Alors que la situation de l’Île de Mayotte dans l’archipel des Comores ne cesse de se dégrader, sans solution viable en vue autre que sa rétrocession aux Comores, le journal Le Monde nous informe que le ministre des affaires étrangères comoriens et son épouse bénéficient de la nationalité française. Cette dernière résiderait à La Réunion où le couple serait impliqué dans une fraude aux prestations sociales.
Evidemment cela ne manque pas de sel alors que ledit ministre était encore récemment à Paris au sein d’une délégation officielle comorienne dans le cadre des relations bilatérales entre les deux pays. Il apparaît que d’autres ministres comoriens de l’actuel gouvernement bénéficient également de la nationalité française. Alors que les Comores revendiquent légitimement le retour de Mayotte dans leur giron, on imagine le conflit d’intérêt existant lorsque lesdits ministres s’assoient au Quai d’Orsay devant leurs homologues français quand le site web du ministère français publie un extrait de son point de presse du 02/05/2023 :
Les mises en cause du ministère des Affaires étrangères n’ont pas lieu d’être. Il y a une seule position du gouvernement, tous ministères confondus : Mayotte est un territoire de la République française, par le choix des mahorais d’être et de demeurer français. Nous défendons ce choix dans les enceintes régionales et internationales, comme dans notre dialogue avec les Comores.
Au-delà de la situation judiciaire du ministre franco-comoriens et de sa femme résidant à La Réunion, finalement de peu d’intérêt, et alors que le débat fait rage en France sur l’immigration illégale comorienne à Mayotte, il est étonnant que personne sur les plateaux télévisés mondains n’ose aborder l’hypothèse d’une ouverture de négociations avec les Comores sur la rétrocession de Mayotte qui est demandée à la France par l’assemblée générale des Nations Unies. On imagine aisément le tonnerre de polémique qui serait déclenché par un tel débat mais au fond d’eux-mêmes, la majorité des débatteurs savent bien qu’il n’y a aucun espoir que les choses s’arrangent tant l’attrait de la richesse et de du système social de Mayotte aimante les Comoriens, dont même le ministre des affaires étrangères bénéficie des prestations…
La France se berce de l’illusion de sa puissance en détenant ce confetti qui lui octroie un domaine maritime dans le canal du Mozambique. Ce confetti de l’empire n’est qu’une source d’ennuis pour la métropole, une aberration juridique issue de la décolonisation du XXème siècle, à l’origine d’une montagne de frustrations : à Mayotte où les Français y résidant s’estiment oubliés par Paris et aux Comores où les autorités nationales s’estiment spoliés par l’ancienne puissance coloniale qui a conservé sous sa souveraineté une partie de l’archipel comoriens sur lequel elle n’avait aucun droit.
Pour la France qui a globalement échoué dans son processus de décolonisation, le syndrome post-colonial génère aujourd’hui toujours de sérieux effets négatifs, en Algérie, au Mali, aux Comores…
Campillo a réalisé en 2017 le film-choc : 120 Battements par minute, sur le combat mené par l’association Act-up pour la reconnaissance de la maladie du Sida et l’accélération de la recherche en vue de traitements efficaces. Avec LÎle rouge il présente un film plus intimiste sur les années 1970 dans une base militaire française à Madagascar dix années après l’indépendance de l’île, ex-colonie française.
La petite communauté militaire française mêle des acteurs de la période coloniale française : pieds noirs, anciens des guerres d’Indochine ou d’Algérie, ils ont tourné dans les différentes bases militaires que la Paris a conservé sur les territoires décolonisés. Ils ne sont pas foncièrement mauvais mais n’ont pas encore complètement tourné la page d’une puissance française passée. Ceux qui ont connu l’expatriation en Afrique reconnaîtront dans ce film les petites choses qui émaillèrent leur vie protégée sous les tropiques : les boys, les amours à la dérive, les coups d’Etat locaux et les uniformes français ! Un film dispensable mais agréable.
L’exposition Vermeer au Rijksmuseum d’Amsterdam était à peine en train de se terminer au printemps 2023 qu’un film sur l’exposition était diffusé dans les salles. Les tableaux présentés sont magnifiquement filmés, vues d’ensemble comme gros plans sur les détails. Les commentaires et explications des spécialistes du peintre néerlandais du XVIIème siècle (1632-1675) et des commissaires de la rétrospective éclairent intelligemment le spectateur.
On se laisse aller à plonger dans cette superbe transcription d’une époque passée des Pays-Bas et de ses habitants. Vermeer fut le peintre d’une quarantaine d’œuvres, seulement, mais chacune d’elle est éclairée d’une lumière qu’il sait rendre de façon magique et sophistiquée donnant une apparence très caractéristique à ses couleurs. Voir la peinture au cinéma est une bonne idée, d’ailleurs le petit cinéma de quartier où le film était présenté en matinée ce dimanche était complet.
1983, New York, la Factory d’Andy Warhol (1928-1987) a déménagé, le Velvet Underground a raccroché des guitares depuis longtemps, Basquiat (1960-1988) a transformé la culture populaire du graffiti mural en une explosion de peinture magistrale, il rencontre enfin Warhol qui l’a toujours profondément inspiré. Une génération les sépare et ils décident de travailler ensemble sur des toiles gigantesques. Ils en produiront 160. Les locaux de la Factory, vides, sont encore disponibles et servent d’atelier à la mesure des ambitions de nos deux compères qui partageait les services du même marchand d’art. La fondation Louis Vuitton expose le résultat de ce travail dans onze salles déployées sur trois étages.
Leur méthode est détaillée : Andy démarrait la toile en y inscrivant un élément d’actualité ou une marque commerciale, sérigraphiée ou peinte (ce travail à quatre mains l’a fait revenir à la peinture), sur laquelle intervenait ensuite Basquiat avec, généralement, ses thèmes favoris : ses origines africaines (haïtiennes en fait) illustrées par des masques d’homme noir, des mots raturés, des nombres, des prix en $, des instruments de musique… Les premières toiles exposées sont également cosignées par le peintre italien Francesco Clemente, acteur de cette période new-yorkaise débridée et créative.
Les conceptions du monde l’art des deux artistes s’affrontent, Warhol sans doute plus impliqué dans le business joue avec les marques quand Basquiat les conteste. Ils dialoguent et se répondent par pinceaux et couleurs interposés. Ils se portraiturent l’un-l’autre, l’un avec l’autre, jouant avec les symboles qu’ils ont contribué à créer. Warhol est décliné à plusieurs reprise mêlé à la fameuse banane dessinée pour la couverture du premier album du Velvel Underground. On se croirait dans un article du Village Voice.
Les toiles à deux sont immenses, à la fois infantiles et complexes, aux couleurs vives. A première vue elles ressemblent à du Basquiat tant son dessin est caractéristique mais l’intervention de Warhol, généralement plus discrète, est aussi notable. Il faut se perdre dans les détails quand le regard veut prendre du recul, fasciné par l’ensemble coloré éclatant. Les deux artistes ont fait preuve d’une incroyable productivité et une exposition sera montée à New York en 1985 avec une (petite) partie de ces créations et dont l’affiche est celle des deux boxeurs, reprise par la fondation Louis Vuitton près de quarante années plus tard. Ces tableaux réjouissent le visiteur tant ils sont représentatifs du foisonnement de l’art à New York à cette époque, sous toutes ses formes. Ce fut une véritable explosion de créativité dans laquelle ces deux là ont pris une place de choix.
La mort inattendue de Warhol en 1987 surprend et peine son premier admirateur qui a su s’émanciper du maître avec beaucoup de talent. Il produit une installation en sa mémoire : « Gravestone », une porte beigne sur laquelle est incrit deux fois la mention « Perishable », entourée de chaque côté de deux petits panneaux joints à la porte par des charnières, une croix et une fleur sur celui de gauche, un masque africain sur celui de droite. Hélas, Basquiat lui succédera dans l’au-delà un an plus tard. Il reste leurs œuvres, sublimes !
La fin de l’exposition revient justement sur l’atmosphère de ces années 1980 avec moulte photos où l’on reconnait, outre Warhol et Basquiat, les acteurs de la scène artistique du downtown new-yorkais de ce temps : Keith Haring, David Hockney, William Burroughs, Timothy Leary, mais aussi Brian Ferry, Madonna, Grace Jones, Nick Rhodes et Simon Le Bon (du groupe Duran Duran), Julian Schnabel… On se croirait dans un article du Village Voice.
Une dernière vidéo montre les deux artistes, émouvants, Basquiat aux cheveux courts lui donnant un air adolescent, Warhol, énigmatique et souverain, posant des questions absurdes à son « élève qui l’a dépassé [en $] » et qui y répond dans de grands éclats de rire.
Arthur London (1915-1986) fut un militant et homme politique tchécoslovaque qui connut le parcours classique des engagés communistes de l’époque et fut victime du « procès de Prague » en 1952. Il signe des aveux de « conspiration contre l’Etat » arrachés sous la torture. Condamné à la prison à perpétuité il sauve sa tête, ce qui ne fut pas le cas de onze de ses treize co-accusés qui furent exécutés. Il est réhabilité et libéré en 1956. Il s’exile alors en France avec sa famille, sa femme étant une communiste française.
Dans « L’Aveu » London revient sur l’incroyable mécanisme des purges communistes du XXème siècle consistant à broyer les militants que l’on veut éliminer sur la base de leurs propres aveux, extorqués par les pires méthodes et reposant, dans la majorité des cas sur une reconnaissance de « culpabilité » totalement fictive. Inspiré des purges staliniennes des années 1930, le procès de Prague permit au président Gottwald de se débarrasser de ses principaux opposants avec l’aide idéologique de conseillers soviétiques.
London s’engage dans le communisme dès son adolescence et est d’ailleurs emprisonné dans les années 1930 par le régime libéral en place à l’époque car il a participé à la création du parti communiste tchécoslovaque. Entré dans la clandestinité il rejoint Moscou (le pays du bonheur communiste, de « l’homme nouveau » et de « l’avenir radieux »), participe à la guerre d’Espagne dans les brigades internationales, entre dans la résistance en France durant la deuxième guerre mondiale, est déporté à Mauthausen (il est de confession juive), revient en Tchécoslovaquie après la guerre où il est nommé vice-ministre des affaires étrangères avant d’être « purgé » par le régime en 1952 puis réhabilité en 1956. Les autres accusés furent également réhabilités, mais un peu tard pour onze d’entre eux qui avaient été exécutés par le régime.
La description du régime judiciaire et carcéral en vigueur contre les « traîtres à la patrie » est édifiante. L’obsession développée par les « référents » pour obtenir des « aveux » des accusés est terrifiante et se traduit par des mois, parfois des années, d’interrogatoires, d’auto-accusations, de trahisons, de procès-verbaux pour arriver à la version qui correspond au désir du parti. Le plus souvent, épuisés moralement et physiquement, les accusés cèdent et finissent par signer n’importe quoi pour mettre fin à leur calvaire. La seule différence entre eux réside dans le temps qu’ils mettront avant d’abdiquer de la vérité.
Mais le plus monstrueux dans tout le processus est l’espèce de « foi communiste » qui ne s’éteint jamais, même au pire des accusations mensongères. Arthur London lui-même continue à annôner que si le parti, « qui ne peut pas se tromper », le soupçonne de complot contre l’Etat c’est qu’il doit bien être coupable de trahison, même s’il ne s’en aperçoit pas. Sa femme française, fille de communistes, elle-même communiste pure et dure écrit à son mari (dans une lettre qui ne lui sera communiquée qu’après ses « aveux ») :
J’avais une telle confiance en toi, mon Gérard. Est-il possible que tu en étais indigne ? Je t’aime Gérard, mais tu sais qu’avant tout je suis communiste. Malgré mon immense douleur, je saurai t’arracher de mon cœur si j’ai la certitude de ton indignité.
En t’écrivant ces mots, je pleure comme une Madeleine, nul mieux que toi ne sait combien je t’ai aimé, combien je t’aime. Mais je ne puis vivre qu’en accord avec ma conscience. »
Comme London fut condamné par la justice du parti, il était donc coupable aux yeux de son épouse qui demanda le divorce avant d’annuler sa demande après la réhabilitation de son mari par le parti. Le parti ne peut pas se « tromper » ! C’est sans doute la plus grande réussite du monde communiste au XXème siècle : avoir réussi le plus étrange et pernicieux lavage de cerveaux de toute l’histoire de l’humanité. « L’aveu » en est un des innombrables récits et fut mis en image par Costa-Gavras. Yves Montand et Simone Signoret y jouaient le couple London, ce qui ne manque pas d’ironie quand ont sait que les deux acteurs furent également victime de l’illusion du communisme avant de revenir sur leur engagement.
Les Etats-Unis d’Amérique sont déjà rentrés dans la campagne électorale pour les présidentielles qui se dérouleront en novembre 2024. Les deux grand candidats déclarés, Joe Biden (né en 11/1942) et Donald Trump (né en 06/1946) présentent une moyenne d’âge de à 78 ans aujourd’hui, qui sera donc de 80 au jour de l’élection. Certes ce sont donc des hommes « d’expérience » mais on ce n’est quand même pas vraiment une bonne nouvelle de voir la première puissance mondiale, si fort et si créative, se donner à la gérontologie, telle le Kremlin dans les années Brejnev !
Comment peut-il se faire que ce pays ne soit pas en mesure de renouveler son élite politique au point de s’apprêter à élire un nonagénaire ? Soit les partis politiques ont pris soin de tout verrouiller pour empêcher tout intrus dans le fromage, soit il n’y a plus de volontaires, soit sans doute un peu des deux. Alors que les Etats-Unis ont su faire émerger un Bill Clinton (président de 1993 à 2001) ou un Barak Obama (président de 2009 à 2017), l’un et l’autre assez peu connus à l’époque de leur élection, l’élection de 2024 devrait se jouer entre deux vieilles carnes sur le retour. Pas sûr que ce soit un message très convaincant à envoyer à tous les pays et leurs dirigeants qui veulent mettre à bas la démocratie !
Roger Waters, 79 ans, bassiste cofondateur des Pink Floyd en 1965, fait parler de lui non seulement par des interventions politiques pas toujours très consensuelles, irriguées par un antimilitarisme et un antiimpérialisme (essentiellement dirigé contre les Etats-Unis) sur lesquels il s’est construit, et finalement de peu d’intérêt, mais, surtout par une tournée mondiale qui est passée ce soir à Paris. Sur le billet émis pour le concert il est écrit : « Roger Waters – his first farewell tour – this is not a drill ». Voilà qui semble laisser entendre que l’histoire n’est peut-être pas encore terminée. Si Dieu lui prête vie, nous devrions le revoir en concert !
Le Pink Floyd fut l’un des groupes phare des années 1970-1980, toujours présent sur la scène rock ensuite, au hasard des brouilles entre ses membres et des reformations, jusque dans les années 2000. Waters en est devenu le meneur après le retrait de Syd Barett, en indigestion de LSD, place qu’il se disputât avec l’immense guitariste David Gilmour avant de définitivement abandonner le groupe au mitan des années 1980.
La setlist de la tournée actuelle est surtout composée de morceaux des Pink Floyd. Lorsque les portes de Bercy s’ouvrent, les spectateurs découvrent une immense croix posée au sol au centre du palais et dont les quatre côtés de 3 ou 4 mètres de hauteur séparent la scène en quatre quarts, les huit côtés se transformant en huit gigantesques écrans.
Lorsque les lumières s’éteignent démarre une version lente et sombre de Comfortably Numb pendant que les écrans diffusent des images vues de ciel d’une ville vide et dévastée, comme anéantie après un conflit nucléaire. Avec ces vues en vert de gris qui défilent lentement sur fond de bitume, de béton et de buildings, on se croirait dans un roman de Cormac McCarthy… Cette chanson est extraite du grand œuvre floydien de Waters : The Wall, et lorsque retentit le Hello répercuté à l’infini par la réverbération, les sexagénaires se retrouvent projetés d’un coup dans leur jeunesse, en 1979 année de sortie du double-vinyle qui donna lieu aussi à un film d’animation de légende signé par Alan Parker. Le thème de ce concept-album est celui de l’isolement qui mène à la folie…
Hello? (Hello, hello, hello) Is there anybody in there? Just nod if you can hear me Is there anyone home?
Come on (Come on, come on), now I hear you’re feeling down Well, I can ease your pain And get you on your feet again
Relax (Relax, relax, relax) I’ll need some information first Just the basic facts Can you show me where it hurts?
A la fin de cette introduction sur le chant majestueux d’une des choristes, la croix se soulève, et restera fixée au-dessus de la scène pour le reste du show, servant d’écrans de projection pour illustrer les morceaux et les messages de Waters.
Roger Waters est habillé en jeans et t-shirt noirs, échangeant les instruments et les places sur la scène centrale au fur et à mesure de la progression du concert. Les morceaux défilent nous rappelant les albums des Pink Floyd dont cette musique psychédélique, souvent planante, a bercé les années 1960-1970 et dont des millions d’exemplaires ont été vendus à travers le monde : Another brick in the wall, Wish you were here, Shine on you crazy diamond, Money, Us and them… L’assistance se laisse aller gentiment sur ces mélodies du bonheur, même si les textes ne fleurent pas toujours une franche joie de vivre. Mais quelle créativité de ces musiciens, quelle somptuosité de cette musique !
Quelques chansons en propre de Waters s’insinuent dans les interstices, elles sont moins connues.
Sur In the flesh, Waters apparaît en manteau de cuir noir, costumé en dictateur avec un brassard rouge aux relents nazis, reprenant le personnage du film de Parker pendant que sont diffusés des slogans antifascistes, anti-impérialistes et anti-oppressions en tous genres. Les noms de quelques martyrs récents se succèdent en rouge sur les écrans, Anne Franck y croise… Adama Traoré qui déclenche un hourvari du public français. Entre les chansons il reprend son souffle en déclinant des discours politiques un peu simplistes mais sans doute sincères. Il réussit même à déclencher des « Macron démission » qui s’éteindront assez vite au milieu des spectateurs qui ont tout de même payé leurs billets en 100 et 150 euros. Aucun président américain ne passe la rampe et ils se font copieusement abominer par l’artiste. Le nom de Trump est même apposé sur le flanc d’un cochon volant qui parcourt l’espace en mémoire de celui volant entre les cheminées d’usine sur la couverture de Animals (1977) dont Sheep est joué ce soir en fin de première partie. Sur l’autre flanc du cochon-drone est inscrit un rageur « Fuck the poor ». C’est du deuxième degré bien sûr.
Les projections suivent le rythme des morceaux. D’une qualité technique remarquable elles présentent toute la misère de la planète : des bombardements en Palestine, des drones de combat en Irak, la famine dans des camps de réfugiés, des images d’enfants désespérés… le tout agrémenté de slogans politiques en immenses lettres rouges. C’est la dévastation du monde transposée en format numérique. Impressionant !
Sur Shine on you les écrans racontent son amitié avec Syd Barrett avant qu’il ne sombre dans la maladie et quitte le groupe n’étant plus en mesure d’y jouer son rôle. La chanson est un hommage à Syd, tous deux ont lancé l’une des plus formidables expériences musicales du XXème siècle, alliant psychédélisme et surréalisme sur fond d’une extraordinaire musique progressive rarement entendue à l’époque, ni depuis d’ailleurs. La folie et l’aliénation qui ont atteint Barrett ont aussi profondément marqué Waters qui en fera deux des thèmes particuliers de son œuvre inspirée.
Remember when you were young You shone like the Sun Shine on, you crazy diamond
Now there’s a look in your eyes Like black holes in the sky Shine on, you crazy diamond
Les Pink Floyd ont aussi lancé le principe des concerts gigantesques avec des installations techniques innovantes à une époque où ce n’était pas si courant (écrans géants, rayons laser…) et auxquels se prêtaient si bien leur musique et leurs excès. Waters en perpétue la tradition ce soir avec l’apport de la technologie moderne et, sans doute, de gros moyens. C’est un spectacle complet mené de main de maître par une équipe de musiciens hors pair. Mention spéciale pour le guitariste David Kilminster, chevelu en perfecto noir, qui jouait déjà sur la précédente tournée du Maître, on peut dire qu’il se défend remarquablement bien. Un autre guitariste chevelu, à la voix plus douce, assure le chant réservé à Gilmour sur les disques. Remarqués aussi, deux merveilleuses choristes et un saxophoniste envoutant.
Pour le final The bar et Outside the wall, tous les musiciens se rassemblent autour du piano sur lequel joue Roger avant de partager un verre de mescal à la santé de cette exceptionnelle soirée musicale. Les musiciens sortent à la queue-leu-leu et leur tête est filmée sur les écrans avec, inscrits en sous-titre, leurs noms et instruments utilisés.
Le concert a duré un bon 2h30, ce soir le musicien Roger Waters a été sublime et a su faire vivre cette musique exceptionnelle qu’il a contribué à créer il y a plusieurs décennies.
Denis Podalydès, acteur, metteur-en-scène, scénariste et écrivain, évoque sa vie et ceux qui lui sont chers à travers leurs voix. Evidemment, pour un homme de théâtre, cet organe majeur est une voie d’entrée originale pour analyser son environnement.
Les voix de ses grands anciens sont passées en revue : Charles Denner, Michel Bouquet, Gérard Philippe, André Dussolier, mais aussi Pierre Mendès-France ou Léon Zitrone. Chaque paragraphe consacré à l’un d’eux décrit la texture de sa voix et le rapport qu’eut Podalydès à son propriétaire.
Mais il y a surtout les voix de ses proches, sa famille, ses amis, par lesquelles on apprend l’histoire algérienne « pieds-noirs » de ses grands-parents et de son père, le suicide de son frère, les premiers émois de son adolescente « empotée » et le quotidien d’une famille bourgeoise et cultivée dans la France des années 1960-1970.
En conclusion de nombre de chapitres est inscrit : « Voix de mes frères » marquant l’importance de cette fratrie, avec ses drames et ses bienfaits, dans l’âme de Denis.
Edouard Manet (1832-1883) et Edgar Degas (1834-1917) ont marqué la peinture de la fin du XIXème siècle. Ce que l’on ne savait pas forcément est qu’ils furent amis, ont subi des influences communes et porté un regard croisé sur le monde d’alors. Le musée d’Orsay (sur-fréquenté en ce jeudi de l’ascension) expose les deux peintres en une succession de tableaux : portraits variés de familles (les leurs ou celle de Berthe Morisot), amis et donneurs d’ordre, autoportraits, scènes de bistrot, de salles-de-bain, de champs de course… On apprend que les deux peintres se sont fâchés et réconciliés, menant de concert une rivalité artistique très féconde.
Degas le solitaire s’est consacré sur des atmosphères un peu diffuses et brumeuses quand Manet, plus mondain et ouvert sur le monde marque les contours de ses peintures de façon plus nette et précise. Tous deux ont été marqués par la guerre contre les Prussiens en 1870 et la commune qui s’en suivie. Des dessins rendent la violence de cette période. Le dernier tableau montré est de Manet qui reprend l’exécution de l’empereur Maximilien au Mexique par les rebelles républicains en 1867 après avoir été lâché par la France de Napoléon III.
Toute une époque… et une époque qui fait des émules si l’on en juge par le nombre de téléphones mobiles qui défilent devant les tableaux avec des visiteurs derrière prenant des photos !
Un film délicieux, premier long métrage de la réalisatrice espagnole Andrea Bagney sur l’histoire intimiste d’une apprenti-actrice (Lourdes Hernandez) ballotée entre son fiancé et le réalisateur du film dans lequel elle tourne. L’actrice, la vraie, est une chanteuse folk connue en Espagne sous le nom de Russian Red (du nom du rouge-à-lèvres qu’elle utilise) avec quatre albums à son actif depuis 2008 et des tournées internationales.
Elle fait parfaitement l’affaire dans le rôle de la femme amoureuse et versatile qui hésite à choisir l’homme de sa vie et n’arrive pas à cacher à son financé-cuisinier qu’elle éprouve un coup de cœur pour un potentiel fiancé-réalisateur… Le film est en noir-et-blanc, tourne autour des trois personnages et de la réalisation du film dans le film. Lourdes est désarmante de fraîcheur et d’indécision. C’est la comédie de l’amour dans notre vie de tous les jours. Un très joli moment.
Robert Antelme (1917-1990) est un écrivain entré dans la résistance durant la seconde guerre mondiale. Arrêté en juin 1944, il est déporté à Buchenwald puis transféré dans une « annexe » du camp à Gandersheim où se situait une usine dans laquelle travaillaient et étaient détenus des déportés affectés là pour travailler. Très vite après son retour en France, Antelme écrit et publie cet ouvrage qui prend immédiatement une place marquante dans la littérature de la barbarie.
Il décrit longuement de façon clinique l’état de dégradation extrême dans laquelle les déportés sombrent, non seulement physiquement du fait des mauvais traitements, mais aussi moralement face à la stratégie de déshumanisation appliquée par les geôliers (les Allemands) et leurs affidés : les kapos (de différentes nationalités), également détenus, souvent comme « droit commun » et à qui les Allemands délèguent les basses tâches qu’ils appliquent à l’encontre des prisonniers avec parfois encore plus de sauvagerie que leurs maîtres. Les kapos récoltent quelques avantages de leur compromission, notamment en étant moins mal nourris. Et l’on voit des égos prospérer sur la misère, les comptes se régler entre victimes du même système concentrationnaire, des égoïsmes se heurter violemment, des classes de prisonniers se créer. Dans la lutte pour la survie il n’est pas facile de rester noble.
Antelme insiste douloureusement sur l’état de famine dans lequel étaient laissés les déportés, sans doute de façon calculée pour diminuer les risques de révolte. Il décrit sa propre déchéance jusqu’à mendier des épluchures ou voler des pommes pourries lorsque la faim était par trop intolérable.
Ils avaient l’estomac vide, et, à défaut d’autre chose, la haine occupait ce vide. Il n’y avait que la haine et l’injure qui pouvaient distraire de la faim. On mettait à en découvrir le sujet autant d’acharnement qu’à chercher un morceau de patate dans les épluchures. Nous étions possédés.
Dans l’usine aéronautique dans laquelle ils travaillent, les prisonniers sont encadrés par des civils dont la majorité est plutôt pronazie et appliquent leurs méthodes. Parfois une heureuse surprise émerge avec la complicité entre les prisonniers et un civil allemand, ce qui ne permet pas d’arrêter la machine indusrielle de guerre mais fait briller un petit coin de ciel bleu sur l’horizon tragique des déportés.
Début 1945 les rumeurs du camp annoncent la fin de la guerre et, bientôt, le bruit de la canonnade de la ligne de front se rapproche de Buchenwald. Un bruit et une agitation qui réjouissent la majorité des déportés. Mais la libération n’est pas encore pour tout de suite. Les responsables du camp de Gandersheim l’évacuent avec les déportés encore valides, les éclopés sont assassinés dans le bois d’à côté par les SS et leurs kapos avant le départ. Ceux qui n’arriveront pas à suivre au cours du chemin le seront plus tard. La cohorte va marcher 15 jours pour rejoindre le camp de Dachau, traversant des villages allemands dans lesquels de bonnes familles bien nourries regardent, hallucinées, passer ces zombies en costumes rayés tout en commençant à réaliser que la guerre est en train d’être perdue. Ce voyage dantesque se termine en train d’où les déportés sont débarqués à Dachau. Le 29 avril 1945 les soldats alliés libèrent le camp, y entrent et découvrent l’indicible.
Le grand intérêt de l’écriture d’Antelme est qu’elle décrit de l’intérieur le processus de délabrement humain qui est infligé aux déportés tout autant que sur les sévices physiques qu’ils subirent sous le joug allemand. Il est difficile de comparer les deux traumatismes, beaucoup sont morts du second, tous ont été dévastés par le premier pour le restant de leurs jours. Il y a ceux qui ont choisi le silence pour survivre, et certains qui ont décidé de parler, voir d’écrire, pour transmettre : Robert Antelme, Charlotte Delbo, Primo Levi… Ils ont fait œuvre utile pour expliquer que la barbarie peut survenir même au cœur des civilisations les plus hautes. Ces ouvrages sont des appels à la vigilance et les évènements en cours dans la guerre d’Ukraine montrent une nouvelle fois combien ils sont nécessaires.
Le livre est dédié à sa sœur Marie-Louise, déportée elle aussi mais décédée après la libération du camp de Ravensbrück.
Antelme fut par ailleurs marié avec Marguerite Duras de 1939 à 1947. Dans un livre bouleversant, La Douleur, elle raconte le retour de son mari en 1945 et les soins moraux et physiques qu’elle lui prodigua pour tenter de le faire revenir à la vie d’avant les camps… On y apprend aussi l’énergie du désespoir qu’elle déploya pour faire libérer Robert qui était consigné dans le camp libéré mais en quarantaine pour cause d’épidémie de typhus. Il fut « enlevé » par des camarades français rendus sur place avec cette mission et ramené chez son épouse.
On ne dit plus « influenceuse » mais « créatrice de contenu » !
Sur le fond rien n’a changé, on parle toujours de nunuches à gros seins assurant la promotion de marques de vernis à ongles histoire de vendre à des gogos des produits dont ils n’ont pas besoin.
Bruce Springsteen et les 17 musiciens du E-Street Band ont asséné un coup de massue aux 40 000 spectateurs de la Défense Arena ce soir pour le deuxième concert parisien de leur tournée mondiale. La dernière fois que ce groupe de légende et son leader de fer étaient passés par Paris remonte à 2016. A 73 ans, Bruce ne lâche pas l’affaire, continue à sortir des disques (en solo ou avec le E-Street Band), à faire des tournées internationales et, surtout, à déclencher le même déchaînement d’affectueuse reconnaissance de ses fans à travers le monde entier.
Ce soir n’a pas dérogé à la règle maintenant bien établie depuis le début des années 1970, les débuts du groupe et la sortie son premier album : Greetings from Asbury Park, N. J.. Seule la taille des salles les accueillant et la composition de la bande a évolué vers le toujours plus grand.
Après le décès de deux membres fondateurs, Clarence Clemons, saxophoniste, en 2011 et Danny Frederici, claviériste, en 2008, tous amis très proches de Bruce, le groupe a été étoffé d’une section cuivre, dont Jack Clemons, neveu de Clarence, au saxophone et de choristes. Ce soir c’était 17 musiciens qui œuvraient sur scène pour encadrer Bruce et cela fait tout de même beaucoup de monde.
« One-Two-Three-Four »
Les lumières s’éteignent à 19h15 pour laisser entrer les musiciens qui montent, un par un, un escalier violemment éclairé pour atteindre la scène gigantesque, les images retransmises sur trois vastes écrans, déclenchant un hourvari grandissant des spectateurs, Springsteen arrivant le dernier dans un tonnerre d’acclamations. Ne perdant pas trop de temps à cultiver les applaudissement, Bruce n’a jamais le temps, il démarre le show sur My Love Will Not Let You Down et ne l’arrêtera que 3 heures plus tard, sans un instant de respiration, les notes finales d’un morceau devenant celles lançant la chanson suivante, lancée par les classiques « One, Two, Three, Four ». My Love est une chanson datant des années 1980 jouée plutôt rarement sur scène ; une excellente façon de démarrer cette soirée dont la setlist réservera d’autres surprises. Il enchaîne ensuite sur Death to My Hometown le single de Wrecking Ball sorti en 2012, reconnaissable à sa rythmique celtique jouée avec ardeur par les cuivres.
Sur No Surrender Steve arbore une guitare décorée aux couleurs bleu et jaune du drapeau ukrainien :
Blood brothers in the stormy night with a vow to defend No retreat, baby, no surrender
There’s a war outside still raging You say it ain’t ours anymore to win I want to sleep beneath peaceful skies In my lover’s bed With a wide open country in my eyes And these romantic dreams in my head
Because we made a promise we swore we’d always remember No retreat, baby, no surrender Like brothers in the stormy night with a vow to defend No retreat, baby, no surrender No retreat, baby, no surrender
Régulièrement Bruce hurle « Come on Steve » et son vieux compère vient reprendre les refrains au même micro, à l’octave au-dessus, d’une voix un peu nasillarde, la tête toujours couverte d’un foulard-bandana, les oreilles décorées de plumes accrochées à des boucles, portant d’improbables costumes moitié-pirate, moitié-pacha ottoman, des bottes effilées à bouts (très) pointus et aux reflets argentés, ses guitares décorées de motifs cachemire plutôt originaux. Steve Van Zandt, le vieux pote du New Jersey, qui a déserté le E-Street Band quelques mois avant d’y redevenir le pilier qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.
Le sombre Darkness on the Edge of Town vient calmer quelque peu l’ouragan qui fait rage dans l’Arena, extrait du disque du même nom, sorti en 1978, sans doute le meilleur de tous, dont est extrait également l’inégalable Badlands qui clôture le premier set du show.
Il y en a pour tous les goûts
Deux reprises (les Comodores [où a chanté Lionel Richie] et The Weavers [fondés par Pete Seeger]) donnent lieu, peut-être, à quelques longueurs durant lesquelles les cuivres sont en démonstration. Evidemment les vieux fans préfèrent la formation initiale du E-Street Band dans laquelle seul Clarence Clemons assurait les cuivres avec son sax, et il n’y avait pas de choristes. Aujourd’hui le groupe tourne parfois un peu au brass band de la Nouvelle Orléans s’éloigant de l’esprit rock d’origine. Tous ces musiciens ajoutés ne sont pas présents sur la scène pour tous les morceaux. Il y en a ainsi pour tous les goûts. C’est aussi bien.
Last Man Standing est jouée par Bruce seul à la guitare acoustique avec seulement un déchirant solo de trompette au milieu. Springsteen explique en introduction (traduite en français sur les écrans) qu’il a écrit cette chanson après la mort de son ami George Theiss : « En 1965 il m’a fait intégrer mon premier groupe de Rock & Roll, The Castiles. Il sortait avec ma sœur et c’est très bien ainsi. Il a transformé ma vie pour toujours et maintenant je suis le dernier survivant de ce groupe. La mort offre aux survivants une vision élargie de la vie elle-même. Cela m’a permis de saisir à quel point il est important de vivre chaque instant. Alors soyez bons avec vous-mêmes, avec ceux que vous aimez et envers ce monde dans lequel nous vivons. »
Born to Run
Lorsque Springsteen entame une chanson au micro, il se débarrasse de sa guitare en la balançant à un roady en fond de scène dix mètres plus loin. Dans la brulante urgence qui saisit le concert, il n’a pas le temps de la déposer sur un support, les musiciens ont déjà lancé l’intro. Bruce n’a jamais le temps, « Born to run » est la devise ! Ce soir en tout cas le roady a réceptionné les guitares sans casse à chaque envoi…
L’indestructible Roy Bittan, le seul non vêtu de noir mais d’une veste en cuir marron, entame l’intro de Because the Night, une ode à l’amour et à la jeunesse, coécrite en 1978 par Bruce et Patti Smith. Le pianiste virtuose apporte une touche particulière à l’atmosphère musicale du groupe. Il est plutôt rare de voir un piano à queue sur une scène rock mais en martelant ses accords sur les touches de son piano il enrichit l’électricité des guitares. Un cocktail parfait. Nils Lofgrens effectue un magnifique et original solo sur ce morceau. Il joue avec un onglet au pouce droit ce qui donne une allure particulière à son jeu de main. De petite taille il ressemble un peu au fou du roi : chapeau rond en cuir noir, tunique noire décorée de motifs blancs dans le bas, des morceaux de tissus sont accrochés au manche de sa guitare et volètent au fur et à mesure du jeu.
La première partie se termine sur un Badlands enfiévré repris en chœur par des gamines de 17 ans pour un morceau écrit 40 ans avant leur naissance…
Badlands, you gotta live it everyday Let the broken hearts stand As the price you’ve gotta pay We’ll keep pushin’ till it’s understood And these badlands start treating us good
Un diabolique enchaînement
Les dix-huit musiciens se réunissent sur le devant de la scène pour saluer, ne prennent même pas la peine de réintégrer les coulisses et repartent d’un seul homme sur leurs instruments pour les rappels avec un diabolique enchaînement de Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark. L’audience hurle, saute, trépigne, chante, déborde de bonheur et l’arène de Nanterre rend les armes, estourbie et comblée.
Contrairement à l’habitude Bruce n’invite pas une spectatrice sur scène sur Dancing in the Dark, grosse déception dans les premiers rangs où manifestement toute une armada de jeunes filles se préparaient à ce quart d’heure de gloire dans les bras du « Boss ». De même, il ne propose pas à l’audience de demander des chansons particulières, généralement écrites sur un carton brandi devant la scène. Les cartons fleurissent mais sans succès.
Les dernières notes de Tenth Avenue Freeze-Out retentissent alors que les images-hommage de Clarence et Dany défilent sur les écrans. Bruce se tient ensuite en haut de l’escalier et salue chacun de ses musiciens qui le redescendent, fourbus, débordant de bonne humeur, manifestement heureux de cette nouvelle messe rock célébrée à Paris. Le dernier à passer est Jack Clemons qui échange une longue accolade avec le Boss. C’est le neveu de son ami Clarence qui a tant donné au E-Street Band. Sans doute une relation filiale qui perdure…
« The E-Sreet Band loves you Paris »
Et Springsteen revient sur scène avec sa guitare acoustique pour une émouvante interprétation de I’ll See You in My Dreams, précédé d’un « on vous aime Paris » ! Une chanson douce et mélancolique de 2020 sur l’ami qui est mort mais dont on a gardé les disques et la guitare et qu’on reverra dans nos rêves pour vivre et rire ensemble, encore, car « la mort n’est pas la fin ».
D’origine irlandaise par son père, italienne par sa mère, Bruce Springsteen a su capter comme aucun les humeurs et la vigueur de l’Amérique. Avec son incroyable et unique bande de copains-musiciens il délivre la puissance dont son pays est capable, avec ses mots simples il illustre la sensibilité des histoires de tout le monde. Sa voix rocailleuse soulève les âmes et les foules. Lorsqu’il chante les veines de son front se gonflent sous la tension, les jugulaires strient le cou, les rides sur ses joues s’étirent, ses yeux se plissent de joie et, le plus souvent, un rire éclatant illumine son visage rayonnant.
Une légende vivante
Alors bien sûr, à 73 ans les thèmes abordés tournent un peu à la mélancolie, mais qu’il parle d’histoires d’amour adolescentes, de vétérans de la guerre du Vietnam, des usines qui ferment, des Twin-Towers qui s’effondrent, des amis qui disparaissent, il le fait avec le feu et la tendresse qui lui valent le respect de tous, depuis plus de 50 ans.
On ne sait pas bien quand Springsteen raccrochera ses guitares, sans doute jamais, ce genre d’artistes meure sur scène même si on lui, et nous, souhaite encore de nombreuses années de musique. Mais quand on se retourne sur sa carrière, l’œuvre immortelle déjà laissée laisse pantois. Quand on l’entend asséner Born to Run avec la même énergie qu’il y a 50 ans : chapeau bas ! Et puis l’homme inspire aussi tellement de sympathie comme l’illustrent sa flamboyante autobiographie en 2016 « Born to Run », ses engagements politiques, sa prestation avec Pete Seeger pour chanter This Land is your Landsous la statue de Lincoln à Washington pour la première investiture du président Obama…
Bruce Springsteen, une légende américaine !
Setlist
My Love Will Not Let You Down/ Death to My Hometown/ No Surrender/ Ghosts/ Prove It All Night/ Darkness on the Edge of Town/ Letter to You/ The Promised Land/ Out in the Street/ Kitty’s Back/ Nightshift (Commodores cover)/ Mary’s Place/ Pay Me My Money Down (The Weavers cover)/ The E Street Shuffle/ Last Man Standing (acoustic, with Barry Danielian on trumpet)/ Backstreets/ Because the Night (Patti Smith Group cover)/ She’s the One/ Wrecking Ball/ The Rising/ Badlands
Encore : Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark (followed by band introductions)/ Tenth Avenue Freeze-Out (pictures of Danny Federici… more)/ I’ll See You in My Dreams (solo acoustic)
1 guitariste (Nils Lofgrens qui joue aussi dans le groupe de Neil Young Crazy Horse, presque désormais devenu « historique »), 1 clavier (Charles Giordano), 1 violoniste/guitariste/choriste (Soozie Tyrell), 1 percussionniste, 5 cuivres (dont Jack Clemons devenu le clone instrumental de son père et avec un vague air de Laurent Voulzy en plus costaud), 4 choristes.
Patti Scialfa, Mme. Springsteen à la ville, choriste/guitariste, souvent présente sur les tournées n’est pas là ce soir.
C’est la partie havraise de l’exposition sur l’esclavage partagée entre les villes de Rouen, Honfleur et Le Havre. La traite des esclaves a considérablement enrichi les armateurs normands et toute la région, comme ce fut le cas pour les autres ports « négriers » de Nantes, La Rochelle et Bordeaux. Le Havre revient sur cette histoire trouble dans l’hôtel Dubocage de Bléville, du nom du navigateur-explorateur havrais (1676-1727) qui y installe une grande maison de négoce maritime après un voyage de neuf années qui l’a mené jusqu’en Chine.
L’histoire est désormais connue et documentée mais il ne fait jamais de mal d’y revenir. L’Europe disposait de colonies en Amérique (sur le territoire continental américain et les îles des Caraïbes [Saint-Domingue notamment]) qui produisent des biens (coton, bois, cacao…) qui étaient vendus sur le vieux continent qui, à l’époque, est encore « neuf ». Au début travaillaient dans les colonies des européens plus ou moins volontaires. Assez rapidement il fallut augmenter la productivité de la production et seule une force de travail « bon marché » pouvait permettre d’attendre cet objectif. Les Etats comme la France encouragent l’achat d’esclaves en Afrique et leur installation dans les colonies d’Amérique. Le « code noir » officialise en 1685 sous Louis XIV ce trafic dit « triangulaire » tout en édictant quelques limites pour le traitement des exclaves, qui furent généralement allègrement dépassées.
Les marchands esclavagistes français affrétaient des bateaux quittant les ports français chargés de « verroterie » (bracelets, bijoux de pacotille, mais aussi des armes plus ou moins antédiluviennes) qui servaient à payer les esclaves achetés à leurs propriétaires africains. L’esclavage existe bien entendu depuis des millénaires, y compris en Afrique. La traite (le « commerce » de ceux-ci) se pratique également depuis des lustres mais la « traite atlantique » va industrialiser le phénomène avec des objectifs « commerciaux » ambitieux. Pour les atteindre il va falloir déshumaniser les esclaves et les traiter comme des « intrants » au processus industriel…
L’exposition de l’Hôtel Dubocage revient sur les différentes étapes de ce trafic d’êtres humains et sur les conditions de celui-ci à travers des tableaux et des gravures d’époque. Sont également exposés des relevés « comptables » des échanges de marchandises : combien de verroterie remises aux vendeurs locaux pour acheter les esclaves. Ceux-ci étaient complètement anonymisés sur ces relevés : pas de nom, juste des valorisations. Des schémas montrent la disposition des esclaves dans les bateaux qui les transportaient d’Afrique vers les Amériques, installés tête-bêche dans les entreponts du navire où ils ne pouvaient pas même se tenir debout, ce qui n’est pas sans rappeler les châlis où étaient entassés les déportés dans les camps de concentration allemands de la seconde guerre mondiale. Cela explique les taux de mortalité de 10 à 20% constatés au bout du voyage et consciencieusement notés sur le journal de bord car venant minimiser la marge des négociants.
Les conditions de vie dans les plantations antillaises où ils étaient débarqués n’étaient guère meilleures et leurs maîtres prenaient des libertés avec le « Code noir » et avaient quasiment droit de vie ou de mort sur leurs esclaves. Certains esclaves se révoltèrent, en Haïti notamment, d’autres furent libérés, certains mêmes habitèrent aux Havre pour servir leurs maîtres en France. Il y eut tout de même des consciences pour s’élever contre l’esclavage comme l’écrivain havrais Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre qui publia « Paul et Virginie » en 1788. Ouf, cela rattrape un peu la réputation de la région…
Le Musée André Malraux (MuMa) expose Albert Marquet (1875-1947) peintre « fauviste » et inspiré par la Normandie et ses couleurs si particulières. Les œuvres accrochées ont toutes rapport à la côte normande, Le Havre, Honfleur, Rouen, la Seine…, des ports, des plages, et, surtout, la mer et le ciel, avec toutes les nuances de vert et de bleu que la Normandie sait offrir. Marquet a arpenté cette côte avec son chevalet et son ami de Raoul Duffy. C’est le résultat de ces pérégrinations artistiques que présente de MuMa. Il a aussi parcouru le monde dont l’Algérie où il passe la seconde guerre mondiale quelques années avant sa mort, là-encore un pays de toutes les lumières. Certaines toiles de cette période sont exposées.
Je ne sais ni écrire ni parler mais seulement peindre et dessiner. Regardez ce que je fais. Ou je suis arrivé à m’exprimer ou j’ai échoué. En ce cas, que vous me compreniez ou pas, par votre faute ou par la mienne, je ne peux pas faire plus.
Albert Marquet (1936)
L’eau est partout, rendue dans des paysages de plages ou de falaises bucoliques mais aussi peinte sur fond d’outils industriels et portuaires. Marquet est spécialisé dans la « vue plongeante » comme ne le montre pas le port d’Honfleur ci-dessus. Il est surtout un maître hors pair de la lumière dont le rendu dans ses toiles est subjuguant. Les personnages ou objets présents dans ses tableaux sont les plus souvent esquissés d’un trait, sans trop de détails, laissant le visiteur se plonger dans la méditation inspirée par les couleurs de la nature et des paysages.
Le MuMa est posé sur le port marquant l’influence de la mer sur l’art en Normandie. Entre la digue et le musée trône une sculpture monumentale d’Henri-Georges Adam : « Le Signal ». En plus de Marquet, il dispose d’une belle collection de tableaux des artistes Sisley, Duffy, Renoir, Braque, Pissarro, Boudin, Monet… C’est l’ancien musée des Beaux-Arts qui n’a pas résisté aux bombardements de 1944, les sculptures ont été transformées en cendres mais les peintures qui avaient été déplacées en lieu sûr furent épargnées. Il est reconstruit en 1952 à l’entrée du port. Inauguré par André Malraux en 1961, il préfigure à l’époque ce que seront les « maisons de la culture », grand œuvre du ministre de la culture de De Gaulle.
Le MuMa et, devant, la scupture « Le Signal »
Avant de sortir, repas ou café au restaurant du musée, vue sur les incessantes entrées et sorties de gros navires au milieu desquels se mêlent des kite-surfers agiles et élégants ; la mer, vous dit-on, toujours la mer.
L’une des trois grandes agences de notation des dettes, « Fitch Ratings », vient de dégrader la note de la dette française sur base d’une analyse relativement classique et prévisible. Pour les critères les plus inquiétants :
Déficit des finances publiques supérieur aux pays comparables et « plan de stabilisation » (en français, plan de désendettement) annoncé basé sur les prévisions de croissance peu réalistes
Le pays n’a pas réussi à équilibrer ses dépenses publiques depuis 1974, date du dernier budget équilibré. Cela veut dire que depuis plus de cinquante ans l’Etat dépense plus qu’il ne gagne, l’ajustement se faisant par une augmentation de la dette dont nous laissons à nos enfants le soin de rembourser. L’habituelle argument des partisans de la dépense publique à tout va, « s’endetter pour investir pour le futur est une bonne chose » ne tient plus que très partiellement. On sait aujourd’hui qu’une bonne partie de cet endettement vient financer des dépenses courantes de l’Etat (sécurité sociale, salaires…) et non plus uniquement de l’investissement. On le voit tous les jours dans les médias, un ministre ou un président de la République n’existe plus qu’en annonçant de nouvelles dépenses pour de bonnes comme pour de mauvaises causes et, surtout, sans expliquer comment de nouvelles dépenses seront financées : par baisse d’autres dépenses, augmentation des impôts ou endettement additionnel.
Les débats parlementaires et politiques ubuesques qui se sont déroulés ces dernières semaines sur la réforme des retraites (report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans) ont consisté principalement pour l’opposition à conditionner ses votes favorables à l’abandon de certaines économies incluses dans le projet de réforme (en termes purement financiers, une non-recette équivaut à une dépense). Le gouvernement à la recherche du consensus a progressivement cédé et adoucit la « brutalité » de la réforme, baissant ainsi le niveau des économies que devait rapporter la réforme pour se retrouver à la fin sans les votes de ceux qui s’étaient engagés à les donner…
Il est vrai que les partis et syndicats d’opposition de gauche proposaient des pistes de financement alternatives au maintien de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans : « taxons les dividendes versés aux actionnaires » ! La classe politique française ne sait financer de nouvelles dépenses publiques qu’en augmentant les impôts, rarement en faisant des économies par ailleurs. La proposition sur les dividendes n’était pas idéologiquement acceptable pour le gouvernement en place qui a donc réussi à faire passer l’âge légal de départ à 64 ans. Il y a déjà des candidats potentiels aux élections présidentielles de 2027 qui s’engagent à ramener cet âge légal à 60 ans s’ils sont élus. Nous verrons bien d’ici-là s’ils maintiennent ce projet et comment ils envisageront de le financer. Ils ont largement le temps « d’avaler leur chapeau » avant cette échéance.
La dégradation de la note de la dette publique française n’a pas entraîné de hausse immédiate des taux d’intérêt auxquels s’endette la République puisque les marchés l’avaient déjà intégrée dans les taux qui sont passés en quelques mois pour les nouvelles émissions de dette de 0 à 3%, et risquent de poursuivre encore leur hausse dans le court terme. S’endetter aujourd’hui coûte plus cher aux contribuables qu’hier. C’est hélas la seule situation qui peut pousser la France à « stabiliser » ses dépenses publiques. De même que faire payer plus cher l’eau ou l’électricité pour le consommateur lui font contrôler ses consommations, augmenter les taux d’intérêt devrait pousser l’Etat à une gestion plus rigoureuse de ses dépenses. Dans notre monde capitaliste, le « signal prix » est le seul qui soit vraiment efficace, pour un Etat comme pour ses citoyens.
Julia Pirotte (1907-2000) est une photographe de presse polonaise. Sa famille d’origine juive s’installe à Varsovie avec les trois enfants après le décès de la mère où Julia, son frère et sa sœur, encore adolescents, adhèrent au parti communiste polonais. A ce titre Julia est emprisonnée quatre ans par la justice polonais, à 17 ans, et son frère s’exile en URSS pour fuir le régime autoritaire du pays au mitan des années 1920. L’oppression se renforçant en Pologne, Julia doit fuir à son tour et trouve refuge en Belgique où elle épouse Jean Pirotte, un syndicaliste belge, et obtient la nationalité belge. Ouvrière dans différentes usines en Belgique elle poursuit son engagement politique et écrit des articles dans la presse « progressiste » illustrés par ses propres photos.
En 1940, fuyant l’invasion de la Belgique par l’Allemagne elle s’installe à Marseille alors située en zone libre où elle va réaliser des reportages sur le monde ouvrier et populaire local et entre en résistance dans le réseau communiste Francs-tireurs et partisans (FTP) Main-d’œuvre immigrée (MOI). Sa sœur Mindla, également résistante est capturée par les Allemands, torturée, déportée puis guillotinée. Julia participe et photographie l’insurrection de Marseille. Immédiatement après la libération elle retourne en Pologne encore agitée par des vagues antisémites. Elle photographie le pogrom de Kielce de 1946, crée une agence de presse « Walf », photographie la reconstruction de son pays, le congrès pour la paix de 1948 à Wroclaw où elle prend des portraits, notamment de Picasso et Irène Joliot-Curie qui y participent, elle fait un reportage dans un kibboutz en Israël.
La soeur de Julia, Mindla, assassinée par les allemends pour fait de résistance
Dans les années 1960-1970 son travail commence à être reconnu et exposé à travers le monde. C’est une partie de celui-ci qui est exposé aujourd’hui par le mémorial de Shoah. Les clichés noir-et-blanc marquent son attrait pour les milieux populaires, particulièrement les portraits. Son engagement communiste et résistant transpire de toutes ces photos et quelques vidéos montrent cette femme modeste au crépuscule de sa vie, qui toujours est retournée dans son pays natal, la Pologne, quels qu’en soient les régimes et les risques pour une juive.
Elle est passée au travers de toutes les embûches de ce siècle et a témoigné de toutes ses tragédies.
Sortie : 1994, Chez : Editions de Fallois / Fayard.
Alain Peyrefitte (1925-1999), homme politique et écrivain, fut ministre de l’information et porte-parole du gouvernement à partir de 1962 pour cinq ans avant de poursuivre une carrière ministérielle jusqu’en 1981. C’est au titre de porte-parole du gouvernement de De Gaulle et qu’il aura des entretiens particuliers avec le Général après chaque conseil de ministres. En tant que ministre de l’information il était le seul autorisé à prendre des notes en conseil des ministres. Dès sa prise de fonction gouvernementale il décide de consigner pour l’Histoire tous ces entretiens qu’il publie dans les trois volumes de « C’était de Gaulle ».
C’est évidemment un très intéressant retour sur les débuts de la Vème République voulue par de Gaulle revenu au pouvoir en 1958 après l’effondrement de la IVème empêtrée dans son instabilité gouvernementale et la guerre d’indépendance de l’Algérie. Les entretiens commencent en 1962 et ce premier volume couvre les trois grandes affaires du moment.
Les accords d’Evian et les débuts de l’Algérie indépendante
Les temps sont à la dislocation des empires coloniaux, pas seulement en Algérie, mais, pour la France, dans toute l’Afrique.
Les peuples colonisés supportent de moins en moins leur colonisateur. Un jour viendra où ils ne se supporteront plus eux-mêmes. En attendant nous sommes obligés de tenir compte des réalités. Ce que nous avions à faire de plus urgent , c’était de transformer notre empire colonial, en remplaçant la domination par le contrat. Nous avons grand avantage à passer le témoin à des responsables locaux, avant qu’on nous arrache la main pour nous le prendre. … Puisque nous ne pouvons leur offrir l’égalité [aux populations d’outre-mer], il vaut mieux leur donner la liberté.
20/10/1959 (lors d’un entretien où Peyrefitte n’était que député et revenait d’un déplacement en Afrique)
Mais autant la décolonisation des pays africains suit son cours de façon relativement naturelle au début des années 1960, en Algérie, la guerre fait rage. De Gaulle a accepté le principe de l’indépendance algérienne. Les accords d’Evian ont été signés en 1962, le résultat du référendum pour l’indépendance organisé en Algérie est un « OUI » massif et de Gaulle veille a exécuter les accords au plus vite malgré nombre d’oppositions en France comme en Algérie. A Alger les attentats de l’OAS font rage et le général sera lui-même l’objet de deux tentatives d’assassinat en France métropolitaine. Les « pieds-noirs » finalement décident de revenir massivement en France, bien au-delà de ce qui avait été anticipé.
De Gaulle reste ferme sur ce qui a été décidé et dirige ses ministres, parfois indécis, durant la période de transition entre le référendum d’indépendance et la prise effective du pouvoir par les nouvelles autorités algériennes, elles-mêmes tiraillées entre leurs tendances contradictoires :
Quels que soient les délais qui ont été fixés par les accords d’Evian, ils seront respectés. Ils ne sauraient être remis en cause. A bon entendeur, salut !
18/04/1962
Le référendum constitutionnel de 1962
Dans la constitution élaborée en 1958 pour la création de Vème République, le président était élu par un collège de grands électeurs. Les premières années de cette nouvelle République marquent la prééminence du président. De Gaulle ressort son vieux projet d’une élection du président au suffrage universel direct afin d’enterrer définitivement la logique mortifère des partis qui pourrait réapparaître après lui. Le texte du référendum soumis au parlement déclenche une motion de censure qui fait tomber le gouvernement. Le président du sénat, Gaston Monnerville, accuse de Gaulle de « forfaiture ». Le président dissous l’assemblée nationale. Le référendum finalement organisé malgré l’opposition parlementaire, est remporté à plus de 62% et les gaullistes gagnent la majorité absolue dans la nouvelle assemblée issue de la dissolution.
Ils [les partis] sont à la fois incapables de gouverner, puisqu’ils n’existent qu’en divisant les Français, et incapables d’imaginer une autre pratique que celle-là. Voila pourquoi nous venons d’échapper à un grand danger. Maintenant, l’opposition est écrasée. Elle est en débris. Il faut en profiter pour travailler.
07/12/1962
La place de la France dans le monde
Nous sommes en pleine guerre froide et en période de construction de l’Europe des six. L’obsession du général de Gaulle est de redonner à la France une stature internationale et indépendante. Pour ce faire, il va reconnaître la Chine populaire, monter la force nucléaire française, se battre contre l’idée du pouvoir « multilatéral » de l’Europe et en bloquer l’accès au Royaume-Uni qui voulait « noyer le Marché commun dans une grande zone de libre-échange ».
Nous assistons à l’affrontement de deux énormes masses, la Russie [de Gaulle ne parle quasiment jamais de l’Union soviétique] et la Chine. Les Russes seront dans une position difficile. De deux choses l’une. Ou ils restent avec la Chine, mais elle les boulottera quand elle sera plus forte. Ou ils sont contre, mais alors c’est la fin des Rouges et le camp communiste s’effondrera. C’est peut-être déjà fait.
07/11/1962
Voyez-vous, la France est souveraine. Ou plutôt, elle le redevient, ce qui ne lui était pas arrivé depuis la Première guerre. Elle s’était blottie à l’ombre des Anglais dans l’entre-deux guerres, puis des Américains après la Seconde. Tout ça, c’est fini. La France a fini de se blottir.
19/12/1962
Le sentiment national s’est toujours affirmé en face d’autres nations : un sentiment national européen ne pourra s’affirmer que face aux Russes et aux Américains. L’idée européenne, depuis la fin de la guerre, a progressé grâce à la menace des Russes. Maintenant que les Russes s’amollissent, et c’est heureux, nous avons l’occasion de nous durcir à l’égard des Etats-Unis, et c’est notre devoir ; sinon, l’Europe dite intégrée se dissoudrait dans l’ensemble atlantique , c’est-à-dire américain, comme du sucre dans le café.
23/01/1963
A la lecture de ces dialogues on est frappé une nouvelle fois par la capacité d’analyse et d’anticipation du général ainsi que sa compétence pour diriger et commander. Certes, sa stature de sauveur de la France en 1940 et le respect qu’elle inspire y sont pour beaucoup mais l’homme est véritablement un chef, qui plus est, doté d’une remarquable intelligence. Chaque mot rapporté par Peyrefitte en atteste admirablement.
Ce récit dévoile aussi quelques détails de la vie politique de l’époque : la bonhommie de Pompidou (premier ministre), l’indéfectible soutien qu’il apporte avec constance à « son cher Malraux » en conseil des ministres, sa maîtrise de la langue française qui lui permet une expression limpide, sa remarquable capacité d’assimilation des sujets qu’il ne maîtrise pas complètement, sa capacité de synthèse exceptionnelle…
Henri Matisse (1869-1954) est exposé à l’Orangerie et, plus précisément, sa période post-1930 mise valeur par la revue Cahiers d’art dont sont également montrés les archives sous vitrine. Revue porte-voix du modernisme, elle plaça à juste titre Matisse dans cette catégorie, avec Picasso. Il rentre cette année-là d’un voyage à Tahiti sur les traces de Gauguin, il en ramène une nouvelle inspiration, pleine de couleurs chatoyantes. Des odalisques et des nus sont montrés avec ce dessin caractéristique du peintre, les formes sont juste esquissées mais le rendu est extrêmement précis. Le « Nu rose » mérite le déplacement à lui tout seul : une merveille de sensualité et de modernité, rehaussée par cette originale couleur rose.
Les années 1930 sont aussi la période où Matisse se met à la sculpture dont des exemplaires tout en rondeur sont montrés ici, accompagnés également de nombre de dessins de l’artiste. Lors d’un séjour aux Etats-Unis en 1930 il fut commandité par le collectionneur Albert Barnes pour réaliser une œuvre monumentale, La Danse, afin de d’orner sa fondation à Philadelphie.
Fondation Barnes
Une pièce d’essai en grandeur nature est exposée, toujours ce dessin matissien, simple, expressif et tout en rondeur.
Recommandation
Nous sommes à l’Orangerie, un passage dans les deux salles des Nymphéas s’impose.
Devant les huit toiles gigantesques de Claude Monnet, brancher Piano Works de Philippe Glass interprété par l’excellent pianiste Vinkingur Olafsson, écoutez et laissez-vous plonger dans la méditation.
Les deux premiers tableaux ont été offerts par Monet à la France au lendemain de l’armistice du 11 novembre 1918 comme symbole de paix par l’intermédiaire de Georges Clémenceau.
Un documentaire glaçant sur l’affaire « César », du nom de code de ce photographe de l’armée syrienne qui a pris plus de 50 000 clichés des cadavres d’opposants syriens torturés puis tués par la police du régime au cours des années 2010 : fuyant Damas, il remit ses photos aux autorités occidentales (gouvernements, organisations non gouvernementales [ONG] et institutions multilatérales) qui les utilisent pour documenter les crimes du gouvernement syrien.
Le film suit surtout les démarches initiées par des familles syriennes exilées en France et en Espagne, bénéficiaires de la double-nationalité et qui ont reconnu des parents sur les photos des victimes, pour déposer plainte dans les pays d’accueil contre des dirigeants syriens. Ces processus judiciaires avancent difficilement car mettant en jeu des aspects politiques et diplomatiques, outre ceux ayant trait aux droits de l’homme. Toutefois des premières condamnations tombent en Allemagne contre des officiers syriens qui s’y étaient installés après avoir suivi la route des réfugiés en 2015 puis été identifiés par certaines de leurs victimes. La France s’apprête de son côté à juger par contumace trois généraux syriens pour crime contre l’humanité.
Les photos de « César » sont juste survolées. Même floutées elles montrent l’horreur à laquelle ont été soumises les victimes, hommes et femmes, jeunes et vieux. Elles illustrent aussi le sentiment de total impunité des autorités syriennes qui ont-elles-mêmes documenté leurs crimes avant d’émettre les certificats de décès nominatifs pour toutes victimes décédées, reconnaissant ainsi les faits… Un juriste explique dans le documentaire que les crimes syriens sont bien mieux documentés que l’ont été ceux des nazis au procès de Nuremberg en 1945 contre les 24 principaux responsables du régime nazis encore vivants à la fin de la seconde guerre mondiale.
Par les temps qui courent on peine à imaginer qu’un procès similaire puisse être tenu contre la famille al-Assad qui gouverne ce pays d’une main de fer depuis 1971, le fils Bachar ayant succédé à son père Hafez ayant en 2000. En réalité, sans doute la majorité des pays de la planète ne voit pas véritablement de problème dans la gestion de la Syrie. Le film montre d’ailleurs la Chine et la Russie voter contre une résolution du conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) condamnant le régime syrien, bloquant ainsi toute action de la communauté internationale.
Le concept des « droits de l’Homme » que l’on croyait universel depuis 1945 après la découverte des horreurs nazis est en train de faire naufrage. Même si la communauté des pays réunis au sein de l’ONU en a approuvé le principe à travers nombre de traités et conventions, les régimes autoritaires les récusent désormais par leurs actes. La guerre d’Ukraine en cours ne fait que confirmer cette tendance. Les migrants et les victimes, eux, votent avec leurs pieds en faveur des droits de l’Homme et viennent se réfugier dans les pays occidentaux qui respectent encore le concept. On voit même des tortionnaires se joindre aux flux des réfugiés pour tenter de se réinstaller en Europe. L’officier syrien en rupture de ban qui a été arrêté et condamné à perpétuité en Allemagne n’a pas choisi d’émigrer en Russie ni en Chine, mais… en Allemagne. L’oncle du dictateur Bachar as-Assad, Rifaat, ancien vice-président de son frère Hafez est venu se réfugier à Paris après un coup d’Etat manqué en 2004. Il serait récemment retourné en Syrie après avoir été condamné par contumace à quatre années de prison dans l’affaire des « biens mal acquis » concernant sa fortune immobilière constituée en France pour une somme estimée à 90 millions d’euros, ce patrimoine a été saisi par la justice.
C’est d’ailleurs la seule note d’espoir de ce film terrifiant, le fait que même les tortionnaires choisissent de s’installer et mener leurs affaires en Occident plutôt que chez leurs « amis » politiques semble indiquer que la démocratie a encore un peu d’avenir sur la planète. Il suffit sans doute de rester ferme sur les principes et… patient.