EPSTEIN Fabrice, ‘Un génocide pour l’exemple’.

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Sortie : 2019, Chez : Les Editions du Cerf.

Fabrice Epstein, jeune avocat branché, spécialisé en fusion-acquisition, style propre sur lui mais détendu, chroniqueur du magazine « Rock & Folk » et acteur au palais de justice, petit-fils d’immigrés juifs-russes exterminés à Auschwitz, a été commis d’office, en tant que membre de la conférence des avocats du bureau de Paris (une espèce de confrérie pour beaux-parleurs ayant passé avec succès un concours d’éloquence), à la défense de Pascal Simbikangwa, militaire rwandais, ancien responsable du service de renseignement (la police politique) sous le régime génocidaire du président Habyarimana dont l’assassinat (toujours non attribué à ce jour) déclencha le génocide contre l’ethnie tutsi. Simbikangwa est paraplégique par suite d’un accident de la route au Rwanda et cloué depuis sur chaise roulante.

Après avoir fui son pays en 1994 et erré dans différents pays, il ne trouve rien de mieux que de rejoindre Mayotte, territoire français, en 2005 où il dépose une demande d’asile utilisant pour se faire l’un de ses nombreux patronymes. L’asile lui est refusé et le garçon est arrêté pour trafic de faux papiers. Il est ensuite emprisonné puis jugé par la cour d’appel de Paris où il est condamné en 2014 pour génocide et complicité de crime contre l’humanité à 25 ans de prison par un jury populaire composé de six citoyens et de trois magistrats, bien que ses avocats aient plaidé l’acquittement, peine confirmée en appel. Il est toujours embastillé à ce jour.

Il aurait été préférable que Simbikangwa cherche à se réfugier ailleurs qu’en France ce qui aurait évité d’avoir à le juger à Paris, mais, hélas, il choisit de rejoindre Mayotte. La France refusa son extradition au Rwanda où il aurait pu être condamné à des peines non compatibles avec le droit français.

Epstein est l’avocat de l’accusé en faveur duquel il prend évidemment partie. Son récit est centré sur toutes les incohérences d’une procédure qui se déroule vingt ans après les faits au titre de la compétence universelle que s’est octroyée la France pour juger des crimes de génocide quel que soit le lieu où ils ont été commis. Les témoins produits par l’accusation témoignent par vidéo depuis le Rwanda, beaucoup sont analphabètes, se contredisent, sont probablement sous la coupe du nouveau régime tutsi qu’Epstein qualifie au passage de dictatorial.

Bien sûr qu’il s’agit d’un procès « politique », comment en serait-il autrement dans un contexte où la France a mené une coopération, notamment militaire, avec le régime précédent et cherche à se racheter ? Bien sûr que les doutes n’ont pas profité à l’accusé, bien sûr que le régime actuel est dictatorial comme l’était le précédent (au moins celui-ci n’est-il pas génocidaire)… Epstein s’émeut que les fondamentaux de la justice française ne soient pas appliqués dans le cas d’espèce. Il n’arrivera à convaincre personne que le chef de la police politique du régime Habyarimana n’ait point participé à la préparation du dernier génocide du XXème siècle. Tout ceci est vrai et la France a fait ce qu’elle a pu, refusant l’extradition de l’accusé ce qui aurait été une solution facile pour se débarrasser du problème, acceptant quelques raccourcis avec son droit pour laisser condamner un probable génocidaire.

L’auteur lui-même admet quand même au début de son chapitre « D’une identité à l’autre » que :

« Si Simbikangwa avait été acquitté, pleinement et entièrement, j’aurais été gêné. »

Au moins l’emprisonnement de Simbikangwa en France lui aura évité, jusqu’ici, d’être assassiné par les sicaires du régime Kagamé comme ce fut le cas pour nombre d’autres accusés s’étant réfugiés à l’étranger.

A la fin de son récit, Epstein rapproche ce que le génocide rwandais évoque à sa mémoire de petit-fils de victimes de la Shoah, et raconte le voyage qu’il effectua en Biélorussie, avec son père, après le procès, à la recherche du passé de ses grands-parents. Il avance un peu dans la connaissance de cette histoire familiale en s’interrogeant pour savoir s’il est du côté des victimes ou des bourreaux, si le petit-fils d’une victime (lui-même) est en droit de défendre un bourreau supposé ? A cette dernière question il répond un OUI franc, comme l’a prouvé sa défense de Pascal Simbikangwa, même au prix d’arguments auxquels il ne devait pas vraiment croire lui-même, d’attaques un peu basses contre les experts, l’avocat général, les parties civiles ou même contre la France.

Sa plaidoirie est intégralement publiée en annexe, elle sera vaine car malgré ses supplications, le jury populaire condamnera l’accusé.