SUREAU François, ‘Le chemin des morts’.

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Sortie : 2013, Chez : Gallimard / Folio n°6410.

François Sureau, né en 1958, haut-fonctionnaire ancien élève de l’ENA, passé du conseil d’Etat aux fauteuils bien rémunérés des « conseillers » du CAC40, avant de devenir avocat et écrivain, a été élu membre de l’accadémie française en 2021 au fauteuil n°24, libre après le décès de Max Gallo. Le garçon est brillant, la barbe bien taillée, le verbe juste, l’écriture précise et fluide, mais le garçon a parfois des remords sur ses actions passées.

Dans ce court récit il raconte son expétience d’auditeur au conseil d’Etat dans les années 1980, chargé de rédiger des avis à la commission de recours de réfugiés. A ce titre, il eut à traiter le cas d’un ancien militant basque, réfugié en France depuis vingt ans après avoir participé à des actions violentes contre le franquisme. L’Espagne étant revenue à la démocratie après la mort de son dictateur galonné en 1975, la France a décidé de refuser désormais le statut de réfugié aux demandeurs de nationalité espagnole. En réalité, le nouvel Etat espagnol était certes « démocratique » mais il continuait de tolérer, voir de manipuler, des commandos de la mort, plus ou moins activés par la police, qui réglaient, le plus souvent violemment, les comptes du terrorisme espagnol, et bien sûr, tout particulièrement basque.

Lorsque la décision de refus de renouvellement de son statut de réfugié en France dont il disposait depuis 1969 est notifiée à Javier Ibarrategui, suivant ainsi l’avis rédigé par le conseiller Sureau, il s’exprime calmement pour dire qu’il ne restera donc pas en France, contre la loi, mais rentrera en Espagne où il risque fortement d’être assassiné par les « groupes anti-terroristes de libération (GAL) ». Le même jour la commission accordait le statut de réfugié « à un Zaïrois dont nous devions découvrir ensuite qu’il s’était déjà présenté trois fois à la commission sous des identités différentes. Il avait un beau talent d’acteur et revendait ensuite -à un prix abordable- le précieux papier à ses compatriotes. »

Quelques mois plus tard Ibarrategui est assassiné en Espagne, très probablement par les GAL. François Sureau s’interroge bien sûr sur l’opportunité de cette décision qu’il a initiée. Il n’est d’ailleurs pas sûr que s’il avait proposé l’inverse il eut été suivi, mais le sort vengeur et funeste qui fut réservé à Ibarrategui continue de le hanter, et sa responsabilité, même très indirecte, dans sa mort de l’obséder. Il explique comment l’image noble d’Ibarrategui la dernière fois qu’il le vit sous les ors du conseil d’Etat fut devant lui à toutes les (nombreuses) étapes de sa brillante carrière, sans préciser toutefois si ce souvenir indélébile a fait évoluer sa vision du monde et des dossiers qu’il eut à traiter, au barreau de Paris où dans les salons du CAC40. Il pose de façon claire et percutante, à son petit niveau, le problème de la responsabilité morale des décisionnaires d’un Etat démocratique, qui sont souvent confrontés aux choix cornéliens de devoir arbitrer entre l’intérêt général et le particulier, entre la raison d’Etat et l’émotion. Ce n’est certainement pas facile à vivre pour quiconque dispose d’un esprit bien fait, mais aussi d’une âme et de convictions.