L’un des candidats à l’élection présidentielle française de 2022, Éric Zemmour, était journaliste avant d’être candidat. Il défend désormais dans ses meetings grosso-modo les mêmes positions que celles affichées précédemment dans ses émissions médiatiques et ses livres, celles d’une vision conservatrice de la société, d’une idée de la France blanche et chrétienne, si possible encore grande et conquérante. Ses compétences pour gérer un pays, une entreprise, une famille ou une simple organisation, sont inconnues et probablement proches de zéro. Malgré le racolage politique dont il s’est fait le héraut il y a probablement assez peu de risques qu’il puisse être élu président de la République. En revanche, il rencontre un franc succès au Café du Commerce des plateaux télévisés et dans les séances de promotion de ses livres. Les médias l’adorent car ses jugements à l’emporte-pièce et ses slogans de circonstance provoquent les disputes dont ils sont friands pour améliorer leurs audiences.
Avant qu’il ne se déclare officiellement candidat à l’élection, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), chargé de faire respecter une certaine égalité dans le traitement médiatique des candidats avait décidé que son temps de parole serait décompté exactement comme s’il était candidat. La chaîne de télévision CNEWS appartenant au groupe Bolloré qui l’employait a déploré cette « atteinte inqualifiable » à la liberté d’expression, a sorti Zemmour-journaliste de l’émission qui l’abritait une heure chaque soir pour réintroduire immédiatement Zemmour-candidat dans quasiment toutes les émissions de la journée via des reportages permanents sur les déplacements, saillies et polémiques dont sont friands les téléspectateurs, les sujets concernant les autres candidats étant généralement traités… la nuit aux heures de faible écoute. On ne peut imaginer meilleure illustration du « je respecte la lettre de la loi et j’en détourne l’esprit » !
Le patron du groupe Bolloré qui détient de nombreux médias, dont CNEWS, entend diffuser ses idées conservatrices et catholiques traditionnalistes dans le pays en influant sur le résultat des élections présidentielles d’avril 2022. C’est sans doute la raison pour laquelle il a investi une partie de ses sous pour acheter des médias. C’est une sorte de soft-power utilisé par le patron capitaliste de façon avisée. Nous sommes dans une économie libérale donc personne ne peut empêcher un patron du CAC40 d’acheter des organes de presse, surtout lorsque ceux-ci sont quasiment au bord de la faillite, mais nous sommes aussi en démocratie « à la française » alors les contribuables financent une administration, le CSA, en charge de limiter les excès vers lesquels tendent naturellement ces propriétaires capitalistes, afin d’essayer d’assurer un relatif pluralisme de la presse dans notre pays. Ce n’est pas facile et lesdits propriétaires entendent récupérer en soft-power, à défaut de rendement financier,l’argent qu’ils mettent dans leurs « danseuses ». Ils s’y entendent généralement bien…
Plus intéressant est le narcissisme qui anime ces capitalistes. Leur puissance économique et financière ne leur suffit plus. Non contents de truster les meilleures places dans les classements des réussites boursières et des plus grosses richesses mondiales, ils veulent aussi influer les orientations politiques du pays. Ils pourraient se présenter à des élections ou fonder des partis, mais ils préfèrent agir plus discrètement via des organes de presse. MM. Arnault, Pinault, Bolloré, Lagardère, Niel, Pigasse, et d’autres, investissent dans la presse et, dans de nombreux cas, sauvent ces médias de la faillite. Notre vieille démocratie essaye de préserver la « liberté de la presse », c’est tout à son honneur, mais elle affronte de redoutables prédateurs, jamais plus efficaces que lorsqu’il s’agit d’exploiter le gogo à qui ils font avaler des torrents de publicités abrutissantes (le hard-power, les sous) et leurs idées politiques (le soft-power). L’alliance Bolloré-Zemmour le montre tous les jours !