Le Kremlin a organisé ces jours derniers des référendums dans les quatre régions ukrainiennes frontalières, déjà partiellement occupées par l’armée de Moscou, pour proposer le rattachement de celles-ci à la Fédération de Russie. Ces régions sont pour l’instant objet de combats plutôt violents entre les belligérants russes et ukrainiens. Elles sont habitées par des Ukrainiens pro-russes et des Ukrainiens antirusses qui, dans leur grande majorité ont fui ces régions et n’ont pas voté. Le résultat a donc été un oui franc et massif en faveur du rattachement à la Russie. Aussitôt dit aussitôt fait, et aujourd’hui les textes « légaux » ont été signés en Russie pour étendre le territoire de la Fédération à ces quatre régions. Il reste à les faire approuver par le parlement dans les jours à venir, ce qui ne devrait pas poser de difficultés. Venus à Moscou, les quatre gouverneurs Ukrainiens pro-russes qui ont demandé cette annexion se réjouissent de la voir se réaliser.
Bien entendu tout ce processus est parfaitement contraire au droit international malgré un vague vernis de juridisme avec référendums et textes de lois. Mais les pays autoritaires n’utilisent ce concept de « droit international » que lorsqu’il est à leur avantage et se font un malin plaisir d’en trahir l’esprit tout en respectant la lettre. A cet égard l’annexion d’une partie d’un territoire étranger par la Russie finalisée aujourd’hui est un modèle du genre.
L’une des difficultés de ce conflit, quoi que l’on en dise, réside dans le fait qu’une partie des citoyens ukrainiens résidant dans ces régions est prorusse, soutient le rattachement de leurs régions à la Russie et la transformation de leur nationalité ukrainienne en nationalité russe. Nous sommes en présence d’une espèce de guerre civile avec interventions étrangères soutenant chacune leur camp. Les accords de Minsk (deux protocoles successifs signés en 2014 puis en 2015) n’ont jamais été appliqués par des signataires qui n’en n’avaient pas vraiment la volonté. Outre un cessez-le-feu, ils prévoyaient, notamment, un statut d’autonomie pour deux des régions ukrainiennes sécessionistes, celles de Donetsk et de Louhansk avec une décentralisation des pouvoirs. Ces accords proposaient une solution moyenne qui prenait en compte la mixité des habitants de ces zones : russe et ukrainienne, même si les territoires eux-mêmes étaient reconnus comme ukrainiens par le droit international. De tels accords ne pouvaient fonctionner que si les parties y adhéraient. Ce ne fut pas le cas et la guerre a été lancée par la Russie. La où il aurait fallu de l’intelligence et de la diplomatie, on a privilégié l’obstination et la brutalité. Le résultat se constate aujourd’hui dans les tranchées et un regain de nationalisme propice aux dérives de tous ordres.
Fondamentalement cette annexion ne change pas grand-chose sur le terrain où une armée ukrainienne motivée (et armée par l’Occident) s’affronte à une armée russe à l’efficacité plus modeste que prévue. En revanche cette décision éloigne un peu plus la possibilité d’une paix négociée et accroit donc les risques d’une d’extension de la guerre en cours. L’Allemagne nazie avait annexé la région tchécoslovaque des Sudètes en 1939 pour « libérer les Allemands des Sudètes de l’oppression tchécoslovaque » ; il a fallu une guerre mondiale et 60 millions de morts avant que la région annexée ne soit restituée à la Tchécoslovaquie.
La Russie continue à nuire avec l’Occident, elle le fait avec efficacité et délectation, mais les combats continuent et l’escalade s’aggrave.