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  • L’arroseur arrosé

    Parmi les débats houleux s’étant déroulés dans le cadre de l’Union européenne (UE) pour la mise au point d’un plan de relance économique européen de 750 milliards d’euros récemment annoncé, celui de la conditionnalité de l’attribution des sous de ce plan fut particulièrement intéressant. Les pays bien gérés (dits « frugaux ») se sont opposés aux pays mal gérés (dits « Club Méditerranée »), les premiers voulant soumettre à conditions le bénéfice des aides consenties aux seconds… Ceux-ci ont évidemment rué dans les brancards à l’idée que l’on puisse mettre son nez dans leurs affaires et décider comment les aides à eux octroyées seront utilisées.

    L’ironie de l’histoire est que ce sont exactement ce que font la France ou l’Italie, par exemple, lorsqu’elles attribuent des aides à des pays pauvres : les riches imposent leur conditionnalité, ceux qui payent veulent décider de ce qui sera fait de leurs sous. On est toujours le va-nu-pieds de quelqu’un. La France et l’Italie sont les va-nu-pieds des pays européens bien gérés. La preuve en est qu’une partie de cette aide européenne, empruntée sur les marchés financiers, va être donnée sous forme de subvention par l’UE à ses va-nu-pieds, c’est-à-dire remboursée par les frugaux aux marchés financiers.

    C’est bien le principe de la solidarité mais ce n’est jamais très agréable de se découvrir le pauvre de son voisin et de constater que celui-ci veut bien nous aider, mais à ses conditions… Nous en sommes là. Finalement un accord a été trouvé sur une conditionnalité douce, ménageant la chèvre (des « frugaux ») avec le chou (des va-nu-pieds).

  • Les finances publiques françaises en péril

    Avec une unanimité inhabituelle, toutes les corporations touchées par la crise sanitaire, et donc, économique, se tournent vers l’Etat, et donc ses contribuables, pour appeler à l’aide. Les tribunes se multiplient dans la presse où sont publiées des lettres ouvertes au président de la République où chacune explique pourquoi il faut la sauver de la faillite.

    Et l’Etat distribue des sous sans compter, « quoi qu’il en coûte » comme disait son chef il y a peu. Les prévisions de récession pour l’année 2020 varient entre -8 et -11% du produit intérieur brut (PIB) contre +1,5% en 2019. C’est colossal et des dispositifs d’urgence ont été mis en place pour soutenir l’économie (entreprises et individus) avec de l’argent public sous forme de dons ou de prêts. Pour le moment seuls les dons ont un impact sur les dépenses budgétaires, les prêts en auront plus tard s’ils ne sont pas remboursés, ce qui est hélas très probable pour nombre d’entre eux.

    Certains secteurs ne vont pas se remettre de cette crise et devront être lourdement restructurés compte tenu des changements à attendre dans les habitudes de consommation. Les soutenir aujourd’hui c’est probablement reculer pour mieux… tomber plus tard. Espérons que le concept de « destruction créatrice » cher à Schumpeter va se révéler correct même en ces circonstances inattendues.

    La distribution d’argent public permet en tout cas de maintenir à flot une économie sérieusement choquée par le petit virus. Les soutiens financiers du contribuable ne pourront pas durer éternellement à ce niveau. Pour le moment la République pare au plus pressé mais le réveil risque de s’avérer douloureux, et ce dès la rentrée.

    Le gouvernement a présenté une troisième loi de finances rectificative pour l’année 2020 : les dépenses augmentent, les recettes baissent et les déficits explosent. De -93 milliards dans la loi de finances initiale, ces derniers passent à -222. Comme souvent, la France a démarré cette nouvelle crise en plus mauvaise situation financière que les pays avoisinants comparables, va dépenser plus d’argent public durant cette crise, et va donc se retrouver encore en queue de peloton en sortie de crise. Cela semble être son destin.

    Pour le moment l’Etat arrive à emprunter pour financer cette déroute…

  • Reconstitution de ligue dissoute

    La Turquie, toujours à la recherche de sa gloire passée, vient de redonner à la basilique Saint-Sophie son statut de mosquée, provoquant ainsi l’émotion recherchée chez les pays chrétiens. Ce monument fut construit à partir du IVème siècle pour être la basilique chrétienne de Constantinople. Après moulte agrandissements et embellissements, elle devint même le siège du patriarche de Constantinople (le chef de l’église orthodoxe). Après la conquête musulmane elle devint mosquée au XVème siècle, ce qui lui évita au passage les affres du pillage et de la destruction par les ottomans.

    Après la défaite de l’empire ottoman lors de la guerre de 1914-1918, la nouvelle République Turque « laïque » dirigée par Mustafa Kemal Atatürk décide d’offrir le monument à l’Humanité et de les transformer en musée, ce qui est fait en 1934.

    C’est sur ce statut que le parti religieux élu, gouvernant actuellement la Turquie, a décidé de revenir. Une première prière musulmane s’y est déroulée ce vendredi avec le ban et l’arrière-ban du pouvoir turc, et, bien entendu, devant les flashs des médias. Les réactions dispensables du « monde chrétien » n’ont pas tardé ce qui a dû réjouir les décideurs turcs puisque c’était l’un des objectifs recherchés : titiller l’Occident qui sous-estime la capacité de nuisance turque. Les autorités ont néanmoins déclaré que le monument resterait ouvert à la visite en dehors des heures de prière. Le mieux serait sans doute de traiter cet évènement par l’indifférence tant personne ne va entrer en guerre pour défendre l’héritage chrétien de Sainte-Sophie.

    Le problème n’est pas tant que la Turquie dispose comme elle l’entend du patrimoine religieux existant dans les limites de ses frontières reconnues internationalement, non, le problème est plutôt que la Turquie construise des mosquées dans le monde chrétien et y finance des immams pour diffuser leur propagande religieuse à l’attention des citoyens turcs, ou d’origine turque, voire au-delà, résidant dans ces pays d‘accueil, sans que ces derniers n’arrivent à s’opposer véritablement à cette nouvelle conquête, contraints par leurs principes démocratiques et leurs valeurs humanistes. La Turquie religieuse contemporaine a chaussé les bottes de l’Empire ottoman pour reconquérir sa gloire d’antan, par les armes en Syrie et en Libye, par la religion et l’immigration, pour le moment, en Occident.

    Pour ceux qui ont eu l’occasion de visiter les splendeurs d’Istanbul, Sainte-Sophie et la Mosquée Bleue restent des souvenirs inoubliables. Ce sont des dômes gigantesques cernés de minarets. L’impression de volume infini est encore plus sensible une fois rentré à l’intérieur. Sainte-Sophie offre un incroyable amoncellement de symboles chrétiens et musulmans, les uns parfois collés sur les autres, marquant la succession de croyances qui ont alterné dans l’inspiration de cet édifice ; la mosquée Bleue est un éblouissement de mosaïques sur les bords du Bosphore. Cette dernière était ouverte à la visite en tant que mosquée, il n’y a pas de raison que Sainte-Sophie ne le reste pas non plus, même retransformée en mosquée.

  • JOFFO Joseph, ‘Anna et son orchestre’.

    Sortie : 1975, Chez : Editions Jean-Claude Lattès.

    Joseph Joffo (1932-2018) est le fils d’Anna Boronsky, née à Kezat dans la Russie tsariste (plus précisément dans l’actuelle Ukraine) et dont la famille quitta définitivement son pays au début du XXème siècle pour fuir les pogroms antisémites. Dans « Un sac de billes » il avait raconté l’histoire de deux jeunes garçons juifs traversant la France sous l’occupation allemande lors de la IIème guerre mondiale, roman largement autobiographique. Avec « Anna et son orchestre » il se met dans les pas de sa mère pour retracer ce long exode qui la conduisit de la Russie à Paris, en passant par Istanbul, Budapest et Vienne, avec son violon, ses frères musiciens et ses parents, avant de fonder une famille avec un garçon-coiffeur parisien du nom de Joffo…

    Le narrateur est Anna, toute petite fille au début du roman, découvrant le monde, dorlotée par une famille aimante et tonitruante, où la vodka et la musique (jouée par toute la fratrie) animent les longues soirées d’hiver, mais commençant à réaliser aussi la noirceur des humains. De confession juive, les Boronsky doivent affronter les pogroms menés par des cosaques antisémites. Ce n’est pas toujours facile à comprendre pour une enfant.

    Lorsque l’exode est décidé, la famille va errer dans l’Europe centrale avec l’Amérique pour objectif, mais elle s’arrêtera à Paris, terre d’accueil (à l’époque) d’une partie de l’émigration russe. A chaque étape de ce long voyage, la famille survivra grâce à l’orchestre familial qui se produira dans de nombreuses salles et tournées pour y jouer de la musique tsigane, avec Anna en chef d’orchestre. En Hongrie, son père meurt de chagrin après le décès d’un de ses fils, Anna décrit avec émotion les longs cortèges de musiciens tsiganes venus jouer du violon dans les rues de Budapest en hommage à son père.

    Et, puis, arrivée à Paris Anna épouse l’aide-coiffeur d’un de ses parents exerçant ce métier dans le XIIIème arrondissement. Joseph, né de cette union, a repris cette activité de son père.

    « Anna et son orchestre » est un bouleversant hommage à une mère qui a su traverser un siècle en feu, grâce à son énergie, l’amour d’une famille indestructible et sa passion de la musique. Il est bon que ceux qui ont vécu cette épopée familiale en aient conté les étapes à Joseph qui les a transcrites dans ce livre pour lequel il fut aidé par l’écrivain Claude Klotz (Patrick Cauvin de son vrai nom) pour mettre en ordre idées et souvenirs.

  • L’indiscipline française

    Depuis le déconfinement décidé en France à la mi-mai par suite de la pandémie de coronavirus, celle-ci remontre le bout de son nez et illustre à cette occasion le non-respect, par une minorité de citoyens, des consignes de sécurité données par les autorités sanitaires pour tenter d’éviter la reprise de l’épidémie parallèlement au retour de la liberté de se mouvoir.

    Une application a été développée par le gouvernement, à télécharger sur son smartphone, afin de prévenir les gens qui ont croisé une personne qui apprendrait plus tard qu’elle est malade du Covid 19. Moins de deux millions de français ont téléchargé cette application la rendant ainsi peu efficace.

    Les réunions de plus de dix personnes sont déconseillées s’il n’est pas possible de respecter la « distanciation sociale » d’un mètre entre chaque présent. A défaut, le port du masque est conseillé et il existe bien entendu une minorité qui ne respecte pas ces consignes, sans doute les mêmes qui se plaignaient de la pénurie de masques en mars-avril…

    Sur les plateaux télévisés, quelques intellectuels mondains s’émeuvent de « l’atteinte à nos libertés fondamentales » que représentent confinement et port du masque. Henri Guano, député conservateur et colérique de 59 ans, prône la désobéissance civile en cas de retour de mesures de confinement… Bernard-Henri Lévy en profite pour sortir un livre, « Ce virus qui rend fou », et endosse le concept de « pétainisme transcendantal » pour caractériser la fermeture des frontières et le repli sur soi…

    Entre les jeunes qui veulent « faire la fête » (c’est-à-dire boire des bières en restant collés-collés à leurs congénères dans des lieux clos) et les intellos qui théorisent l’absurde, pas sûr que la France ne l’emporte rapidement dans sa lutte contre le coronavirus. Heureusement, la majorité fait toujours preuve de bon sens face à une minorité de trublions.

  • Magnifique comète

    Crédit d’image: Chris Schur / Chris Schur Astrophotography

    La comète Neowise est bien visible depuis l’hémisphère nord avec une bonne paire de jumelles et un spécialiste pour vous guider. Elle est tout de même à plus de 100 millions de kilomètres de la terre et s’en éloigne rapidement. Dans quelques jours elle ne sera plus observable. Le néophyte ne comprend pas grand-chose à ce phénomène céleste sinon qu’il s’agit d’un objet fait de glace duquel s’échappe un déluge de glace et de poussière du fait de son réchauffement par le soleil. Prochain passage : dans sept mille ans !

  • Les vessies, les lanternes et les mensonges politiques

    Alors que les plans de relance amoncellent les centaines de milliards d’euros sur des citoyens éberlués et incrédules qui ne comprennent pas bien pourquoi des dépenses qui étaient impossibles hier le deviennent aujourd’hui du simple effet d’un petit virus baladeur, les dirigeants politiques continuent à mentir sur la question du « qui paiera in fine ? »

    On a vu il y a quelques jours ces dirigeants affirmer avec force que les impôts n’augmenteront pas et, au même moment, prolonger la période de prélèvement de la CRDS qui devait s’arrêter en 2024. En matière de « pouvoir d’achat », une non-réduction équivaut à une hausse.

    Lire aussi : « Et hop ! Une première augmentation d’impôt à l’horizon »

    Voici maintenant qu’après l’annonce de la mise en place prochaine de financements de l’Union européenne dont une quarantaine de milliards pour la France, son président de la République explique doctement à la télévision que ces sous ne seront financés « … ni par notre endettement ni par nos impôts… [et que] Ce n’est pas le contribuable français qui paiera ». Et Mme. Michu de se demander : « mais alors qui paiera ? »

    Eh bien elle connait la réponse, même inconsciemment et en dépit des bravades d’un président, c’est bien nous qui paierons. Et comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ? L’entourloupe présidentielle repose sur le fait que c’est l’Union européenne qui va s’endetter pour redistribuer l’argent à ses Etats membres et que certains d’entre eux pourraient recevoir une part sous forme de dons non-remboursables. Mais l’Union européenne devra bien rembourser, elle, sa dette sur son propre budget et celui-ci est bien doté à partir des contributions des Etats, elles-mêmes constituées sur les impôts payés par les ménages et les entreprises. Si le budget européen doit augmenter pour amortir cette dette commune il faudra bien augmenter les prélèvements sur les Etats (et donc leurs contribuables) ou inventer de nouvelles taxes européennes. Mais dans tous les cas ce sont bien les contribuables et les consommateurs qui financeront le remboursement de ces dettes. Dire le contraire est faire prendre des vessies pour des lanternes. C’est une vraie tartuferie qui relève de l’escroquerie intellectuelle ce qui, venant d’un président élu, est mal !

  • NGUYEN LONG Pedro, ‘La Montagne des Parfums – Une saga indochinoise’.

    Sortie : 1996, Chez : Robert Laffont / Phébus.

    Cuong (Pedro) Nguyên Long est un enfant de la tragédie vietnamienne du XXème siècle : né à Haiphong (le port de Hanoï, dans la partie nord du pays) sans doute en 1934, dans une famille aisée, Pedro a vécu et participé aux principaux évènements qui ont déchiré ce pays d’Asie du Sud-est. Après un parcours chaotique il s’est exilé en France alors que le restant de sa famille choisit, un peu plus tard, la Californie.

    Aidé par Georges Walker (1921-2014), écrivain-journaliste né à Budapest. Intéressé par l’Asie, il co-écrivit en 1975 la biographie de Chow Ching « Le palanquin des larmes » avant de se consacrer vingt ans plus tard à celle de Pedro. Celui-ci vécut la colonisation française, ses délices et ses bombardements, il avait vingt ans lors de la déroute de Diên Biên Phu qui marqua le départ des français, militaires et civils, et la montée en puissance progressive du pouvoir communiste sous l’impulsion de leur leader incontesté Hô Chi Minh qui forgeât son anticolonialisme en voyageant dans de nombreux pays, dont la France, dont il fut membre du parti communiste, dans les années 1920′. Revenu au Vietnam il y fonde la Viêt Minh, parti communiste local qui deviendra l’arme idéologique et militaire qui mènera le pays à l’indépendance, à la réunification et à la collectivisation contre la France puis les Etats-Unis d’Amérique.

    La situation socio-économique de la famille Nguyên Long l’assimilant aux « capitalistes », le père de Pedro décida assez rapidement de fuir Haïphong et le pouvoir communiste qui s’y installait. S’en suivit une longue errance dans les campagnes au cours de laquelle Pedro s’enrôla à 14 ans dans la guérilla communiste, happé par sa propagande. Il y resta deux années et participa à une troupe de théâtre militante dont les pièces jouées dans les villages étaient censées attiser le patriotisme des spectateurs sous l’œil vigilant des commissaires politique du Viet Minh. Son père va le tirer de cet engagement au bout de deux années avant la fuite vers le Sud et Saïgon après les accords franco-vietnamien post-Diên Biên Phu en 1954. Comme beaucoup des réfugiés de l’époque, entre le Nord et le Sud et vice-versa, les décisions prises déchirent les familles. Deux des sœurs de Pedro, en couple avec de fervents communistes, restent au Nord.

    Convaincu par son père de mettre fin à son engagement communiste, Pedro doit maintenant trouver le moyen de passer au Sud. Il y sera arrêté par l’armée française, emprisonné et torturé à Saïgon durant des mois pour dévoiler les petits secrets de la révolution. Libéré grâce à une intervention familiale il s’installe à Saïgon où il vit d’amour et de trafics divers dans une ville rongée par la corruption, la mauvaise gouvernance et l’effondrement moral qui précéda la montée en puissance de la guerre américaine.

    Pedro quittera son pays pour un périple qui le conduira finalement à s’installer en France comme monteur dans la télévision publique d’où il suivra la dérive finale du Vietnam, le départ précipité des américains et la réunification en 1975. Une partie de ses frères et sœurs rejoindront les Etats-Unis par différentes voies, dont celle des « boat-people » pour certains. Alors qu’ils avaient faits étape à Paris, la sœur aînée décida d’accélérer le passage aux Etats-Unis après avoir vu Georges Marchais (alors secrétaire général du parti communiste français[PCF]) faire ses clowneries à la télévision et de crainte que la France ne tombe alors sous l’emprise du communisme tant haï. Un de ses beaux-frères, subira les camps de rééducation communistes durant 14 ans avant de rejoindre le reste de la fratrie en Californie, traumatisé, comme éteint, à jamais par cette expérience totalitaire.

    Ce récit raconte de façon émouvante le parcours d’une famille vietnamienne, dramatique mais finalement plutôt banal pour cette époque, hélas. C’est l’histoire de la décolonisation violente d’un pays doublée d’une guerre civile. Les idéologies se percutent à coup de propagande et de napalm. Les individus sont broyés et les familles se déchirent. Comme à chaque fois que l’indépendance a été conquise par les armes le régime politique qui a suivi fut dictatorial et plutôt communiste. Pedro ne porte pas un jugement très optimiste sur l’évolution de son pays (à l’époque où sortit le livre, 1996), tiraillé entre économie de marché et compromission avec ses anciens oppresseurs : la Chine ou les Etats-Unis. La France est passée sous silence car a quasiment disparu du tableau depuis 1954, sauf par la langue qui reste encore un vecteur de communication pour les plus vieux des citoyens. La corruption maintenant généralisée au Nord comme au Sud reste un puissant frein au développement du pays. Pedro et sa famille ont résolu la question en s’exilant loin de cette déroute, accueilli au sein de leurs anciennes puissances coloniales, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes de ce pays fascinant ! Mais cette fuite est aussi une défaite…

  • NEMIROVSKY Irène, ‘Suite française’.

    Sortie : 2004, Chez : Editions Denoël.

    Irène Némirovsky (1903-1942), née à Kiev, émigrée en Finlande puis en France en 1918 pour fuir la révolution bolchévique, issue d’une famille aisée de confession juive, fut déportée et assassinée à Auschwitz en novembre 1942, de même que son mari quelques mois plus tard.

    Ses parents se refont rapidement une bonne situation matérielle en France et Irène se qualifie elle-même comme « une noceuse et une bosseuse » durant les années folles à Paris. Entre fêtes parisiennes et séjours à Nice ou à Biarritz, elle s’essaye à l’écriture et rencontre un certain succès avec des romans le plus souvent tournés vers le monde juif et la Russie. En 1941, alors que les lois anti-juives entrent en application en France, elle commence « Suite française » qui restera un roman inachevé qu’elle n’aura pas le temps de terminer avant sa déportation dont son certificat de baptême ne la sauvera point. Le manuscrit fut miraculeusement sauvé par ses deux filles qui furent cachées par des « justes » après l’arrestation de leurs parents et échappèrent ainsi à la barbarie. Le livre paraîtra finalement en 2004, date à laquelle son auteure recevra le prix Renaudot à titre posthume.

    La première partie du roman raconte l’exode de familles parisiennes en juin 1940 alors que les armées allemandes sont aux portes de la capitale. Gens de peu, grands bourgeois, intellectuels… tout le monde se bouscule sur les routes pour fuir « les boches ». On y retrouve tous les travers et qualités d’une population française en plein désarroi. Il n’est pas toujours aisé de rester digne dans cette débâcle. Certains y réussissent, d’autres compromettent.

    La seconde partie narre la vie d’un petit village sous occupation allemande. La encore ce n’est que mélange de résistance, de vieux réflexes bons et mauvais et de collaboration active ou passive. C’est toujours la comédie humaine mais dans un environnement tragique. Les personnages de la première histoire se retrouvent dans la seconde. Et puis les allemands quittent le village pour rejoindre le front russe puisque l’opération Barbarossa a été déclenchée en juin 1941. Et le roman inachevé s’achève ici…

    La description d’un genre humain éternel par Irène Némirovsky est frappante de réalisme et, sans doute, de vécu. Elle appréhende tous les sentiments de ses congénères pour les retranscrire d’une façon douce dans ce roman qui pose toutes les contradictions du genre humain.

    En annexe sont publiés des notes de l’auteure prises pour l’écriture de ce roman ainsi que des courriers échangés avec ses éditeurs, dont la correspondance adressée après son arrestation par son mari pour tenter de la faire libérer, sans succès, et avant qu’il soit lui-même arrêté.

  • Les bons, et moins bons, résultats des élections municipales

    Le deuxième tour des élections municipales ce 28 juin a permis de sortir, le plus souvent contre leur gré, un certain nombre de personnels politiques âgés en fin de course. C’est un bon résultat.

    A Lyon, Gérard Collomb, 73 ans, on ne sait plus bien de quelle tendance politique, qui visait la mairie, et malgré sons alliance de dernière minute avec la droite conservatrice, est certes élu conseiller municipal mais a perdu tout pouvoir dans cette ville désormais dirigée par un écologiste, succès plutôt inattendu qui marque la fatigue des électeurs devant les arrangements habituels des partis traditionnels.

    A Marseille, Jean-Claude Gaudin, 80 ans, conservateur, ne se représentait plus après 25 ans au poste de maire. C’est une écologiste qui est élue.

    A Lille, Martine Aubry, 69 ans dont déjà 19 ans comme maire de la ville, socialiste aux cheveux sévèrement teints, est réélue de justesse après un final haletant. On peut espérer qu’elle ne se représentera la prochaine fois (elle aura alors 75 ans), mais elle aura alors dirigé cette ville 24 ans durant.

    A Bordeaux c’est aussi un écologiste qui balaye les partis en place.

    A Paris…

    Lire aussi : Paris outragé

    Tous ces hommes et femmes politiques ont en commun de rester persuadés qu’ils sont indispensables et ne peuvent pas être remplacés avantageusement à la tête de villes qu’ils gouvernent depuis des années. Gaudin, 80 ans aux fraises, a tout de même admis de ne pas se représenter mais son simple état physique suffisait à marquer son incapacité à assurer un nouveau mandat. Cette incapacité à passer la main est assez caractéristique du monde politique français. Il doit bien y avoir quelques questions matérielles qui se posent et un maire est sans doute mieux rémunéré qu’un retraité de la politique, mais la plupart de ces seniors++ bénéficient certainement tous de retraites confortables compte tenu des multiples postes électifs et administratifs qu’ils ont cumulés et additionnés tout au long de leurs vies. Non, la vraie motivation est que ces hommes et femmes politiques âgés sont simplement persuadés qu’ils sont irremplaçables et que tout va s’effondrer s’ils s’en vont.

    Les écologistes, bien plus jeunes que leurs prédécesseurs, qui vont maintenant gouverner pour les six prochaines années les villes de Lyon, Marseille, Bordeaux, Grenoble (et d’autres plus modestes) vont devoir faire maintenant la preuve qu’ils savent aussi bien gérer leurs villes que les partis classiques, même en appliquant des options politiques différentes. On peut compter sur ces derniers pour leur mettre tous les bâtons dans les roues possibles et surtout ne pas coopérer, mais c’est le jeu politique, tout du moins en France.

  • Les rots, les pets et le gaz méthane

    La quantité de gaz méthane relâchée en France, fortement défavorable sur la hausse des températures, augmente. Elle est en grande partie le fait de l’agriculture et de l’élevage bovin. L’estomac de nos vaches produit du méthane lors de la digestion et celui-ci est relâché dans l’atmosphère par les rototos et non par leurs pets, contrairement aux idées reçues.

    Voici une erreur communément commise qu’il était bon de redresser !

  • GUEZ Olivier, ‘La Disparition de Josef Mengele’.

    Sortie : 2017, Chez : Editions Grasset & Fasquelle.

    Josef Mengele fut médecin au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau où il pratiqua des expériences barbares « scientifiques » sur les déportés utilisés comme des animaux cobayes de laboratoires. Il réussit à se cacher en 1945 et ainsi éviter d’avoir à rendre des comptes, puis il fuit en Amérique latine comme nombre d’anciens nazis. Il est à peu près établi qu’il est mort en 1979, à 67 ans, au Brésil à la suite d’un malaise lors d’une baignade.

    Olivier Guez dit avoir consacré trois années à l’étude de la « nazi society » qui réunit, majoritairement en Amérique latine, les citoyens allemands impliqués dans les crimes de IIème guerre mondiale cherchant à échapper à la justice. Cette plongée dans ce monde post-cataclysme européen lui a permis de « romancer » la fuite de Mengele tout au long de ses années sud-américaines. Les historiens, chasseurs de nazis et autres enquêteurs lui ont d’ailleurs facilité la tâche en ayant reconstitué avec plus ou moins de certitide une grande partie du chemin criminel du médecin et sa fuite éperdue.

    Le livre se dévore comme un roman policier bien qu’il soit probablement très proche de ce que fut la réalité de Josef Mengele, celle d’un nazi impénitent et convaincu n’ayant jamais remis en cause les actes criminels qu’il commit. La réalité est aussi celle de cette communauté nazie reconstituée outre-Atlantique qui continua à bénéficier de soutiens divers, y compris venant d’Allemagne, pour refaire sa vie et échapper aux recherches. Dans le cas particulier de Mengele, sa famille détenait une entreprise multinationale de machines agricoles et, craignant un impact négatif sur le business si le fils venait à être jugé, l’aida financièrement à se cacher jusqu’à sa mort. Certains nazis furent quand même débusqués comme Eichmann (enlevés en Argentine par les services secrets israéliens) ou Barbie livré par la Colombie à la France.

    On redécouvre également la compromission des régimes sud-américains (le plus souvent des dictatures) qui ont hébergé les criminels européens (il n’y avait pas que des allemands, des collaborateurs français et belges ont également traversé l’océan, entre autres), poussant parfois le vice jusqu’à mettre à profit leurs « talents » au service de leurs dictatures…

    La vie et la fuite de Mengele c’est aussi le symbole de l’effondrement moral et politique de l’Europe entamé lors de la guerre de 1914-1918 !

  • COHEN Albert, ‘Le livre de ma mère’.

    Sortie : 1954, Chez : Editions Gallimard.

    Albert Cohen (1895-1981), fils unique d’une famille juive de Corfou qui émigra à Marseille pour fuir les pogroms, immense écrivain, livre ici un bouleversant petit récit sur l’absence maternelle, dix ans après la mort de sa mère. Les premiers chapitres reviennent sur cet amour exclusif et exigeant d’une maman pour son fils unique, le centre de sa vie, la source de son bonheur. La description tendre des minauderies de sa mère pour se rapprocher de son enfant, même celui-ci devenu adulte, est touchante de vérité. L’évocation des sentiments maternels, le bonheur quand elle rejoint Albert pour un séjour avec lui à Genève, la douleur quand elle s’éloigne dans le train vers Paris, laissant son fils pour une année entière, est émouvante d’humanité.

    La seconde partie du livre narre l’absence de la mère après son décès et les regrets du fils sur ce qu’il a fait ou pas fait du temps où elle était vivante. Les petites fâcheries comme les grands partages sont passés en revue. La prise de conscience d’Albert qu’elle ne reviendra pas et que tous ses actes, ses pensées, ses sentiments seront désormais marqués du sceau indélébile de l’amour de cette mère absente. Mais « elle est morte » répète à l’infini l’écrivain orphelin que la situation force à renoncer à l’espoir. Il ne reste plus que Dieu à qui faire appel pour, peut-être, retrouver sa mère au Ciel, un jour…

    « Que ma mère soit morte, c’est en fin de compte le seul drame de ce monde. Vous ne croyez pas ? Attendez un peu, quand votre tour viendra d’être l’endeuillé. Ou le mort. »

    Le style brillant de l’écrivain Albert Cohen et le cœur mis à vif du fils de sa mère ont abouti à ce merveilleux récit sur la puissance de l’amour d’une mère pour son fils, sans doute l’un des sentiments les plus forts et indestructibes du genre humain (et animal d’ailleurs). Qui ne retrouvera pas certains passages vécus de sa propre vie dans ce récit ? C’est la force de l’écrivain se savoir traduire cette tempête des émotions en mots simples et tellement vrais. Un livre aussi inoubliable que déchirant.

  • Mélanchon sur Castex

    Déclaration du leader d’un parti d’extrême gauche et député sur la prestation d’un nouveau premier ministre à l’assemblée nationale :

    …une sorte de métayer de circonstance, et puis après c’est assez pénible à supporter, quoi, parce que les mots poussent entre les arbres et les arbres entre les mots, donc euh, il est là, il parle à 2 à l’heure, euh, pour dire des banalités, euh, alors heu, alors, bon, soit on le prend mal et on se dit « il se moque de nous », soit on se dit ben « c’est la maximum dont il est capable », donc euh, c’est vraiment… c’est pas un beau moment de démocratie parlementaire, ça c’est sûr…

    Comme parfois avec Jean-Luc Mélanchon, c’est assez drôle !

  • Nouveau gouvernement et festival de billevesées

    On n’a pas encore bien compris pourquoi ni comment mais la France vient de changer de gouvernement en plein milieu d’une grave crise économique. Une telle décision entraîne au minimum six mois d’inertie et de réglages de périmètres pour les nouveaux ministres à mettre en place et les anciens qui redoublent dans une autre classe. Six mois durant lesquels ces ministres vont devoir passer du temps à découvrir leur nouveau job, nommer leurs collaborateurs, dézinguer ou refourguer les anciens, bref, prendre leurs marques pour faire le nouveau boulot pour lequel ils sont rémunérés par les contribuables que nous sommes.

    En attendant d’être opérationnels il faut bien exister dans les médias et sur les réseaux dits « sociaux » alors on assiste à un festival de billevesées et de phrases aussi grandiloquentes que vides sens. Qu’on en juge :

    A minima, nous devrons nous fixer un nouvel agenda social… [pour trouver un] compromis, qui n’est pas une compromission…
    [la méthode sera] un mélange de volontarisme et d’expérience, avec le souci de rassembler… Ouvrir des concertations (…) avec la nation, avec les partenaires sociaux, dans les territoires, avec tous les acteurs… [élaborer un] nouveau pacte social.
    Quand vous aurez appris à me connaître, vous verrez que ma personnalité n’est pas soluble dans le terme de “collaborateur”.

    Castex (premier ministre)

    Ou encore :

    À chaque étape de la reconstruction de notre pays, nous aurons à cœur de ne laisser personne au bord du chemin. Cette reconstruction sera mise en œuvre par un gouvernement de mission et de rassemblement.

    Macron (président de la République)

    Qui porte une attention à ces slogans de circonstance au-delà des commentateurs de service ? Probablement pas grand monde tant ils manquent de sens et se limitent à ânonner des phrases toutes faîtes déjà servies et resservies par des générations d’élus. Le mieux, pour tout le monde, serait de ne pas les prononcer, personne ne s’en plaindrait, sauf peut-être les commentateurs de plateaux télévisés qui, du coup, devraient se consacrer à des choses intelligentes comme analyser le budget de la République ou l’évolution des prestations sociales versées par ladite République à ses citoyens.

    La vraie disruption (pour reprendre un tic verbal à la mode) serait d’essayer un jour de ne pas diffuser ni commenter à l’infini ces billevesées et de n’en rien dire tant qu’elles ne sont pas remplacées par des engagements concrets basés sur des analyses chiffrées et solides, bref, ce qu’on appelle un programme politique. Hélas, il y a peu de chances qu’adviennent un jour une telle hypothèse tant nos sociétés décadentes compromettent chaque jour avec la dictature de l’info-Café-du-Commerce. Peut-être un jour…

  • Fausse rumeur de dîner en ville

    Entendu dans un dîner en ville : « on ne peut jamais perdre la nationalité française qui vous suit jusqu’à la fin de vos jours ».

    Un rapide fact checking permet de constater que cette assertion est incorrecte. Le Code Civil prévoit des cas de « perte volontaire de la nationalité française », notamment si l’on acquiert une autre nationalité, ou si l’on prend la nationalité de son conjoint étranger. La répudiation est prononcée par un tribunal. Tous les détails de procédures sont disponibles sur le site de l’administration :

    Vous pouvez demander la perte de la nationalité française (NF) si vous avez une autre nationalité. La démarche s’effectue par déclaration ou par décret.

    La démarche pour perdre la NF est déclarative dans les situations suivantes : acquisition d’une autre nationalité, naissance à l’étranger avec un seul parent français, naissance en France avec un seul parent né en France, NF du fait de l’acquisition de la NF par un parent, acquisition de la nationalité étrangère de l’époux(se).

    Si vous ne remplissez pas les conditions pour faire une déclaration, vous pouvez demander l’autorisation de perdre la NF par décret (procédure appelée libération des liens d’allégeance envers la France).

    https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F3073.

    Il y a quelques conditions préaliables mais cela n’a pas l’air très compliqué de les remplir. Et s’il en manque, il existe même une procédure de perte de la nationalité « par décret ». Il serait intéressant de connaître le nombre annuel moyen de français qui renoncent ainsi à leur nationalité, recherche de statistiques en cours…

  • Paris outragé

    C’était prévisible, la droite française a une nouvelle fois échoué ce dimanche 28 juin à remporter la mairie dans la capitale. Une bataille d’égos entre trois zigotos qui ont privilégié leurs tactiques personnelles au détriment de l’intérêt de la municipalité qu’ils se voyaient bien diriger. Les plus naïfs ont pensé jusqu’au dernier moment que la raison prévaudrait et les conservateurs éloignés des commandes parisiennes depuis dix-huit ans allaient bien trouver un accord pour fusionner leurs listes et faire élire l’un d’entre eux à la mairie pour appliquer un programme conservateur après tout le mal qu’ils ont dit de la gestion municipale socialiste tous les matins de ces dernières dix-huit années…

    Lire aussi : Comment la droite va voir une nouvelle fois lui échapper la mairie de Paris

    Eh bien ce ne sera pas pour cette fois et la maire de Paris sera socialiste pour au moins six années de plus. Ce n’est pas dramatique tant les projets des uns comme des autres ne sont pas fondamentalement différents mais c’est confondant sur la stupidité et l’incompétence de ces chefaillons-candidats de droite qui ont préféré échouer ensemble plutôt que de gagner une mairie en principe imperdable par l’un d’entre eux s’ils s’étaient alliés, dans une ville gentrifiée définitivement droitière. Et ces exploits ont fait suite au retrait (si l’on ose dire) d’un précédent candidat de droite par suite de la diffusion sur les réseaux dits « sociaux » d’images sexuelles qu’il échangeait avec sa maîtresse.

    On ne peut pas dire que tout ceci soit très brillant, à l’image du sens de l’intérêt général qui anime manifestement ces apprentis-sorciers !

  • Les héros d’hier sont mis à bas

    La cause antiraciste poursuit sa marche vers l’excès. La dernière action à la mode est la dégradation dans les pays occidentaux de statues de personnages qui ont marqué l’histoire mais aussi eu un rapport avec l’esclavage, la colonisation ou l’exploitation des populations noires et ce, quelle que soit l’époque où ces hommes ont vécu et agi. C’est ainsi que la statue de Churchill à Londres a été taguée d’un « Was a racist », des statues de Victor Schoelcher ont été brisées en Martinique car « appartenant à l’héritage colonial », des statues de soldats sudistes aux Etats-Unis ont été déboulonnées, etc. Le cas Schoelcher (1804-1893) est intéressant car ce bourgeois, blanc, journaliste, député de la Guadeloupe, de la Martinique, sénateur, sous-ministre aux colonies, s’impliqua dans l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises formalisée par un décret de 1948. Il meurt en 1893 et ses cendres sont transférées au Panthéon en 1949. Il était jusqu’ici une sorte de héros pour les populations noires de la République, tout particulièrement dans les départements et territoires d’outre-mer (dom-tom), terres sur lesquelles la tragédie de l’esclavage fut une réalité vécue. Mais le garçon était blanc et le pur produit d’un système qui avait promu l’esclavage, la colonisation et en avait profité… Même s’il s’est ému plus vite que les autres de la barbarie de l’esclavage et de la traite négrière, qu’importe, il est quand même coupable aux yeux des activistes d’aujourd’hui.

    Les descendants des esclaves noirs de cette période sont parmi nous, aux Etats-Unis, en France, en Belgique, dans bien d’autres pays et en Afrique bien sûr. Le cas des deux premiers lieux est particulier car l’esclavage a été pratiqué sur les terres américaines et françaises (dans les dom-tom [Antilles, Guyane, Réunion, ainsi d’ailleurs que toutes les iles avoisinantes qui sont par la suite devenues indépendantes]), rendant la sensibilité du sujet encore plus aigüe dans le cœur des descendants. Ajouté au fait que dans la majorité des pays occidentaux les populations noires n’ont reçu en général qu’une part non proportionnelle des fruits du développement socio-économique depuis l’abolition, voire, furent légalement discriminées comme ce fut le cas aux Etats-Unis jusque dans la deuxième moitié du XXème siècle, il n’en faut pas plus pour ancrer fermement depuis cinq ou six générations un sentiment de victimisation, voire un désir de vengeance pour certains. Nous en sommes la aujourd’hui.

    Ces populations et leurs descendants affrontent aussi un problème de positionnement dans les sociétés où elles vivent. Issues d’anciens pays colonisés elles sont venues s’installer dans les pays qui les ont colonisés. La première vague d’immigrants a demandé et, généralement, obtenu la nationalité des anciens colons. Leurs descendants nés en France l’ont conservée. Plusieurs générations après, nombre ces descendants d’esclaves continuent à quitter leurs terres d’origine pour essayer de rallier une situation meilleure dans les pays des descendants de leur anciens maîtres… Un dilemme sans doute pas toujours facile à rationaliser qui génère une opposition sous-jacente entre les origines que l’avachissement intellectuel en cours de nos sociétés et l’activisme de certains extrémistes peut facilement transformer en réflexes racistes.

    Les anciens esclaves sont quant à eux demeurés sur les territoires de leurs malheurs. Que pouvaient-ils d’ailleurs faire d’autre ? L’expérience de la création en 1922 du Liberia en Afrique de l’Ouest qui était censé accueillir les esclaves noirs libérés aux Etats-Unis a tourné court assez rapidement. Devenu indépendant en 1847 le pays est alors dirigé par une caste américano-libérienne qui poursuivit grosso-modo les conditions de l’esclavage sur place. La deuxième moitié du XXème siècle fut une terrible descente aux enfers pour ce pays livré à toutes les barbaries de chefs de guerre sans foi ni loi.

    Les traces de l’Histoire sont partout et sont souvent tragiques. Les méthodes employées à travers la planète pour effacer ou atténuer les conséquences humaines de l’esclavage et de la colonisation n’ont pas toujours produit les résultats espérés. De la discrimination positive à l’assimilation, du multiculturalisme à l’intégration, nombre de pays occidentaux sont confrontés à des difficultés, parfois violentes, entre les différentes communautés qui les composent, et tout particulièrement celles relevant de la colonisation ou de l’esclavage. Celui-ci a été pratiqué par nombre d’empires, grecs, mogols, arabes, africains, occidentaux… Aujourd’hui c’est aux restes de ces derniers que des comptes sont demandés, sans doute car c’est l’Occident qui a pratiqué l’esclavage et le colonialisme sur la plus grande échelle et, certainement aussi parce les pays occidentaux étant les plus riches et les plus démocratiques c’est en leur sein que la revendication est la plus aisée. Aller demander des comptes à la Turquie ou à des pays du Golfe persique ou d’Afrique sur la traite orientale risque d’aboutir à moins de résultats…

    L’esclavage et la colonisation ont généré des désastres et tout le monde se porterait mieux s’ils n’avaient pas eu lieu. De tous temps l’Histoire fut une succession de conquêtes et de batailles de puissances. Une minorité idéologue exploite aujourd’hui la frustration des perdants au sein des pays occidentaux. De nouveaux mots sont inventés ou remis au goût du jour comme « racialisme », « indigénisme », des statues sont détériorées, justice et réparation sont réclamées en ordre dispersé, certains veulent des réparations financières, d’autres se contenteraient de symboles ou simplement de culpabiliser les pays dont leurs ancêtres ont acquis la nationalité. Revenir sur l’Histoire pour prendre en compte ses conséquences requiert subtilité et intelligence là où une minorité agissante développe pour le moment hystérie et slogans.

    Au siècle dernier on a vu Léopold Sédar Senghor, écrivain-poète et homme d’Etat, pétri de culture française, né au Sénégal colonisé, devenir ministre de la IVème République colonialiste puis, une fois son pays devenu indépendant, vanter avec finesse la « négritude » sous les ors de l’Académie française en costume d’académicien, tout en étant président élu de la République du Sénégal… Dans le même genre, Aimé Césaire, né en Martinique, écrivain-poète et homme politique français, cofondateur avec Senghor du mouvement littéraire de la négritude, fervent anticolonialiste, élu maire de Fort-de-France durant cinquante-six ans (ainsi qu’à nombre d’autres fonctions électives de la République), recevoir les dirigeants français métropolitains dans le mobilier Empire de sa mairie d’outre-mer…

    C’était une autre époque, celle d’autres méthodes. La génération d’aujourd’hui est plus inspirée par le rap de Booba que par les poèmes de Césaire, l’Histoire dira si elle sera plus efficace que la précédente pour la reconnaissance et l’intégration dans les pays occidentaux des descendants de l’esclavage et de la colonisation.