LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 4/6.

Quatrième épisode des aventures haletantes du Moyen-Orient de l’après IIème guerre mondiale : cela ressemble à une série policière télévisée, ce n’est que l’Histoire tragique narrée par Henry Laurens.

En Iran, après la nationalisation de l’économie pétrolière en 1952 par le gouvernement de Mosaddeq, premier ministre du Shah, la Grande Bretagne et les compagnies pétrolières occidentales qui contrôlent le marché mondial, « les sept sœurs » (6 américaines et 1 britannique) boycottent l’Iran. Le cartel qui contrôle même le fret compense la perte de l’approvisionnement iranien par une augmentation de la source iraquienne. L’économie iranienne s’effondre rapidement. Le Shah et son premier ministre s’opposent pour le contrôle de l’armée. Mossadeq se maintient en se présentant comme un rempart contre les communistes. En octobre 1952 il rompt les relations diplomatiques avec Londres qui mène des actions secrètes avec les Etats-Unis pour le déchoir.

En février 1953 Royaume-Uni et Etats-Unis conviennent d’une opération clandestine nommée Ajax destinée à renverser le gouvernement Mossadeq pour le remplacer par un pourvoir pro-occidental. A l’occasion d’un soulèvement populaire ils diffusent des fausses nouvelles et agissent en sous-main. Les religieux soutiennent l’opération car conforme à leur vision anticommuniste. Le Shah hésite puis révoque Mossadeq le 12 août ; celui-ci conteste le pouvoir constitutionnel du Shah à la destituer. Le 15 août, devant la confusion générale le Shah quitte le pays pour Rome. L’armée et les religieux le soutiennent, il rentre à Téhéran le 22 août après la reddition de son ex-premier ministre. La répression est menée, Mossadeq est condamné trois ans de prison puis finira ses jours en résidence surveillée en 1967. Ce coup d’état a bien été financé par des fonds des services secrets américains et britanniques mais l’opposition était locale. Une fois le pouvoir su Shah rétabli à l’ombre du parapluie occidental anglo-saxon, il n’est toutefois pas possible de revenir sur la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC) alors un consortium est créé avec la National Iranian Oil Company (NIOC) qui deviendra la British Petroleum (BP).

En Egypte la République est proclamée en 1953, présidée par Mohammed Naguib qui était déjà à la tête du mouvement des officiers libres. Les Etats-Unis soutiennent ce mouvement qui s’oppose à la Grande-Bretagne présente militairement dans le pays avec la base de Suez qui irrite fortement ces officiers et la population. La menace soviétique d’une invasion du Moyen-Orient à travers Caucase suffit à convaincre le congrès de maintenir son aide aux officiers libres égyptiens. Par ailleurs, d’anciens nazis réfugiés dans la région les aident[1]. Nasser neutralise le Waft, les communistes et s’attaque aux Frères musulmans. Le 14/01/1954 il les accuse de complot avec la Grande-Bretagne et de vision réactionnaire. Le parti est interdit. Le noyautage de la police et de l’armée se met en place. Nasser n’est pas particulièrement pro-religieux, il attaque l’impérialisme qui a planifié la Naqba, cette catastrophe contre le monde arabe. Naguib s’oppose à lui puis démissionne en novembre pour être remplacé par Nasser. Le slogan en usage est « la révolution contre la réaction », celle-ci faisant référence à l’ancien système parlementaire. Naguib a cédé devant Nasser pour éviter guerre civile.

Nasser est soutenu par les occidentaux. Des négociations secrètes sont menées avec Israël sur le partage de la Palestine mais n’aboutissent pas face au refus de Tel-Aviv de tout partage du Néguev. Israël s’oppose à ce que l’Egypte récupère base militaire anglaise de Suez qui renforcerait ainsi les capacités offensives du Caire. Les Etats-Unis cherchent à favoriser un accord sur la répartition des eaux du Jourdain afin d’aider à la réinsertion des réfugiés palestiniens. En réalité nombre de ces réfugiés se sont déjà recosnvertis dans les pays du Golf.

Le réarmement militaire en cours aux Etats-Unis s’accompagne d’un réarmement religieux. En ces temps de guerre froide l’origine judéo-chrétienne de l’Occident est mise en avant. La devise américaine « In God we Trust » apparaît à cette époque. Cette référence est nouvelle, auparavant on parlait des origines grecques. La seule jonction historique entre chrétienté et judaïsme c’est… l’Islam.

En Israël il existe une forte opposition entre les activistes violents menés par Ben Gourion et les modérés. L’année 1954 voit une succession d’attentats et de raids de représailles en et par Israël. Eisenhower veut rester impartial. Activistes (Dayan, Sharon…) veulent lancer une nouvelle guerre contre les arabes et envisagent des alliances avec certaine minorités dans ces pays comme les druzes par exemple.

En Jordanie le roi Abdallah est assassiné en 1951. Son fils Tallal lui succède et met en place une politique plutôt libérale. Il est déposé un an plus tard pour problèmes médicaux (schizophrénie ?). Son fils Hussein (18 ans) lui succède. En 1950 la Cisjordanie a été annexée par Royaume hachémite de Jordanie (ex-Transjordanie jusqu’en 1949). A sa prise de pouvoir Hussein reste confronté à une opposition structurée par les communistes, une guerre des frontières en cours, des risques de conflit avec l’Irak. Il doit par ailleurs s’accommoder de la présence d’officiers britanniques dans son armée nationale.

En Syrie, l’année 1954 voit se succéder des soulèvements druze puis hachémite. L’armée dépose Chichakli[2] et c’est le retour à un régime civil. L’armée est divisée, la question Croissant fertile réapparaît : le projet d’une région rêvée allant du Liban à l’Irak. Les élections de septembre 1954 mènent à un glissement à gauche. La Syrie est instable, agitée de rumeurs diverses mais est aussi le foyer d’une vie culturelle moderne.

Cette période marque l’entrée de l’orient arabe dans la guerre froide. La Grande-Bretagne cherche à transformer une domination en partenariat mais les arabes veulent se débarrasser de présence étrangère sur meurs territoires. Churchill est premier ministre. Londres a restitué la base de Suez aux autorités égyptiennes avec une clause de retour en cas d’attaque turque ou de guerre mondiale (en 1954 la peur du feu nucléaire est répandue).

1953 c’est la fin de la guerre Corée, en 1954 la fin de la guerre d’Indochine. Il y a une certaine détente à l’ouest mais pas au Moyen-Orient. L’idée d’une frontière collective de Méditerranée jusqu’à Chine progresse, c’est le projet britannique de North frontier. Les Etats-Unis distribuent un aide militaire aux pays pro-occidentaux sur cette ligne de frontière ce qui inquiète Israël mais aussi d’autres pays arabes d’ailleurs, spécialement Irak. En juillet 1954, Londres et Le Caire paraphent l’accord de rétrocession de la base de Suez.

L’Egypte veut instaurer son hégémonie l’Orient arabe tout en se proclamant anticommuniste. Nasser parle surtout développement économique intérieur dans ses discours. Toutefois, il accuse les Frères musulmans et les communistes d’être opposés au traité avec la Grande-Bretagne de rétrocession de Suez et de combattre le régime. Israël continue à favoriser des attentats menés par des militants juifs en Egypte pour tenter de torpiller le traité avec Londres, ce qui aura impact négatif sur la situation des juifs en Egypte. Nasser charge Sadate de fonder un islam laïque.


[1] L’Egypte n’est pas le seul pays à « recycler » des nazis : à l’époque, sur 70 000 hommes de la Légion étrangère en France, la moitié sont allemands, ce qui fera dire à qu’à Diên-Biên-Phu en 1954 on parlait plus français du côté du vietminh que de l’armée française…

[2] Il part en exil au Liban puis au Brésil où il sera assassiné par un druze en 1964 sur ordre du gouvernement syrien voulant se venger des bombardements menés sur les montagnes druzes du temps de Chichakli. Toute sa famille sera également assassinée partout dans le monde.