DEDET Christian, ‘La mémoire du fleuve – l’Afrique aventureuse de Jean Michonet’.

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Sortie : 1984, Chez : d’ailleurs phébus

La biographie passionnante d’un forestier au Gabon, avant et après l’indépendance de ce pays : rédigé à la première personne par le médecin-écrivain Christian Dedet, ce livre est un « roman-vrai », fruit de l’amitié et du dialogue entre l’auteur et Jean Michonet, le héros.

Le récit remonte au grand-père qui a fait deux enfants (dont la mère de Jean) avec une femme noire mariée « à la coutume »*. Après le décès de ses deux parents de tuberculose dans l’hôpital de Lambaréné du Dr Schweitzer (1875-1965, prix Nobel de la paix 1952), Jean, métis, prend la suite de son père après la Iième guerre mondiale en exploitant des permis forestiers achetés à l’administration coloniale puis à l’Etat gabonais une fois créé. A l’époque tout est manuel, les arbres sont abattus à la hache et transbordés à Port Gentil par le fleuve, camions et remorqueurs apparaîtront plus tard. Les forêts sont peuplées d’insectes, de maladies, d’éléphants, de crocodiles et, surtout, de traditions ancestrales et peu compréhensibles pour les coloniaux faisant plus confiance à Descartes qu’aux gris-gris. Le cannibalisme n’est jamais loin. Jean Michonet en tant que métis cohabite avec ces deux cultures et se fera initié au bwiti, sorte de société secrète se prétendant quasi-religion.

Le lecteur suit la vie de Jean, ses expéditions à 15 ans dans le Sud afin de « recruter » des bras pour les compagnies forestières, le lancement et la chute de différents business de bois, puis de peaux de crocodiles, son implication dans les dispensaires soignant la lèpre, dans des écoles privées pour démocratiser l’enseignement autant que faire se peut. Ses mariages, ses enfants, ses relations complexes avec ses familles française et gabonaise, ses rencontres avec d’autres forestiers au cœur de nulle part, les histoires de vieux blancs entre deux bouteilles qui hantent encore l’Afrique de nos jours.

Le roman est « vrai », l’aventure est réelle et plutôt admirable. Il n’est pas bien sûr que les choses aient véritablement changé au cœur de la forêt depuis cette période. L’indépendance, la mauvaise gouvernance et les compromissions avec la francafrique ont enrichi le clan familial au pouvoir, il y a sans doute moins de tuberculose, et encore, mais tout autant de traditions bloquant un véritable développement de ce pays où l’on a découvert depuis de très grands gisements de pétrole qui devaient pourtant assurer sa prospérité.

Michonet porte d’ailleurs un regard partagé sur ces traditions si prégnantes : il fait soigner ses enfants à l’hôpital et fait plus confiance aux chiffres qu’aux Dieux pour la gestion de ses affaires. Mais il doit composer avec les comportements des hommes et femmes qui l’entourent. Alors il croise des chefs et marabouts aux pouvoirs surnaturels dont il raconte des exploits auxquels il aurait assisté, entre hallucination collective de fêtes traditionnelles et véritables phénomènes inexplicables. On sent son scepticisme devant ces manifestations que sa double origine l’empêche sans doute de rejeter définitivement.

Il mourra bêtement noyé dans l’océan avec ses deux filles qu’il eut avec une deuxième femme mariée « à la coutume » après que la première, française, renonçât avec leurs deux enfants à cette vie de forestiers usante.

Quoi qu’il en soit, ces personnages ont vécu une véritable aventure dont le récit est devenu un des livres culte des apprentis-aventuriers d’une Afrique immobile.

* Ce qui veut dire dans le langage de l’époque, un couple mixte dont l’élément africain risque d’être oublié plutôt facilement au gré des évènements, et qui se traduira souvent par « un vieux blanc avec une gamine locale », toujours valable des décennies plus tard.