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  • « Les nuits de la pleine lune » d’Éric Rohmer

    « Les nuits de la pleine lune » d’Éric Rohmer

    Arte-TV nous fait le plaisir de mettre à disposition gratuitement sur son site web le film de Rohmer. Et l’on se replonge dans ce film délicieux de 1984 merveilleusement joué par Pascale Ogier (1958-1984), toute en fragilité et indécision, face à l’amour, l’amitié, la vie urbaine, la tranquillité de la banlieue de Lognes, l’excitation des soirées parisiennes. Elle tente de conduire sa vie pour réconcilier tous ces contraires. Son amoureux possessif est plus intéressé par le tennis que les nuits au Palace, son ami journaliste parisien ne refuserait pas un peu plus d’intimité, un amant musicien-saxophoniste-musclé (lui aussi) de passage… Pas facile de trouver sa voie dans tout ce chaos. Et lorsqu’elle croit l’avoir tracée, entre la banlieue où elle vit avec son amoureux tennisman et son petit appartement dans la capitale où elle rencontre ses compagnons de sorties parisiennes, elle découvre qu’à Lognes l’oiseau s’est envolé avec une autre. Tout se termine dans les larmes.

    Le film nous replonge dans la nostalgie des années 1980 : Elli & Jacno dans les soirées (qui compose la bande originale), les bistrots un peu crasseux, les Renault 16 dans les rues, les cités clinquantes dans les banlieues pas encore dévastées. Pascale Ogier figure aussi au générique pour les costumes et les décors où elle affiche la même sensibilité que dans le rôle principal qu’elle joue. Hélas la vraie vie la rattrape et elle décède quelques mois après la sortie du film, à 25 ans, de retour d’une soirée au… Palace, alors haut lieu des soirées et des concerts parisiens ainsi que des excès et extravagances d’une époque désormais révolue. Officiellement elle souffrait d’un souffle au cœur qui l’aurait emportée.

    Ces « Nuits de la pleine lune » sont définitivement mélancoliques.

  • Israéliens contre Arabes : une histoire éternelle

    Israéliens contre Arabes : une histoire éternelle

    Après plus de quatre mois de guerre intense menée par Israël sur la bande de Gaza en réaction aux attaques terroristes du 7 octobre du mouvement islamiste Hamas qui « gouverne » Gaza, les combats font toujours rage, démontrant par l’absurde que l’un des buts de guerre de Tel-Aviv, la « destruction du Hamas », ne pourra pas être atteint. Malgré le déluge de bombes et de munitions sophistiquées lâchées sur le territoire depuis le 7 octobre, le « cessez-le-feu temporaire » mis en œuvre quelques jours en novembre 2023, l’offensive terrestre des soldats israéliens, les mouvements de population, les tunnels inondés, bref, en dépit de tout cet arsenal moderne lâché sans retenue sur Gaza, il y a toujours des combattants palestiniens pour se colleter avec l’armée israélienne dans les rues des villes de ce vaste ghetto. On peut supposer qu’ils sont moins combattifs et organisés que le 8 octobre mais qui aurait pu croire qu’ils soient capables d’autant résister dans cette guerre « hybride » ?

    Beaucoup sont sans doute morts mais il en reste manifestement d’autres, possiblement nouvellement recrutés. Israël parlait au départ d’une armée de 30 000 combattants du Hamas ; même si la moitié ont été tués, on peut prévoir sans trop de risques de se tromper que la guerre en cours aura généré de nouvelles « vocations » en nombre largement suffisant pour remplacer les morts au combat. Le Hamas parle de plus de 30 000 morts palestiniens à ce jour et deux fois plus de blessés, sans préciser ce qui relève des combattants ou des civils. On s’aperçoit que la frontière entre ces deux catégories est parfois poreuse. Certains otages israéliens libérés lors de la trêve de novembre ont expliqué qu’ils avaient été détenus dans les logements de familles palestiniennes a priori non combattantes. Il semble que les civils rendent aussi des services aux combattants, contraints ou pas.

    On ignore aujourd’hui si des plans existent pour l’après-guerre mais ce qui semble assuré c’est que « l’esprit du Hamas » survivra quoi qu’il arrive, comme celui de la révolte palestinienne a survécu à tout depuis 1948, malgré les guerres, les attentats terroristes, les assassinats « ciblés », les résolutions des Nations Unies, les processus de paix d’Oslo, de Camp-David, les pressions diplomatiques diverses et variées, les changements d’interlocuteurs, de Begin à Netanyahou, d’Arafat à Haniyeh… l’échec est toujours au bout du chemin, le terrorisme et la guerre reviennent de façon récurrente bouleverser la région sans changer les objectifs irréconciliables des parties. Il n’y a hélas guère de raison d’espérer que la guerre en cours aboutira à un résultat différent.

    Peut-être est-il temps de penser à essayer de mettre en œuvre la solution de deux Etats qui est prônée par la communauté internationale depuis la résolution 181 des Nations Unies votée en 1947 ? C’est la seule solution qui n’a jamais été essayée. Il est sûr qu’elle effraie Israël notamment car elle a un caractère définitif. Si un Etat palestinien était créé et que cela n’apaise pas la situation au Proche Orient, il sera difficile de revenir en arrière. On aurait alors des guerres entre deux Etats au lieu, comme actuellement, d’une guerre entre un Etat et des mouvements non étatiques. Pas sûr que cela ne fasse une grande différence pour ceux qui subissent les attentats terroristes ou reçoivent les bombes…

  • HUGO Victor, ‘Les Travailleurs de la mer’.

    HUGO Victor, ‘Les Travailleurs de la mer’.

    Sortie : 1866, Chez : Gallimard – Folio classique n°1197.

    C’est le roman superbe que Victor Hugo (1802-1885) écrivit en 1866 après déjà 15 années d’exil, d’abord à Jersey, puis à Guernesey, où se déroule l’histoire. En opposition politique avec Napoléon III Hugo a préféré prendre de lui-même le chemin de l’étranger plutôt que d’y être expulsé par le nouveau dictateur qui a rétabli l’Empire en instaurant des méthodes peu démocratiques. Il écrit une grande partie de son œuvre au milieu de la Manche et des travailleurs de la mer qui la peuplent.

    Ce roman est imprégné de l’atmosphère insulaire de ces îles anglo-normandes et des rudes conditions de vie que l’on y menait au XIXe siècle. L’intrigue tourne autour d’une histoire d’amour d’un marin solitaire, Gilliat, pour la fille d’un armateur, Déruchette, dont l’un des employés indélicat va mener volontairement son navire sur les récifs. Gilliat se conduit en héros, il sera mal récompensé.

    Mais ce livre c’est surtout le style flamboyant du grand écrivain qui touche ici au sublime. En pleine maturité Hugo maitrise les mots, leur choix, leur signification, leur ordonnancement, leur tournure. Son sens de l’observation aiguë mêlé à sa capacité infinie à restituer ce qu’il voit et ce qu’il imagine grâce à sa complète domination de la langue française. On ne se lasse pas de certaines descriptions, qui durent des pages, mais atteignent une incroyable réalité avec la magie du langage. On a notamment la narration de la grotte sous-marine où Gilliat se débat pour démonter l’épave du bateau du père de Déruchette. Celle de la tempête qui retarde son retour à Saint-Pierre-Port est également transcendante.

    « Le tourbillon de vent l’avait tordu, le tourbillon de mer l’avait retenu et le bâtiment ainsi pris en sens inverse par les deux mains de la tempête, s’était cassé comme une latte… La machine était sauvée ce qui ne l’empêchait pas d’être perdue. L’Océan la gardait pour la démolir. Jeu de chat.

    Il [le chaos] est solide dans la banquise, liquide dans le flot, fluide dans la nuée, invisible dans le vent, impalpable dans l’effluve. »

    Au sujet de de sa situation perdue sur ce rocher des Douves en pleine mer au large de Guernesey :

    « C’est une nudité dans une solitude. C’est une roche, avec des escarpements hors de l’eau et des pointes sous l’eau. Rien à trouver là que le naufrage.

    Se faire servir par l’obstacle est un grand pas vers le triomphe. Le vent était l’ennemi de Gilliat, Gilliat entreprit d’en faire son valet.

    D’où viennent-ils [les vents du large] ? De l’incommensurable. Il faut à leur envergure le diamètre du gouffre. Leurs ailes démesurées ont besoin du recul indéfini des solitudes. »

    Et alors que Gilliat, malgré son héroïsme, renonce à son amour pour ne pas empêcher le bonheur de Déruchette avec l’autre :

    « Le désespoir, c’est presque la destitution de l’âme. Les très grands esprits seuls résistent. Et encore…
    La mélancolie c’est le bonheur d’être triste. »

    Hugo a la particularité de rephraser ses mots en plusieurs expressions d’un sens légèrement différent, mais toujours dans la même direction, dans une même phrase, comme pour insister et marquer ce qu’il veut dire. C’en est presque poétique. Après la mort de sa mère Gilliat médite :

    « Cette mort fut pour le survivant un accablement. Il était sauvage, il devint farouche. Le désert s’acheva autour de lui. Ce n’était que l’isolement, ce fut le vide. »

    Victor Hugo a manifestement documenté très richement son roman par ses pérégrinations des années durant sur l’ile de Guernesey. Sa fréquentation des « travailleurs de la mer » lui donna aussi une précision d’architecte naval dans l’écriture de toutes les scènes marines. Il mit toutes ces connaissances ensemble, doublées du romantisme de son époque pour écrire un merveilleux roman. Il était vraiment un magicien des mots. Quel talent !

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  • « Madame de Sévigné » d’Isabelle Brocard

    « Madame de Sévigné » d’Isabelle Brocard

    Le film d’Isabelle Brocard revient sur la relation passionnelle et intrusive que Madame de Sévigné (jouée par Karin Viard) partageait avec sa fille Françoise (jouée par Ana Girardot) au XVIIe siècle. Louis XIV règne à Versailles et toute une aristocratie désœuvrée se presse à ses fêtes où, dans l’une d’elle, le Roi essaye de séduire Françoise. Sa mère, féministe avant l’heure, met fin à cette tentative de Louis et, pour la mettre à l’abri, marie sa fille à un noble désargenté qui l’installe en Provence dans son château de Grignan. Il va s’en suivre une intense correspondance entre la mère et la fille, la première voulant accaparer la seconde qui cherche à se défaire de cette emprise morale et affective.

    Cette correspondance conservée par la fille sera publiée après la mort de sa mère en 1696 donnant ainsi le statut d’épistolière à Mme de Sévigné, qui traversera les temps. On écrivait beaucoup à l’époque et ces lettres font aussi un peu la chronique d’une époque de la noblesse française. Ses lettres furent parfois partagées de son vivant dans son petit milieu, déclenchant des réactions inattendues dans une cour royale futile et avide de cancans.

    Le film insiste sur la relation mère-fille, parfois destructrice. Mme de Sévigné, veuve depuis ses 25 ans, rêve de liberté pour sa fille mais lui arrange un mariage « de raison » avec un homme intéressée par sa dot confortable. Françoise l’aimera finalement de façon plutôt classique et sincère. Elle lui donnera neuf enfants et… sa fortune. Devant cette mère exclusive et exigeante, excessivement aimante, le couple comprendra son influence néfaste sur la santé psychique et physique de Françoise. Son mari exigera qu’elles rompent leurs relations, ce qu’elles feront tout en continuant à s’écrire pour transcender cette séparation. On apprend grâce à Wikipédia que la fille accueillera sa vieille mère ne Provence pour la fin de vie.

    Le film est agréable. Sans doute la lecture des Lettres de Madame de Sévigné sera encore plus instructive pour comprendre une époque et s’imprégner du style épistolaire de l’auteure que l’on dit travaillé et original.

  • Querelle de mots dans un monde idéologique

    Querelle de mots dans un monde idéologique

    Le milieu politico-médiatique français se complaît dans une guérilla sémantique alors que la guerre fait rage au Proche-Orient. Le sujet du débat est de savoir comment qualifier les actions du mouvement palestinien Hamas et la campagne militaire en réaction d’Israël. Les propalestiniens parlent « d’acte de résistance » du Hamas et de « génocide » d’Israël. Les pro-Israël qualifient de « terrorisme » l’action du premier et de « droit de se défendre » pour le second. Et cela fait 70 ans que ça dure…

    Cette appréciation différenciée se constate en France entre l’extrême gauche et les partis de gouvernement, mais aussi à l’étranger. Aux Etats-Unis notamment, des intellectuels comme Judith Butler réassaisonne à la sauce « woke » ce conflit qui dure depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948.Les plateaux télévisés franchouillards adorent ce type de querelles de mots qui évitent de devoir réfléchir sur le fond.

    Vouloir convaincre un propalestinien que le Hamas est un groupe terroriste ou un pro-israélien que Tsahal commet des crimes de guerre, c’est comme de vouloir convaincre un trotskiste que Staline était un travailleur humanitaire. C’est inutile et, surtout, c’est peine perdue. Alors à quoi sert de vouloir forcer son adversaire politique à prononcer des qualificatifs qu’il réprouve ? A rien, sinon à animer des polémiques de plateaux télévisés. Il s’agit d’idéologies, les critères d’appréciation des uns sont différents de ceux des autres et les idéologues n’en changent pas. Les citoyens sont assez grands pour se faire leur opinion sans avoir besoin de guides spirituels. Les positions sont sur la table de façon assez claire, les électeurs en jugeront au moment de mettre un bulletin dans l’urne.

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  • « Hors saison » de Stéphane Brizé

    « Hors saison » de Stéphane Brizé

    Un film romantique qui fait l’éloge de la lenteur. Matthieu, acteur célèbre (joué par Guillaume Cannet) se repose de sa vie parisienne avec une thalassothérapie dans un village breton en plein hiver lorsqu’il retrouve par hasard une ancienne amoureuse italienne Alice (jouée par Alba Rohrwacher) qu’il avait quittée, sans doute un peu brutalement il y a une quinzaine d’années. Ils partagent quelques journées dans cet environnement désert où il y a plus de mouettes que d’humains sur fond de mer agitée et de grands espaces marins.

    Ils ont chacun fait leur vie, lui dans le milieu clinquant du cinéma parisien, elle, professeur de piano, mariée avec un médecin dans ce village du bout du monde. Ils vont renouer avec cet amour passé, elle avec toute sa sensibilité et la souffrance de cette séparation jamais vraiment digérée, lui se rendant compte de ce qu’il a infligé à Alice et s’en excusant. Et alors qu’ils se séparent une nouvelle fois pour revenir chacun à leur vie d’avant cette rencontre impromptue, elle lui fait promettre de ne plus jamais revenir. Ils se quittent, reconnaissants de ce qu’ils ont vécu et dit ces quelques jours et qui a probablement surpassé en intensité et en vérité toute leur vie commune d’antan. Ils ont ainsi clos avec élégance cette union commencée il y a quinze ans. La souffrance et les regrets vont ainsi mieux se dissoudre avec le temps, loin des reproches qui affleuraient.

    Un film doux comme un vol de mouettes immobiles dans l’azur, surfant sur le vent qui agite des vagues.

  • De Wagner à l’Africakorps

    De Wagner à l’Africakorps

    Avec une grande subtilité les forces paramilitaires russes intervenant en Afrique sont en train de se rebaptiser « Afrikakorps » à la suite de la réorganisation de l’ancienne milice « Wagner » rendue nécessaire par « l’accident d’avion » (sans doute un attentat) qui a décimé son état-major dans la chute de l’avion qui l’emmenait de Moscou à Saint-Pétersbourg en septembre dernier.

    Lire aussi : La fin d’un clown sinistre

    La milice aurait été initialement nommée « Wagner » en référence au compositeur allemand dont la musique fascinait le chancelier Hitler et emportait l’enthousiasme des foules. Il se disait que l’un des cofondateurs de Wagner, décédé dans « l’accident », était acquis à la cause nazie et portait des croix gammées tatouées dans le cou. C’est lui qui aurait choisi le nom.

    Après la disparition de ces miliciens, l’Etat russe semble avoir repris la main sur l’organisation de ces soldats de fortune et trouvé le joli nom « Afrikakorps » pour les désigner. Afrikakorps c’était tout simplement la dénomination de l’armée nazie dans les déserts africains durant la IIe guerre mondiale. Initialement sous les ordres de Rommel, cette armée a conquis des territoires en Libye et en Egypte avant de devoir reculer face aux alliés, notamment à la suite de leur célèbre victoire à El-Alamein en novembre 1942. L’Afrikakorps déposa définitivement les armes en mai 1943.

    Compte tenu de cette histoire pas vraiment glorieuse il n’est pas bien sûr que ce nouveau nom soit très approprié vu du côté russe… En tout cas, sa référence à l’armée nazie ne semble pas vraiment cohérente avec la mission de « dénazification » que s’est fixée la Russie pour l’Ukraine et le reste du monde !

  • Mauvaise foi et langue de bois : des finances publiques à la dérive

    Mauvaise foi et langue de bois : des finances publiques à la dérive

    Avec une mauvaise foi impressionnante et une langue de bois en chêne massif, le monde polico-médiatique semble découvrir avec stupéfaction que la République Française dépense beaucoup plus de sous qu’elle n’en gagne et a dû accroître sa dette pour financer les déficits. Il semble que le déficit du budget de l’Etat en 2023 sera largement supérieur à la prévision qui était déjà pourtant de 4,9% du produit intérieur brut. Le chiffre officiel sera connu la semaine prochaine.

    Ces derniers mois on a vu le gouvernement éteindre les crises successives en déversant des tombereaux d’argent sur les incendies pour les circonscrire : la « ruralité », l’armée, l’enseignement, les policiers, les transports publics, les retraités, les entreprises en difficulté…, sans parler de la gabegie des jeux olympiques organisés à Paris à l’été 2024 qui succèdent à la coupe du monde de rugby en France de 2023. Mais où croit-on que se trouve l’argent ?

    En réalité il est prélevé dans la poche des contribuables, qui n’y suffit pas, et emprunté sur les marchés financiers pour le complément. C’est ainsi que la République française a vu son endettement dépasser le plafond symbolique des 3 milliards d’euros. A chaque déplacement d’un ministre, celui-ci n’existe qu’en annonçant une nouvelle enveloppe de dépenses en faveur de la corporation qu’il visite. Jamais il n’est annoncé en même temps quelle autre dépense sera réduite pour compenser. Non, on dépense, c’est plus simple. On ne sait même plus ce que signifient ces enveloppes supplémentaires qui s’accumulent : seront-elles bien délivrées et dans quelles conditions ? A peine sont-elles annoncées que les bénéficiaires les empochent tout en se plaignant immédiatement qu’elles sont notoirement insuffisantes pour résoudre leurs difficultés. Les journalistes, souvent très limités dans leur capacité d’analyse économique, sont également prompts à critiquer l’Etat au sujet de ses dépenses, oubliant qu’ils bénéficient d’une niche fiscale spécifique à leur profession leur permettant de déduire des charges, avantage non offert aux autres citoyens, participant également aux déficits publics.

    La hausse des taux d’intérêt depuis deux ans a déjà considérablement alourdi les charges financières payées par les contribuables aux prêteurs. C’est maintenant le niveau de la dette qui pose un problème. Et on semble le découvrir… Les décideurs devraient lire plus régulièrement nos chroniques économiques.

    Il est à craindre qu’il ne faille réduire les dépenses publiques, et de façon assez considérable !

  • « Bye Bye Tibériade » de Lina Soualem

    « Bye Bye Tibériade » de Lina Soualem

    Lina Soualem représente la quatrième génération depuis son arrière-grand-mère qui a connu la « Nakba » en Palestine en 1948. Cette famille habitait Tibériade sur les rives du lac du même nom, lorsque la puissance mandataire, le Royaume-Uni, leur demanda de vider les lieux en quelques heures. La ville fut alors investie par des populations juives dont les forces paramilitaires avaient gagné la guerre l’opposant aux armées arabes levées pour s’opposer à la création de l’Etat d’Israël. Cette famille va alors errer à la recherche d’un point d’accueil qu’elle trouve dans le village de Deir Hanna, à une trentaine de kilomètres de Tibériade et désormais en territoire… israélien. C’est là que l’arrière-grand-mère installe sa famille sauf l’une de ses filles qui, dans la panique de l’exode, se retrouve dans un camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie où elle passa une grande partie de sa vie, sans moyen de revoir sa famille, la frontière entre Israël et la Syrie étant fermée.

    C’est là que nait Hiam, la mère de Lina, l’aînée d’une famille de huit filles. Assez vite elle marque son indépendance et sa volonté de sortir d’un système patriarcal d’un autre âge. Elle veut être actrice, sortir avec des garçons puis se marier avec un Anglais dont elle divorcera rapidement… toutes choses difficilement acceptables par un père arabe traditionnel. Elle réussit à gagner la France, qui lui offre la double nationalité, pour vivre de son métier d’actrice. C’est là que nait sa fille Lina, d’un père d’origine algérienne. Diplômée d’histoire, elle devient actrice et réalisatrice. Son premier documentaire, Leur Algérie, est consacré à sa découverte de sa famille paternelle en Algérie. Le second est dédié aux femmes de sa famille palestinienne.

    Hiam a régulièrement ramené sa fille Lina, enfant, se baigner dans le lac de Tibériade dans les années 1990 et partager avec sa famille palestinienne. Son mari (dont elle a aussi divorcé) était vidéaste amateur et le film intègre nombre de passages de cette époque, ainsi d’ailleurs que d’images d‘actualité sur l’exode provoqué par la guerre de 1948. Les images contemporaines sont celles filmées par Lina lorsqu’elle ramène sa mère en Israël pour un retour sur les racines de la famille palestinienne. C’est surtout Hiam qui se raconte dans le film. C’est une histoire de famille, d’exil, de souvenirs gardés bien au chaud dans le cœur de chacun. Après le décès de la mère de Hiam, ses filles se retrouvent dans la maison de Deit Hanna avant qu’elle ne soit vendue. Ensemble elles vont ouvrir les boîtes à bijoux de leur mère, les albums photos revenant sur les épisodes familiaux heureux, Lina enfant dans les bras de son arrière-grand-mère déjà âgée, la peau parcheminée par le soleil méditerranéen sous son voile, lui parlant arabe, le mariage d’une de ses tantes et, toujours, le lac de Tibériade comme horizon.

    Un épisode émouvant est raconté par Hiam lorsqu’elle revient sur sa rencontre avec sa tante de Yarmouk après des décennies de séparation. Grâce à son passeport français elle put entrer en Syrie à sa recherche, et la retrouver dans ce camp gigantesque près de Damas, démantelé depuis.

    Ce film est plein de la douceur et de l’amour que porte Lina à son histoire et aux siens. Déracinée entre l’Algérie de son père, la Palestine de sa mère et la France où elle est née, elle reste travaillée par cette histoire de déchirement et d’exil. L’accueil que la France a prodigué à sa mère ne suffit manifestement pas à apaiser les tiraillements qui sont les siens au cœur de la violence de l’histoire du Proche-Orient et du Maghreb. Dans ce documentaire elle a su les exprimer avec subtilité et passion. Lors de la promotion du film, elle et sa mère ont fait savoir qu’elles ne souhaitaient pas s’exprimer sur la nouvelle vague de violence qui embrase actuellement le Proche-Orient.

  • « Le Belvédère – maison de Maurice Ravel » à Monfort l’Amaury

    « Le Belvédère – maison de Maurice Ravel » à Monfort l’Amaury

    Maurice Ravel (1875-1937), immense compositeur français, a passé les quinze dernières années de sa vie dans cette maison de Monfort l’Amaury acquise en 1921 grâce à un héritage. Il y composa certaines de ses grandes œuvres comme le Concerto pour piano en Sol, celui « Pour la main gauche » ainsi que le célèbre Boléro. La maison est de dimensions modestes, en dénivelé à mi-hauteur d’une colline. Elle est de forme triangulaire, faisant l’angle d’une allée qui descend en la contournant et d’une rue qui monte en serpentant autour du parc qui occupe le sommet de la colline. La façade ouest domine une vaste vallée de verdure et, au fond, on nous dit que se trouve Paris ; la nuit le faisceau lumineux de la Tour Eiffel se voit depuis Montfort. Ravel vivait ici avec ses deux chats siamois

    L’ensemble de la maison a été décoré par le compositeur qui avait des idées assez précises en la matière. Également tourné vers la technologie de l’époque, il y fit installer le téléphone, le chauffage central et un chauffe-eau à gaz, luxes assez rares dans les années 1920. Il avait un électrophone pour écouter ses disques de jazz. La demeure est un peu conçue comme une maison de poupée. Tout est étroit et restreint, sans doute aussi dimensionné pour les tailles et corpulences plus petites il y a un siècle qu’aujourd’hui. Mais Ravel aime aussi le lilliputien, les meubles et étagères sont méticuleusement décorés de multiples petits bibelots et porcelaines, de minuscules jeux mécaniques dont le compositeur raffolait. Chaque pièce a ses propres thèmes et couleurs. Ravel avait une fidèle servante et les menus servis étaient toujours les mêmes avec systématiquement en entrée des maquereaux au vin blanc. Il recevait ses amis, ses interprètes, Colette qui n’habitait pas loin et qui avait écrit le livret de L’Enfant et les Sortilèges. Régulièrement il faisait des allers-retours sur Paris pour fumer ses Caporal dans les clubs de jazz de la capitale.

    On arrive enfin dans la pièce où Ravel composait sur son piano à queue.

    C’est le vrai piano ! Un des visiteurs, musicien, portant religieusement sa propre partition du Tombeau de Couperin comme s’il avait voulu l’imprégner de l’esprit ravélien qui hante cette demeure, demande très timidement s’il peut au moins poser un doigt sur une touche pour en jouer une note, une seule, voit sa requête rejetée poliment par la guide. C’est sur ce piano que Ravel a tenté de jouer la partition du Concerto en Sol qu’il avait lui-même écrite mais dont la difficulté technique était telle qu’il dû y renoncer et faire appel à Marguerite Long pour créer l’œuvre. Il avait dédié la Toccata du Tombeau de Couperin à Joseph de Marliave, mari de Marguerite, lui-même pianiste, mort au champ d’honneur en 1914. La reproduction en plâtre de la main de Marguerite Long est exposée en bonne place dans la vitrine de l’entrée, à côté de ses gilets et vestons, car Ravel était très élégant, presque dandy. A gauche du piano, le portrait de sa mère, en face le sien enfant et, à droite, celui de son père. Il y a là l’essentiel et on ressent une forte émotion et du respect devant ce piano qui permit à Ravel de composer parmi les plus belles pages de la musique du XXe siècle. A défaut des touches en ivoire du clavier, on se permet d’effleurer le dessus du piano en partant…

    Aux pieds du petit escalier se trouve la chambre de Maurice avec sa salle de bains dans laquelle sont minutieusement ordonnés son matériel de rasage sur une étagère haute et ses instruments de manucure disposés sur une serviette dessinée en touches de piano sur celle du dessous. La pièce donne de pleins pieds sur une terrasse et le jardin japonais en contrebas, également aménagé par Ravel. A l’horizon, bien loin, il y a l’agitation parisienne.

    En quittant Monfort l’Amaury, le visiteur découvre que le comté de Monfort était lié au duché de Bretagne depuis le XIIIe siècle, d’où la profusion de références à Anne de Bretagne qui ramena ce compté à la couronne de France lors de la réunion définitive de la Bretagne à la France au XVIe. L’église de Monfort l’Amaury organise toujours un pardon breton autour de l’Ascension.

    C’était juste une petite heure dans le monde hors de portée d’un géant de la musique !

  • « Concerto pour violon et orchestre n°1 de Dimitri Chostakovitch » par l’orchestre philharmonique de Radio France

    « Concerto pour violon et orchestre n°1 de Dimitri Chostakovitch » par l’orchestre philharmonique de Radio France

    Sur le programme de cette soirée de l’orchestre philharmonique de Radio-France à l’auditorium de la Maison de la Radio c’est Petrouchka d’Igor Stravinsky qui est mis en avant alors que le sommet de ce concert fut le concerto pour violon et orchestre n°1 de Chostakovitch joué avant l’entracte. La violoniste norvégienne Vilde Frang, 38 ans, le joua magnifiquement sous la direction du chef finlandais Mikko Frank directeur musical de l’orchestre de Radio-France depuis 2015.

    En introduction est donné le sextuor à cordes en ré mineur de Borodine, composé en 1860, joué par deux violons, deux altos et deux violoncelles. Une œuvre courte et délicieuse pour nous mettre en condition.

    Puis vient le concerto de Chostakovitch, écrit en 1948, en plein cœur des dérives staliniennes du régime soviétique qui sévissait contre son peuple mais aussi contre ses artistes dont certains musiciens sont accusés de ne pas écrire de la musique suffisamment « patriotique » et en accord avec le « réalisme socialiste ». Nombre de ces artistes seront exécutés. Chostakovitch, accusé de « formalisme » est au cœur de ces polémiques idéologiques. Il a des comptes à rendre pour « déviance » à la police politique NKVD, des articles de la Pravda l’attaquent, il est obligé de retirer certaines de ses œuvres et doit faire son auto-critique en public, concéder des concessions artistiques dans son style d’écriture pour survivre…

    On ne sait pas bien si ce concerto pour violon a été écrit, ou amendé, pour correspondre au « réalisme socialiste », il semble en tout cas restituer une atmosphère sombre et torturée. Le violon solo et l’orchestre jouent en parallèle sur leurs propres lignes, se rejoignant parfois, évoluant souvent vers des accents dissonants et complexes. A un moment la soliste se lance seule dans une envolée un peu grinçante, un temps que le chef lui laisse diriger, avant d’être rejointe par les autres instruments. Vilde Frang joue debout durant tout le concert, sans partition et avec une virtuosité heureuse pour cette musique parfois terrifiante, faisant appel aux sentiments les plus poignants des auditeurs. Une œuvre tragique et importante, au diapason d’une époque trouble de la Russie soviétique qui a martyrisé ses artistes.

    Après l’entracte arrive Petrouchka de Stravinsky, qui se révèle une œuvre primesautière sur une musique printanière. Composé en 1911 sous la Russie tsariste, Petrouchka devint ensuite un ballet. On est loin des abymes de noirceurs dans lesquels nous plonge Chostakovitch mais c’est aussi une bonne façon de terminer un samedi soir à Paris.

    Ces trois compositeurs russes joués ce soir avec brio par l’orchestre de Radio-France nous rappellent avec tristesse combien les artistes de ce pays ont participé à l’édification de la culture européenne alors que les orientations politiques et militaires de ce pays-continent n’ont cessé de l’en éloigner !

  • M. Hanouna sur C8 : une bêtise affligeante doublée d’une insolence vulgaire

    M. Hanouna sur C8 : une bêtise affligeante doublée d’une insolence vulgaire

    Le Parlement français reçoit en ce moment à la queue-leu-leu les dirigeants de chaînes télévisées bénéficiaires d’une attribution gratuite de fréquence de la Télévision numérique terrestre (TNT) par l’Etat pour mesurer leur respect des engagements pris lors de l’attribution des fréquences et, donc, de l’opportunité de les renouveler à l’échéance. Les chaînes du groupe Bolloré (CNEWS et C8) sont bien entendu placées en tête de gondole compte tenu de leur niveau particulièrement affligeant, tant au niveau de l’information que de celui du divertissement. C8 et son animateur vedette ont d’ailleurs été condamnés à payer nombre d’amendes infligées par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour leurs dérives.

    Les patrons et propriétaires de chaînes ont défilé la main sur le cœur pour jurer leurs grands dieux que jamais ils n’intervenaient sur la « ligne éditoriale » de leurs médias. Les membres de la commission parlementaire ont dû avoir du mal à retenir leur hilarité. Dont acte.

    Vincent Bolloré, qui n’est plus que « conseiller » de son fiston à la présidence de Vivendi qui détient ces chaînes TNT ainsi que, notamment, CANAL+, est passé à la moulinette parlementaire le 13 mars. Elégant, costume gris foncé avec gilet déboutonné, boutons de manchette, cravate gris clair à pois, calme et posé, il commence par rappeler le passé de sa famille « riche, célèbre, bretonne et catholique », célèbre car deux de ses parents qui faisaient partie des troupes françaises qui ont participé au débarquement de juin 1944. Il retrace aussi son parcours plutôt brillant dans les affaires qui sont dirigées désormais par ses enfants, sans oublier les fondations qu’il a mises en place pour aider les autres.

    Le garçon est brillant et malin. Il domine son monde et le sujet haut la main avec son air patelin et faussement modeste. Il répond sagement aux questions posées par les membres de la commission dont certains sont issus de La France insoumise (à gauche de la gauche), pas vraiment la tasse de thé de la famille Bolloré… Il ne parle jamais de « ses » décisions mais de celles des équipes dirigeantes, met en avant son « devoir fiduciaire », son dévouement pour mener à bien la nécessaire restructuration de CANAL+, sa non-intervention dans les programmes audiovisuels, etc.

    Voir aussi : Interview Vincent Bolloré à l’assemblée nationale

    Ce qu’il ne dit pas, car personne n’ose le lui demander, c’est comment un homme de sa trempe et avec ses convictions, supporte la bêtise affligeante des programmes de divertissement de ses chaînes et l’absence crasse de réflexion journalistique de ses chaînes d’information ? Sans doute car le marché de l’abrutissement des masses est plus rentable que celui de l’intelligence mais la question reste ouverte. Vincent Bolloré, une sacrée pointure face à de jeunes parlementaires un peu idéologisés pour certains, le combat était inégal !

    Aujourd’hui c’est l’animateur de C8 Cyril Hanouna qui est passé au tableau noir et on est descendu de plusieurs marches. Habillé d’un costume noir et chemise de même couleur largement ouverte sur son torse tatoué, lunettes Ray-Ban noires, barbe de même couleur, allure gérnérale de capo mafieux en pleine réussite. Affichant son habituelle vulgarité il fait filmer son arrivée triomphale à l’entrée de l’assemblée nationale, partageant hugs et selfies avec les passants énamourés, comme à sa sortie d’ailleurs.

    Il passe la séance d’interview parlementaire à rouler des mécaniques en provoquant les députés qui l’interrogent, sur un mode ironique de café du commerce, ceux-ci semblant médusés et pétrifiés par le culot et la mauvaise éducation de l’animateur, sans songer une seconde à le remettre à sa place. Le soir même, ledit Hanouna consacre son émission « Touche pas à mon poste » (TPMP), qu’il anime avec un gang de commentateurs à sa botte se complaisant dans le racolage et la vulgarité, en diffusant des extraits de ses interventions abondement commentés par cette équipe de bras cassés se roulant dans la fange et la provocation.

    En réalité, ce qui est déplorable avec ces chaînes Bolloré est l’abrutissement des masses auquel elles participent grandement. Les députés se battent sur le terrain du « pluralisme » alors qu’elles sont bien plus nuisibles sur le plan de la bêtise qu’elle diffuse dans les fondements de la société française, mais il n’est pas facile d’aller sur ce terrain sans être immédiatement accusé d’élitisme ou de « germanopratisme ». Alors il est aisé pour ces chaînes de prouver qu’elles respectent la lettre du pluralisme en mesurant les temps de parole des invités, qu’elles rencontrent un franc succès d’audience, quand elles en violent manifestement l’esprit.

    La salubrité publique voudrait que la chaîne C8 ne se voit pas renouveler son autorisation d’émettre sur la TNT, surtout après la prestation d’Hanouna. Il est peu probable qu’une telle décision soit prise car l’intelligence et le brio de Vincent Bolloré emporte tout, y compris l’imbécilité des animateurs des chaînes qu’il contrôle sans vouloir le dire. C’est ainsi qu’il a réussi l’un des plus beaux parcours de capitaine d’industrie français, et avec son propre argent !

    Lire aussi : Nouvelle contre-offensive des médias de la famille Bolloré contre l’intelligence

  • “I’m waiting for the man”, l’hommage de Keith Richards à Lou Reed

    “I’m waiting for the man”, l’hommage de Keith Richards à Lou Reed

    Dix ans après la mort de Lou Reed (1942-2013), un disque hommage est en préparation, intitulé à ce stade The power of the heart. Keith Richards a déjà diffusé sa participation, une reprise de I’m waiting for the man, écrit au temps du Velvet Underground, référence au dealer que l’on attend dans les rues sordides et mal famées du New York des années 1960-1970. Bowie (1947-2016) a également régulièrement repris ce morceau sur scène. Il n’est plus là pour participer à l’hommage

    Keith Richards qui reprend Lou Reed sur une histoire de dealer…. Tout un programme, une bonne interprétation d’ailleurs. On attend la sortie du triple-CD pour bientôt !

    Voir aussi :
    Adieu Lou Reed
    L’hommage de Laurie Anderson à Lou Reed

  • DYLAN Bob, ‘Philosophie de la chanson moderne’.

    DYLAN Bob, ‘Philosophie de la chanson moderne’.

    Sortie : 2022, Chez : Fayard.

    Alors que l’on attend toujours le volume II des « Chroniques » dont le premier est sorti en 2005, c’est un nouvel ouvrage surprise qui est publié en 2022, un livre superbe à l’iconographie séduisante et très soignée. L’auteur de 82 ans, nobélisé en 2016, mène ici une brillante analyse des chansons qui ont marqué sa vie et inspiré ses créations. Un chapitre est consacré à chacune.

    Chaque chanson est d’abord introduite d’une page ou deux qui révèlent des sentiments qu’éprouve Dylan pour celle-ci. Il s’adresse au lecteur pour qui il retrace avec un humour percutant le contexte de la chanson ou de ses auteurs et interprètes. Ou parfois simplement de l’époque évoquée par la chanson. Il s’agit généralement de morceaux datant du mitan du XXe siècle, Johny Cash, The Platters, Dean Martin, Little Richard, Nina Simone ou Elvis Presley, et toute une série de chanteurs parfaitement inconnus des non spécialistes européens. Plus récents, on retrouve aussi The gratefull dead ou The Clash !

    Pour certains chapitre Dylan ajoute une note plus personnelle, souvent consacrée à sa propre interprétation du texte de l’auteur, complété de digressions dylanesques. Les morceaux sont tous illustrés par plusieurs photos en rapport avec l’époque leurs sorties, ou concernant les auteurs, compositeurs et interprètes, ou parfois sans lien évident avec ce dont il s’agit. Ce sont de toutes façons les clichés d’une époque de l’Amérique, un peu perdue, mais tellement positive et dynamique.

    Le chapitre 66 (« Where or when », une chanson d’amour de Dio) clôt le livre, peut-être en référence à la route « 66 » qui traversait les Etats Unis d’Amérique, de Chicago à Santa-Monica, sur les traces de la « Ruée vers l’Ouest » du XIXe siècle :

    « Il en va ainsi de la musique. Elle appartient à une époque, tout en restant intemporelle ; elle aide à bâtir des souvenirs et elle-même en est un. C’est un aspect auquel nous pensons rarement, cependant elle se construit dans le temps aussi sûrement que le sculpteur et le soudeur travaillent dans l’espace physique. La musique transcende le temps du fait qu’elle l’habite, tout comme la réincarnation nous permet de transcender l’existence en nous menant vers d’autres vies. »

    Ce livre est un régal, un retour jouissif sur l’Amérique musicale et sur Bob Dylan, cet auteur-compositeur-interprète de génie dont l’écriture, qu’elle s’applique à des refrains, des poèmes, des récits, des mémoires ou tout simplement sur la vie qui passe, est exceptionnelle.

  • « A Man » de Kei Ishikawa

    « A Man » de Kei Ishikawa

    Nous sommes au Japon, une société qui parait immobile, ancrée dans ses traditions, empesée dans son protocole et pas toujours très compréhensible pour l’Occident, quand le personnage principal du film, une femme se nommant Rie, découvre que l’homme qu’elle a récemment épousé, dont elle a eu une fille et qui est décédé accidentellement, n’est pas celui qu’il disait être. S’en suit toute une série d’interrogations existentielles, de quiproquos juridiques, de remises en cause fondamentales du passé et de l’amour partagés. Qui est cet homme décédé ? Qui est celui qui portait le nom qu’il s’est approprié ? Rie demande à son avocat de mener l’enquête. Celui-ci, d’origine coréenne, fait lui-même face à quelques difficultés de positionnement dans une société japonaise pas vraiment en paix avec son histoire coréenne. L’enquête aboutit mais les dernières images du film montrent un dialogue de l’avocat dans un bar qui plonge à nouveau les spectateurs dans la confusion…

    Comme souvent dans les réalisations asiatiques, le scénario se déroule tout en douceur et en retenue. On a le sentiment que l’on devrait s’ennuyer mais non, il s’agit juste d’une façon d’être, de se mouvoir, de s’exprimer, endossée par des acteurs qui sont en symbiose avec leurs cultures et leurs sociétés. Ils abordent ici avec délicatesse les questions parfois vertigineuses posées par le passé et la situation de ceux qui cherchent à manipuler ce passé pour changer le présent.

  • Le bal des pleureuses

    Le bal des pleureuses

    L’Etat vient d’annoncer la nécessité d’économiser 10 milliards EUR sur les dépenses votées par le parlement fin 2023. Aussitôt les pleureuses touchées par cette mesure ont sorti leurs mouchoirs pour expliquer que ces économies sont intolérables et que, si elles s’appliquaient effectivement, elles allaient mourir. On est bien sûr d’accord pour faire des économies, mais chez les voisins pas sur notre propre budget. Le problème est qu’il faut bien affecter ces économies quelque part !

    De quoi parle-t-on ? Les dépenses du budget général 2024 ont été votées à hauteur de 453 milliards. 10 milliards d’économies représentent donc 2,2% de ce total. Quel est le ménage ou l’entreprise qui n’a pas eu un jour à réduire ses dépenses de 2,2% ? On y arrive.

    Rappelons aussi que ce budget 2024 a été voté avec un fort déficit de 141 milliards. L’économie de 10 milliards ne fera bien entendu pas disparaître ce déficit mais le réduire à la marge que de 7%.

    https://www.budget.gouv.fr/reperes/loi_de_finances/articles/loi-du-29-decembre-2023-de-finances-pour-2024-maitriser-la-depense

    On voit sur ce tableau du ministère des finances que pour payer 453 milliards de dépenses l’Etat ne dispose que de 312 milliards de recettes. Et encore ne sont pas intégrés dans ces chiffres les déficits générés par les « comptes spéciaux » et autres « budget annexes », sans parler bien entendu de ceux la sécurité sociale (assurances retraite, maladie, chômage, notamment, qui font partie d’un budget à part, encore plus élevé que le budget général, et en déficit également, voté par ailleurs). Le dernier budget général en équilibre de la République date de 1974. C’était sous la présidence de Giscard d’Estaing. Tous ces déficits sont financés par des emprunts dont les remboursements porteront sur les générations futures. Aujourd’hui, pour dépenser 100 EUR, l’Etat collecte 70 EUR et en emprunte 30. On préfère généralement ramener le déficit au produit intérieur brut (PIB) car il devient tout de suite moins effrayant mais la réalité financière est bien celle-ci : 30% des dépenses sont financées par emprunt. Pour le moment la République trouve encore des prêteurs pour financer sa gabegie sur les marchés internationaux.

    En réalité si l’on voulait ramener le déficit français à 3% des recettes ce ne sont pas 10 milliards qu’il faudrait économiser mais 130 ! On est loin du compte. Les pleureuses de sortie devraient aussi jeter un coup d’œil sur ces chiffres. Là encore, l’intérêt général se heurte aux intérêts particuliers et l’Etat faible ne sait guère trancher, ni encore moins se réformer pour réduire ces déficits endémiques, préférant financer des jeux olympiques plutôt que de rationaliser sa gestion.

    Lire aussi : La France médaille d’or de la dépense publique – Total Blam Blam (rehve.fr)
    Lire aussi
  • La « ruralité » obtient des sous des contribuables mais pas des consommateurs

    La « ruralité » obtient des sous des contribuables mais pas des consommateurs

    Les paysans français, ou plutôt la « ruralité » comme on dit de nos jours, ont lancé une offensive éclair contre l’Etat pour obtenir des sous. Quelques bataillons de tracteurs sur les autoroutes, des forces spéciales déversant du purin dans les préfectures, des frappes d’œufs pourris ciblées sur les ministres visitant le salon de l’agriculture, des injures braillées dans les allées du salon et des actions illégales de certains mercenaires livrés à eux-mêmes, ont permis à la « ruralité » d’emporter ce blitzkrieg assez rapidement.

    Les messages diffusés par des syndicats agricoles furent variés et parfois colorés. La majorité exige que les paysans soient payés « le juste prix » pour leur production et ne soient plus entravés par la « bureaucratie européenne » et tout particulièrement celle résultant de la transition écologique. Vaste programme…

    Juin / Charlie Hebdo (07/02/2024)

    Depuis la fin de la seconde guerre mondiale et l’apparition de l’Union européenne(UE, et son prédécesseur le « Marché Commun ») avec sa PAC (politique agricole commune) les Etats européens élus démocratiquement par leurs citoyens ont fait le choix de promouvoir l’agriculture européenne et, pour cela, de la subventionner massivement. En d’autres termes cela signifie que les contribuables subventionnent les consommateurs pour compléter les revenus des producteurs. Cela fait belle lurette que les prix d’achat des productions agricoles sont complètement déconnectés de leurs coûts réels de production et ce, pour la raison assez simple à comprendre que le consommateur ne pourrait pas ou ne voudrait pas payer son alimentation au « juste prix ».

    Alors comme pour les transports en commun qui sont lourdement subventionnés en France pour les rendre acceptables par ceux qui les utilisent, c’est pareil pour le prix des carottes. Les cheminots comme les paysans vivent en partie de leur travail, mais surtout des subventions qu’ils reçoivent de l’Etat (ou de l’Europe, ce qui revient globalement au même). Ce n’est peut-être pas très valorisant pour les acteurs, voire un peu humiliant, mais c’est ainsi que le système est conçu. Si on ne se satisfait pas de celui-ci il est toujours possible de revenir aux lois du marché mais cela risquerait d’être sanglant pour la « ruralité ». Personne ne s’y est essayé en Occident. La France peut aussi sortir de l’UE, le Royaume-Uni a montré que c’était possible. Ce pays peut maintenant subventionner, ou pas, sa « ruralité » comme il l’entend et comme ses ressources l’y autorisent.

    On voit toutefois que même les pays libéraux comme les Etats-Unis d’Amérique subventionnent une partie de leur agriculture. On peut subventionner les producteurs, les productions, les surfaces, les consommateurs, mais on subventionne toujours tant la nourriture des citoyens est un élément stratégique. En réalité, la production agricole est une espèce de service public et, à ce titre, émarge aux budgets des Etat et de l’UE.

    Bien entendu, comme à chaque fois qu’une activité dépend de financements publics elle n’est plus totalement indépendante de faire ce qu’elle veut et « il manque toujours des sous ». Nous en sommes là, alors pour éviter de nouvelles nuisances de la « ruralité » l’Etat français a cédé assez rapidement déversant à son tour quelques tombereaux d’euros et exonérant les paysans du respect de certaines normes, notamment écologiques. Les furieux qui bloquaient les routes avec leurs tracteurs ont bénéficié d’une singulière indulgence de la part du ministère de l’intérieur au motif que la population soutiendrait le mouvement. La « ruralité » bénéficie à coup sûr d’une meilleure image que l’industrie chimique, bien qu’elle soit d’ailleurs l’un de ses plus gros clients. Comme souvent, Mme. Michu est en faveur des râleurs de l’agriculture mais n’est pas disposée à payer ses patates plus chères ni à voir augmenter ses impôts pour augmenter les subventions à la production agricole. Des gros céréaliers ou riches viticulteurs bourguignons qui se portent très bien, la presse parle très peu bien entendu, préférant faire dans le misérabilisme sur le sort du petit éleveur de moutons de la Lozère qui présente l’avantage d’emporter le soutien de Mme. Michu et la fréquentation des téléspectateurs.

    Lire aussi : https://rehve.fr/2019/05/la-nouvelle-mode-ecologique/

    L’un des fronts de lutte sur lequel se rejoint la « ruralité » est la critique systématique de l’Union européenne, pourtant premier redistributeur de subventions agricoles, qui signe, sous mandat de ses Etats membres, des accords commerciaux avec nombre de pays de la planète. Le principe général de ces accords est d’abaisser, voire d’annuler, les droits de douane respectifs pour favoriser les échanges. Les pays européens étant généralement plus industrialisés que les pays signataires non-membres, ceux-ci sont favorisés sur leurs exportations agricoles mais, en contrepartie, acceptent les productions industrielles européennes. Comme toujours dans ce type d’accord il y a des gagnants et des perdants, le concept du « win-win (gagnant-gagnant) » relevant de l’escroquerie intellectuelle en matière industrielle et commerciale. Depuis la signature de l’accord de libre-échange entre l’UE et la Nouvelle-Zélande en 2023, Il y a certes du mouton nouveau-zélandais qui vient concurrencer la Lozère mais il y a en face des voitures et des Airbus qui rentrent plus facilement sur le marché de Nouvelle-Zélande. Dans le cas cité, peut-être les impôts encaissés par l’Etat sur la vente des Airbus à Wellington permettront de mieux subventionner l’agriculture ? Ensuite, ce qui est vrai au niveau de l’UE ne l’est pas forcément pour un pays donné. Il suffit d’amender les accords, ou d’en sortir s’ils ne donnent plus satisfaction, mais cela ne se fait pas sans contreparties. La France peut aussi ne pas voter les mandats de négociation donnés à la commission européenne mais là aussi il faudra lâcher quelque chose en échange au 26 autres pays-membres.

    C’est la grandeur et la noblesse de la politique d’avoir à choisir ce qui est globalement dans l’intérêt du pays, même si au détriment de certains. Ce n’est certainement pas un métier facile. L’avenir dira si ce qui vient de se régler à la va-vite sur les bottes de paille du salon de l’agriculture est globalement favorable au pays.

    Lire aussi : https://rehve.fr/2020/03/ambitions-et-realites/

  • « Jersey Museum & Art Gallery and Victorian House » de Saint-Hélier (Jersey)

    « Jersey Museum & Art Gallery and Victorian House » de Saint-Hélier (Jersey)

    Un autre petit musée provincial, à Jersey aujourd’hui, un peu plus grand que celui de Guernesey. Normal puisque cette ile est également plus étendue que Guernesey. La salle consacrée à la repentance concerne cette fois-ci l’esclavage et son commerce triangulaire auquel les commerçants du coin semblent avoir participé et, pour certains, en avoir bien profité. Des photos et explications sont délivrées concernant le mouvement de « déboulonnage » des statuts représentant encore les profiteurs de cette époque dont, avec force photos, celle de Colson à Bristol, jetée dans le fleuve en 2020.

    Le musée est installé dans l’ancienne maison construite par la famille Nicolle dont le patriarche armateur avait accumulé une fortune confortable, aussi liée au commerce de l’esclavage. Après sa mort ses filles continuèrent à habiter cette belle demeure dont les fenêtres donnent sur le port de Saint-Hélier lorsque l’une d’entre elles s’éprit d’un médecin-homéopathe français, Dr Charles Ginestet, qui dut s’exiler à Jersey après la révolution de 1848, quelques années avant Victor-Hugo, du fait de ses visions révolutionnaires. Il dirigeait un journal qui s’appelait « L’œil du peuple ». Il était une espèce de Jean-Paul Sartre avant l’heure, le talent de philosophe en moins. Le garçon semblait plus doué pour soigner « les pauvres » gratuitement que pour les affaires. En quelques années il ruine sa belle-famille et doit retourner en France en catimini pour échapper à ses créanciers. Il organise en catastrophe une vente aux enchères de ses biens que sa banque réussit à bloquer pour se rembourser au moins en partie de ses dettes. Les meubles parsemés dans les pièces sont préparés et étiquetés en lot prêts pour la vente, des écrans vidéo montrent trois personnages (le couple Ginestet et une fille Nicolle) qui s’écharpent sur la faillite de Ginestet et sa fuite peu glorieuse.

    La demeure Nicolle est exquise, planchers en bois tropicaux rares, meubles raffinés, lits à baldaquin, portraits familiaux aux murs… on sent toute la réussite de l’armateur, ancêtre de la famille, qui a constitué cette fortune qui va finalement être dilapidée par un révolutionnaire français ! Elle a été transformée depuis en musée, c’est un moindre mal.

    Dans la partie moderne du bâtiment, quelques pièces expliquent l’histoire et les spécialités culinaires dont Jersey semble particulièrement fière. Le bateau pour Saint-Malo nous attend, pas le temps de goûter tout ceci. Un sandwich « crispy bacon & brie » en terrasse au soleil fera l’affaire, marquant si besoin en était le caractère anglais et normand de ces iles singulières.

    Voir aussi : Les iles Anglo-Normandes

  • Guerre des mots

    Guerre des mots

    On ne dit plus « guerre d’usure » mais « guerre d’attrition ». En gros c’est la même chose, il s’agit de casser la g… à l’adversaire en lui résistant sur le long terme. Et c’est bien plus chic de parler « d’attrition » !

  • « German occupation museum » de Guernesey

    « German occupation museum » de Guernesey

    28 juin 1940, l’armée allemande, qui n’a fait qu’une bouchée de la France après la bataille du même non entamée le 10 mai, bombarde le port de Guernesey de Saint-Pierre. Le 1er juillet, les premières forces aéroportées allemandes débarquent sur l’ile. Avec Jersey et les petites iles de l’archipel, ce furent les seules terres britanniques occupées par l’Allemagne qui y construit des fortifications similaires à celles du mur de l’Atlantique. La qualité du béton allemand ne s’étant jamais démentie, certaines subsistent encore sur la côte Ouest, voire ont été rénovées pour entretenir le souvenir.

    Les occupants appliquèrent leurs méthodes habituelles pour s’imposer face à une population pas vraiment accueillante. Une tentative de débarquement de commandos britanniques échoua en 1943. Après le débarquement en Normandie les alliés décidèrent de poursuivre la reconquête vers l’Est, sans prendre le temps de mener bataille dans les iles Anglo-Normandes qui ne seront libérées qu’en mai 1945. La dernière année d’occupation fut pénible car les liens avec la France libérée étant coupés, les iles Anglo-Normandes affrontèrent des difficultés pour nourrir leurs populations.

    Voir aussi : German Occupation museum

    Le musée a été édifié à l’initiative de Richard Heaume qui était gamin pendant la guerre et ramassait les douilles de balles sur les plages après la libération. Pièce par pièce il a constitué la collection exposée qui va des armes, aux uniformes et drapeaux des forces en présence, à nombre de documents écrits issus à cette sombre époque (ausweis, coupures de presse, affiches des occupants ou des résistants…). Il a également reconstitué des décors en grandeur réelle de l’environnement de cette époque : « occupation street » avec ses magasins et demeures, une pièce où un couple boit le thé en écoutant la BBC sur une radio cachée dans le tiroir, une prison où passèrent des juifs de l’ile avant d’être déportés, etc.

    On pourrait passer des heures dans ce petit musée artisanal tant la documentation accumulée est passionnante. C’est une très belle initiative privée pour garder la mémoire de cette sombre époque.