Vive la République

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Depuis quelques mois, à l’initiative de l’actuelle présidente de l’assemblée nationale, Mme. Yaël Brau-Pivet, des visites gratuites de cette institution sont organisées régulièrement. Il suffit de s’inscrire sur le site web de l’assemblée, d’attendre 48 h la confirmation et le visiteur se présente Quai d’Orsay, aux pieds de la statue de Colbert (honni par le courant de pensée « décolonialiste » [mais la mention de sa participation à l’élaboration du « code noir » figure sur le socle de la statue) et l’on entre dans ce lieu emblématique de la République où tant de moments historiques se sont déroulés qui influent encore aujourd’hui sur nos vies, plus de deux siècles après sa création en 1789 dans la fureur de la révolution française.

Une guide souriante retrace quelques-unes des grandes dates de l’assemblée et citent quelques grands personnages qui l’ont animée, tout en cheminant à travers des pièces imposantes, incroyablement décorées (des plafonds de Delacroix notamment), dans un luxe élégant qui est surtout celui du symbole de la démocratie. Il n’y a pas de session aujourd’hui alors l’accès au « cercle sacré » est autorisé, c’est-à-dire aux pièces réservées aux personnes accréditées lorsque l’assemblée siège. Le protocole a l’air aussi lourd que le bronze gigantesque représentant Mirabeau, député tiers-état, expliquant à la police du Roi lors des « Etats généraux » de 1789 que réunis par la volonté du peuple, les députés ne sortiraient que par la puissance des baïonnettes. Les ministres rentrent par telle porte et pas telle autre, les élus accèdent à telle salle et pas à celle-là, idem pour les journalistes. On passe devant la poste de l’assemblée décorée d’un immense tableau street-art représentant « la liberté guidant le peuple » de Delacroix, on déambule dans les salons, la salle des « quatre colonnes », celle des « pas perdus », tout n’est que boiserie, marbre, cuir, luxe et volupté. Il n’y a personne en cette fin de journée sans session parlementaire. La bibliothèque est fermée pour grands et longs travaux. On voit, de loin, la porte d’accès à la célèbre « buvette de l’assemblée » qui est aussi un restaurant, comme il en existe beaucoup d’autres dans les nombreux immeubles du quartier qui sont des annexes de l’assemblée nationale.

Et l’on arrive enfin, avec émotion, dans l’hémicycle, tendu de rouge. Le lieu réel est bien plus petit que ne laissent croire les grands angles des caméras de télévision. Les sièges des députés et ministres sont étroits, sans doute peu confortables. Le fauteuil de la présidence sur le « perchoir » est aussi réputé fort peu douillet. Qu’importe, la démocratie exige quelques sacrifices que les élus sont aussi appelés à consentir.

Au-dessus de l’hémicycle une première mezzanine est réservée au public. Chacun peut s’inscrire pour assister aux sessions de son choix. Bien entendu, le nombre de places est limité. Encore au-dessus, une autre mezzanine est réservée à la presse.

Ce matin Robert Badinter est mort. Il n’a jamais siégé ici comme député, il ne fut que sénateur, mais, en levant la tête vers le pupitre de des orateurs le visiteur entend encore résonner le fameux discours de Badinter un jour de septembre 1981 :

Le débat qui est ouvert aujourd’hui devant vous est d’abord un débat de conscience et le choix auquel chacun d’entre vous procédera l’engagera personnellement. (…)

La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà de sa puissance, par l’éclat des idées, des causes, de la générosité qui l’ont emporté aux moments privilégiés de son histoire. (…)

Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.

À cet instant plus qu’à aucun autre, j’ai le sentiment d’assumer mon ministère, au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, c’est-à-dire au sens de ‘service’. Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort. Législateurs français, de tout mon cœur, je vous en remercie.

Mais on se dit aussi que c’est dans cette salle que se déroulent si régulièrement des séances de pitreries et d’insultes déclenchées par des élus irresponsables, comme il s’en produit trop souvent, hélas ! En sortant à la nuit tombée, le visiteur chemine le long de l’hôtel de Lassay, magnifique bâtiment sur les bords de Seine servant aux réceptions de la présidence et où sont réunis les services dépendants d’elle. La présidente y dispose d’un appartement de fonction mais Mme. Braun-Pivet n’y réside pas en permanence, rejoignant sa famille dans son domicile des Yvelines, sauf en cas de session parlementaire nocturne.

Vive la République !