Alors que le Sénégal rend hommage aux « tirailleurs sénégalais » dont certains d’entre eux furent massacrés il y a 80 ans à Thiaroye près de Dakar par les troupes coloniales françaises alors qu’ils réclamaient le paiement de leurs arriérés de solde pour leur participation à la libération de l’Europe en 1945, un ministre sénégalais membre de l’actuel gouvernement a affirmé à la télévision locale que « « Les tirailleurs sont des traîtres qui se sont battus contre leurs frères, dans leur pays, pour de l’argent » (rapporté par Le Monde du 26/12/2024) en faisant référence à l’engagement des « tirailleurs », qui n’étaient d’ailleurs pas que sénégalais, dans la répression des révoltes en Afrique.
Cette déclaration a provoqué un peu d’émotion dans le pays, d’autant plus que le nouveau président Bassirou Diomaye Faye né en 1980, élu en cette année 2024, ne peut guère être accusé de vouloir faire perdurer la compromission avec l’ancienne puissance coloniale française à qui il vient de demander de se préparer à rapatrier ses troupes toujours présentes au Sénégal. Le gouvernement a dû contredire son ministre.
Cet incident est un classique du débat au sein des pays qui ont été occupés par d’autres. Les occupants ont forcément besoin de participations des occupés, à une échelle plus ou moins vaste, pour réussir leur besogne. Les occupants finissant généralement par s’en aller, plus ou moins piteusement, l’heure des règlements de compte est incontournable un jour ou l’autre. Ceux-ci sont plus ou moins violents, interviennent sur une période plus ou moins longue et la justice des pays libérés est plus ou moins présente dans le processus.
En France l’épuration sauvage débutée en 1944 contre les « collaborateurs » a vite été remplacée par des procès menés selon le droit. On estime à environ 10 000 le nombre d’exécutions extra-judiciaires juste après la fin de la guerre mais d’autres chiffres plus élevés ont aussi circulé. En Algérie la répression contre les Harkis, les troupes supplétives de l’armée coloniale française, après l’indépendance du pays en 1962 a été sauvage malgré les engagements des nouvelles autorités de n’en rien faire, il y aurait eu entre 50 et 150 000 morts. Au Vietnam après la guerre américaine et la réunification du Nord avec le Sud sous l’autorité du parti communiste, des camps de rééducation à régime très sévère ont été mis en place pour remettre les déviants dans le droit chemin. Les plus anciens se souviennent de la panique des populations du sud qui ont fait le siège des ambassades occidentales en 1975 pour être évacuées par hélicoptères depuis le toit de l’ambassade américaine vers des porte-avions stationnés au large. En Afghanistan après l’annonce du départ des troupes occidentales en 2021, un gigantesque pont aérien occidental a été mis en place avant la date fatidique pour évacuer du pays plus de 100 000 personnes en deux semaines, dont nombre d’Afghans « vulnérables ». Bien évidemment dans ce genre d’opérations d’évacuation d’urgence on évacue des gens honorables et d’autres… probablement beaucoup moins. Ceux qui n’ont pas pu partir et se sont compromis avec les troupes d’occupation ont eu des comptes à rendre avec le pouvoir religieux afghan qui a pris la suite.
Les « tirailleurs sénégalais » qui ont combattu avec les troupes coloniales françaises n’ont sans doute pas eu vraiment le choix, mais il y eut ceux qui se sont engagés et ceux qui ne se sont pas engagés. Nombre de pays mettent fin à ces drames via des lois d’amnistie, comme en France dès 1947. Mais le mieux est encore de ne pas envahir son voisin pour éviter les déboires post-occupation.
On n’ose imaginer ce qui se passera dans le Donbass lorsque la guerre en cours entre la Russie et l’Ukraine se terminera… L’Histoire risque fort de se répéter quel que soit le vainqueur.