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  • « L’affaire Abel Trem » de Gábor Reisz

    « L’affaire Abel Trem » de Gábor Reisz

    Un joli film du réalisateur hongrois Gábor Reisz, que l’on dirait tourné en Super8, narrant la petite histoire d’une famille hongroise sous le régime politique actuel de Victor Orban. Abel est un élève distrait qui échoue au bac. Par mégarde il a laissé épinglé sur son costume une cocarde qu’il portait pour la fête nationale mais qui habituellement marque aussi l’appartenance au parti au pouvoir. Il s’en suit un imbroglio dans lequel interviennent les parents d’Abel, plutôt conservateurs, un professeur plutôt progressiste, une journaliste plutôt jolie et fouineuse, une amoureuse d’Abel plutôt versatile, le tout ponctué des évènements ordinaires de la vie de Monsieur Tout le monde. Abel se pense incapable, sa fiancée le quitte mais ses parents comprennent son mal-être et, finalement, le réconfortent. On dirait aujourd’hui qu’il est « déprimé ». On ne s’ennuie pas devant ce film découpé en chapitres journaliers étalés sur une semaine estivale à Budapest.

  • Des nouvelles des confettis de l’Empire

    Des nouvelles des confettis de l’Empire

    La Corse et la Nouvelle Calédonie organisent leur éloignement de la République, dans la douleur.

    L’assemblée de Corse s’est mise d’accord sur un texte issu de négociations avec le gouvernement qui prévoit une nouvelle modification de la Constitution pour renforcer le statut spécifique dont dispose déjà cette ile au regard du droit français.

    Le premier alinéa stipule que :

    La Corse est dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République, qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre.

    Très bien, très bien. Le reste est à l’avenant et on envisage de donner à ce territoire un pouvoir « d’adaptations justifiées » des lois et règlements à la collectivité de Corse, ainsi qu’au gouvernement « d’adapter » les dispositions législatives « aux spécificités de la collectivité ». Qu’en termes élégants ces choses sont dites puisqu’il s’agit donc d’accroître encore les différences de statut entre les citoyens corses et leurs homologues français du continent. Cette possibilité, si elle était constitutionalisée, ne manquerait d’être utilisée et de donner lieu à de sévères bagarres juridiques que pimenteront quelques « nuits bleues » au gré de l’inspiration des vrais indépendantistes.

    Dans un avis adopté par 25 voix pour, 8 contre, 1 abstention et 25 absents l’Assemblea di a Giuventù di a Corsica :

    SOUTIENT la volonté exprimée par les élus, dans le respect du fait majoritaire, que la Corse acquiert une autonomie comprenant un pouvoir législatif et qu’ainsi la Collectivité de Corse puisse générer des normes dans les domaines de compétences qui lui seront dédiés.

    CONSENT à une progressivité dans l’attribution des nouvelles compétences propres à la future Collectivité de Corse.

    SE SATISFAIT que la proposition de modification constitutionnelle ouvre la voie à une future loi organique dont les dispositions devraient permettre d’atteindre les objectifs fixés par la délibération de l’Assemblée de Corse du 5 juillet 2023.

    On ne peut pas dire que ce soit un oui franc et massif d’autant plus que cet avis est assorti de toute une série de considérations commençant par « REGRETTE », « S’INQUIETE », « ALERTE », « DEMANDE », « RAPPELLE »… Bref, la méfiance est de mise. Avant d’arriver à intégrer une modification du statut de la Corse dans la Constitution il faut maintenant que le parlement le vote à une majorité des trois cinquièmes, ou qu’un référendum l’approuve. Ce ne serait d’ailleurs pas intéressant de demander l’avis des citoyens français. Dans un cas comme dans l’autre ce n’est pas gagné et l’indépendance, souhaitable, ne sera pas immédiate. En revanche toute étape vers le détachement de la Corse de la République sera bénéfique. Dans ce but il reste à espérer que la Constitution puisse être modifiée tel que prévu.

    En Nouvelle-Calédonie la décolonisation de l’archipel se passe dans la douleur, rendue encore plus aigüe par la crise économique générée par la non-compétitivité de la filière locale du nickel. Après le rejet de l’indépendance à l’occasion de trois référendums organisés ces dernières années il s’agit de mettre sur pieds un nouveau processus pour prendre la suite des accords dits de Nouméa de 1998 qui sont désormais échus. Il semble qu’une réforme constitutionnelle soit également envisagée de ce côté-là. Sur place les indépendantistes (qui gouvernent le territoire) ne parlent plus aux loyalistes depuis longtemps. L’une des questions majeures concernent la composition du corps électoral qui sera appelé à voter lors des nouveaux référendums sur l’indépendance qui seront immanquablement organisés dans le futur. Selon les options prises, les indépendantistes seront majoritaires ou, au contraire, dilués si l’on admet dans le corps électoral les résidents non canaques présents sur le territoire depuis une durée à déterminer. Selon où sera placé le curseur le corps électoral, qui est gelé depuis l’accord de Nouméa, pourra pencher d’un côté ou de l’autre. C’est donc un point fondamental.

    Bien entendu, devant ces évolutions qui s’annoncent pour la Corse comme pour la Nouvelle-Calédonie, d’autres régions françaises signalent qu’elles souhaitent également renégocier leurs statuts au sein de la République, y compris à l’intérieur de l’hexagone. Nous sommes peut-être à la veille d’une évolution sensible de l’organisation de la République vers un système plus fédéral et moins centralisé provoquée par la volonté d’indépendance d’anciennes colonies que les hasards de l’Histoire ont laissé rattachées à la France. Tout cela va prendre du temps et de l’énergie, mais si l’objectif d’indépendance des territoires « ultramarins » doit entraîner une véritable décentralisation de la République, il faut sans doute en passer par là.

  • « Bruch & Brahms » à la Philharmonie de Paris

    « Bruch & Brahms » à la Philharmonie de Paris

    L’Orchestre de Paris joue ce soir sous la direction de Christoph Eschenbach, son ancien directeur musical entre 2000 et 2010, pianiste émérite reconnu mondialement. A 84 ans, démarche hésitante, habillé de noir, le crâne toujours éternellement poli émergeant de son col Mao, malgré la rigidité toute germanique dont il ne se départ pas (on a un peu envie de claquer des talons en le saluant…), il est capable d’emmener son orchestre au bout de sa baguette vers les sommets de la musique romantique allemande.

    Il s’agit aujourd’hui du double concerto pour clarinette et alto op. 88 de Max Bruch (1838-1920) et du quatuor avec piano n°1 op. 25 de Johannes Brahms (1833-1897) transcrit en version orchestrale par Arnold Schönberg (1874-1951). Musique romantique certes, mais enlevée et dynamique, fort peu larmoyante. Le quatuor réorchestré, en particulier, est même guilleret comme une cavalcade dans un champ de coquelicots un jour de printemps en Bavière. Le maestro est tellement imprégné de la musique de Brahms qu’il le dirige sans partition.

    Une très jolie soirée musicale portée par le talent de tous ces musiciens dédiés à des compositeurs de génie.

  • Un président qui boxe dans le vide

    Un président qui boxe dans le vide

    La photographe « officielle » du président de la République a publié une photo de celui-ci sur son compte Instagram (https://www.instagram.com/soazigdelamoissonniere/). On peut imaginer qu’elle l’a fait avec l’accord de l’impétrant qui avait lui-même publié une vidéo de sa pomme avec ses gants de boxe autour du cou pour inciter les citoyens à faire au moins 30 minutes de sport journalier et leur vanter les mérites des jeux olympiques qui s’annoncent en France cet été, tout particulièrement à Paris.

    Qu’un président pratique la boxe est une information de peu d’intérêt pour la République et ses citoyens, mais si cette activité lui permet de mieux gérer le stress généré par la fonction qu’il occupe, grand bien lui fasse. On espère juste que ces séances n’empiètent pas trop sur le temps qu’il doit consacrer au travail pour lequel il est payé par le contribuable. Cependant qu’il perde du temps à se faire photographier et, comble, à publier le résultat de ces séances sur les réseaux dits « sociaux » est pour le moins affligeant. N’a-t-il rien de mieux à faire en ces temps de crise ?

    Outre le nombrilisme inapproprié que dénote ce comportement, celui-ci illustre métaphoriquement la situation actuelle du président Macron. Il boxe dans le vide, celui d’une majorité absolue perdue au parlement, celui de la perte de contrôle sur les finances publiques, celui de grandes déclarations laissant froids les partenaires du pays, celui d’un mandat qui sera forcément le dernier. On lui souhaite de n’être pas mis KO, mais dans le combat qu’il mène ce ne sont pas les muscles qui permettent la victoire. Et si par malheur le président français était étendu sur le ring par les éléments contraires on lui dédie ces mots de Claude Nougaro.

    La joue sur le tapis, j’aperçois les chaussettes
    De l’arbitre là haut
    4… 5… 6… 7…
    Enfant je m’endormais sur des K. O. de rêve
    Et c’est moi qu’on soutient
    Et c’est moi qu’on soulève

    Quatre boules de cuir
  • MALKA Richard, ‘ Le droit d’emmerder Dieu’.

    MALKA Richard, ‘ Le droit d’emmerder Dieu’.

    Richard Malka est l’avocat historique de Charlie-Hebdo, depuis la relance de l’hebdomadaire en 1992. L’histoire judiciaire de Charlie ayant été assez chargée ces dernières années, l’homme est souvent apparu dans les médias, présentant une bonne tête, toujours souriant sous sa barbe blanchie de trois jours, posé et pédagogue. Il eut à plaider pour le journal satyrique en cour d’assises spéciale le 4 décembre 2020 après trois mois du procès, suite à l’assassinat dans les locaux de Charlie de 12 personnes dont 7 membres de la rédaction, qui fut ainsi décimée, par des terroristes islamistes français.

    Ce livre de 98 pages est la plaidoirie telle qu’il l’avait écrite. Celle qu’il prononça fut un peu plus courte. C’est un plaidoyer intelligent et rationnel pour la liberté d’expression, même si celle-ci peut choquer les religions. Ce raisonnement est évidemment inaudible et incompréhensible par les bigots de tous ordres. Ceux de la religion catholiques ont attaqué l’hebdomadaire devant la justice française au sujet de dessins qui heurtaient leur sensibilité, ils ont perdu. Les bigots de l’Islam ont attaqué Charlie Hebdo avec des kalachnikov, 12 personnes ont été assassinées. Les deux terroristes ont été tués par les forces de l’ordre quelques jours après leur attaque.

    Il n’est pas possible de convaincre des gens qui ne veulent pas l’être, surtout lorsqu’ils sont inspirés par Dieu dont le rationalisme n’est sans doute pas la première qualité. En ce sens la plaidoirie de Richard Malka n’aura servi à rien. Elle devait néanmoins être prononcée, comme ce procès exemplaire devait être tenu par la République, assise sur l’Etat de droit, la démocratie et les droits de la défense. L’occasion aussi de rappeler quelques prises de position ambiguës posées post-attentat par des personnalités comme Olivier Todt, le pape et quelques autres intellectuels de rencontre.

    Il rappelle l’arrêt Otto-Preminger du 20 septembre 1994 de la Cour européenne des droits de l’homme :

    « Ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion, qu’ils le fassent en tant que membres d’une majorité ou d’une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s’attendre à être exemptés de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le déni… Et même la propagation par d’autres de doctrines hostiles à leur foi. »

    On ne saurait mieux dire.

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  • L’islamisme continue de fasciner une partie de la jeunesse

    L’islamisme continue de fasciner une partie de la jeunesse

    Les espaces numériques de travail sont définis sur le site web de de l’éducation nationale :

    Un espace numérique de travail (ENT) désigne un ensemble intégré de services numériques choisis et mis à disposition de tous les acteurs de la communauté éducative d’une ou plusieurs écoles ou d’un ou plusieurs établissements scolaires dans un cadre de confiance défini par un schéma directeur des ENT et par ses annexes.

    Il constitue un point d’entrée unifié permettant à l’utilisateur d’accéder, selon son profil et son niveau d’habilitation, à ses services et contenus numériques. Il offre un lieu d’échange et de collaboration entre ses usagers, et avec d’autres communautés en relation avec l’école ou l’établissement.

    https://eduscol.education.fr/1050/espaces-numeriques-de-travail

    Les ENT offrent, notamment, un service de courriel ouvert à tous les utilisateurs, y compris les élèves. C’est par le biais de ces boîtes email que des établissements ont fait l’objet de cyberattaques ces derniers jours. Des élèves ont reçu des courriels contenant des menaces de faire exploser leurs établissements, certains messages étant accompagnés de vidéos de décapitation. Jusqu’ici il s’est agi de « canulards ». Charmant !

    Différentes personnes ont été arrêtées et soupçonnées d’être à l’origine de certains de ces « canulards », dont un adolescent de 17 ans déjà mis en examen et placé en détention provisoire. La presse précise que ce garçon est français mais n’indique pas sa religion. Il aurait reconnu une partie des faits. On se demande ce qui peut bien passer par la tête d’un adolescent pour diffuser des vidéos de décapitation à ses camarades et rêver de mettre des bombes dans leurs salles de classes ? C’est probablement un drame de la bêtise de la part de gamins abrutis par la publicité envahissant tous les médias, les matchs de fouteballe et les émissions de Cyrille Hanouna. Cela relèverait dans ce cas du chahut lycéen avec fort peu de subtilité mais reste néanmoins pénalement puni par la loi, comme vont le constater les mis en examen si la justice confirme leur culpabilité.

    Mais pour d’autres il s’agit d’actes véritablement dirigés par leur embrigadement religieux même si les auteurs de ces menaces récentes ne semblent pas être en mesure de les mettre en œuvre, pour cette fois-ci. Le danger est le risque de passage à l’acte. Le récent assassinat du professeur de français Dominique Bernard à Arras en octobre 2023 est là pour montrer ce que cette idéologie islamiste peut déclencher dans l’esprit perturbé d’un apprenti terroriste.

    Nous en sommes là, une partie de la jeunesse française, ou étrangère mais vivant en France, adhère à l’islamisme et à ses théories violentes, et est prête à les mettre en œuvre. Encore plus pernicieux, bien que moins dangereux, des potaches s’emparent des messages religieux pour « s’amuser » à faire peur. Face à cette situation inextricable et dangereuse, la classe médiatique et politique s’égosille en réclamant des « mesures fortes » et un « changement de logiciel » mais sans proposer le moindre début d’idées réalisables. La loi a été considérablement renforcée pour lutter contre ce phénomène mortifère, qu’il s’agisse d’actes ou de menaces, tangentant les limites de l’Etat de droit démocratique. Mais nécessité fait loi et elle est appliquée. Au-delà de la répression, la question à laquelle personne ne sait répondre est comment extirper du cerveau de ces personnes leur certitude religieuses et leur volonté farouche de vouloir nuire à leur pays et ses citoyens en détruisant et en tuant ? Comment les persuader qu’il y a mieux à faire dans un cadre laïque et démocratique ? C’est l’un des défis de notre temps.

  • « Il reste encore demain » de Paola Cortellesi

    « Il reste encore demain » de Paola Cortellesi

    Nous sommes en Italie dans l’immédiat après-guerre, il y a encore des soldats américains dans les rues de Rome, les tickets de rationnement sont toujours d’actualité, la condition féminine n’est pas la priorité du pays… Si nous en doutions ce film en noir-et-blanc suit la vie d’un couple modeste, Ivano et Delia avec leurs trois enfants et le grand-père (père d’Ivano).

    Lui est un beauf complet, violent contre sa femme qu’il bat comme plâtre et à qui il distribue une claque monumentale tous les matins au réveil, mais qui se sent légitime car il a fait les deux guerres et ne voit pas pourquoi les choses changeraient dans une société européenne enfermée dans un patriarcat qui dure depuis des siècles… Delia quant à elle courre toute la journée pour essayer de grapiller quelques sous entre les piqures administrées aux malades, de petits travaux de couture, sa copine du marché, les commères dans la cour de son immeuble, sa famille à nourrir, le grand-père à soigner et les colères violentes du mari qui s’en prend à elle pour tous motifs, la traitant plus bas que terre comme sa fille d’ailleurs dont il refuse qu’elle fasse des études car elle est femme, et dont il doit approuver le mariage. Fort et brutal, mais effondré devant le cadavre de son père qui a eu la mauvaise idée de rendre l’âme le jour qu’il ne fallait pas

    Le sujet de la maltraitance des femmes est abordé ici gravement mais avec beaucoup d’humour. La famille italienne est caricaturée sans doute avec vérité. Les séances de violence sont tournées en dérision en un tango sinistre joué par les deux époux. Le rôle du mari est magnifiquement joué en personnage moustachu, buté et primaire. La fin est inattendue et plutôt optimiste.

    En 2024, si l’on en juge par le nombre de femmes en France qui meurent encore sous les coups de leurs maris, le combat féministe est encore loin d’être définitivement gagné. Mais la vraie vie est sans doute bien moins drôle que ce film italien très réussi qui rencontre un grand succès en Italie.

  • SIMON Claude, ‘Les Géorgiques’.

    SIMON Claude, ‘Les Géorgiques’.

    Sortie : 1981, Chez : Les Editions de Minuit.

    Claude Simon (1913-2005) est une énigme. Le prix Nobel de littérature 1985 est considéré comme le descendant de Proust tant son style est complexe et sans respiration Des phrases qui durent plusieurs pages, quasiment sans paragraphe, avec peu de ponctuation (et moulte parenthèses enveloppant de nouveaux développements assez longs mais qui au moins le mérite de se terminer avec la parenthèse fermante). La spécificité des Géorgiques est qu’elles intriquent trois histoires différentes se déroulant à trois époques distinctes.

    L’écrivain ne marque visuellement ni sémantiquement quasiment aucune séparation entre les trois scenarii. Dans une même phrase de plusieurs page on peut passer sans aucun intermède autre que quelques points de suspension, de la Convention à la guerre de 1940. A cause de cette confusion organisée le lecteur doit déployer une attention de tous les instants pour ne pas se laisser submerger par ce chaos stylistique. Il s’y retrouve à peu près, en tout cas suffisamment pour suivre les déambulations des personnages dans leurs époques, toujours guerrières. On connait l’obsession de Simon pour les situations de guerre, ayant lui-même participé au second conflit mondial. Mobilisé dans la cavalerie en 1939, puis fait prisonnier des Allemands après la défaite française avant de s’évader et de passer le reste de la guerre à Paris. Toute son œuvre est irriguée par la guerre.

    On pense à une volonté de perdre sciemment le lecteur mais dans quel but Simon aurait-il choisi une telle option ? Ce parti-pris rédactionnel atténue la perception de la richesse de l’écriture tant il faut se concentrer sur les lignes et le déluge des mots pour les comprendre. Certes, on mesure l’aspect volcanique de sa pensée qui se déverse dans les pages telle la lave sur les pentes du volcan. Sans doute le créateur ne connaît pas d’autre façon de s’exprimer mais le lecteur, sans doute un peu trop rationnel, ne peut s’empêcher de se dire qu’ajouter un renvoi à la ligne de temps en temps ne nuirait en rien au brio de l’écrivain ni de expression tout en facilitant la lecture.

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  • « Les Indociles » de Jean-Marc Barr et Pascal Arnold

    « Les Indociles » de Jean-Marc Barr et Pascal Arnold

    Au cœur du confinement décidé en 2020 en France pour lutter contre la pandémie de Covid, Jean-Marc Barr et Pascal Arnold ont tourné cette histoire dans un hôtel de luxe déserté par ses clients habituels. Ils imaginent que le gérant et l’un des propriétaires (joué par Jean-Marc Barr) accueillent trois escort (deux filles et un garçon homosexuel), prostitués plus ou moins provisoirement par besoin mais aussi parfois un peu par désir, qui « travaillent » dans les chambres vides où ils reçoivent leurs clients. On voit ainsi défiler une population bigarrée, plutôt favorisée, et on partage les réflexions des escort sur leurs vies et leurs clients. Une comédie légère et pleine d’humour.

  • « Le jeu de la reine » de Karim Aïnouz

    « Le jeu de la reine » de Karim Aïnouz

    Nous sommes au XVIe siècle en Angleterre, Henri VIII (1491-1547), joué par Jude Law, est en fin de règne, physiquement très malade, progressivement gagné par la gangrène, il a déjà fait guillotiner deux de ses épouses pour trahison, exilé deux autres, la cinquième étant morte de maladie. Sa sixième épouse, Catherine Parr (1512-1548), jouée par Alicia Vikander se tire du procès en hérésie menée contre elle par le Roi et son âme damnée le cardinal Gardiner, elle survivra quelques mois à son époux. La fin du film montre son extraction de la prison pour répondre à la demande du Roi, agonisant, qui veut la voir seule sur son lit de mort pour s’assurer de sa loyauté et de son amour. Le scénario imagine qu’elle accélère sa fin, hypothèse non confirmée par les historiens.

    L’atmosphère du film est sombre, se déroulant soit en extérieur sous un ciel gris envahi par le brouillard, soit dans un château uniquement éclairé à la bougie. Nous sommes en Angleterre… Tout ce petit monde se débat dans des interrogations sans fin sur la religion. Henri VIII va d’ailleurs faire passer son royaume de la croyance catholique vers son pendant protestant, évolution notamment déclenchée par le refus du pape d’annuler son premier mariage avec Anne d’Aragon qui échouait à lui donner un héritier.

    Avec sans doute un peu de fantaisie par rapport à la véritable histoire ce film retrace les méandres d’une époque où les litiges politiques se réglaient à coups de décapitations et les relations entre Etats étaient basées sur des guerres sauvages et sans fin. Et au-dessus de tout, la religion dictait des dogmes qui s’imposaient à la politique. Mais c’est ainsi que se s’est constituée notre vieille Europe, même si certaines frontières sont encore disputées aujourd’hui, parfois par les armes, le continent est à peu près stabilisé. Il vaut certainement mieux vivre aujourd’hui que sous Henri VIII…

  • « Les nuits de la pleine lune » d’Éric Rohmer

    « Les nuits de la pleine lune » d’Éric Rohmer

    Arte-TV nous fait le plaisir de mettre à disposition gratuitement sur son site web le film de Rohmer. Et l’on se replonge dans ce film délicieux de 1984 merveilleusement joué par Pascale Ogier (1958-1984), toute en fragilité et indécision, face à l’amour, l’amitié, la vie urbaine, la tranquillité de la banlieue de Lognes, l’excitation des soirées parisiennes. Elle tente de conduire sa vie pour réconcilier tous ces contraires. Son amoureux possessif est plus intéressé par le tennis que les nuits au Palace, son ami journaliste parisien ne refuserait pas un peu plus d’intimité, un amant musicien-saxophoniste-musclé (lui aussi) de passage… Pas facile de trouver sa voie dans tout ce chaos. Et lorsqu’elle croit l’avoir tracée, entre la banlieue où elle vit avec son amoureux tennisman et son petit appartement dans la capitale où elle rencontre ses compagnons de sorties parisiennes, elle découvre qu’à Lognes l’oiseau s’est envolé avec une autre. Tout se termine dans les larmes.

    Le film nous replonge dans la nostalgie des années 1980 : Elli & Jacno dans les soirées (qui compose la bande originale), les bistrots un peu crasseux, les Renault 16 dans les rues, les cités clinquantes dans les banlieues pas encore dévastées. Pascale Ogier figure aussi au générique pour les costumes et les décors où elle affiche la même sensibilité que dans le rôle principal qu’elle joue. Hélas la vraie vie la rattrape et elle décède quelques mois après la sortie du film, à 25 ans, de retour d’une soirée au… Palace, alors haut lieu des soirées et des concerts parisiens ainsi que des excès et extravagances d’une époque désormais révolue. Officiellement elle souffrait d’un souffle au cœur qui l’aurait emportée.

    Ces « Nuits de la pleine lune » sont définitivement mélancoliques.

  • Israéliens contre Arabes : une histoire éternelle

    Israéliens contre Arabes : une histoire éternelle

    Après plus de quatre mois de guerre intense menée par Israël sur la bande de Gaza en réaction aux attaques terroristes du 7 octobre du mouvement islamiste Hamas qui « gouverne » Gaza, les combats font toujours rage, démontrant par l’absurde que l’un des buts de guerre de Tel-Aviv, la « destruction du Hamas », ne pourra pas être atteint. Malgré le déluge de bombes et de munitions sophistiquées lâchées sur le territoire depuis le 7 octobre, le « cessez-le-feu temporaire » mis en œuvre quelques jours en novembre 2023, l’offensive terrestre des soldats israéliens, les mouvements de population, les tunnels inondés, bref, en dépit de tout cet arsenal moderne lâché sans retenue sur Gaza, il y a toujours des combattants palestiniens pour se colleter avec l’armée israélienne dans les rues des villes de ce vaste ghetto. On peut supposer qu’ils sont moins combattifs et organisés que le 8 octobre mais qui aurait pu croire qu’ils soient capables d’autant résister dans cette guerre « hybride » ?

    Beaucoup sont sans doute morts mais il en reste manifestement d’autres, possiblement nouvellement recrutés. Israël parlait au départ d’une armée de 30 000 combattants du Hamas ; même si la moitié ont été tués, on peut prévoir sans trop de risques de se tromper que la guerre en cours aura généré de nouvelles « vocations » en nombre largement suffisant pour remplacer les morts au combat. Le Hamas parle de plus de 30 000 morts palestiniens à ce jour et deux fois plus de blessés, sans préciser ce qui relève des combattants ou des civils. On s’aperçoit que la frontière entre ces deux catégories est parfois poreuse. Certains otages israéliens libérés lors de la trêve de novembre ont expliqué qu’ils avaient été détenus dans les logements de familles palestiniennes a priori non combattantes. Il semble que les civils rendent aussi des services aux combattants, contraints ou pas.

    On ignore aujourd’hui si des plans existent pour l’après-guerre mais ce qui semble assuré c’est que « l’esprit du Hamas » survivra quoi qu’il arrive, comme celui de la révolte palestinienne a survécu à tout depuis 1948, malgré les guerres, les attentats terroristes, les assassinats « ciblés », les résolutions des Nations Unies, les processus de paix d’Oslo, de Camp-David, les pressions diplomatiques diverses et variées, les changements d’interlocuteurs, de Begin à Netanyahou, d’Arafat à Haniyeh… l’échec est toujours au bout du chemin, le terrorisme et la guerre reviennent de façon récurrente bouleverser la région sans changer les objectifs irréconciliables des parties. Il n’y a hélas guère de raison d’espérer que la guerre en cours aboutira à un résultat différent.

    Peut-être est-il temps de penser à essayer de mettre en œuvre la solution de deux Etats qui est prônée par la communauté internationale depuis la résolution 181 des Nations Unies votée en 1947 ? C’est la seule solution qui n’a jamais été essayée. Il est sûr qu’elle effraie Israël notamment car elle a un caractère définitif. Si un Etat palestinien était créé et que cela n’apaise pas la situation au Proche Orient, il sera difficile de revenir en arrière. On aurait alors des guerres entre deux Etats au lieu, comme actuellement, d’une guerre entre un Etat et des mouvements non étatiques. Pas sûr que cela ne fasse une grande différence pour ceux qui subissent les attentats terroristes ou reçoivent les bombes…

  • HUGO Victor, ‘Les Travailleurs de la mer’.

    HUGO Victor, ‘Les Travailleurs de la mer’.

    Sortie : 1866, Chez : Gallimard – Folio classique n°1197.

    C’est le roman superbe que Victor Hugo (1802-1885) écrivit en 1866 après déjà 15 années d’exil, d’abord à Jersey, puis à Guernesey, où se déroule l’histoire. En opposition politique avec Napoléon III Hugo a préféré prendre de lui-même le chemin de l’étranger plutôt que d’y être expulsé par le nouveau dictateur qui a rétabli l’Empire en instaurant des méthodes peu démocratiques. Il écrit une grande partie de son œuvre au milieu de la Manche et des travailleurs de la mer qui la peuplent.

    Ce roman est imprégné de l’atmosphère insulaire de ces îles anglo-normandes et des rudes conditions de vie que l’on y menait au XIXe siècle. L’intrigue tourne autour d’une histoire d’amour d’un marin solitaire, Gilliat, pour la fille d’un armateur, Déruchette, dont l’un des employés indélicat va mener volontairement son navire sur les récifs. Gilliat se conduit en héros, il sera mal récompensé.

    Mais ce livre c’est surtout le style flamboyant du grand écrivain qui touche ici au sublime. En pleine maturité Hugo maitrise les mots, leur choix, leur signification, leur ordonnancement, leur tournure. Son sens de l’observation aiguë mêlé à sa capacité infinie à restituer ce qu’il voit et ce qu’il imagine grâce à sa complète domination de la langue française. On ne se lasse pas de certaines descriptions, qui durent des pages, mais atteignent une incroyable réalité avec la magie du langage. On a notamment la narration de la grotte sous-marine où Gilliat se débat pour démonter l’épave du bateau du père de Déruchette. Celle de la tempête qui retarde son retour à Saint-Pierre-Port est également transcendante.

    « Le tourbillon de vent l’avait tordu, le tourbillon de mer l’avait retenu et le bâtiment ainsi pris en sens inverse par les deux mains de la tempête, s’était cassé comme une latte… La machine était sauvée ce qui ne l’empêchait pas d’être perdue. L’Océan la gardait pour la démolir. Jeu de chat.

    Il [le chaos] est solide dans la banquise, liquide dans le flot, fluide dans la nuée, invisible dans le vent, impalpable dans l’effluve. »

    Au sujet de de sa situation perdue sur ce rocher des Douves en pleine mer au large de Guernesey :

    « C’est une nudité dans une solitude. C’est une roche, avec des escarpements hors de l’eau et des pointes sous l’eau. Rien à trouver là que le naufrage.

    Se faire servir par l’obstacle est un grand pas vers le triomphe. Le vent était l’ennemi de Gilliat, Gilliat entreprit d’en faire son valet.

    D’où viennent-ils [les vents du large] ? De l’incommensurable. Il faut à leur envergure le diamètre du gouffre. Leurs ailes démesurées ont besoin du recul indéfini des solitudes. »

    Et alors que Gilliat, malgré son héroïsme, renonce à son amour pour ne pas empêcher le bonheur de Déruchette avec l’autre :

    « Le désespoir, c’est presque la destitution de l’âme. Les très grands esprits seuls résistent. Et encore…
    La mélancolie c’est le bonheur d’être triste. »

    Hugo a la particularité de rephraser ses mots en plusieurs expressions d’un sens légèrement différent, mais toujours dans la même direction, dans une même phrase, comme pour insister et marquer ce qu’il veut dire. C’en est presque poétique. Après la mort de sa mère Gilliat médite :

    « Cette mort fut pour le survivant un accablement. Il était sauvage, il devint farouche. Le désert s’acheva autour de lui. Ce n’était que l’isolement, ce fut le vide. »

    Victor Hugo a manifestement documenté très richement son roman par ses pérégrinations des années durant sur l’ile de Guernesey. Sa fréquentation des « travailleurs de la mer » lui donna aussi une précision d’architecte naval dans l’écriture de toutes les scènes marines. Il mit toutes ces connaissances ensemble, doublées du romantisme de son époque pour écrire un merveilleux roman. Il était vraiment un magicien des mots. Quel talent !

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  • « Madame de Sévigné » d’Isabelle Brocard

    « Madame de Sévigné » d’Isabelle Brocard

    Le film d’Isabelle Brocard revient sur la relation passionnelle et intrusive que Madame de Sévigné (jouée par Karin Viard) partageait avec sa fille Françoise (jouée par Ana Girardot) au XVIIe siècle. Louis XIV règne à Versailles et toute une aristocratie désœuvrée se presse à ses fêtes où, dans l’une d’elle, le Roi essaye de séduire Françoise. Sa mère, féministe avant l’heure, met fin à cette tentative de Louis et, pour la mettre à l’abri, marie sa fille à un noble désargenté qui l’installe en Provence dans son château de Grignan. Il va s’en suivre une intense correspondance entre la mère et la fille, la première voulant accaparer la seconde qui cherche à se défaire de cette emprise morale et affective.

    Cette correspondance conservée par la fille sera publiée après la mort de sa mère en 1696 donnant ainsi le statut d’épistolière à Mme de Sévigné, qui traversera les temps. On écrivait beaucoup à l’époque et ces lettres font aussi un peu la chronique d’une époque de la noblesse française. Ses lettres furent parfois partagées de son vivant dans son petit milieu, déclenchant des réactions inattendues dans une cour royale futile et avide de cancans.

    Le film insiste sur la relation mère-fille, parfois destructrice. Mme de Sévigné, veuve depuis ses 25 ans, rêve de liberté pour sa fille mais lui arrange un mariage « de raison » avec un homme intéressée par sa dot confortable. Françoise l’aimera finalement de façon plutôt classique et sincère. Elle lui donnera neuf enfants et… sa fortune. Devant cette mère exclusive et exigeante, excessivement aimante, le couple comprendra son influence néfaste sur la santé psychique et physique de Françoise. Son mari exigera qu’elles rompent leurs relations, ce qu’elles feront tout en continuant à s’écrire pour transcender cette séparation. On apprend grâce à Wikipédia que la fille accueillera sa vieille mère ne Provence pour la fin de vie.

    Le film est agréable. Sans doute la lecture des Lettres de Madame de Sévigné sera encore plus instructive pour comprendre une époque et s’imprégner du style épistolaire de l’auteure que l’on dit travaillé et original.

  • Querelle de mots dans un monde idéologique

    Querelle de mots dans un monde idéologique

    Le milieu politico-médiatique français se complaît dans une guérilla sémantique alors que la guerre fait rage au Proche-Orient. Le sujet du débat est de savoir comment qualifier les actions du mouvement palestinien Hamas et la campagne militaire en réaction d’Israël. Les propalestiniens parlent « d’acte de résistance » du Hamas et de « génocide » d’Israël. Les pro-Israël qualifient de « terrorisme » l’action du premier et de « droit de se défendre » pour le second. Et cela fait 70 ans que ça dure…

    Cette appréciation différenciée se constate en France entre l’extrême gauche et les partis de gouvernement, mais aussi à l’étranger. Aux Etats-Unis notamment, des intellectuels comme Judith Butler réassaisonne à la sauce « woke » ce conflit qui dure depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948.Les plateaux télévisés franchouillards adorent ce type de querelles de mots qui évitent de devoir réfléchir sur le fond.

    Vouloir convaincre un propalestinien que le Hamas est un groupe terroriste ou un pro-israélien que Tsahal commet des crimes de guerre, c’est comme de vouloir convaincre un trotskiste que Staline était un travailleur humanitaire. C’est inutile et, surtout, c’est peine perdue. Alors à quoi sert de vouloir forcer son adversaire politique à prononcer des qualificatifs qu’il réprouve ? A rien, sinon à animer des polémiques de plateaux télévisés. Il s’agit d’idéologies, les critères d’appréciation des uns sont différents de ceux des autres et les idéologues n’en changent pas. Les citoyens sont assez grands pour se faire leur opinion sans avoir besoin de guides spirituels. Les positions sont sur la table de façon assez claire, les électeurs en jugeront au moment de mettre un bulletin dans l’urne.

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  • « Hors saison » de Stéphane Brizé

    « Hors saison » de Stéphane Brizé

    Un film romantique qui fait l’éloge de la lenteur. Matthieu, acteur célèbre (joué par Guillaume Cannet) se repose de sa vie parisienne avec une thalassothérapie dans un village breton en plein hiver lorsqu’il retrouve par hasard une ancienne amoureuse italienne Alice (jouée par Alba Rohrwacher) qu’il avait quittée, sans doute un peu brutalement il y a une quinzaine d’années. Ils partagent quelques journées dans cet environnement désert où il y a plus de mouettes que d’humains sur fond de mer agitée et de grands espaces marins.

    Ils ont chacun fait leur vie, lui dans le milieu clinquant du cinéma parisien, elle, professeur de piano, mariée avec un médecin dans ce village du bout du monde. Ils vont renouer avec cet amour passé, elle avec toute sa sensibilité et la souffrance de cette séparation jamais vraiment digérée, lui se rendant compte de ce qu’il a infligé à Alice et s’en excusant. Et alors qu’ils se séparent une nouvelle fois pour revenir chacun à leur vie d’avant cette rencontre impromptue, elle lui fait promettre de ne plus jamais revenir. Ils se quittent, reconnaissants de ce qu’ils ont vécu et dit ces quelques jours et qui a probablement surpassé en intensité et en vérité toute leur vie commune d’antan. Ils ont ainsi clos avec élégance cette union commencée il y a quinze ans. La souffrance et les regrets vont ainsi mieux se dissoudre avec le temps, loin des reproches qui affleuraient.

    Un film doux comme un vol de mouettes immobiles dans l’azur, surfant sur le vent qui agite des vagues.

  • De Wagner à l’Africakorps

    De Wagner à l’Africakorps

    Avec une grande subtilité les forces paramilitaires russes intervenant en Afrique sont en train de se rebaptiser « Afrikakorps » à la suite de la réorganisation de l’ancienne milice « Wagner » rendue nécessaire par « l’accident d’avion » (sans doute un attentat) qui a décimé son état-major dans la chute de l’avion qui l’emmenait de Moscou à Saint-Pétersbourg en septembre dernier.

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    La milice aurait été initialement nommée « Wagner » en référence au compositeur allemand dont la musique fascinait le chancelier Hitler et emportait l’enthousiasme des foules. Il se disait que l’un des cofondateurs de Wagner, décédé dans « l’accident », était acquis à la cause nazie et portait des croix gammées tatouées dans le cou. C’est lui qui aurait choisi le nom.

    Après la disparition de ces miliciens, l’Etat russe semble avoir repris la main sur l’organisation de ces soldats de fortune et trouvé le joli nom « Afrikakorps » pour les désigner. Afrikakorps c’était tout simplement la dénomination de l’armée nazie dans les déserts africains durant la IIe guerre mondiale. Initialement sous les ordres de Rommel, cette armée a conquis des territoires en Libye et en Egypte avant de devoir reculer face aux alliés, notamment à la suite de leur célèbre victoire à El-Alamein en novembre 1942. L’Afrikakorps déposa définitivement les armes en mai 1943.

    Compte tenu de cette histoire pas vraiment glorieuse il n’est pas bien sûr que ce nouveau nom soit très approprié vu du côté russe… En tout cas, sa référence à l’armée nazie ne semble pas vraiment cohérente avec la mission de « dénazification » que s’est fixée la Russie pour l’Ukraine et le reste du monde !

  • Mauvaise foi et langue de bois : des finances publiques à la dérive

    Mauvaise foi et langue de bois : des finances publiques à la dérive

    Avec une mauvaise foi impressionnante et une langue de bois en chêne massif, le monde polico-médiatique semble découvrir avec stupéfaction que la République Française dépense beaucoup plus de sous qu’elle n’en gagne et a dû accroître sa dette pour financer les déficits. Il semble que le déficit du budget de l’Etat en 2023 sera largement supérieur à la prévision qui était déjà pourtant de 4,9% du produit intérieur brut. Le chiffre officiel sera connu la semaine prochaine.

    Ces derniers mois on a vu le gouvernement éteindre les crises successives en déversant des tombereaux d’argent sur les incendies pour les circonscrire : la « ruralité », l’armée, l’enseignement, les policiers, les transports publics, les retraités, les entreprises en difficulté…, sans parler de la gabegie des jeux olympiques organisés à Paris à l’été 2024 qui succèdent à la coupe du monde de rugby en France de 2023. Mais où croit-on que se trouve l’argent ?

    En réalité il est prélevé dans la poche des contribuables, qui n’y suffit pas, et emprunté sur les marchés financiers pour le complément. C’est ainsi que la République française a vu son endettement dépasser le plafond symbolique des 3 milliards d’euros. A chaque déplacement d’un ministre, celui-ci n’existe qu’en annonçant une nouvelle enveloppe de dépenses en faveur de la corporation qu’il visite. Jamais il n’est annoncé en même temps quelle autre dépense sera réduite pour compenser. Non, on dépense, c’est plus simple. On ne sait même plus ce que signifient ces enveloppes supplémentaires qui s’accumulent : seront-elles bien délivrées et dans quelles conditions ? A peine sont-elles annoncées que les bénéficiaires les empochent tout en se plaignant immédiatement qu’elles sont notoirement insuffisantes pour résoudre leurs difficultés. Les journalistes, souvent très limités dans leur capacité d’analyse économique, sont également prompts à critiquer l’Etat au sujet de ses dépenses, oubliant qu’ils bénéficient d’une niche fiscale spécifique à leur profession leur permettant de déduire des charges, avantage non offert aux autres citoyens, participant également aux déficits publics.

    La hausse des taux d’intérêt depuis deux ans a déjà considérablement alourdi les charges financières payées par les contribuables aux prêteurs. C’est maintenant le niveau de la dette qui pose un problème. Et on semble le découvrir… Les décideurs devraient lire plus régulièrement nos chroniques économiques.

    Il est à craindre qu’il ne faille réduire les dépenses publiques, et de façon assez considérable !

  • « Bye Bye Tibériade » de Lina Soualem

    « Bye Bye Tibériade » de Lina Soualem

    Lina Soualem représente la quatrième génération depuis son arrière-grand-mère qui a connu la « Nakba » en Palestine en 1948. Cette famille habitait Tibériade sur les rives du lac du même nom, lorsque la puissance mandataire, le Royaume-Uni, leur demanda de vider les lieux en quelques heures. La ville fut alors investie par des populations juives dont les forces paramilitaires avaient gagné la guerre l’opposant aux armées arabes levées pour s’opposer à la création de l’Etat d’Israël. Cette famille va alors errer à la recherche d’un point d’accueil qu’elle trouve dans le village de Deir Hanna, à une trentaine de kilomètres de Tibériade et désormais en territoire… israélien. C’est là que l’arrière-grand-mère installe sa famille sauf l’une de ses filles qui, dans la panique de l’exode, se retrouve dans un camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie où elle passa une grande partie de sa vie, sans moyen de revoir sa famille, la frontière entre Israël et la Syrie étant fermée.

    C’est là que nait Hiam, la mère de Lina, l’aînée d’une famille de huit filles. Assez vite elle marque son indépendance et sa volonté de sortir d’un système patriarcal d’un autre âge. Elle veut être actrice, sortir avec des garçons puis se marier avec un Anglais dont elle divorcera rapidement… toutes choses difficilement acceptables par un père arabe traditionnel. Elle réussit à gagner la France, qui lui offre la double nationalité, pour vivre de son métier d’actrice. C’est là que nait sa fille Lina, d’un père d’origine algérienne. Diplômée d’histoire, elle devient actrice et réalisatrice. Son premier documentaire, Leur Algérie, est consacré à sa découverte de sa famille paternelle en Algérie. Le second est dédié aux femmes de sa famille palestinienne.

    Hiam a régulièrement ramené sa fille Lina, enfant, se baigner dans le lac de Tibériade dans les années 1990 et partager avec sa famille palestinienne. Son mari (dont elle a aussi divorcé) était vidéaste amateur et le film intègre nombre de passages de cette époque, ainsi d’ailleurs que d’images d‘actualité sur l’exode provoqué par la guerre de 1948. Les images contemporaines sont celles filmées par Lina lorsqu’elle ramène sa mère en Israël pour un retour sur les racines de la famille palestinienne. C’est surtout Hiam qui se raconte dans le film. C’est une histoire de famille, d’exil, de souvenirs gardés bien au chaud dans le cœur de chacun. Après le décès de la mère de Hiam, ses filles se retrouvent dans la maison de Deit Hanna avant qu’elle ne soit vendue. Ensemble elles vont ouvrir les boîtes à bijoux de leur mère, les albums photos revenant sur les épisodes familiaux heureux, Lina enfant dans les bras de son arrière-grand-mère déjà âgée, la peau parcheminée par le soleil méditerranéen sous son voile, lui parlant arabe, le mariage d’une de ses tantes et, toujours, le lac de Tibériade comme horizon.

    Un épisode émouvant est raconté par Hiam lorsqu’elle revient sur sa rencontre avec sa tante de Yarmouk après des décennies de séparation. Grâce à son passeport français elle put entrer en Syrie à sa recherche, et la retrouver dans ce camp gigantesque près de Damas, démantelé depuis.

    Ce film est plein de la douceur et de l’amour que porte Lina à son histoire et aux siens. Déracinée entre l’Algérie de son père, la Palestine de sa mère et la France où elle est née, elle reste travaillée par cette histoire de déchirement et d’exil. L’accueil que la France a prodigué à sa mère ne suffit manifestement pas à apaiser les tiraillements qui sont les siens au cœur de la violence de l’histoire du Proche-Orient et du Maghreb. Dans ce documentaire elle a su les exprimer avec subtilité et passion. Lors de la promotion du film, elle et sa mère ont fait savoir qu’elles ne souhaitaient pas s’exprimer sur la nouvelle vague de violence qui embrase actuellement le Proche-Orient.

  • « Le Belvédère – maison de Maurice Ravel » à Monfort l’Amaury

    « Le Belvédère – maison de Maurice Ravel » à Monfort l’Amaury

    Maurice Ravel (1875-1937), immense compositeur français, a passé les quinze dernières années de sa vie dans cette maison de Monfort l’Amaury acquise en 1921 grâce à un héritage. Il y composa certaines de ses grandes œuvres comme le Concerto pour piano en Sol, celui « Pour la main gauche » ainsi que le célèbre Boléro. La maison est de dimensions modestes, en dénivelé à mi-hauteur d’une colline. Elle est de forme triangulaire, faisant l’angle d’une allée qui descend en la contournant et d’une rue qui monte en serpentant autour du parc qui occupe le sommet de la colline. La façade ouest domine une vaste vallée de verdure et, au fond, on nous dit que se trouve Paris ; la nuit le faisceau lumineux de la Tour Eiffel se voit depuis Montfort. Ravel vivait ici avec ses deux chats siamois

    L’ensemble de la maison a été décoré par le compositeur qui avait des idées assez précises en la matière. Également tourné vers la technologie de l’époque, il y fit installer le téléphone, le chauffage central et un chauffe-eau à gaz, luxes assez rares dans les années 1920. Il avait un électrophone pour écouter ses disques de jazz. La demeure est un peu conçue comme une maison de poupée. Tout est étroit et restreint, sans doute aussi dimensionné pour les tailles et corpulences plus petites il y a un siècle qu’aujourd’hui. Mais Ravel aime aussi le lilliputien, les meubles et étagères sont méticuleusement décorés de multiples petits bibelots et porcelaines, de minuscules jeux mécaniques dont le compositeur raffolait. Chaque pièce a ses propres thèmes et couleurs. Ravel avait une fidèle servante et les menus servis étaient toujours les mêmes avec systématiquement en entrée des maquereaux au vin blanc. Il recevait ses amis, ses interprètes, Colette qui n’habitait pas loin et qui avait écrit le livret de L’Enfant et les Sortilèges. Régulièrement il faisait des allers-retours sur Paris pour fumer ses Caporal dans les clubs de jazz de la capitale.

    On arrive enfin dans la pièce où Ravel composait sur son piano à queue.

    C’est le vrai piano ! Un des visiteurs, musicien, portant religieusement sa propre partition du Tombeau de Couperin comme s’il avait voulu l’imprégner de l’esprit ravélien qui hante cette demeure, demande très timidement s’il peut au moins poser un doigt sur une touche pour en jouer une note, une seule, voit sa requête rejetée poliment par la guide. C’est sur ce piano que Ravel a tenté de jouer la partition du Concerto en Sol qu’il avait lui-même écrite mais dont la difficulté technique était telle qu’il dû y renoncer et faire appel à Marguerite Long pour créer l’œuvre. Il avait dédié la Toccata du Tombeau de Couperin à Joseph de Marliave, mari de Marguerite, lui-même pianiste, mort au champ d’honneur en 1914. La reproduction en plâtre de la main de Marguerite Long est exposée en bonne place dans la vitrine de l’entrée, à côté de ses gilets et vestons, car Ravel était très élégant, presque dandy. A gauche du piano, le portrait de sa mère, en face le sien enfant et, à droite, celui de son père. Il y a là l’essentiel et on ressent une forte émotion et du respect devant ce piano qui permit à Ravel de composer parmi les plus belles pages de la musique du XXe siècle. A défaut des touches en ivoire du clavier, on se permet d’effleurer le dessus du piano en partant…

    Aux pieds du petit escalier se trouve la chambre de Maurice avec sa salle de bains dans laquelle sont minutieusement ordonnés son matériel de rasage sur une étagère haute et ses instruments de manucure disposés sur une serviette dessinée en touches de piano sur celle du dessous. La pièce donne de pleins pieds sur une terrasse et le jardin japonais en contrebas, également aménagé par Ravel. A l’horizon, bien loin, il y a l’agitation parisienne.

    En quittant Monfort l’Amaury, le visiteur découvre que le comté de Monfort était lié au duché de Bretagne depuis le XIIIe siècle, d’où la profusion de références à Anne de Bretagne qui ramena ce compté à la couronne de France lors de la réunion définitive de la Bretagne à la France au XVIe. L’église de Monfort l’Amaury organise toujours un pardon breton autour de l’Ascension.

    C’était juste une petite heure dans le monde hors de portée d’un géant de la musique !