La fiction des armées locales

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L’Afghanistan rendu à ses démons

La prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan a été grandement facilitée par la débandade de l’armée nationale qui n’a quasiment mené aucun combat contre la rébellion religieuse qui, du coup, a rapidement conquis l’entièreté du pays avant même le départ complet des forces occidentales achevé aujourd’hui. Cette « armée nationale » avait pourtant bénéficié des soins et des fonds occidentaux mais les milliards investis par les contribuables de ces pays n’ont pu créer la seule arme indispensable qui manquait, celle de la foi en la victoire dans cette guerre civile.

Cette situation n’est guère surprenante et a été mainte fois constatée aux termes des guerres post-coloniales menées par l’Occident depuis la fin de la seconde guerre mondiale, à commencer par celle du Vietnam dans le conflit contre le communisme. Au cours de leur soutien au Vietnam du Sud pour barrer la route au communisme porté par le Vietnam du Nord, les Etats-Unis d’Amérique ont lourdement investi pour former l’armée du Sud qui s’est effondrée rapidement après les accords de paix de Paris en 1973. Malgré quelques actions héroïques de garnisons sud-vietnamiennes, l’offensive massive de l’armée du Nord en 1975 aboutit rapidement à la reddition du Sud et à la capture d’un important matériel militaire américain par les communistes.

En Irak en 2014, les combattants du groupe terroriste religieux Etat islamique se sont emparé sans coup férir de la ville de Mossoul abandonnée en quelques heures par l’armée irakienne face à une troupe de va-nu-pieds mais motivée, avec la récupération d’un matériel militaire considérable qui a ensuite été retourné contre les armées occidentales présentes. Par la suite la ville a été reconquise et, semble-t-il, les forces spéciales irakiennes se seraient plutôt bien défendues avec les soutiens aériens occidentaux qui n’existent plus aujourd’hui.

En Afrique, malgré des accords de coopération militaires passés et constamment renouvelés entre la France et nombre de ses anciennes colonies depuis les années 1960, les armées locales ont surtout brillé par leurs capacités à mener des coups d’Etat, mais beaucoup moins à défendre leurs nations, concept [celui de nation] d’ailleurs plutôt incompréhensible dans des pays organisés en clans et en ethnies. Depuis son intervention militaire au Sahel en 2013, la France défend vaille que vaille l’idée du « G5 Sahel », une armée multinationale réunissant la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad qui remplacerait l’armée française après l’inéluctable départ de celle-ci, et le plus tôt sera le mieux. Ce « G5 Sahel » est formé et équipé par la France avec l’aide d’autres pays de l’Union européenne. Mais il est peu probable qu’il ne soit jamais véritablement opérationnel, ou en tout cas à la hauteur des combats qu’il faudrait mener contre la troupe décidée des rebelles religieux qui veulent s’emparer du pouvoir dans ces pays et avec laquelle déjà certaines capitales sahéliennes mènent des discussions.

En Afghanistan aujourd’hui, les Talibans ont pu s’emparer de tout le matériel militaire américain donné à « l’armée » nationale et l’on voit ceux-ci parader dans les rues de Kaboul en tenues camouflées bien plus seyantes que leurs djellabas d’antan, et arborant des armes flambant neuves sans doute bien plus destructrices que leurs antiques Kalachnikov. Tout ce matériel vient d’être récupéré dans les stocks laissés sur place après avoir été financés par les contribuables américains. On s’aperçoit maintenant que certaines régions afghanes déclaraient des effectifs militaires fictifs pour recevoir plus de subsides de l’armée américaine qui assurait même la paye de cette « armée » nationale…

La défaillance de ces « armées » locales est finalement peu surprenante. D’abord car l’Occident attend qu’elles s’engagent dans des guerres civiles contre des rébellions qui sont aussi locales et il est toujours plus difficile de combattre ses propres concitoyens lorsqu’on n’est pas même sûr de mener le bon combat. La décision est plus facile à prendre lorsqu’il s’agit de lutter contre des forces d’invasion étrangères. D’autre part, se battre pour maintenir au pouvoir des pouvoirs corrompus (au Vietnam comme en Afghanistan ou en Afrique) et, généralement, dictatoriaux, est fort peu motivant ! Cerise sur le gâteau : quand vous ajoutez que ces « armées » nationales sont payées et équipées par des pays étrangers car leurs propres Etats n’en ont pas les moyens, on comprend mieux leur manque de motivation.

L’Occident a échoué dans ses objectifs d’étendre la « démocratie » par la force de ses armes au Vietnam, en Irak ou en Afghanistan, d’abord parce que ces pays n’étaient pas véritablement intéressés, mis à part une élite occidentalisée en accord avec les principes démocratiques, ou très corrompue voulant préserver ses intérêts. Sans doute en sera-t-il aussi de même au Sahel d’où la France a commencé à se retirer et c’est un mouvement raisonnable qu’il faut poursuivre. Avec l’enterrement des illusions occidentales sur les « valeurs universelles » c’est aussi, sans doute, la fin du « droit d’ingérence » sous sa forme actuelle, promu par les tenants de l’humanitaire, comme Bernard Henry-Lévy ou autres Rony Brauman et Bernard Kouchner. Ce droit d’ingérence a tout de même permis d’atteindre quelques-uns de ses objectifs lorsqu’ils étaient purement humanitaires comme d’acheminer des vivres en cas de famine (Biafra, Somalie…) mais il a souvent échoué lorsqu’il était dirigé par des démocraties et que ses buts étaient politiques. Bien évidemment, lorsque la Chine occupe le Tibet elle ne s’en laisse pas compter par les contraintes démocratiques et arrive à y rester plus longtemps…

L’Afghanistan est maintenant face à son destin, le Sahel le sera bientôt. L’Occident va cesser, au moins pour un temps, de faire du prosélytisme en faveur de son propre mode de gouvernance. C’est aussi bien. L’argent ainsi économisé pourra être investi sans son propre processus de développement économique et ses militaires se consacrer à leurs intérêts nationaux. Nouvelle situation, nouveaux enjeux, le pire n’est jamais sûr et peut-être que l’Occident comme l’Orient s’en porteront aussi bien. Rendez-vous dans dix ans pour en reparler !