François Pinault, citoyen breton, capitaine d’industrie, collectionneur d’art contemporain compulsif, a ressorti de ses innombrables collections ce qui se rapprochait des années 1960 pour les exposer au Couvent des Jacobins de Rennes, par ailleurs magnifiquement rénové. L’exposition s’organise autour d’un cloître extérieur transformé pour l’occasion en salle de musique dans laquelle passe la bande son des années 1960 dont les visiteurs peuvent profiter bien installés au fond de transats multicolores. La setlist est composée par Etienne Daho, rennais d’adoption et enfant de ces années.
Les salles présentent une classique succession des artistes de l’époque du Pop art, connus et moins connus : Andy Warhol, Gilbert & George, Richard Avedon, Richard Prince, Niki de Saint Phalle, mais aussi des artistes français, dont Martial Raysse. Toute ce petit monde surfe sur le consumérisme et ses couleurs vives, l’image des femmes véhiculées par la publicité, l’association de la photo publicitaire, de collages, de la sérigraphie… et, surtout, de la diffusion en masse à travers les magazines, le cinéma, la télévision. Raysse dira :
Les Prisunic sont les nouveaux musées de l’art moderne.
Sur fond du festival de Woodstock, de la conquête de la Lune et de la libération sexuelle, c’est l’explosion de ces nouvelles images mises parfois aussi au service des luttes pour la décolonisation, pour les droits civiques aux Etats-Unis, contre la guerre du Vietnam. Ce sont aussi les images qui marquent le début de la fin de l’American dream et un atterrissage parfois rude sur la réalité.
Un beau moment à passer au Couvent des Jacobins.
Dans la boutique de l’exposition trône toute la littérature underground : Guy Debord (« La Société du Spectacle » – 1967), Edgard Morin (« Journal de Californie » – 1970), James Balwin et bien d’autres.
A nouveau une ancienne colonie française, Madagascar, se trouve engagée dans un improbable imbroglio juridique du fait de la politique généreuse de Paris dans l’octroi de la nationalité française à des étrangers. Après avoir appris la nationalité française de plusieurs ministres de l’actuel gouvernement des Comores, en pleine discussion avec le gouvernement français sur l’avenir de Mayotte, on apprend aujourd’hui que le président de la République de Madagascar, Andry Rajoelina, a obtenu la nationalité française en 2014. Cette situation déclenche une sérieuse polémique localement.
L’opposition malgache s’interroge pour savoir si du fait de cette nationalité française, M. Rajoelina peut toujours être considéré comme malgache et donc légitime à la tête de l’Etat ? Il semble que le code local de la nationalité permette de discuter ce point ce dont ne se prive pas l’opposition.
Le plus étonnant dans cette affaire est non pas tant que la France distribue sa nationalité comme des médailles, mais que de hauts dirigeants d’anciens pays décolonisés prennent soin d’acquérir la nationalité de l’ex-puissance coloniale alors même qu’ils dirigent leur propre pays. Comment dans ces conditions peuvent-ils démontrer un engagement sincère au peuple qui les a élus ? C’est bien le problème qu’affronte aujourd’hui M. Rajoelina.
A titre personnel il se sent certainement plus rassuré de bénéficier de la nationalité française et du cortège de protections qui va avec, plutôt que d’être « simplement » malgache, mais son sens de l’intérêt général de Madagascar peur être mis en doute. A-t-il pensé une seconde que si les Malgaches découvraient cette situation ils pourraient se poser de légitimes questions sur sa sincérité ? Pour avoir négligé ce point il risque d’être rapidement confronté à une procédure de destitution.
On ne sait pas encore si légalement parlant M. Rajoelina a la double nationalité ou, finalement, uniquement la française. L’avenir le dira rapidement mais c’est l’occasion de revenir sur ce concept de double-nationalité, pour le moins ambigüe. La France a eu un premier ministre, Manuel Valls, qui a la double nationalité franco-espagnole. On l’a ainsi vu hésiter sur le pays dans lequel il voulait s’engager. Réélu député français en 2017, il a démissionné rapidement de ce mandat, sans doute car il aspirait à mieux, pour aller se présenter à la mairie de Barcelone. Il n’a gagné qu’un modeste poste de conseiller municipal à Barcelone, dont il a de nouveau démissionné quelques mois plus tard pour venir montrer de nouveau sa frimousse sur les plateaux télévisés politiques parisiens, marquant ainsi sa « disponibilité » pour la République française. Il va même jusqu’à se présenter aux élections législatives françaises de 2022 mais n’est pas élu. Il semble qu’il a maintenant compris que ses démissions compulsives ont fatigué les électeurs. Mais ses atermoiements politiques et son indécision ont justement été rendus possibles par son statut de double nationalité franco-espagnole.
La question majeure posée par ce concept, reconnu en France : si un jour il y a la guerre entre la France et l’Espagne, dans quel camp Manuel Valls ira se battre ?
Sortie : 1994, Chez : des Femmes / le rayon blanc (réédition 2023)
Niki de Saint-Phalle (1930-2002) est une artiste franco-américaine, plasticienne-peintre-graveuse-sculptrice-réalisatrice, rendue célèbre, notamment, par ses sculptures « Nanas », sorte de poupées géantes aux couleurs chamarrées et aux représentations naïves.
Lorsqu’elle avait une dizaine d’années, donc dans les années 1940, elle a été violée par son père et ne s’est jamais vraiment remise de ce drame intime qu’elle a gardé pour elle, malgré nombre de cures psychiatriques et de dépressions profondes. En 1992 elle se résous à écrire (et publier) cette lettre à sa fille Laura pour lui révéler ce crime commis par son grand-père.
Le texte manuscrit est imprimé comme tel, en grandes lettres rondes avec des ratures et des fins de phrases débordant verticalement sur les côtés. C’était un été en Nouvelle Angleterre près de New York. Il y avait des serpents dans le jardin auxquels il fallait faire attention. Et il y avait surtout ce père séducteur, citoyen respectable et moraliste, qui commit l’irréparable. Niki s’est soudain retrouvée ballotée entre l’amour pour son père et la haine qu’elle éprouvait pour cet acte. Elle ne voulait pas le dénoncer pour ne pas le perdre… Même le psychiatre qu’elle visitât après sa première dépression à 20 ans ne voulut pas la croire.
Bien plus tard en 1973 elle a réalisé le film « Daddy » évoquant ce traumatisme. Dans la même période elle eut l’occasion d’aborder ce sujet avec sa mère pour découvrir qu’elle était au courant car son mari lui avait avoué. Elle demanda à sa mère de ne jamais voir le film et cette dernière respecta son vœux.
C’est une histoire d’inceste au cœur d’une famille bourgeoise et cultivée, tragiquement banale, comme il doit en exister tous les jours et que Niki de Saint-Phalle a su narrer à sa fille avec des mots simples et touchants, lui permettant ainsi de mieux comprendre le parcours de sa mère dont cet inceste subi dans sa plus tendre enfance est certainement l’un des fils conducteurs, hélas ! Dans ses dernires lignes elle regrette de n’avoir pas pu lui en parler alors qu’elle était adolescente, pour la protéger.
NB : elle ne parle pas de son patronyme si étonnant et sans doute difficile à porter. Certainement ses psychiatres y auront vu des liens avec l’évènement.
Le président de la République algérienne démocratique et populaire, Abdelmadjid Tebboune, fait parler de lui. A l’occasion d’une vite en Russie, il a participé au forum économique de Saint-Pétersbourg où il a qualifié, en arabe, son homologue russe « d’ami de l’Humanité ». A la télévision on voit son homologue accuser le coup, vaciller sous l’hommage, l’air de ne pas y croire, puis délivrer l’un de ses rares sourires à son interlocuteur. Par les temps qui courent il fallait tout de même oser qualifier M. Poutine « d’ami de l’Humanité » mais son homologue algérien n’a pas été effrayé par cette saillie.
Après tout, la République algérienne démocratique et populaire et l’Union soviétique furent effectivement de bons amis mais c’est surtout le rejet définitif de la France qui motive le comportement algérien. La conquête française et, surtout, la guerre de décolonisation ont laissé de très mauvais souvenirs qui continuent à infuser l’imaginaire populaire même si dans les faits, la majorité des Algériens d’aujourd’hui n’étaient pas nés au moment de la guerre et de sa conclusion par l’indépendance. La blessure morale est indélébile.
Evidemment, dans son discours de bienvenue, le président russe a mentionné l’aide apportée par l’Union soviétique pour la libération de l’Algérie de la colonisation française.
As a reminder, our country helped our Algerian friends fight colonialism and was among the first to recognise the independence of Algeria. It contributed to the development of Algerian statehood and the strengthening of the young republic’s position in the international arena.
La délégation de l’Algérie aime à s’entendre rappeler sa victoire contre le colonialisme et la Russie cultive cette histoire qui lui permet de séduire aujourd’hui Alger et, hier, la délégation africaine venue proposer un plan de paix entre l’Ukraine et la Russie. Il n’est pas sûr qu’ils puissent véritablement aider Moscou dans ses guerres de conquêtes, ni militairement ni, encore moins, financièrement mais ils remontent le moral du président russe qui, manifestement, nageait dans un bain de jouvence ces derniers jours à Saint-Pétersbourg.
Le président Tebboune a poursuivi ses hommages déférents à son « ami » Poutine tout au long de son séjour :
We have almost agreed – even before we started the talks – on all items related to the international situation, a very tense situation, as you know. It is necessary to accelerate the process of Algeria joining the BRICS group so that we no longer accept dollars and euros. This will be to Algeria’s benefit. God grant!
Where the Sahel region is concerned, we support relations between Mali and the Russian Federation. Mali neighbours our country. We should negotiate and discuss all issues under any circumstances. We have an instrument known as the Algiers Agreement.
La prise de position des dirigeants africains en faveur de Moscou, même symbolique, laissera des traces. Reste à savoir maintenant si les flux migratoires se réorienteront vers la Russie plutôt que vers l’Europe ou les Etats-Unis. Les peuples voteront ainsi avec leurs pieds et soutiendront, ou pas, les manifestations d’effusion de leurs dirigeants. L’avenir dira aussi sous peu si les exportations algériennes seront désormais libellées en monnaie russe ou chinoise. C’est techniquement possible, il suffit de le décider. Ce qui est sûr c’est qu’elles ne pourront pas l’être en dinars algériens, cette devise n’étant ni convertible ni transférable pour le moment.
La Chine qui a effectué une navette entre Kiev, Moscou et quelques pays européens sur la base de son initiative pour un « règlement politique de la crise ukrainienne » de février 2023. Il a été aimablement reçu par tout le monde. Alors qu’il séjournait dans la capitale ukrainienne une salve de missiles russes s’est abattue sur la ville dans la nuit du 17 au 18 mai, lui faisant vivre de près les affres de la guerre. On n’a pas connaissance de conclusions écrites de ce voyage diplomatique sinon une intervention télévisée dans laquelle il se prononce pour un arrêt des fournitures d’armes aux belligérants, ce qui revient bien sûr à la victoire de la Russie puisque l’Ukraine est très majoritairement dépendante pour ses armes des livraisons occidentales. On ne précise d’ailleurs jamais si ces matériels sont donnés ou vendus à l’Ukraine.
C’est aujourd’hui une délégation de responsables africains, menée par le président sud-africain Cyril Ramaphosa qui essaye de faire bouger les lignes. Outre le Sud-africain, elle est composée des présidents du Sénégal, de la Zambie et des Comores (en tant que président de l’Union africaine), du premier ministre égyptien et de représentants du Congo et de l’Ouganda. De passage à Kiev, ils ont proposé, notamment, de lever les poursuites lancées contre le président russe, ce qui a été mal perçu… A Moscou où ils ont été reçus en majesté, ils ont rappelé le principe de « souveraineté telle que reconnue par l’ONU ». Outre leur volonté de désescalade, partagée par tout le monde sauf par les belligérants, ils ont surtout en ligne de mire les effets néfastes de la guerre sur le marché des céréales, dont ils souffrent en tout premier lieu.
Dans son discours d’introduction, le président russe a précisé :
Let me stress once again that we are open to constructive dialogue with everyone who wants peace to be achieved based on the principles of justice and consideration of the legitimate interests of the parties.
A la différence de la Chine, peut-être produiront-ils un document qui permettra d’en savoir plus sur leurs propositions, au-delà de ces échanges de salon. Malgré la gravité de la situation, les dirigeants de ces anciennes colonies du Royaume-Uni, de la France, de la Belgique, des Pays-Bas… ont du mal à cacher une certaine forme de jubilation à paraître aider l’Occident à se sortir du mauvais pas dans lequel le met l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Ils s’en remettent pour l’instant à la Russie et nombre d’entre eux ont déjà renforcé leur coopération militaire et civile avec Moscou et mis fin à leurs anciennes et historiques coopérations, parfois avec perte et fracas comme pour la France au Mali. Les pays africains sont légitimes à faire ainsi, d’autant plus que la coopération avec leurs anciennes puissances colonisatrices n’a pas toujours donné tous les résultats attendus, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans quelques années ils seront ainsi en mesure de pouvoir comparer les avantages et inconvénients de chaque partenariat.
Le rejet de l’ancien colon par les pays africains a souvent été sous-estimé. Il se révèle aujourd’hui en pleine lumière et voit d’anciens pays colonisés opter clairement pour une puissance dont les comportements en termes de domination d’autres pays n’est pas exempt de reproches mais c’est aussi un retour vers le successeur de l’Union soviétique qui a soutenu dans les années 1960-1970 les combats « révolutionnaires » de certains pays africains, le tout dans la fiction du « non-alignement ». La roue tourne et cette guerre d’Ukraine déclenche un bouleversement des alliances et un isolement de l’Occident. Est-ce que le ralliement de l’Afrique à Moscou est un véritable problème pour l’Occident ? Sans doute pas mais l’avenir le dira !
Valérie Jégou est l’arrière petite-fille d’Alexandre Le Tourneur dit « Zanté », pêcheur à la fin du XIXème siècle dans un petit village breton des Côtes du Nord, Le Yaudet, donnant sur la baie de Lannion, à l’entrée de l’estuaire du Léguer. Voyant la roue tourner, elle décide d’interroger les anciens sur la vie « d’avant » dans ce petit coin de l’Ouest. Cela donne ce charmant livre dans lequel sont restitués les interviews de ces personnages truculents, illustré de photos et cartes postales d’époque.
Ce sont les thèmes de la vie courante qui sont abordés sur la période 1914-1945 : l’habitat extrêmement modeste, l’école, la langue bretonne défendue par le curé, l’agriculture, la pêche, l’embarquement au long cour des hommes pour gagner de l’argent, les bistrot-hôtels, l’arrivée du tourisme avec les congés payés de 1936, la religion et les injonctions du curé, l’arrivée de l’électricité en 1930, celle de deux lignes de téléphone pour le village à la même époque, etc.
Et puis bien sûr, la mer est présente à toutes les pages. Le Yaudet contrôle l’entrée vers le port de commerce de Lannion et dispose d’un poste de douane. Les bateaux anglais s’y arrêtent avant de remonter le Léguer et, en attendant la marée, les marins montent au bistrot du Yaudet pour boire un coup.
Le livre montre un petit peuple pugnace, accroché à ses traditions et ses rochers bretons, menant une vie austère mais joyeuse. Avant la seconde guerre mondiale la Bretagne était une région délaissée par Paris, à la limite du sous-développement. Les choses ont bien changé aujourd’hui, la péninsule a rattrapé son retard à marche forcée mais ses natifs restent un peuple attachant, forgé par la mer et ses paysages éblouissants.
Le musicien français Jean-Louis Murat (1952-2023) est mort ce 25 mai à l’âge de 71 ans. Rocker bougon et poète, il était fermement attaché à son Auvergne natale où il réside et enregistre ses disques. Ses textes sont empreints de poésie et sa musique souvent originale, empruntant parfois des voies électro intéressantes.
La Polynésie française vient d’élire à la tête de son gouvernement local un indépendantiste, M. Moetai Brotherson, comme la Nouvelle-Calédonie l’a fait fin 2021. Dans le même temps, l’assemblée territoriale polynésienne a élu un président autonomiste. Les deux vastes territoires français dans le Pacifique marquent leur volonté de s’éloigner de la France. Les trois parties ont intérêt à ce que le processus se passe de façon intelligente, apaisée et coordonnée.
Même si M. Brotherson serait un indépendantiste « modéré » le message envoyé à la métropole est clair : il faut accompagner progressivement ces régions (la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie) vers l’autonomie, puis, l’indépendance. Le processus va être long et probablement chaotique, il va falloir faire preuve de subtilité et ce chemin va nécessiter des responsables visionnaires. Paris va devoir avaler son chapeau et affronter une blessure d’ego à l’idée de perdre des territoires, Nouméa et Tahiti vont devoir faire preuve de responsabilité face à un objectif qui va les faire passer du stade d’enfants à celui d’adultes. Ce n’est pas gagné et, sans cesse, il faudra remettre l’ouvrage sur le métier. Il y aura des échecs (comme celui des référendums calédoniens de la période 2018-2022), sans doute des violences, cela prendra des générations mais cette direction doit être maintenue. L’indépendance des colonies africaines dans les années 1960 était aussi inévitable. La France l’a réalisée dans des conditions acceptables dans la majorité des cas. L’exception est évidemment l’Algérie où une guerre sauvage a été menée pour aboutir finalement… à l’indépendance de ce pays, suivie de décennies de mauvaises relations entre Paris et la nouvelle République algérienne.
L’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française est écrite. Il reste maintenant à l’exécuter dans des conditions acceptables. L’une des conditions à la réussite des ces indépendances est de donner la garantie à ces territoires que la France continuera à les financer pendant une durée raisonnable en attendant leur pleine émancipation économique. C’est l’intérêt de tous.
La Nouvelle Calédonie a élu fin 2021 un dirigeant indépendantiste, Louis Mapou, à la tête de son « gouvernement collégial » qui est l’exécutif qui gouverne cet archipel. C’était une bonne nouvelle pour l’avenir du processus de décolonisation entamé avec les accords dits « de Matignon » (1988), puis « de Nouméa » (1998) qui n’ont pas pu aboutir à une issue heureuse en 2022. Un nouveau processus est maintenant à mettre en place pour définir l’avenir de cette colonie pour les décennies à venir et personne ne sait très bien par quel bout prendre le problème.
M. Mapou était récemment en visite à Paris et a déclaré à différents médias que les propositions d’avenir devaient venir de l’Etat :
C’est le moment de la République. Les derniers points en discussion sont en lien avec la République. A trop demander aux Calédoniens eux-mêmes de trouver la solution, on risque de ne pas y parvenir
Le Monde 13/05/2023
Il est tout de même un peu inattendu qu’un dirigeant indépendantiste attende que les propositions sur le futur calédonien viennent « de la République ». Certes, elles seront ainsi plus faciles à critiquer mais on peut douter qu’elles satisfassent localement les partis indépendantistes. Pourquoi cette fuite ? Peut-être car, après le rejet lors de trois référendums, plus personne ne sait que proposer…
Le gouvernement calédonien qui dispose d’une quasi autonomie en matières économiques, sociales et culturelles a par ailleurs besoin de sous et Louis Mapou était aussi à Paris pour demander une rallonge aux contribuables métropolitains puisqu’il ne souhaite pas augmenter les impôts des contribuables locaux, tout en reconnaissant la nécessité d’une réforme fiscale.
Malgré les habituels effets de manche de Nouméa à Paris, pas sûr que nous aboutissions rapidement à l’indépendance de la Nouvelle Calédonie ! Comme pour le cas de la rétrocession de Mayotte aux Comores, la France est prise à son propre piège et ne sait pas comment s’en sortir sinon en maintenant le statuquo et les dépenses publiques conséquentes.
L’histoire d’un couple, commencé dans l’amour fou, se terminant dans la violence, puis devant le juge. Tout avait pourtant bien commencé : rencontre dans une soirée, premier enfant, mariage suivi d’un second enfant… Mais le mari, sorte de gendre idéal manœuvre pour éloigner sa femme Blanche de sa famille normande et de sa sœur jumelle Rose qui avait déjà pressenti que quelque chose ne tournait pas rond avec ce mari.
La suite révèle ce dernier jaloux, possessif et violent. Le film montre cette dérive et l’enfermement dans lequel sombre Blanche, coincée avec ses deux enfants dans l’Est de la France, effrayée par le comportement de son mari dont elle découvre progressivement les errements. Cela ira jusqu’à une tentative de suicide dont elle se relèvera avec l’aide de sa jumelle qui montera sa fuite et celle de ses enfants pour un retour en Normandie. Blanche reverra son mari au tribunal devant lequel la réalisatrice laisse de spectateur inventer la fin.
C’est un film sur l’enfermement de la femme dans la spirale de violence où peut l’entraîner un mari à la dérive. La séparation n’est pas dilemme facile à trancher lorsqu’on ignore jusqu’où peut aller ce conjoint et que deux enfants et une situation professionnelle sont également en jeu. Le comportement pathologique de ce mari est minutieusement décrit et doit s’approcher de la réalité de bien des couples dévastés par la violence. A la fois charmeur et dramatiquement possessif, après chaque éclat il tente de se faire pardonner de sa femme à laquelle il est désespérément attaché. Le scénario montre qu’elle n’est pas dupe et n’a plus d’espoir de le voir s’amender positivement tant il est incapable de contrôle sur lui-même. Un excès qui relève de la médecine psychiatrique ou d’une cure psychanalytique, plus que d’une énième réconciliation. Elle n’est manifestement pas tombée sur le bon numéro et ne sait comment s’en sortir.
Le combat féministe est loin d’être gagné si l’on en juge par le nombre de féminicides et de violences conjugales constatés chaque année en France. La très grande majorité de ces violences est exercée par l’homme sur la femme, et non l’inverse ; sans doute le fruit de millénaires de patriarcat menés par une société machiste et satisfaite d’elle-même, sous le regard bienveillant des religions. Ce film apporte son écot à une meilleure compréhension de ce phénomène destructeur. Il est bienvenu.
Le barrage de Kakhovka en Ukraine sur le fleuve Dniepr a été détruit ce 6 juin. Il est situé juste sur la ligne de front entre les Ukrainiens et les Russes. Il était occupé par les forces russes, et ce qui en reste l’est toujours. L’inondation qui s’ensuit ravage des milliers de kilomètres carrés et entraîne l’évacuation de milliers d’habitants. On ne connaît pas encore le nombre de victimes et on ne sait pas qui a procédé à cette destruction, des Russes ou des Ukrainiens.
Les plateaux télévisés européens désignent la Russie responsable mais le silence des autorités occidentales est troublant, il l’est tout autant pour ce qui concerne la responsabilité de la destruction des deux gazoducs Nord Stream dans le fond de la mer Baltique en septembre 2022. On sait que les deux parties sont capables d’exécuter de tels actes et on est capable de démontrer que chaque côté pouvait avoir intérêt à ces destructions et vice-versa. L’avenir dira bien un jour qui a ordonné et réalisé ces destructions.
En attendant on constate que cette guerre joue le rôle habituel fixé à une guerre : la destruction des hommes et des matériels. C’est la raison pour laquelle il faut y mettre fin avant que l’on en perde complètement le contrôle et que le chaos soit total en Europe. Il est indéniable que le mieux aurait été de ne pas la commencer. Personne ne semblait vraiment croire à cette hypothèse jusqu’à quelques semaines avant qu’elle ne soit déclenchée, mais l’invasion a bien été lancée par la Russie qui occupe aujourd’hui une partie de l’Est de l’Ukraine. Aucune des parties ne souhaite aujourd’hui mettre fin à cette guerre puisque chacune espère encore améliorer ses positions.
Arrêter la guerre maintenant voudrait dire accepter la partition du territoire ukrainien et l’acceptation du fait accompli de la conquête russe au détriment du concept de « droit international » sur lequel est basée l’organisation du monde depuis 1945 mais que ne reconnaissent désormais plus nombre de pays. L’ouverture de négociations avec Moscou serait une décision difficile à prendre, dont personne ne peut aujourd’hui anticiper les effets politiques internationaux qui seraient peut-être moins lourds que les inconvénients générés par la poursuite de la guerre, ou peut-être pas…
Evidemment, les deux parties sont en principe déjà allés trop loin pour arrêter mais il faut pourtant l’envisager puisqu’aucune d’entre elles ne semble devoir écraser l’autre à court terme. Ce serait pourtant une position raisonnable. Imaginons un instant une victoire totale de l’Ukraine, elle serait suivie d’un chaos probablement dévastateur en Russie aux conséquences mondiales imprévisibles, et de règlements de compte sévères en Ukraine puisqu’une partie de la population de l’Est est pro-russe. A l’inverse, une victoire totale de Moscou verrait les troupes russes stationnées directement à la frontière est de l’Europe, un peu comme à Berlin avant la chute du mur, et l’Occident perdre sérieusement la face et donc de sa puissance, et le droit international définitivement enterré.
Les accords de Minsk, hélas jamais appliqués par les parties, prévoyaient déjà d’octroyer une autonomie constitutionnelle aux régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk. Pourquoi ne pas envisager de repartir sur une base similaire, en y ajoutant la Crimée, susceptible de prendre en compte la volonté des Ukrainiens prorusses. Un processus de consultation sous contrôle international des populations locales du style de celui qui aboutit à la partition du Soudan avec la création du Soudan du Sud en 2011, ou de celui mis en place par la France pour décoloniser la Nouvelle-Calédonie, pourrait permettre de faire s’exprimer de façon démocratique les populations locales sur leur volonté d’être rattachées à la Russie ou à l’Ukraine.
Evidemment, il faudrait pour ce faire détricoter l’annexion de ces régions par la Russie qui pourrait demander en échange de détricoter aussi les processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN. Bien sûr le processus serait long, douloureux, semé d’embûches, entraînant des déplacements de population une fois le choix entériné. Mais peut-être faut-il tenter l’expérience plutôt que de continuer à détruire.
Le parallèle avec les accords de Munich de 1938 qui entérinèrent l’annexion des Sudètes (en Tchécoslovaquie où vivait une forte minorité d’origine allemande) par l’Allemagne nazie, sans éviter finalement la seconde guerre mondiale, est troublant. L’alternative à l’époque aurait été que les alliés entrent en guerre contre l’Allemagne dès 1938, et les Etats-Unis étaient loin d’y être prêts en 1938… Pas sûr que la suite aurait été fondamentalement différente. Aujourd’hui l’Occident, représenté par l’OTAN, a clairement énoncé son refus d’engager des soldats sur le terrain ukrainien pour éviter une confrontation directe avec l’armée se la Russie dotée de la puissance nucléaire. Ce choix se défend.
En tout état de cause, la Russie est et restera une puissance malfaisante pour l’Occident, et vice-versa, qu’elle que soit l’issue de la guerre. Après les espoirs déçus d’intégration de la Russie au système international post-perestroïka/glasnost de la fin des années 1980, l’Occident sait de quoi est capable ce pays rongé par ses ambitions de puissance et ses frustrations post-Empire soviétique. Il se réorganise en conséquence et réarme de façon significative pour parer à toute aventure militaire de Moscou contre son propre territoire, quitte à reconstruire un mur, fictif ou réel, entre la frontière russe, quelle qu’elle sera à l’issue de potentielles négociations, et l’Occident.
Alors que s’ouvre à Londres une deuxième conférence pour la reconstruction de l’Ukraine, on parle de plus de 400 milliards d’euros nécessaires à ce stade des destructions, il va bien falloir faire preuve à un moment ou un autre d’audace diplomatique et de sens de l’intérêt général. Qui en sera capable ?
Alors que la situation de l’Île de Mayotte dans l’archipel des Comores ne cesse de se dégrader, sans solution viable en vue autre que sa rétrocession aux Comores, le journal Le Monde nous informe que le ministre des affaires étrangères comoriens et son épouse bénéficient de la nationalité française. Cette dernière résiderait à La Réunion où le couple serait impliqué dans une fraude aux prestations sociales.
Evidemment cela ne manque pas de sel alors que ledit ministre était encore récemment à Paris au sein d’une délégation officielle comorienne dans le cadre des relations bilatérales entre les deux pays. Il apparaît que d’autres ministres comoriens de l’actuel gouvernement bénéficient également de la nationalité française. Alors que les Comores revendiquent légitimement le retour de Mayotte dans leur giron, on imagine le conflit d’intérêt existant lorsque lesdits ministres s’assoient au Quai d’Orsay devant leurs homologues français quand le site web du ministère français publie un extrait de son point de presse du 02/05/2023 :
Les mises en cause du ministère des Affaires étrangères n’ont pas lieu d’être. Il y a une seule position du gouvernement, tous ministères confondus : Mayotte est un territoire de la République française, par le choix des mahorais d’être et de demeurer français. Nous défendons ce choix dans les enceintes régionales et internationales, comme dans notre dialogue avec les Comores.
Au-delà de la situation judiciaire du ministre franco-comoriens et de sa femme résidant à La Réunion, finalement de peu d’intérêt, et alors que le débat fait rage en France sur l’immigration illégale comorienne à Mayotte, il est étonnant que personne sur les plateaux télévisés mondains n’ose aborder l’hypothèse d’une ouverture de négociations avec les Comores sur la rétrocession de Mayotte qui est demandée à la France par l’assemblée générale des Nations Unies. On imagine aisément le tonnerre de polémique qui serait déclenché par un tel débat mais au fond d’eux-mêmes, la majorité des débatteurs savent bien qu’il n’y a aucun espoir que les choses s’arrangent tant l’attrait de la richesse et de du système social de Mayotte aimante les Comoriens, dont même le ministre des affaires étrangères bénéficie des prestations…
La France se berce de l’illusion de sa puissance en détenant ce confetti qui lui octroie un domaine maritime dans le canal du Mozambique. Ce confetti de l’empire n’est qu’une source d’ennuis pour la métropole, une aberration juridique issue de la décolonisation du XXème siècle, à l’origine d’une montagne de frustrations : à Mayotte où les Français y résidant s’estiment oubliés par Paris et aux Comores où les autorités nationales s’estiment spoliés par l’ancienne puissance coloniale qui a conservé sous sa souveraineté une partie de l’archipel comoriens sur lequel elle n’avait aucun droit.
Pour la France qui a globalement échoué dans son processus de décolonisation, le syndrome post-colonial génère aujourd’hui toujours de sérieux effets négatifs, en Algérie, au Mali, aux Comores…
Campillo a réalisé en 2017 le film-choc : 120 Battements par minute, sur le combat mené par l’association Act-up pour la reconnaissance de la maladie du Sida et l’accélération de la recherche en vue de traitements efficaces. Avec LÎle rouge il présente un film plus intimiste sur les années 1970 dans une base militaire française à Madagascar dix années après l’indépendance de l’île, ex-colonie française.
La petite communauté militaire française mêle des acteurs de la période coloniale française : pieds noirs, anciens des guerres d’Indochine ou d’Algérie, ils ont tourné dans les différentes bases militaires que la Paris a conservé sur les territoires décolonisés. Ils ne sont pas foncièrement mauvais mais n’ont pas encore complètement tourné la page d’une puissance française passée. Ceux qui ont connu l’expatriation en Afrique reconnaîtront dans ce film les petites choses qui émaillèrent leur vie protégée sous les tropiques : les boys, les amours à la dérive, les coups d’Etat locaux et les uniformes français ! Un film dispensable mais agréable.
L’exposition Vermeer au Rijksmuseum d’Amsterdam était à peine en train de se terminer au printemps 2023 qu’un film sur l’exposition était diffusé dans les salles. Les tableaux présentés sont magnifiquement filmés, vues d’ensemble comme gros plans sur les détails. Les commentaires et explications des spécialistes du peintre néerlandais du XVIIème siècle (1632-1675) et des commissaires de la rétrospective éclairent intelligemment le spectateur.
On se laisse aller à plonger dans cette superbe transcription d’une époque passée des Pays-Bas et de ses habitants. Vermeer fut le peintre d’une quarantaine d’œuvres, seulement, mais chacune d’elle est éclairée d’une lumière qu’il sait rendre de façon magique et sophistiquée donnant une apparence très caractéristique à ses couleurs. Voir la peinture au cinéma est une bonne idée, d’ailleurs le petit cinéma de quartier où le film était présenté en matinée ce dimanche était complet.
1983, New York, la Factory d’Andy Warhol (1928-1987) a déménagé, le Velvet Underground a raccroché des guitares depuis longtemps, Basquiat (1960-1988) a transformé la culture populaire du graffiti mural en une explosion de peinture magistrale, il rencontre enfin Warhol qui l’a toujours profondément inspiré. Une génération les sépare et ils décident de travailler ensemble sur des toiles gigantesques. Ils en produiront 160. Les locaux de la Factory, vides, sont encore disponibles et servent d’atelier à la mesure des ambitions de nos deux compères qui partageait les services du même marchand d’art. La fondation Louis Vuitton expose le résultat de ce travail dans onze salles déployées sur trois étages.
Leur méthode est détaillée : Andy démarrait la toile en y inscrivant un élément d’actualité ou une marque commerciale, sérigraphiée ou peinte (ce travail à quatre mains l’a fait revenir à la peinture), sur laquelle intervenait ensuite Basquiat avec, généralement, ses thèmes favoris : ses origines africaines (haïtiennes en fait) illustrées par des masques d’homme noir, des mots raturés, des nombres, des prix en $, des instruments de musique… Les premières toiles exposées sont également cosignées par le peintre italien Francesco Clemente, acteur de cette période new-yorkaise débridée et créative.
Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, 6,99, (1984)
Les conceptions du monde l’art des deux artistes s’affrontent, Warhol sans doute plus impliqué dans le business joue avec les marques quand Basquiat les conteste. Ils dialoguent et se répondent par pinceaux et couleurs interposés. Ils se portraiturent l’un-l’autre, l’un avec l’autre, jouant avec les symboles qu’ils ont contribué à créer. Warhol est décliné à plusieurs reprise mêlé à la fameuse banane dessinée pour la couverture du premier album du Velvel Underground. On se croirait dans un article du Village Voice.
Les toiles à deux sont immenses, à la fois infantiles et complexes, aux couleurs vives. A première vue elles ressemblent à du Basquiat tant son dessin est caractéristique mais l’intervention de Warhol, généralement plus discrète, est aussi notable. Il faut se perdre dans les détails quand le regard veut prendre du recul, fasciné par l’ensemble coloré éclatant. Les deux artistes ont fait preuve d’une incroyable productivité et une exposition sera montée à New York en 1985 avec une (petite) partie de ces créations et dont l’affiche est celle des deux boxeurs, reprise par la fondation Louis Vuitton près de quarante années plus tard. Ces tableaux réjouissent le visiteur tant ils sont représentatifs du foisonnement de l’art à New York à cette époque, sous toutes ses formes. Ce fut une véritable explosion de créativité dans laquelle ces deux là ont pris une place de choix.
La mort inattendue de Warhol en 1987 surprend et peine son premier admirateur qui a su s’émanciper du maître avec beaucoup de talent. Il produit une installation en sa mémoire : « Gravestone », une porte beigne sur laquelle est incrit deux fois la mention « Perishable », entourée de chaque côté de deux petits panneaux joints à la porte par des charnières, une croix et une fleur sur celui de gauche, un masque africain sur celui de droite. Hélas, Basquiat lui succédera dans l’au-delà un an plus tard. Il reste leurs œuvres, sublimes !
La fin de l’exposition revient justement sur l’atmosphère de ces années 1980 avec moulte photos où l’on reconnait, outre Warhol et Basquiat, les acteurs de la scène artistique du downtown new-yorkais de ce temps : Keith Haring, David Hockney, William Burroughs, Timothy Leary, mais aussi Brian Ferry, Madonna, Grace Jones, Nick Rhodes et Simon Le Bon (du groupe Duran Duran), Julian Schnabel… On se croirait dans un article du Village Voice.
Keith Haring & La II (1987)
Une dernière vidéo montre les deux artistes, émouvants, Basquiat aux cheveux courts lui donnant un air adolescent, Warhol, énigmatique et souverain, posant des questions absurdes à son « élève qui l’a dépassé [en $] » et qui y répond dans de grands éclats de rire.
Arthur London (1915-1986) fut un militant et homme politique tchécoslovaque qui connut le parcours classique des engagés communistes de l’époque et fut victime du « procès de Prague » en 1952. Il signe des aveux de « conspiration contre l’Etat » arrachés sous la torture. Condamné à la prison à perpétuité il sauve sa tête, ce qui ne fut pas le cas de onze de ses treize co-accusés qui furent exécutés. Il est réhabilité et libéré en 1956. Il s’exile alors en France avec sa famille, sa femme étant une communiste française.
Dans « L’Aveu » London revient sur l’incroyable mécanisme des purges communistes du XXème siècle consistant à broyer les militants que l’on veut éliminer sur la base de leurs propres aveux, extorqués par les pires méthodes et reposant, dans la majorité des cas sur une reconnaissance de « culpabilité » totalement fictive. Inspiré des purges staliniennes des années 1930, le procès de Prague permit au président Gottwald de se débarrasser de ses principaux opposants avec l’aide idéologique de conseillers soviétiques.
London s’engage dans le communisme dès son adolescence et est d’ailleurs emprisonné dans les années 1930 par le régime libéral en place à l’époque car il a participé à la création du parti communiste tchécoslovaque. Entré dans la clandestinité il rejoint Moscou (le pays du bonheur communiste, de « l’homme nouveau » et de « l’avenir radieux »), participe à la guerre d’Espagne dans les brigades internationales, entre dans la résistance en France durant la deuxième guerre mondiale, est déporté à Mauthausen (il est de confession juive), revient en Tchécoslovaquie après la guerre où il est nommé vice-ministre des affaires étrangères avant d’être « purgé » par le régime en 1952 puis réhabilité en 1956. Les autres accusés furent également réhabilités, mais un peu tard pour onze d’entre eux qui avaient été exécutés par le régime.
La description du régime judiciaire et carcéral en vigueur contre les « traîtres à la patrie » est édifiante. L’obsession développée par les « référents » pour obtenir des « aveux » des accusés est terrifiante et se traduit par des mois, parfois des années, d’interrogatoires, d’auto-accusations, de trahisons, de procès-verbaux pour arriver à la version qui correspond au désir du parti. Le plus souvent, épuisés moralement et physiquement, les accusés cèdent et finissent par signer n’importe quoi pour mettre fin à leur calvaire. La seule différence entre eux réside dans le temps qu’ils mettront avant d’abdiquer de la vérité.
Mais le plus monstrueux dans tout le processus est l’espèce de « foi communiste » qui ne s’éteint jamais, même au pire des accusations mensongères. Arthur London lui-même continue à annôner que si le parti, « qui ne peut pas se tromper », le soupçonne de complot contre l’Etat c’est qu’il doit bien être coupable de trahison, même s’il ne s’en aperçoit pas. Sa femme française, fille de communistes, elle-même communiste pure et dure écrit à son mari (dans une lettre qui ne lui sera communiquée qu’après ses « aveux ») :
J’avais une telle confiance en toi, mon Gérard. Est-il possible que tu en étais indigne ? Je t’aime Gérard, mais tu sais qu’avant tout je suis communiste. Malgré mon immense douleur, je saurai t’arracher de mon cœur si j’ai la certitude de ton indignité.
En t’écrivant ces mots, je pleure comme une Madeleine, nul mieux que toi ne sait combien je t’ai aimé, combien je t’aime. Mais je ne puis vivre qu’en accord avec ma conscience. »
Comme London fut condamné par la justice du parti, il était donc coupable aux yeux de son épouse qui demanda le divorce avant d’annuler sa demande après la réhabilitation de son mari par le parti. Le parti ne peut pas se « tromper » ! C’est sans doute la plus grande réussite du monde communiste au XXème siècle : avoir réussi le plus étrange et pernicieux lavage de cerveaux de toute l’histoire de l’humanité. « L’aveu » en est un des innombrables récits et fut mis en image par Costa-Gavras. Yves Montand et Simone Signoret y jouaient le couple London, ce qui ne manque pas d’ironie quand ont sait que les deux acteurs furent également victime de l’illusion du communisme avant de revenir sur leur engagement.
Les Etats-Unis d’Amérique sont déjà rentrés dans la campagne électorale pour les présidentielles qui se dérouleront en novembre 2024. Les deux grand candidats déclarés, Joe Biden (né en 11/1942) et Donald Trump (né en 06/1946) présentent une moyenne d’âge de à 78 ans aujourd’hui, qui sera donc de 80 au jour de l’élection. Certes ce sont donc des hommes « d’expérience » mais on ce n’est quand même pas vraiment une bonne nouvelle de voir la première puissance mondiale, si fort et si créative, se donner à la gérontologie, telle le Kremlin dans les années Brejnev !
Comment peut-il se faire que ce pays ne soit pas en mesure de renouveler son élite politique au point de s’apprêter à élire un nonagénaire ? Soit les partis politiques ont pris soin de tout verrouiller pour empêcher tout intrus dans le fromage, soit il n’y a plus de volontaires, soit sans doute un peu des deux. Alors que les Etats-Unis ont su faire émerger un Bill Clinton (président de 1993 à 2001) ou un Barak Obama (président de 2009 à 2017), l’un et l’autre assez peu connus à l’époque de leur élection, l’élection de 2024 devrait se jouer entre deux vieilles carnes sur le retour. Pas sûr que ce soit un message très convaincant à envoyer à tous les pays et leurs dirigeants qui veulent mettre à bas la démocratie !
Roger Waters, 79 ans, bassiste cofondateur des Pink Floyd en 1965, fait parler de lui non seulement par des interventions politiques pas toujours très consensuelles, irriguées par un antimilitarisme et un antiimpérialisme (essentiellement dirigé contre les Etats-Unis) sur lesquels il s’est construit, et finalement de peu d’intérêt, mais, surtout par une tournée mondiale qui est passée ce soir à Paris. Sur le billet émis pour le concert il est écrit : « Roger Waters – his first farewell tour – this is not a drill ». Voilà qui semble laisser entendre que l’histoire n’est peut-être pas encore terminée. Si Dieu lui prête vie, nous devrions le revoir en concert !
Le Pink Floyd fut l’un des groupes phare des années 1970-1980, toujours présent sur la scène rock ensuite, au hasard des brouilles entre ses membres et des reformations, jusque dans les années 2000. Waters en est devenu le meneur après le retrait de Syd Barett, en indigestion de LSD, place qu’il se disputât avec l’immense guitariste David Gilmour avant de définitivement abandonner le groupe au mitan des années 1980.
La setlist de la tournée actuelle est surtout composée de morceaux des Pink Floyd. Lorsque les portes de Bercy s’ouvrent, les spectateurs découvrent une immense croix posée au sol au centre du palais et dont les quatre côtés de 3 ou 4 mètres de hauteur séparent la scène en quatre quarts, les huit côtés se transformant en huit gigantesques écrans.
Lorsque les lumières s’éteignent démarre une version lente et sombre de Comfortably Numb pendant que les écrans diffusent des images vues de ciel d’une ville vide et dévastée, comme anéantie après un conflit nucléaire. Avec ces vues en vert de gris qui défilent lentement sur fond de bitume, de béton et de buildings, on se croirait dans un roman de Cormac McCarthy… Cette chanson est extraite du grand œuvre floydien de Waters : The Wall, et lorsque retentit le Hello répercuté à l’infini par la réverbération, les sexagénaires se retrouvent projetés d’un coup dans leur jeunesse, en 1979 année de sortie du double-vinyle qui donna lieu aussi à un film d’animation de légende signé par Alan Parker. Le thème de ce concept-album est celui de l’isolement qui mène à la folie…
Hello? (Hello, hello, hello) Is there anybody in there? Just nod if you can hear me Is there anyone home?
Come on (Come on, come on), now I hear you’re feeling down Well, I can ease your pain And get you on your feet again
Relax (Relax, relax, relax) I’ll need some information first Just the basic facts Can you show me where it hurts?
A la fin de cette introduction sur le chant majestueux d’une des choristes, la croix se soulève, et restera fixée au-dessus de la scène pour le reste du show, servant d’écrans de projection pour illustrer les morceaux et les messages de Waters.
Roger Waters est habillé en jeans et t-shirt noirs, échangeant les instruments et les places sur la scène centrale au fur et à mesure de la progression du concert. Les morceaux défilent nous rappelant les albums des Pink Floyd dont cette musique psychédélique, souvent planante, a bercé les années 1960-1970 et dont des millions d’exemplaires ont été vendus à travers le monde : Another brick in the wall, Wish you were here, Shine on you crazy diamond, Money, Us and them… L’assistance se laisse aller gentiment sur ces mélodies du bonheur, même si les textes ne fleurent pas toujours une franche joie de vivre. Mais quelle créativité de ces musiciens, quelle somptuosité de cette musique !
Quelques chansons en propre de Waters s’insinuent dans les interstices, elles sont moins connues.
Sur In the flesh, Waters apparaît en manteau de cuir noir, costumé en dictateur avec un brassard rouge aux relents nazis, reprenant le personnage du film de Parker pendant que sont diffusés des slogans antifascistes, anti-impérialistes et anti-oppressions en tous genres. Les noms de quelques martyrs récents se succèdent en rouge sur les écrans, Anne Franck y croise… Adama Traoré qui déclenche un hourvari du public français. Entre les chansons il reprend son souffle en déclinant des discours politiques un peu simplistes mais sans doute sincères. Il réussit même à déclencher des « Macron démission » qui s’éteindront assez vite au milieu des spectateurs qui ont tout de même payé leurs billets en 100 et 150 euros. Aucun président américain ne passe la rampe et ils se font copieusement abominer par l’artiste. Le nom de Trump est même apposé sur le flanc d’un cochon volant qui parcourt l’espace en mémoire de celui volant entre les cheminées d’usine sur la couverture de Animals (1977) dont Sheep est joué ce soir en fin de première partie. Sur l’autre flanc du cochon-drone est inscrit un rageur « Fuck the poor ». C’est du deuxième degré bien sûr.
Les projections suivent le rythme des morceaux. D’une qualité technique remarquable elles présentent toute la misère de la planète : des bombardements en Palestine, des drones de combat en Irak, la famine dans des camps de réfugiés, des images d’enfants désespérés… le tout agrémenté de slogans politiques en immenses lettres rouges. C’est la dévastation du monde transposée en format numérique. Impressionant !
Sur Shine on you les écrans racontent son amitié avec Syd Barrett avant qu’il ne sombre dans la maladie et quitte le groupe n’étant plus en mesure d’y jouer son rôle. La chanson est un hommage à Syd, tous deux ont lancé l’une des plus formidables expériences musicales du XXème siècle, alliant psychédélisme et surréalisme sur fond d’une extraordinaire musique progressive rarement entendue à l’époque, ni depuis d’ailleurs. La folie et l’aliénation qui ont atteint Barrett ont aussi profondément marqué Waters qui en fera deux des thèmes particuliers de son œuvre inspirée.
Remember when you were young You shone like the Sun Shine on, you crazy diamond
Now there’s a look in your eyes Like black holes in the sky Shine on, you crazy diamond
Les Pink Floyd ont aussi lancé le principe des concerts gigantesques avec des installations techniques innovantes à une époque où ce n’était pas si courant (écrans géants, rayons laser…) et auxquels se prêtaient si bien leur musique et leurs excès. Waters en perpétue la tradition ce soir avec l’apport de la technologie moderne et, sans doute, de gros moyens. C’est un spectacle complet mené de main de maître par une équipe de musiciens hors pair. Mention spéciale pour le guitariste David Kilminster, chevelu en perfecto noir, qui jouait déjà sur la précédente tournée du Maître, on peut dire qu’il se défend remarquablement bien. Un autre guitariste chevelu, à la voix plus douce, assure le chant réservé à Gilmour sur les disques. Remarqués aussi, deux merveilleuses choristes et un saxophoniste envoutant.
Pour le final The bar et Outside the wall, tous les musiciens se rassemblent autour du piano sur lequel joue Roger avant de partager un verre de mescal à la santé de cette exceptionnelle soirée musicale. Les musiciens sortent à la queue-leu-leu et leur tête est filmée sur les écrans avec, inscrits en sous-titre, leurs noms et instruments utilisés.
Le concert a duré un bon 2h30, ce soir le musicien Roger Waters a été sublime et a su faire vivre cette musique exceptionnelle qu’il a contribué à créer il y a plusieurs décennies.
Denis Podalydès, acteur, metteur-en-scène, scénariste et écrivain, évoque sa vie et ceux qui lui sont chers à travers leurs voix. Evidemment, pour un homme de théâtre, cet organe majeur est une voie d’entrée originale pour analyser son environnement.
Les voix de ses grands anciens sont passées en revue : Charles Denner, Michel Bouquet, Gérard Philippe, André Dussolier, mais aussi Pierre Mendès-France ou Léon Zitrone. Chaque paragraphe consacré à l’un d’eux décrit la texture de sa voix et le rapport qu’eut Podalydès à son propriétaire.
Mais il y a surtout les voix de ses proches, sa famille, ses amis, par lesquelles on apprend l’histoire algérienne « pieds-noirs » de ses grands-parents et de son père, le suicide de son frère, les premiers émois de son adolescente « empotée » et le quotidien d’une famille bourgeoise et cultivée dans la France des années 1960-1970.
En conclusion de nombre de chapitres est inscrit : « Voix de mes frères » marquant l’importance de cette fratrie, avec ses drames et ses bienfaits, dans l’âme de Denis.
Edouard Manet (1832-1883) et Edgar Degas (1834-1917) ont marqué la peinture de la fin du XIXème siècle. Ce que l’on ne savait pas forcément est qu’ils furent amis, ont subi des influences communes et porté un regard croisé sur le monde d’alors. Le musée d’Orsay (sur-fréquenté en ce jeudi de l’ascension) expose les deux peintres en une succession de tableaux : portraits variés de familles (les leurs ou celle de Berthe Morisot), amis et donneurs d’ordre, autoportraits, scènes de bistrot, de salles-de-bain, de champs de course… On apprend que les deux peintres se sont fâchés et réconciliés, menant de concert une rivalité artistique très féconde.
Degas le solitaire s’est consacré sur des atmosphères un peu diffuses et brumeuses quand Manet, plus mondain et ouvert sur le monde marque les contours de ses peintures de façon plus nette et précise. Tous deux ont été marqués par la guerre contre les Prussiens en 1870 et la commune qui s’en suivie. Des dessins rendent la violence de cette période. Le dernier tableau montré est de Manet qui reprend l’exécution de l’empereur Maximilien au Mexique par les rebelles républicains en 1867 après avoir été lâché par la France de Napoléon III.
Toute une époque… et une époque qui fait des émules si l’on en juge par le nombre de téléphones mobiles qui défilent devant les tableaux avec des visiteurs derrière prenant des photos !