NGUYEN LONG Pedro, ‘La Montagne des Parfums – Une saga indochinoise’.

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Sortie : 1996, Chez : Robert Laffont / Phébus.

Cuong (Pedro) Nguyên Long est un enfant de la tragédie vietnamienne du XXème siècle : né à Haiphong (le port de Hanoï, dans la partie nord du pays) sans doute en 1934, dans une famille aisée, Pedro a vécu et participé aux principaux évènements qui ont déchiré ce pays d’Asie du Sud-est. Après un parcours chaotique il s’est exilé en France alors que le restant de sa famille choisit, un peu plus tard, la Californie.

Aidé par Georges Walker (1921-2014), écrivain-journaliste né à Budapest. Intéressé par l’Asie, il co-écrivit en 1975 la biographie de Chow Ching « Le palanquin des larmes » avant de se consacrer vingt ans plus tard à celle de Pedro. Celui-ci vécut la colonisation française, ses délices et ses bombardements, il avait vingt ans lors de la déroute de Diên Biên Phu qui marqua le départ des français, militaires et civils, et la montée en puissance progressive du pouvoir communiste sous l’impulsion de leur leader incontesté Hô Chi Minh qui forgeât son anticolonialisme en voyageant dans de nombreux pays, dont la France, dont il fut membre du parti communiste, dans les années 1920′. Revenu au Vietnam il y fonde la Viêt Minh, parti communiste local qui deviendra l’arme idéologique et militaire qui mènera le pays à l’indépendance, à la réunification et à la collectivisation contre la France puis les Etats-Unis d’Amérique.

La situation socio-économique de la famille Nguyên Long l’assimilant aux « capitalistes », le père de Pedro décida assez rapidement de fuir Haïphong et le pouvoir communiste qui s’y installait. S’en suivit une longue errance dans les campagnes au cours de laquelle Pedro s’enrôla à 14 ans dans la guérilla communiste, happé par sa propagande. Il y resta deux années et participa à une troupe de théâtre militante dont les pièces jouées dans les villages étaient censées attiser le patriotisme des spectateurs sous l’œil vigilant des commissaires politique du Viet Minh. Son père va le tirer de cet engagement au bout de deux années avant la fuite vers le Sud et Saïgon après les accords franco-vietnamien post-Diên Biên Phu en 1954. Comme beaucoup des réfugiés de l’époque, entre le Nord et le Sud et vice-versa, les décisions prises déchirent les familles. Deux des sœurs de Pedro, en couple avec de fervents communistes, restent au Nord.

Convaincu par son père de mettre fin à son engagement communiste, Pedro doit maintenant trouver le moyen de passer au Sud. Il y sera arrêté par l’armée française, emprisonné et torturé à Saïgon durant des mois pour dévoiler les petits secrets de la révolution. Libéré grâce à une intervention familiale il s’installe à Saïgon où il vit d’amour et de trafics divers dans une ville rongée par la corruption, la mauvaise gouvernance et l’effondrement moral qui précéda la montée en puissance de la guerre américaine.

Pedro quittera son pays pour un périple qui le conduira finalement à s’installer en France comme monteur dans la télévision publique d’où il suivra la dérive finale du Vietnam, le départ précipité des américains et la réunification en 1975. Une partie de ses frères et sœurs rejoindront les Etats-Unis par différentes voies, dont celle des « boat-people » pour certains. Alors qu’ils avaient faits étape à Paris, la sœur aînée décida d’accélérer le passage aux Etats-Unis après avoir vu Georges Marchais (alors secrétaire général du parti communiste français[PCF]) faire ses clowneries à la télévision et de crainte que la France ne tombe alors sous l’emprise du communisme tant haï. Un de ses beaux-frères, subira les camps de rééducation communistes durant 14 ans avant de rejoindre le reste de la fratrie en Californie, traumatisé, comme éteint, à jamais par cette expérience totalitaire.

Ce récit raconte de façon émouvante le parcours d’une famille vietnamienne, dramatique mais finalement plutôt banal pour cette époque, hélas. C’est l’histoire de la décolonisation violente d’un pays doublée d’une guerre civile. Les idéologies se percutent à coup de propagande et de napalm. Les individus sont broyés et les familles se déchirent. Comme à chaque fois que l’indépendance a été conquise par les armes le régime politique qui a suivi fut dictatorial et plutôt communiste. Pedro ne porte pas un jugement très optimiste sur l’évolution de son pays (à l’époque où sortit le livre, 1996), tiraillé entre économie de marché et compromission avec ses anciens oppresseurs : la Chine ou les Etats-Unis. La France est passée sous silence car a quasiment disparu du tableau depuis 1954, sauf par la langue qui reste encore un vecteur de communication pour les plus vieux des citoyens. La corruption maintenant généralisée au Nord comme au Sud reste un puissant frein au développement du pays. Pedro et sa famille ont résolu la question en s’exilant loin de cette déroute, accueilli au sein de leurs anciennes puissances coloniales, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes de ce pays fascinant ! Mais cette fuite est aussi une défaite…