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  • STEINER Jean-François, ‘Treblinka, la révolte d’un camp d’extermination’.

    Sortie : 1966, Chez : Librairie Arthème Fayard.

    Steiner, né en 1938, est le fils d’Isaac Kadmi Cohen, écrivain juif polonais assassiné à Auschwitz en 1944. Il écrit le roman « Treblinka » en 1966 (à 28 ans), époque où la connaissance de la Shoah était balbutiante. Le roman, préfacé par Simone de Beauvoir, composé à partir de nombre de témoignages de survivants et de l’histoire du camp telle qu’elle était connue dans les années 1960, déclenche alors une polémique sur le rôle que l’auteur prête aux responsables juifs dans ce camp. A peu près à la même époque, le récit publié par la philosophe Hannah Arendt « Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal » fait lui aussi polémique sur ce terme « banalité du mal » qu’elle emploie à propos de l’action d’Eichmann qui n’est qu’un logisticien de la mort, et sur l’action des conseils juifs dans les ghettos et les camps. Le sujet est explosif tant il remue de souffrance et de boue !

    Dans l’univers sordide des « camps de la mort », Treblinka présente la caractéristique d’avoir subi une révolte des déportés, dont plusieurs centaines réussirent à s’évader, puis d’avoir été démantelé, le site ayant été ensuite transformé avant la fin de la guerre en un innocent domaine agricole et la plupart des archives détruites. La reconstitution de l’histoire du camp par Steiner dans son roman-récit est de ce fait sujette à discussion, surtout dans les années 1960. L’auteur reconnut d’ailleurs quelques erreurs historiques. Il semble toutefois qu’elles ne furent que de peu d’importance même si elles purent heurter la sensibilité de certains survivants.

    Il n’en reste pas moins que ce livre décrit de manière terrifiante l’implacable organisation allemande mise au service de la destruction des hommes. Les réflexions et plans d’action du commandant du camp surnommé « Lalka » par les prisonniers (1) afin d’améliorer en permanence le « rendement » de l’usine à mort dont il était responsable, l’absence totale de considération pour la vie des juifs qui n’étaient que des sous-hommes destinés à servir la productivité industrielle puis à mourir, sont retracer de façon glaçante. Tous ces éléments ont d’ailleurs été largement confirmés par la suite à l’occasion des travaux d’historiens, des déclarations des survivants comme par les procès des nazis durant la seconde moitié du XXème siècle.

    Toute la perversité de la machinerie nazie est tragiquement décrite dans l’implication qu’elle fit de certains travailleurs juifs dans l’organisation du camp : les « sonderkommandos » qui sont chargés d’accompagner les juifs sélectionnés à leur sortie du train pour être directement gazés, les dépouiller de leurs biens puis les enterrer ou incinérer leurs dépouilles, avant d’être eux-mêmes tués pour ne pas laisser de témoins ; les responsables juifs du camp (les fameux kapos), sorte d’interface entre les chefs nazis et la cohorte des déportés… Le vice est même poussé jusqu’à créer des sortes de lutte des classes entre les juifs eux-mêmes : ceux affectés au camp n°2 où se déroulent les opérations d’extermination de la masse et qui sont régulièrement « renouvellés », ceux du camp n°1 subdivisés entre le Hoftjuden (l’élite) et le prolétariat dont les Goldjuden chargé de la récupération de l’or et des bijoux des déportés gazés… Les « gardes ukrainiens » forment par ailleurs la phalange des nazis et se révèlent aussi cruels et antisémites que leurs maîtres. Ils sont redoutés de l’ensemble des déportés. Au sommet rège l’encadrement SS appliquant avec discipline et sans la moindre retenue l’idéologie hitlérienne et, in fine, mener les déportés sur l’allée menant au camp n°2 qu’ils avaient si délicatement surnommée Himmelstrasse (le chemin du ciel) !

    Le format roman donne sans doute plus de liberté à l’auteur pour imaginer les hallucinants dialogues des nazis entre eux et des juifs dans leurs baraquements. S’ils font partie de la fiction on sait aujourd’hui qu’ils sont réalistes. Notamment ceux relatifs à la préparation de la révolte de Treblinka rapportés dans le détail, au cours de laquelle une poignée d’organisateurs juifs ont monté cette héroïque opération en août 1943 de laquelle bien peu survécurent mais qui dément ainsi la théorie des juifs « se laissant mener à l’abattoir » sans réagir. Robert Merle (« La mort est mon métier » en 1952) ou William Styron (« Le choix de Sophie » en 1979), notamment, se sont aussi essayés avec talent à la fiction sur le sujet. Le roman n’est pas un mauvais média pour expliquer sans relâche ce que fut l’extermination d’une population entière, ceux qui la conçurent et l’appliquèrent.

    Evoquer le sujet de la barbarie nazie appliquée aux populations juives c’est s’exposer à la critique tant le sujet de la Shoah fut, et demeure, un sujet tragique de l’histoire européenne. Steiner le fait ici de façon neutre, son imagination littéraire ne lui ayant servi que pour retracer des conversations auxquelles il n’a pas participé. Il arrive avec précision à se mettre dans la tête des nazis comme dans celles de déportés pour expliquer ce qui les guidèrent durant ces années barbares. Bourreaux et victimes se retrouvent analysés et leurs comportements disséqués.

    Un roman-récit qui valait la peine d’être écrit et qui mérite d’être lu.


    (1) « la poupée » en raison de sa belle prestance, Kurt Frantz à l’état civil [1914-1998], condamné à la perpétuité après son arrestation en 1959

    Lire aussi : Treblinka

  • La propension à la guerre de différents régimes politiques selon Aron

    La propension à la guerre de différents régimes politiques selon Aron

    Dans la neuvième leçon (sur 19) du cours « Démocratie et totalitarisme » donné à la Sorbonne durant l’année universitaire 1957-1958, le philosophe politique Raymond Aron (1905-1983) explique la liaison entre la guerre de conquête et le régime politique des Etats.

    Entre 1933 et 1939 les régimes constitutionnels pluralistes [les démocraties] paraissaient absolument décadents parce qu’ils avaient en face d’eux des régimes dirigés par des hommes dont la façon de penser et le style d’action étaient essentiellement différents du style de pensée et de la méthode d’action des dirigeants parlementaires. Un dirigeant parlementaire croit au compromis, et de manière générale n’aime pas la violence, le chef d’un parti monopolistique croit en la violence et méprise les compromis. Les chefs des régimes fascistes pensaient que la guerre est l’état normal des collectivités et que la conquête est la fin normale de toutes les collectivités vivantes…

    Or, incontestablement les régimes pluralistes au XXème siècle sont mal adaptés à la conquête, et même jusqu’à un certain point à la préparation de la guerre.

    Au bout du compte, les régimes que nous étudions [pluralistes] au XIXème siècle ont conquis de grands empires, ajoutons qu’ils les ont perdus au XXème… Ces régimes sont de plus en plus dépourvus des moyens idéologiques de justifier leurs empires et ils ne possèdent ni la capacité de violence ni la capacité d’hypocrisie pour maintenir en permanence une politique contraire à leurs idées.

    On a ici la parfaite description de l’impossibilité du dialogue entre les dirigeants d’un parti monopolistique en poste au Kremlin et les pays occidentaux qui soutiennent l’Ukraine dans la guerre de conquête que lui a déclarée la Russie. La conquête reste un objectif de la Russie pour étendre ou reconstituer son Empire quand les démocraties occidentales se réfèrent à l’Etat de droit et à « l’intangibilité » des frontières, et donc au compromis pour ne pas déroger à ces principes. C’est un dialogue de sourds dans lequel la partie attaquante mise sur l’usure attendue des démocraties soutenant la partie attaquée. Le gagnant sera celui qui aura le plus de patience dans ce conflit délétère.

    Les tentatives de compromis ont échoué lorsque l’Occident a plus ou moins laissé faire les invasions de la Géorgie, de la Crimée ou la réduction sanglante de la réduction tchétchène par le Kremlin. Elles n’ont pas empêché de nouvelles guerres de conquête comme celle en cours contre l’Ukraine. L’histoire de l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne en 1939 puis par l’Union soviétique en 1968 n’ont pas donné lieu à réactions militaires immédiates des « régimes constitutionnels pluralistes », elles ont néanmoins emmené les pays et régimes agresseurs vers leur défaite en liguant les démocraties contre ces envahisseurs.

    L’histoire dira si la Russie aura fait le pas de trop ce 24 février en envahissant militairement l’Ukraine !

  • Le Liban oublié

    Le Liban fait de nouveau parler de lui après l’explosion dramatique qui s’est déroulée sur le port de Beyrouth en août 2020 qui avait fait plus de 200 morts, des milliers de blessés et provoqué la dévastation de la ville. Cet évènement avait aussi accéléré l’effondrement économique et financier du pays déjà bien engagé avant l’explosion. Aujourd’hui ce sont deux immenses silos à grains situés sur le port qui avaient été endommagés en 2020 et qui sont en train de s’effondrer.

    C’est l’occasion de revenir sur l’échec quasi-total des tentatives françaises pour essayer de favoriser la réforme du pays malgré les déplacements très (trop) médiatiques du président Macron sur place qui a perdu là une bonne occasion de se taire et de rester discret. On se souvient qu’on l’avait vu déambuler sur le port en bras de chemises expliquer à la population que la France allait favoriser la rénovation politique du pays et l’aide directe à la population, sans passer par les intermédiaires habituels corrompus qui détournent plus qu’ils ne distribuent.

    Deux ans plus tard il ne s’est pas passé grand-chose sinon les habituels blocages internes, politiques et confessionnels, empêchant l’enquête d’avancer. L’Etat est quasiment paralysé, l’inflation fait des ravages, la devise locale dévisse, la pauvreté de la population progresse, la corruption endémique est toujours là, la classe politique se protège, bref, le Liban continue sa route vers l’abîme.

    Seule bonne nouvelle : les justices occidentales commencent à bouger légèrement au sujet des « biens mal acquis » de dirigeants libanais sur leurs territoires. En France on découvre avec effarement la fortune accumulée par l’inamovible chef de la banque centrale du Liban, Riad Salamé, et qui se chiffre en centaines de millions d’euros. Des saisies d’ampleur ont été réalisées sur des biens supposés appartenir à la famille Salamé et à certains de ses proches. Le garçon est pour le moment toujours en place à la tête de la banque centrale, expliquant que sa fortune est le fait d’investissements avisés…

    Les tentatives de compromis entre les forces politiques et religieuses du pays échouent les unes après les autres. L’Iran agit comme en terrain conquis à travers la milice religieuse Hezbollah, Israël continue à surveiller le Liban comme le lait sur le feu et des millions de réfugiés syriens sont toujours sur place. Carlos Ghosn, franco-libano-brésilien, ex-pédégé de Renault-Nissan, fuyant la justice japonaise, est réfugié à Beyrouth mais même s’il est très riche, ses dépenses locales ne vont que faiblement participer au redressement de la balance des paiements libanaise. Pas plus que son comparse Ziad Takieddine, franco-libanais, fuyant la justice française dans l’affaire des financements des campagnes de Nicolas Sarkozy, qui s’affiche comme ruiné…

    La « feuille de route » proposée par M. Macron en 2020 contenant un certain nombre de réformes n’a quasiment pas connu un début de commencement. Les objurgations lancées par le président à l’encontre de la classe politique libanaise lors de ses deux visites sur place en 2020 n’ont guère fait remuer les branches du cèdre libanais dont les racines sont profondément entremêlées avec les mauvaises habitudes de corruption, d’arrangements mafieux et de tentatives de compromis religieux.

    Lire aussi : Le Liban a-t-il vraiment besoin d’un Macron en goguette ?

    M. Macron se fait plus discret sur le sujet du Liban depuis un an. Il faut dire qu’il a perdu une bonne occasion de se taire en 2020. Bien sûr la France se devait d’essayer d’aider le Liban devant la nouvelle catastrophe endurée par ce pays, mais il aurait été plus approprié de le faire dans la discrétion. Entamer des procédures judiciaires, enfin, contre les biens mal acquis libanais en Europe, identifier les canaux civils par lequel faire transiter une aide humanitaire bienvenue plutôt que via un Etat défaillant, conditionner discrètement le sauvetage financier du Liban à des réformes politiques, mettre en branle la puissance européenne plutôt que le cavalier seul franchouillard… tout valait mieux pour aider ce pays méditerranéen plutôt que de venir agiter un petit drapeau bleu-blanc-rouge sur le port de Beyrouth en critiquant vertement la classe politique libanaise devant les médias.

    N’importe quel connaisseur du monde arabe, et ils pullulent au Quai d’Orsay, aurait pu expliquer au président français que les grands effets de manche ne sont pas efficaces dans la région et qu’il vaut mieux agir avec froideur, détermination et discrétion si l’on veut atteindre ses objectifs, particulièrement lorsqu’ils viennent de l’ancienne puissance mandataire (coloniale). Mais une nouvelle fois on a privilégié esbroufe et publicité au détriment du fond et de l’efficacité.

  • WIESEL Elie, ‘Le Crépuscule au loin’.

    Sortie : 1987, Chez : Editions Grasset & Fasqelle.

    Elie Wiesel (1928-2016), rescapé des camps d’extermination et éternel penseur-témoin de la barbarie européenne, traite dans ce roman, à travers le personnage de Raphael Lipkin, adolescent juif durant la seconde guerre mondiale, les deux sujets centraux de sa vie : la Shoah et le Talmud, concepts paraissant plutôt incompatibles mais dont la cohabitation au cœur du XXème siècle va être le centre de son œuvre littéraire et philosophique.

    Une fois réchappé du massacre où il a laissé la majeur partie de sa famille, Raphael, installé aux Etats-Unis d’Amérique part en 1946 à la recherche de Pedro, dirigeant d’un réseau de soutien aux juifs rescapés (la Briha) qui l’a aidé et fortement impressionné durant un périple qu’ils ont réalisé ensemble, des Carpathes vers Paris à la fin de la guerre. Cette recherche va le mener dans un asile « de fous » new-yorkais au sein duquel il passe plusieurs semaines à la rencontre de ses pensionnaires, tous emberlificotés dans les liens étranges entre leur souffrance, leurs souvenirs tragiques et Dieu.

    Il ne retrouve pas vraiment Pedro ni ne règle la question de son éventuelle trahison, mais il sombre dans les questions sans fin qui sont celles auxquelles Wiesel croit avoir répondu par l’existence de Dieu, ce qui permet au moins de repousser la fuite dans la « folie » :

    « … j’en viens à me demander si Dieu ne serait pas tout simplement trop occupé ailleurs. Autrement dit : s’il ne serait pas indifférent. Se voulant au-dessus de la mêlée, il laisserait faire. De son trône, il surveille peut-être la scène, intervenant parfois, rarement, dans tel acte, dans tel mouvement mais sans faire vraiment sentir sa présence. Ce qui expliquerait la mort des innocents, la faiblesse des victimes, la vulnérabilité des justes. Leurs prières ne sont pas reçues. Leurs dons sont renvoyés. Entre Dieu et les hommes, aucun contact.

    Dieu ? Un étranger parmi les étrangers. Mais alors, à quoi bon le servir ? A quoi cela sert-il de lui rester fidèle ? Quel est le sens de l’alliance si Dieu n’y participe guère ? Si l’ennemi peut bâtir un ghetto de la faim, un ghetto de la honte, un ghetto de la mort, sans que Dieu s’y intéresse, alors l’aventure humaine est condamnée d’avance.

    Mais il y a pire. Oui, pire que l’idée d’un Dieu cruel, pire que la notion d’un Dieu indifférent. Dans l’histoire juive, il y a toujours pire. »

    Wiesel qui a connu le pire dans les camps d’extermination, continue à interroger sa foi en soutenant que Dieu n’est ni cruel ni indifférent même s’il a laissé l’homme sombrer dans la barbarie. Ceux qui n’ont pas eu cette foi ont effectivement parfois sombré dans la folie.

    Le livre est dédié à Jacques Attali.

  • SAND George, ‘La petite Fadette’.

    Sortie : 1849, Chez : Editions Jean-Claude Lattès (1995), version illustrée par Tony Johannot.

    George Sand (1804-1876), Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil à l’Etat-civil, amie des artistes, égérie (et souvent amante) de Musset, Chopin, Liszt, engagée politiquement plutôt du côté des révolutionnaires de 1848, féministe à la vie sentimentale agitée… fut aussi une écrivaine prolixe.

    « La petite Fadette » raconte une histoire de gémellité située dans la campagne du Berry quand l’un des jumeau va tomber amoureux d’une souillon du village se révélant finalement une femme belle et généreuse, au point que l’autre jumeau va aussi tomber sous son charme. Il s’engage dans l’armée pour laisser le monopole de cet amour à son frère.

    Le livre est écrit dans le style du XIXème siècle tout en rondeurs avec nombre d’expressions en patois que le lecteur non initié arrive tout de même à suivre. Un joli roman d’époque, plein de romantisme et d’une émotion surranée.

  • « Rifkin’s Festival » de Woody Allen

    « Rifkin’s Festival » de Woody Allen

    Le dernier film, dispensable, de Woody Allen : l’histoire d’un mari d’un âge certain qui suit sa jeune épouse, assistante d’un réalisateur français, au festival du film de San-Sebastian en Espagne. Des idylles se nouent pour chacun des membres de ce coupe décalé. Ou comment l’amour durable déjà difficile à maintenir dans l’absolu, l’est encore plus dans la différence d’âge, et encore pire dans la superficialité du monde du cinéma. De jolies vues et couleurs de la cité espagnole sous le soleil !

  • SARR Mohamed Mbougar, ‘La plus secrète mémoire des hommes’.

    C’est un flamboyant roman livré en 2020 par l’écrivain sénégalais de langue française, résidant en France où il fit ses études supérieures, qui obtint le Prix Goncourt 2021. Inspiré de la vie de l’écrivain malien Yambo Ouologuem pour créer celui de la fiction, l’écrivain sénégalais T.C. Elimane, auteur du « Labyrinthe de l’inhumain » qui guide les recherches, la vie et le récit du narrateur Diégane Latyr Faye, lui aussi écrivain en recherche de son Œuvre à laisser au monde, mais peut-on exister après « Le labyrinthe… » ?

    Au cœur de la communauté africaine de Paris des années 2000, il rencontre Siga, possiblement cousine ou sœur d’Elimane, Aïda, une amante qui le fait presque chavirer, Muzimbwa l’étudiant zaïrois qui a connu le pire dans son pays et tente de l’oublier dans la fête parisienne, la poétesse haïtienne. Tout ce petit monde festoie, divague, refait le monde, s’aime, se mélange, tente d’écrire, de laisser des traces, jusqu’à ce que Diégane mette la main sur « Le labyrinthe de l’inhumain » qui change sa vie et le pousse à la recherche de son mystérieux auteur.

    Cette quête va lui faire rencontrer de savoureux personnages qui vont l’accompagner et le guider jusqu’à son retour au village d’Elimane au Sénégal. Elle le ramène aussi à la deuxième guerre mondiale, à la Shoah, aux tirailleurs sénégalais, au monde littéraire du Paris des années folles. Et d’ailleurs, comme pour le livre d’Ouologuem, celui d’Elimane est accusé de plagiat. La vengeance de l’écrivain fictif sera terrible… mais son retrait de la littérature définitif comme son modèle dans la vraie vie.

    Outre son histoire rocambolesque, ce roman fait aussi la chronique des effets délétères de la colonisation et de la décolonisation, de l’exil, de l’attirance-répulsion exercée par le monde intellectuel de l’ancienne puissance coloniale, de la volonté d’émancipation d’écrivains africains installés à… Paris. Mais il relate aussi l’ordinaire d’une Afrique tiraillée entre des traditions d’un autre âge et la Révolution seule susceptible de bousculer l’immobilisme et de toucher à la modernité.

    Le style de Sarr est hyperactif, foisonnant, sautant d’une époque à l’autre au cœur d’une multitude de personnages et de situations. On s’y perd avec délices dans l’attente du dénouement de la recherche sans limite, littéraire et humaine, de Diégane. Nombre de mots employés ne sont pas d’usage courant et accentue le sentiment de richesse et de profusion de ce roman original dans son thème comme dans son style.

    Il reste maintenant à lire le « vrai » livre de Yambo Ouologuem !

  • L’opposition parlementaire s’entend pour dépenser plus

    L’opposition parlementaire s’entend pour dépenser plus

    Le concours du « je vote pour dépenser plus d’argent public que mon voisin » bat son plein à l’assemblé nationale française. Les résultats des élections législatives de juin dernier ont porté sur les bancs de cette assemblée trois blocs d’importance à peu près équivalente : la droite, la gauche et le centre-droit (qui conserve une majorité relative). Les deux premiers groupes composés de différents partis se sentent pousser des ailes du fait de leur succès électoral. Ils ont décidé de mener la vie dure à la majorité présidentielle.

    La gauche, menée par le parti « La France Insoumise – LFI » transforme l’hémicycle en poulailler où caquètent des gallinacés majoritairement occupés à crier ou faire claquer leurs pupitres. La droite, dominée par le parti « Rassemblement National – RN » veut paraître plus respectable et susceptible d’accéder au pouvoir dans un avenir proche adopte clairement une attitude d’opposition systématique en cherchant, de façon plus subtile que leurs concurrents de gauche, à ennuyer le pouvoir.

    Les uns comme les autres se retrouvent pour accroître la dépense publique. Nombre d’amendements sont votés contre le gouvernement pour distribuer de l’argent public au-delà de ce qu’il propose. De la revalorisation des retraites aux « chèques-énergie » en passant par toute une série d’aides à distribuer aux citoyens… tout y passe pour transférer aux contribuables une partie des coûts payés par les consommateurs et les partis d’opposition s’y retrouvent en donnant l’impression à leurs électeurs qu’ils prennent leurs intérêts en compte ce qui leur permet au passage de savonner la planche du gouvernement en lui imposant des dépenses qu’il faudra bien financer d’une façon ou d’une autre par de l’impôt ou par de la dette ; pas sûr qu’une telle unanimité se retrouve sur le volet recettes du budget, la gauche et la droite ayant généralement des positions diamétralement opposées sur la réponse à la question : « comment finance-t-on les dépenses » ? L’impôt pour la première, l’activité économique (accompagnée d’une baisse des prélèvements fiscaux) pour la seconde sont les réponses généralement apportées à cette question lancinante depuis 50 ans. Rappelons une nouvelle fois que le dernier budget équilibré de la République date de 1974 (cf. graphe INSEE ci-dessus). Depuis cette date, la France a systématiquement dépensé plus qu’elle n’a encaisse.

    Pour le moment, l’assemblée nationale ressemble à une cour d’école où s’affrontent des gamins morveux. Ce n’est pas très brillant, et surtout peu efficace. On a les dirigeants que l’on mérite !

  • L’Ile de Batz

    L’Ile de Batz

    https://rehve.fr/galerie-bzh/ile-de-batz/
  • Le Togo et le Ghana adhèrent au Commonwealth

    Le Togo et le Ghana adhèrent au Commonwealth

    Le secrétaire général du Commonwealth annonce que le Togo et le Ghana adhèrent à son organisation.

    The Commonwealth has admitted Gabon and Togo as its 55th and 56th members respectively. Both countries are former French colonies.
    Leaders accepted applications by the two west African countries at the closing session of the Commonwealth Heads of Government Meeting in Kigali, Rwanda. It follows formal expressions of interest by Gabon and Togo and consultation with member countries.

    https://thecommonwealth.org/news/gabon-and-togo-join-commonwealth

    Le Commonwealth est un « machin » comparable à l’organisation de la francophonie. Les deux organisations sont basées à l’origine sur les anciens empires coloniaux britannique d’une part, français d’autre part. Ces organisations ne servent pas à grand-chose sinon à organiser des réunions annuelles dans un pays ou un autre où paradent entre les petits-fours des brochettes de chefs d’Etat et de gouvernement. Elles ne disposent quasiment pas de fonds de développement à distribuer sinon ceux qui servent aux frais de fonctionnement de ces réunions dispendieuses. Il est quand même indiqué de se montrer dans leurs shows qui fleurent bon les confettis des empires déchus.

    Pour un pays comme le Togo, déjà membre de la Francophonie, ou le Ghana, déjà membre « associé », adhérer au Commonwealth offre de nouvelles occasions de se montrer aux frais des de Paris ou de Londres, mais aussi de rappeler à leurs anciennes puissances coloniales qu’elles sont loin d’avoir fini de payer la dette du colonialisme et de l’esclavage. Alors autant le faire savoir en adhérant aux deux organisations en même temps.

    Pour le Commonwealth et la Francophonie, en élargissant leurs domaines respectifs, c’est un peu un retour nostalgique aux fastes des empires. Alors plus on élargit plus on gonfle d’importance. C’est surtout l’histoire des restes d’empires qui ravalent leur culpabilité face à leurs anciennes conquêtes. Ce n’est pas nuisible, c’est juste inutile.

  • Ceaucé : les poilus sous la croix

    Ceaucé (Orne)

    Sur le monument aux morts de Ceaucé dans l’Orne, les poilus sont en bleu-horizon, comme le pagne du Christ en croix.

    Lire aussi : Un monument en couleur

  • Comment attraper le gogo

    Comment attraper le gogo

    On ne dit plus « économies d’énergie » mais « sobriété énergétique ».

    Maintenant que la Russie a repris son rôle favori de perturbateur de l’Occident tout en continuant à fournir l’Europe de l’Ouest en gaz et pétrole, les dirigeants des pays acheteurs rivalisent d’expressions tempérées pour ne pas affoler le gogo. Le consommateur-électeur occidental est particulièrement chatouilleux sur le sujet de son confort et il s’agit surtout de ne pas le brusquer. On utilise donc les termes appropriés pour cacher la vérité à Mme. Michu : l’énergie fossile va disparaître un jour et, plus on se rapprochera de l’échéance plus cette énergie sera rare et donc chère.

    Poussés par la rareté et le conflit russo-ukrainien les produits pétroliers connaissent déjà une hausse sensible de leurs cours dont se réjouissent les pays producteurs, la Russie la première. Pour le moment on transfère sur le contribuable le coût que le consommateur ne veut (ou ne peut) pas payer atténuant ainsi l’impact de l’effet prix sur la réduction de la consommation des produits pétroliers amenés à se raréfier.

    L’Etat est soumis à des « injonctions contradictoires » : réduire la consommation des produits pétroliers pour des raisons écologiques et de rareté de la ressource d’une part, ne pas trop mécontenter ses électeurs possesseurs de véhicules thermiques ou de chaudières à fuel ou à gaz. Pour le moment, il a arbitré en faveur du deuxième facteur de l’équation et remplacé le terme « économie » par celui de « sobriété », plus neutre et moins effrayant.

  • Chine et Russie : les nouveaux bons amis

    Chine et Russie : les nouveaux bons amis

    On se souvient que le président russe avait visité son homologue chinois à l’occasion des jeux olympiques organisés à Pékin en février dernier, deux semaines à peine avant le déclenchement de la guerre de la Russie contre l’Ukraine. La Russie ayant été exclue des compétitions internationales par suite du système de dopage institutionalisé ayant été mis à jour quelques temps auparavant, les athlètes russes présents se présentaient sous les couleurs olympiques, les drapeaux russes étant bannis des enceintes de ces jeux. Le président russe en a donc profité pour papoter de deux ou trois choses avec son hôte. Le résultat fut un communiqué commun, daté du 04/02/2022, de sept pages sur la nouvelle ère dans les relations internationales et du « développement durable mondial » qui a été alors diffusé et dont la relecture est particulièrement intéressante à l’aune de « l’opération militaire spéciale » engagée quelques jours plus tard par la Russie contre l’Ukraine.

    On y lit comment ces deux puissances contestent la prééminence occidentale « représentant la minorité à l’échelle internationale », et particulièrement celle des Etats-Unis d’Amérique, tout en confirmant leur adhésion à l’ordre multilatéral mis en place après la seconde guerre mondiale.

    Le chapitre I est consacré à la démocratie, « une valeur humaine universelle » mais les impétrants s’accordent sur le fait qu’il n’existe pas de modèle unique et que chaque pays doit suivre sa propre voie pour aboutir à la démocratie et au respect des droits de l’homme en fonction de « ses propres caractéristiques nationales, son histoire, sa culture… »

    Dans un deuxième chapitre les deux dirigeants abordent les sujets de la coopération économique, scientifique, climatique dans des conditions « ouvertes, égales, équitables et non discriminatoires » en mentionnant les institutions multilatérales préexistantes (ONU, OMC…) mais aussi les organisations plus récentes centrées sur l’Asie qui sont évidemment plus dominées par les pays de la région, au premier rang desquels la Chine, que par l’Occident.

    Le troisième chapitre est le plus intéressant car concernant la vision de la sécurité mondiale sur laquelle se rejoignent Chine et Russie :

    Les parties réaffirment leur ferme soutien mutuel à la protection de leurs intérêts fondamentaux, de la souveraineté de l’État et de l’intégrité territoriale, et s’opposent à l’ingérence de forces extérieures dans leurs affaires intérieures.

    Cette introduction ne manque pas d’ironie venant de Moscou qui se préparait à envahir l’Ukraine quelques jours plus tard mais marque une nouvelle fois la vision politique russe que l’Ukraine relève de ses propres « affaires intérieures ». Ce sentiment est donc également partagé par Pékin qui a grosso-mode le même sentiment vis-à-vis de Taïwan.

    L’Alliance de l’Atlantique nord est explicitement citée comme « recourant à des pratiques de concurrence déloyale, en intensifiant les rivalités géopolitiques, en alimentant l’antagonisme et la confrontation, et en sapant gravement l’ordre de sécurité international et la stabilité stratégique mondiale ». Puis les différents accords multilatéraux (désarmements, nucléaires, biologiques…) sont passés en revue pour vanter leur utilité si ce n’était le rôle néfaste des Etats-Unis sur leur efficacité.

    Le dernier et quatrième chapitre trace la voie de la fructueuse collaboration sino-russe à renforcer à l’avenir au profit de la planète entière, au besoin en réinterprétant l’Histoire :

    Les parties ont l’intention de défendre fermement les résultats de la Seconde Guerre mondiale et l’ordre mondial existant d’après-guerre, de défendre l’autorité des Nations Unies et la justice dans les relations internationales, de résister aux tentatives de nier, de déformer et de falsifier l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

    Afin d’éviter que la tragédie de la guerre mondiale ne se reproduise, les parties condamneront fermement les actions visant à nier la responsabilité des atrocités commises par les agresseurs nazis, les envahisseurs militaristes et leurs complices, saliront et terniront l’honneur des pays victorieux.

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    Ce long communiqué marque la conscience revenue à ces deux pays de leur puissance économique et militaire (pour la Chine) ou d’une forte capacité de nuisance (pour la Russie) afin de se pousser du col pour revenir au sommet du pouvoir sur le monde après près de 70 ans de domination occidentale. C’est de bonne guerre, si l’on ose dire, mais l’Occident n’a sans doute pas dit son dernier mot. En revanche, il confirme leur ferme intention de refuser le chemin vers la démocratie tel que proposé dans l’architecture de la planète post-1945.

    Malgré quelques rodomontades pro-démocratiques de circonstance en introduction du texte, Moscou et Pékin posent leur ferme volonté de maintenir les méthodes autoritaires de gouvernance de leurs peuples telles que pratiquées actuellement. Et les peuples seront probablement les juges de paix dans cette histoire. S’ils continuent à se satisfaire de cette gouvernance comme cela semble être le cas aujourd’hui, il n’y a guère de raison d’imaginer une évolution à court ou moyen terme et cette « nouvelle ère des relations internationales » restera conflictuelle du type de la « guerre froide », que les plus optimistes ont cru terminée après la fin de l’Union soviétique, mais en plus intense compte tenu du rééquilibrage des puissances en faveur des pays autoritaires. C’est l’hypothèse la plus probable pour les années à venir. Le gagnant n’est pas désigné d’avance, un dérapage militaire n’est pas exclu !

  • Les risques du compromis selon Raymond Aron

    Les risques du compromis selon Raymond Aron

    Dans la quatrième leçon (sur 19) du cours « Démocratie et totalitarisme » donné à la Sorbonne durant l’année universitaire 1957-1958, le philosophe politique Raymond Aron (1905-1983) explique le sens du compromis nécessaire en régime pluraliste moderne où cohabitent plusieurs partis. Outre le respect des règles et des lois, la notion de compromis est un principe clé du bon fonctionnement de la démocratie : « accepter le compromis est accepter la légitimé partielle des arguments des autres et essayer de trouver une solution qui ne soit agressive pour personne ».

    Malgré tout il y a des domaines où le compromis « est une catastrophe » comme dans le domaine de la politique étrangère où il faut choisir entre deux voies, chacune comportant des avantages et des inconvénients, mais si le choix se porte sur la politique intermédiaire « on ne divise pas les risques par deux, normalement on les multiplie par deux ou tout au moins on collectionne les inconvénients des deux politiques possibles ».

    Lorsque l’Italie de Mussolini a voulu faire la conquête de l’Ethiopie [en 1935]… la France et ses alliés avaient le choix entre laissez-faire Mussolini ou l’empêcher par l’usage de moyens militaires… En démocratie on n’aime pas prendre des risques d’opérations militaires, ce qui est d’ailleurs légitime à bien des égards, mais on ne peut pas non plus en politique extérieure atteindre des résultats sans prendre de risques.

    La politique choisie a consisté à imposer des sanctions mais des sanctions suffisamment inefficaces pour qu’il n’exista aucun risque de réplique militaire par l’Italie. La conséquence prévisible et inflexible fut que l’Italie fut suffisamment irritée par les sanctions pour glisser du côté de l’Axe [Allemagne-Japon] et ne fut pas suffisamment gênée dans ses entreprises pour être obligée de s’arrêter. Cela c’est l’exemple du mauvais compromis.

    Comme souvent Raymond Aron fut un visionnaire analytique et réfléchi sur le monde qui l’entourait dont nombre d’aspects sont toujours d’actualité. Rapportés à la guerre actuelle déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, ses commentaires sur le compromis sont toujours frappants d’actualité.

    Lire aussi : Aron Raymond, ‘L’opium des intellectuels’.
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  • En attendant l’autonomie, la Corse donne dans toujours plus de violence et d’omerta

    En attendant l’autonomie, la Corse donne dans toujours plus de violence et d’omerta

    Les assassinats continuent à pleuvoir sur la Corse comme à Gravelotte. Le dernier en date a eu lieu fin juin à Propriano où un entrepreneur local dans la construction (Jean-Christophe Mocchi) a été abattu alors qu’il prenait un verre avec des amis dans un bistrot. Le garçon avait déjà fait l’objet de tentatives d’assassinat et vivait dans la crainte d’être tué. Il avait révélé au journal Le Monde qu’une sombre histoire foncière l’opposait à une partie de sa famille mais avait toujours refusé de donner le nom de ceux qui avaient déjà tenté de l’assassiner, les protégeant ainsi de poursuites judiciaires.

    Lire aussi : Omerta corse ou association de malfaiteurs
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    La plupart de ces crimes restent impunis du fait de l’omerta qui règne dans cette région laissant des bandes mafieuses mettre l’ile à feu et à sang dans trop craindre la justice française. Des avocats de ces clans sont parfois impliqués dans les « affaires » de certains de leurs clients… Le monde politique local se fait une raison et cohabite avec la mafia qui tient une partie de l’économie. Un tiers des quelques électeurs qui se sont déplacés pour aller voter se sont prononcés pour Marine Le Pen à la présidentielle et ont élu une majorité de députés « autonomistes » en juin qui vient ainsi consolider la Collectivité de Corse[1] déjà présidée par un autonomiste.

    Devant la violence antifrançaise qui se manifeste et l’incompatibilité désormais avérée de la Corse dans la République, l’Etat a proposé aux élus de l’ile d’ouvrir des négociations d’autonomie qui doivent démarrer ces jours-ci à Paris. C’est une excellente initiative pour peu que l’on n’oublie pas que l’objectif à long terme est, bien entendu, la décolonisation totale de cette ile par une retour à son indépendance et une pleine souveraineté.

    Lire aussi : La Corse enterre un « héros »
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    [1] Entité spécifique de la Corse réunissant les anciennes institutions départementales, présidée par Gilles Simeoni et dont le site web est majoritairement rédigé en dialecte corse : https://www.isula.corsica/.

  • Joe Jackson – 2022/07/12 – Salle Pleyel

    Joe Jackson – 2022/07/12 – Salle Pleyel

    Le Joe Jackson Band est de retour à Paris pour un agréable show. L’artiste britannique de 68 ans se présente derrière son piano, costume bleu électrique sur chemise jaune col pelle-à-tarte posé sur le col de la veste, cheveux blanc peroxydés sur front dégarni, un rire éclatant affiché en permanence et une virtuosité toujours flamboyante. Il démarre le concert avec trois morceaux extraits de Look Sharp, son premier disque en 1978 et trois morceaux de Fool, son dernier disque sorti en 2019. La boucle est lancée, c’est pétillant, joyeux, emmené, électrisant, c’est Joe Jackson ! Son groupe, Graham Maybe (bass), Teddy Kumple (guitare) et Doug Yowell (batterie) a été renouvelé mais sait rendre cette énergie post-punk dans laquelle le public de sexagénaires se replonge avec délices. Seul Graham Maybe fait partie du groupe d’origine et remporte d’ailleurs un franc succès d’estime avec son jeu de bass toujours aussi énergique et tranchant.

    Après ces six premiers morceaux, ses compères du Joe Jackson Band quittent alors la scène décorée de lourdes tentures rouges et laissent leur leader seul derrière ses claviers pour des interprétations plus délicates dont une inattendue reprise du groupe suédois ABBA. Retranscrite par Jackson on en oublierait presque le côté poppy horripilant des Suédois bien passés de mode.

    Le concert reprend ensuite en formation à quatre avec des classiques jusqu’au dernier morceau du rappel, Steppin’ Out, joué dans sa version lente, celle éditée sur le Live in Sidney, avec une longue introduction au piano, puis le départ progressif des musiciens avant que Joe n’abandonne ses touches pour venir saluer la salle avec une affection qui lui est bien rendue.

    Joe Jackson a une bonne bouille, une bouche immense affectée d’un petit rictus qui crispe sa lèvre supérieure ce qui ne l’empêche pas de déployer sans retenue cette voix unique qui le caractérise. Il a surtout un talent de musicien hors pair qui a forgé parmi les très belles mélodies des années 1980. Et il inspire cette sympathie qui le rend irrésistible. Ses concerts sont un bain de jouvence et un grand bonheur musical.

    Lorsque les lumières se rallument une musique de Joe Jackson est diffusée sur la sono de la salle et le batteur une fois extrait de derrière ses fûts affiche une magnifique paire de pompes blanches comme sur la couverture de Look Sharp.

    Setlist : One More Time/ Big Black Cloud/ Sunday Papers/ Dave/ Look Sharp!/ Fabulously Absolute/ Solo (So Low) (Joe piano solo)/Real Men (Joe piano solo)/ Knowing Me, Knowing You (ABBA cover) (Joe piano solo)/ Love at First Light (Joe piano solo)/ The Blue Time/ Blaze of Glory/ Fool/ Sing You Sinners (Tony Bennett cover)/ Is She Really Going Out With Him?/ It’s Different for Girls/ I’m the Man

    Encore : You Can’t Get What You Want (Till You Know What You Want)/ Steppin’ Out

    Lire aussi : Joe Jackson – 2019/07/02 – Paris la Cigale

    Lire aussi : Joe Jackson & Todd Rungren – 2005/06/15 – Paris le Bataclan

  • La Turquie fait plier la Finlande et la Suède

    La Turquie fait plier la Finlande et la Suède

    Jamais à l’abri d’une ambiguïté, la Turquie, membre de l’OTAN, s’est opposée à la candidature de la Suède et de la Finlande pour entrer dans cette alliance militaire occidentale. Ces deux pays nordiques, traditionnellement « neutres » depuis des décennies, ont pris peur devant les ambitions impériales de leur voisin russe qui s’expriment actuellement par l’invasion de l’Ukraine. En réalité, la neutralité de ces deux pays semblait plutôt formelle tant ils étaient clairement du côté du monde occidental, y compris militairement.

    La guerre d’invasion de l’Ukraine par l’armée russe déclenchée le 24 février va accélérer l’officialisation du rapprochement de la Suède et la Finlande avec l’OTAN susceptible de mieux les défendre en cas d’invasion de la Russie, comme ils ont déjà eu à en souffrir dans le passé. Seul obstacle, comme souvent : Ankara, au motif que ces pays accueillent des opposants kurdes. La Turquie a donc marqué sa mauvaise humeur afin d’obtenir un accord des deux pays candidats sur l’extradition de réfugiés turcs d’origine turcs qualifiés de « terroristes » par le pouvoir turc.

    La Finlande et la Suède ont donc signé cet accord avec Ankara tout en précisant que leurs lois respectives seront respectées. Soit, il est probable qu’à l’avenir les réfugiés turcs d’origine kurdes iront chercher refuge ailleurs qu’en Finlande ou en Suède. C’était le prix à payer pour leur adhésion à l’OTAN qui est maintenant acquise.

    Une nouvelle fois la Turquie marque sa différence et utilise sa forte capacité de nuisance pour forcer ses partenaires. On se demande comment ce pays asiatique a pu être intégré dans une alliance militaire de pays « atlantique », mais c’était au temps de la guerre froide et à une époque où la Turquie semblait plus attirée par l’Occident que par le monde soviétique, il fallait la confirmer dans ce choix. Les choses ont bien changé, la Turquie a envahi et occupe Chypre, un pays membre de l’Union européenne, islamise son fonctionnement interne, utilise ses nombreuses diasporas en Europe pour faire jouer un softpower contre les Etats, saisit toutes les occasions pour nuire à l’Occident, insulter ses dirigeants, menacer certains pays et systématiquement contester ses politiques. Les plus optimistes pensent qu’il vaut mieux avoir la Turquie dans l’OTAN où elle serait moins nuisible, qu’à l’extérieur où elle tomberait dans les bras de la Chine ou la Russie. L’histoire dira si l’optimisme à l’égard de la coopération avec la Turquie qui oblige l’Occident à avaler nombre de couleuvres aura été une attitude réaliste.

    Lire aussi : La Turquie s’oppose, comme souvent
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