à New York où la drogue et le sexe sont consommés à profusion sur une bande son de Klaus Nomi et du Velvet Underground. Bref, toute une époque d’excès et de carnage qui a vu l’émergence d’un courant artistique de choix dans la musique, la photographie, le graffiti, la poésie.

Nan Goldin photographie en permanence les gens et les lieux de cette époque un peu morbide mais si bouillonnante. Ses clichés sont toujours en intérieur, sous des lumières violentes, dans un assemblage de couleurs percutantes, et qui ne cachent pas la misère matérielle de cet environnement créatif. Les photographies de l’agonie des malades du Sida sont plus souvent en noir-et-blanc et particulièrement douloureuses.

Goldin est une rescapée de ce temps qui va encore affronter un nouveau défi dans les années 2010, celui de se désintoxiquer de l’OxyContin qui lui a été prescrit après une tendinite. Elle réussit et initie un combat contre le fabricant de ce produit, la famille Sackler. Avec ses camarades au sein de P.A.I.N. elle arrive à faire arrêter le « sponsoring » et le « naming » que cette famille pratiquait à grande échelle dans les plus grands musées du monde, où parfois Nan Golding, devenue une photographe célèbre, faisait aussi partie des collections permanentes. Le groupe de militants réussit à mettre fin à cette sorte de « art-washing » puis à pousser les Sackler à mettre leur firme Purdue Pharma en faillite (ce qu’ils firent après en avoir extrait toute la valeur: plus de 10 milliards de dollars), pour éviter les poursuites judiciaires et leur corolaire, l’indemnisation des victimes.

Une transaction est conclue avec les Sackler dans laquelle la famille accepte de payer plus de 4 milliards de dollars contre son immunité et celle de ses descendants. Nan Goldin et les siens parviennent à imposer aussi dans l’accord que les Sackler assistent par vidéo à l’audition des témoins, la plupart victimes, ou parents de celles-ci lorsqu’elles sont décédées. Ils sont trois Sackler, une femme et un homme en vidéo, le troisième refusant la vidéo mais acceptant le son, et on assiste à une stupéfiante séquence où ils écoutent, impassibles, le défilé des témoins racontant l’horreur de cette drogue pharmaceutique si fortement addictive. Ils ne prononcent pas un mot, le deal stipulait juste qu’ils devaient écouter et voir les témoins. Ce fut fait.

Le film est monté à base des photos de Nan pour le passé et de vidéos sur ses combats actuels. Il est commenté en off par la photographe qui déroule d’une voix blasée et un peu triste toutes les étapes de cette époque qui furent aussi celles de sa vie. La joie revient seulement lorsqu’elle raconte les victoires contre les Sackler.

La fin du documentaire est bouleversante : Nan filme ses parents devenus âgés, qu’elle pousse à danser dans le salon avant de revenir sur le traumatisme fondateur du suicide de sa sœur Barbara. C’est alors qu’ils laissent transparaître leur peine au rappel de cette absence. La mère se lève pour retrouver la citation de Conrad recopiée par Barbara avant son suicide, où il est question de beauté du monde et de sang versé, extraite, bien sûr, du roman Au cœur des ténèbres… Cette épitaphe de la vie de Barbara pourrait aussi devenir celle de l’œuvre de Nan Goldin.

C’est une drôle de chose que la vie, ce mystérieux arrangement d’une logique sans merci pour un dessein futile.
Le plus qu’on puisse en espérer, c’est quelque connaissance de soi-même -qui vient trop tard- une moisson de regrets inextinguibles. 

Joseph Conrad (Au coeur des ténèbres)

Un magnifique documentaire qui mérite amplement son Lion d’or décerné en 2022 à la Mostra de Venise !

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