Catégorie : Neurones

  • L’académie française travaille

    L’académie française travaille

    L’académie française a été créée en 1635. L’article XXIV de ses « Statuts et Règlements » n’a pas changé, il stipule que :

    « La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences »

    C’est ainsi que l’académie a décidé que l’on disait « la » Covid et non « le » Covid. Cette décision du 07/05/2020 est documentée et justifiée mais quasiment personne ne suit cette directive, disons plutôt cette « recommandation ». On notera l’utilisation du conditionnel dans la dernière phrase : « …l’emploi du féminin serait préférable… »

    Covid est l’acronyme de corona virus disease, et les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation. On dit ainsi la S.N.C.F. (Société nationale des chemins de fer français) parce que le noyau de ce groupe, société, est un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est composé de mots étrangers, le même principe s’applique. On distingue ainsi le FBI, Federal Bureau of Investigation, « Bureau fédéral d’enquête », de la CIA, Central Intelligence Agency, « Agence centrale de renseignement », puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau, et dans l’autre, par un nom féminin, agence. Corona virus disease – notons que l’on aurait pu préférer au nom anglais disease le nom latin morbus, de même sens et plus universel – signifie « maladie provoquée par le corona virus (“virus en forme de couronne”) ». On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie. Pourquoi alors l’emploi si fréquent du masculin le covid 19 ? Parce que, avant que cet acronyme ne se répande, on a surtout parlé du corona virus, groupe qui doit son genre, en raison des principes exposés plus haut, au nom masculin virus. Ensuite, par métonymie, on a donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui la provoque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien.

    https://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19

    Dans le même ordre d’idée, cette noble institution a émis une déclaration à l’unanimité de ses membres le 26/10/2027 concernant l’écriture inclusive :

    Prenant acte de la diffusion d’une « écriture inclusive » qui prétend s’imposer comme norme, l’Académie française élève à l’unanimité une solennelle mise en garde. La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.

    Pus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.

    Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète.

    https://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive

    Il est de bon ton au Café de Flore de taxer l’académie française d’être un repaire de gens âgés qui somnolent gentiment dans une enceinte bien chauffée au bord de la Seine. Ces deux recommandations picorées au hasard du site web de l’académie semblent frappées au coin du bon sens, même si écrites par des académiciens « âgés ». La lecture de la rubrique « Dire, Ne pas dire » est un délice de l’esprit et un plaisir des sens tant la réflexion sur l’usage de la langue française est une espèce de conquête de l’inutile qui laisse rêveur.

  • TABARLY Eric, ‘Mémoires du large’.

    TABARLY Eric, ‘Mémoires du large’.

    Sortie :1997, Chez : Editions de Fallois.

    Éric Tabarly (1931-1998), grand navigateur des années 1960-1980, donne ici quelques éléments biographiques de sa vie sur toutes les mers du globe, surtout, et, parfois aussi sur la terre ferme. On se souvient du côté taiseux de sa personne quand il paraissait sur les médias à la suite de ses brillantes victoires, on ne s’étonne donc pas que ces « Mémoires » ne soient pas particulièrement intimistes.

    C’est l’histoire d’une passion, celle d’un homme pour le grand large et un bateau, le Pen Duick, construit en 1898, le seul qui ne porte pas de numéro. C’est pour remettre celui-ci à flot qu’il rentre dans la marine militaire. Une fois diplômé de l’aéronavale il fit un séjour en Indochine où il pilotait des avions de transport. Il restera officier toute sa carrière mais le ministère des armées le détache auprès du ministère des sports pour qu’il puisse défendre les couleurs de la France dans les compétitions maritimes internationales. En réalité c’est un statut préférentiel car il concourt en son nom et non en celui du pays, mais qu’importe la Royale sera souvent présente pour lui donner un coup de pouce pour certaines de ses courses.

    Tabarly a couru à une époque où les marins calculaient leur route avec un sextant et n’utilisait pas de radio pour communiquer avec la terre… Et à ce jeu il était très fort, remportant nombre de courses grâce aux astucieuses innovations techniques dont il a équipé ses différents bateaux qui tous s’appelaient Pen Duick X (pen-duick veut dire « petite tête noire » et désigne la mésange noire en breton). Assez rapidement il s’est associé avec un fidèle équipier qui s’est occupé de la recherche de financement et de l’intendance pendant qu’Éric courrait sur les océans contre les éléments. Pour les courses en équipage, il a embarqué et formé des équipiers qui ont ensuite pris sa succession sur les sentiers de la gloire.

    Son cœur était tout entier offert à la mer et à la navigation hauturière, c’était celui d’un marin sans attache terrestre. Il aborde en quelques lignes l’arrivée de Jaqueline, martiniquaise, et Marie leur fille. Incroyable coup du sort, quelques mois après la publication de cet ouvrage, Tabarly trouve la mort dans la Manche lors d’une manœuvre dirigée à bord de son Pen Duick favori qui se rendait en Angleterre. Renversé par un coup de la baume, son corps sera retrouvé des semaines plus tard. Le héros avait aussi ses faiblesses, notamment celle de ne jamais porter de harnais de sécurité.

    Lire aussi : Moitessier Bernard, ‘La longue route’.

  • En passant

    En passant

  • SIMON Claude, ‘Le cheval’.

    SIMON Claude, ‘Le cheval’.

    Sortie : 2015 (1958), Chez : Les éditions du Chemin de fer.

    Publié pour la première fois en 1958, ce roman de Claude Simon (1913-2005) parle du traumatisme des hommes de son temps qui ont vécu l’effondrement moral de l’Europe qui voit le fascisme y prendre le pouvoir dans les années 1930 et mener le continent à sa destruction au terme de la seconde guerre mondiale. Il a, de plus, perdu son père tué au cours de la guerre de 1914-1918. L’écrivain a fait son service militaire en 1934/1935, a voyagé ensuite, notamment en Espagne pour écrire sur la lutte à mort des Républicains contre le régime franquiste. Mobilisé en 1940, il est fait prisonnier par les Allemands en juin de la même année, s’évade, termine la guerre à Paris avant de mener son brillant destin d’écrivain qui le mènera jusqu’au prix Nobel de littérature en 1985.

    Ce court roman se déroule dans une unité de cavalerie (à cheval et non pas avec des chars), le narrateur, sans doute proche de Claude Simon lui-même, raconte les convois interminables de ces longues files de chevaux et de leurs cavaliers sur des routes improbables, souvent de nuit et sous une pluie glacée. Les dialogues entre les soldats sont courts, parfois légers dans cette atmosphère guerrière. Mais il n’y a pas de combats, seulement la possibilité de la mort qui rode. On ne sait pas où vont ces cavaliers. Ils ne le savent pas eux-mêmes, suivant le convoi qui, parfois, s’arrête de longs moments, comme lors d’un bouchon sur la route, avant de redémarrer lentement, sans doute vers Dunkerque et, pour les plus chanceux, une évacuation vers le Royaume Uni, ou vers de nouveaux combats dont ils sortiront morts, blessés ou prisonniers.

    Il y a des escales dans ce long cheminement vers l’inconnu. Parfois la troupe s’arrête dans un hameau où elle trouve un abri précaire dans des granges pour les hommes et les chevaux. Elle s’y mêle aussi à la vie des habitants qui continue. Les petits conflits locaux, des femmes qui passent et les émeuvent, des souvenirs de leur vie d’avant et des leurs laissés au village. Les guerriers partagent leur vie avec celles des chevaux qui les portent et leur sont indispensables. Une nuit l’un des chevaux, malade, agonise, couché sous un abri, veillé par les hommes qui ne sont pas complètement indifférents à sa fin. Il symbolise aussi la douloureuse défaite de l’armée française en cette année 1940.

    Avec ce récit Claude Simon a posé les bases de « La route des Flandres » qui sera publié en 1960. Son style est un merveilleux équilibre entre concision des thèmes et richesse des mots (le lecteur lambda doit régulièrement consulter son dictionnaire…). Le choix des termes et des phrases dénote comme la mélancolie de cet exode à travers un pays à la dérive. La camaraderie de soldats exilés est touchante malgré leur détachement face aux évènements. Nous sommes en pleine débâcle, mais on ressent comme une certaine douceur tragique dans cette atmosphère de pré-apocalypse.

    Sur leurs chevaux hagards les cavaliers-soldats parlent de Dieu !

  • « Les lavandières de la nuit » par le chœur de chambre Melisme(s) au Sémaphore de Trébeurden

    « Les lavandières de la nuit » par le chœur de chambre Melisme(s) au Sémaphore de Trébeurden

    Le chœur de chambre Melisme(s) présente un charmant spectacle musical mêlant les traditions bretonnes avec la musique classique (Verdi, Berlioz…). Sous la direction de Jérôme Pungier qui joue de la clarinette, un quatuor de chanteur, un accordéoniste et une diseuse-soprano chantent et racontent les « Lavandières de la nuit » qui battent leur linge sous les étoiles en prédisant la mort qui rôde autour de tous.

    C’est bien emmené, bien joué, bien chanté, parfois en breton, parfois dans des harmonies un peu modernistes pour une oreille classique. La soirée est douce.

  • DUBOIS Jean-Paul, ‘ Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon’.

    DUBOIS Jean-Paul, ‘ Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon’.

    Sortie : 2019, Chez : Editions de l’Olivier.

    Prix Goncourt 2019, ce roman de Jean-Paul Dubois relate la vie ordinaire de Paul, dont on apprend dès les premières pages qu’il est en prison, élevé dans les années 1960 par une mère libertaire-soixante-huitarde et un père pasteur danois, plus rigoureux. Cet étrange mélange produit un homme qui mène sa vie comme il le peut, de Toulouse au Québec, avec quelques sommets, son amour pour sa femme indienne et sa chienne Nouk, mais aussi des désastres. Libéré de prison par anticipation des deux années auxquelles il a été condamné, n’ayant plus grand monde à aimer autour de lui, il retourne aux sources léguées par son père et le roman se termine sur son arrivée dans un village du grand Nord danois.

    Un roman bien fait, plein d’humour qui se lit agréablement. La fatalité qui semble cerner la vie de Paul ne l’empêche pas finalement de la poursuivre sur des bases positives qui devraient lui permettre de transcender les bonnes et mauvaise choses qui lui sont arrivées jusqu’ici.

  • « Chéri Samba dans la collection Jean Pigozzi » au musée Maillol

    « Chéri Samba dans la collection Jean Pigozzi » au musée Maillol

    Délicieuse rétrospective de l’artiste congolais (ex-zaïrois) Chéri Samba, né en 1956 dans un village proche de la capitale Kinshasa qu’il rejoint dans les années 1970. D’abord peintre publicitaire autodidacte pour devantures de coiffeurs et de tous ces petits commerces qui maintiennent tant bien que mal la tête du peuple à peine hors de l’eau de cette ville tentaculaire où la misère fraye avec une incroyable frénésie culturelle s’exprimant via la musique, le dessin, la peinture, la mode… il est aujourd’hui un artiste internationalement reconnu. Il sait rendre avec talent la joyeuse confusion qui enveloppe Kinshasa, tournant parfois à la farce sanglante sous la botte de satrapes comme Mobutu ou Kabila père, qui ont vainement tenté de gouverner ce pays gigantesque et ingouvernable.

    Dans ses peintures Chéri Samba introduit humour et couleurs éclatantes mais sous leur aspect naïf ses toiles déclinent la vision qu’il a des dérives de son pays : les enfants-soldats, la bière Primus tiède dans les nuits de Kinshasa, l’argent obsessionnel, le poids de la « fraternité » à l’africaine qui transforme la masse des inactifs en véritables sangsues consommant le salaire de ceux qui travaillent et qui ne peuvent rien refuser à leurs « frères dans le besoin », les infrastructures en ruine…

    Enfant soldat (kadogo) dont un effectif important a été employé pour le renversement du dictateur Mobutu par le satrape Kabila en 1997

    Samba se met souvent en scène dans ses tableaux dénotant sans doute une petite faiblesse narcissique mais dont il joue, comme toujours, avec humour. Les « sapeurs » étant une spécialité locale, ses personnages sont représentés avec des vêtements tape-à-l’œil aux couleurs voyantes, des grosses montres et tous les ustensiles propres aux m’as-t-vu qui font la réputation de Kinshasa. Il représente son fils en enfant soldat comme ceux, nombreux, que le président Laurent-Désiré Kabila a recrutés et armés pour renverser son prédécesseur le président Mobutu après 32 ans de pouvoir. Kabila, lui, a fini assassiné trois ans après son accession à la présidence, pour être remplacé par… son propre fils ! Tous ces évènements tragi-comiques font le miel de l’inspiration du peintre dont l’œil affuté sait croquer toutes ces scènes de la vie congolaise. La plupart des toiles sont de grande taille et les couleurs flashy sont percutantes mais irréelles ; quiconque connait un peu l’Afrique centrale sait qu’elle est plus souvent sous la poussière ou la pluie que sous un ciel bleu. Qu’importe, sa peinture traduit les excès d’un pays et rien n’interdit de rêver qu’il évolue sous un ciel pur et le sourire de ses citoyens dans une ambiance optimiste et rigolarde.

    L’une des spécificités de Samba est de peindre aussi des textes sur ses toiles pour diffuser ses idées, souvent rédigés de façon aussi naïve que la peinture qu’ils illustrent. Dans une interview diffusée sur un grand écran, on voit l’artiste expliquer que c’est aussi un bon moyen pour que les visiteurs restent plus longtemps devant ses toiles, un objectif plutôt atteint.

    Samba a commencé à exposer en dehors de l’Afrique dans les années 1980 pour devenir aujourd’hui un artiste mondialement connu de l’art africain contemporain. Les quelques 50 toiles exposées au musée Maillot sont extraites de la collection d’art africain financée par Jean Pigozzi via la Contemporary African Art Collection (CAAC) avec l’aide d’André Mangin qui parcourt le continent africain à la recherche d’œuvres intéressantes.

  • « Shttl » d’Ady Walter

    « Shttl » d’Ady Walter

    Nous sommes en 1941 dans un village juif d’Ukraine soviétique au cœur duquel s’oppose les juifs orthodoxes et les juifs « soviétisés » dans l’éternel lutte entre les anciens et les modernes. Dans la tradition juive les orthodoxes défendent des comportements d’un autre âge vis-à-vis des femmes, du travail et de l’interprétation de la Bible ? Ce sont les mêmes aujourd’hui qui défendent le droit d’Israël sur la Palestine puisque le concept de « grand Israël » est mentionné dans l’ancien testament depuis 4 000 ans… Au cœur de ce village perdu une partie des jeunes a été embrigadée par l’idéologie communiste qui, outre qu’elle refuse le fait religieux, prône des concepts généralement en totale opposition avec la Bible…

    Dans le film, Mendele qui fait des études de cinéma à Moscou sous uniforme militaire revient au village pour enlever son amoureuse Yuna des griffes rétrogrades de Folie, cultivant un judaïsme hassidique particulièrement rétrograde, qui fut son ami lorsqu’ils étaient enfants et qui se prédispose à devenir le rabbin de la synagogue lorsque l’actuel, père de Yuna, quittera ses fonctions. Ils en sont là lorsque l’armée allemande entame l’opération « Barbarossa » et envahit l’ouest de l’Ukraine où est situé le village. Il s’en suit le pogrom du village représentatif de la « shoah par balles » qui précéda l’extermination industrielle mise en œuvre dans les camps nazis d’extermination. Mendele le moderne est alors tiraillé entre sa fidélité aux siens et son amoureuse. Les Allemands mettent fin à leur manière à la querelle des anciens et des nouveaux et c’est sur cet épilogue dramatique que se termine le long métrage.

    Ce film intimiste se déroule entre ce pauvre village de masures en bois et la forêt attenante. Le noir-et-blanc est utilisé pour l’année du retour de Mendele au village et la couleur est réservée à la jeunesse des protagonistes, marquant sans doute ainsi la noirceur de cette année 1941. Réalisé par le franco-ukrainien Ady Walter, le tournage du film a été effectué en yiddish en Ukraine et a été perturbé par les bruits de bottes russes qui annonçaient l’invasion de février 2022, comme une tragique confrontation entre l’histoire et l’actualité. Le massacre d’israéliens commis le 7 octobre 2023 en Israël par le mouvement religieux Hamas est venu aggraver encore la funeste cruauté de la réalité, lorsque se mêlent les ambitions de pouvoir et la haine religieuse !

  • SUREAU François, ‘Le chemin des morts’.

    SUREAU François, ‘Le chemin des morts’.

    Sortie : 2013, Chez : Gallimard / Folio n°6410.

    François Sureau, né en 1958, haut-fonctionnaire ancien élève de l’ENA, passé du conseil d’Etat aux fauteuils bien rémunérés des « conseillers » du CAC40, avant de devenir avocat et écrivain, a été élu membre de l’accadémie française en 2021 au fauteuil n°24, libre après le décès de Max Gallo. Le garçon est brillant, la barbe bien taillée, le verbe juste, l’écriture précise et fluide, mais le garçon a parfois des remords sur ses actions passées.

    Dans ce court récit il raconte son expétience d’auditeur au conseil d’Etat dans les années 1980, chargé de rédiger des avis à la commission de recours de réfugiés. A ce titre, il eut à traiter le cas d’un ancien militant basque, réfugié en France depuis vingt ans après avoir participé à des actions violentes contre le franquisme. L’Espagne étant revenue à la démocratie après la mort de son dictateur galonné en 1975, la France a décidé de refuser désormais le statut de réfugié aux demandeurs de nationalité espagnole. En réalité, le nouvel Etat espagnol était certes « démocratique » mais il continuait de tolérer, voir de manipuler, des commandos de la mort, plus ou moins activés par la police, qui réglaient, le plus souvent violemment, les comptes du terrorisme espagnol, et bien sûr, tout particulièrement basque.

    Lorsque la décision de refus de renouvellement de son statut de réfugié en France dont il disposait depuis 1969 est notifiée à Javier Ibarrategui, suivant ainsi l’avis rédigé par le conseiller Sureau, il s’exprime calmement pour dire qu’il ne restera donc pas en France, contre la loi, mais rentrera en Espagne où il risque fortement d’être assassiné par les « groupes anti-terroristes de libération (GAL) ». Le même jour la commission accordait le statut de réfugié « à un Zaïrois dont nous devions découvrir ensuite qu’il s’était déjà présenté trois fois à la commission sous des identités différentes. Il avait un beau talent d’acteur et revendait ensuite -à un prix abordable- le précieux papier à ses compatriotes. »

    Quelques mois plus tard Ibarrategui est assassiné en Espagne, très probablement par les GAL. François Sureau s’interroge bien sûr sur l’opportunité de cette décision qu’il a initiée. Il n’est d’ailleurs pas sûr que s’il avait proposé l’inverse il eut été suivi, mais le sort vengeur et funeste qui fut réservé à Ibarrategui continue de le hanter, et sa responsabilité, même très indirecte, dans sa mort de l’obséder. Il explique comment l’image noble d’Ibarrategui la dernière fois qu’il le vit sous les ors du conseil d’Etat fut devant lui à toutes les (nombreuses) étapes de sa brillante carrière, sans préciser toutefois si ce souvenir indélébile a fait évoluer sa vision du monde et des dossiers qu’il eut à traiter, au barreau de Paris où dans les salons du CAC40. Il pose de façon claire et percutante, à son petit niveau, le problème de la responsabilité morale des décisionnaires d’un Etat démocratique, qui sont souvent confrontés aux choix cornéliens de devoir arbitrer entre l’intérêt général et le particulier, entre la raison d’Etat et l’émotion. Ce n’est certainement pas facile à vivre pour quiconque dispose d’un esprit bien fait, mais aussi d’une âme et de convictions.

  • « La chimère » d’Alice Rohrwacher

    « La chimère » d’Alice Rohrwacher

    La réalisatrice italienne Alice Rohrwacher nous livre un film basé sur un scénario un peu foutraque racontant le périple d’une bande de pieds-nickels trafiquant les pièces qu’ils pillent dans d’antiques tombes étrusques. Ils habitent dans un pauvre village au bord de la mer et d’une usine polluante qui rejette ses déchets un peu partout. Le clan vivote entre bistrot et escroqueries lorsqu’un de leur pote Arthur, anglais, sourcier, sort de prison pour les rejoindre. Ensemble ils reprennent la chasse au trésor, croisent des trafiquants plus haut de gamme qui les escroquent à leur tour et Arthur court après le souvenir de son amoureuse disparue à jamais mais dont l’image le hante jusqu’à la fin, lorsque enfermé dans un tunnel éboulé il tire le fil qui le ramène à la vie et à son amour, peut-être…

    La multitude de personnages loufoques qui se croisent dans le film en font l’intérêt et l’accumulation de situations improbables marque l’imagination sans bornes de la réalisatrice également scénariste. On se croirait un peu dans Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola sorti en 1976 qui racontait la vie d’une famille dans un bidonville de Rome au début des années 1970. Un film un peu triste mais désopilant.

    Celui d’Alice Rohrwacher est plus social que véritablement drôle. Un film sur la débrouille à l’italienne d’une bande de joyeux drilles qui affrontent la misère car il faut bien survivre.

  • GRANN David, ‘Les naufragés du Wager’.

    GRANN David, ‘Les naufragés du Wager’.

    Sortie : 2023, Chez : Editions du sous-sol.

    1740 : les royaumes d’Angleterre et d’Espagne se font la guerre pour leur conquêtes coloniales, une armada quitte Douvres pour passer la Cap Horn rattraper la flotte espagnole sur la côte pacifique du Chili. Le HMS Wager est l’un d’entre eux. Les conditions de vie à bord sont extrêmement dures, le scorbut fait des ravages, le commandement est autoritaire, les moyens de navigation sont hasardeux… la flotte anglaise est ravagée en tentant de passer le Horn et le HMS Wager s’échoue dans la tempête sur les rochers d’une île du Grand Sud. Les survivants se retrouvent sur une île rocheuse très inhospitalière dans ces latitudes.

    C’est une micro-société d’une centaine de personnes qui va se débattre pour survivre durant des mois. Les naufragés se battent contre les éléments qui sont en permanence déchaînés, certains s’élèvent contre la rigidité du règlement de la Marine de Sa Majesté qui continue à s’appliquer dans ce nouveau contexte, d’autres entrent en rébellion, des clans se constituent, se battent, se tuent et, finalement, vont mener deux tentatives séparées de retourner en Angleterre.

    Contre toute attente, certains vont réussir après des périples dantesques à rallier Londres où ils vont devoir rendre des comptes devant la justice royale et l’Amirauté qui veulent s’assurer que la discipline a été respectée, même aux antipodes, et que les coupables survivants, s’il y en a, seront châtiés. Certains écrivent et publient leurs aventures pour influencer l’opinion publique. Finalement les juges font preuve de clémence et préfèrent enterrer l’affaire avec diplomatie pour ne pas faire de vague en une période où l’Empire britannique veut affirmer sa domination sur les peuples du monde et la supériorité de sa cavillation sur celles des pays colonisés…

    Il s’agit d’une histoire vraie, célèbre dans l’histoire de la Marine royale et en Angleterre, que l’auteur a reconstituée à partir des archives. Les ressorts de la comédie humaine sont identiques au XVIIème et aujourd’hui. Autorité, rébellion, avidité, jalousie, individualisme, sens de l’intérêt général… tout est concentré dans ce microcosme insulaire aux conditions dramatiques, y compris une fin heureuse après l’épreuve pour certain. Un récit haletant qui se lit comme un polar.

  • « Le Paris de la modernité, 1905-1925 » au Petit Palais

    « Le Paris de la modernité, 1905-1925 » au Petit Palais

    1905-1925, le rayonnement de Paris débordant d’activité attire les artistes de nombreux pays venus se frotter au formidable foisonnement culturel de la ville lumière. Même la période de la grande guerre de 1914-1918 ne tarit pas le flot des artistes. Il est question de culture bien sûr, mais aussi de sciences et de technique. L’exposition universelle de 1925 met en valeur les avancées françaises dans ces domaines.

    Le soleil de l’art ne brillait alors qu’à Paris, et il me semblait et il me semble jusqu’à présent qu’il n’y a pas de plus grande révolution de l’œil que celle que j’ai rencontrée à mon arrivée à Paris.

    Marc Chagall

    Sonia Delaunay, Amedeo Modigliani, Tamara de Lempicka, Picasso, les couturiers Lanvin ou Poiret, le bijoutier Cartier, Joséphine Baker, Jean Cocteau, de Montmartre à Montparnasse, Paris brille des feux de tous ces artistes qui s’inspirent les uns les autres et dont l’exposition du Petit Palais donne un aperçu des réalisations, avec même un avion exposé. Après avoir traversé tous les vestiges de cette époque, le visiteur dubitatif se demande si notre présent est bien à la hauteur de ce passé brillant.

    Un poème de Blaise Cendrars (« La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France ») illustré par Sonia Delaunay vs. Cyril Hanouna animant ses télé-réalités-poubelle, cherchez l’erreur… Mais chacun ses dérives, les Futuristes italiens clamaient en 1909 à la une du Figaro dans leur « Manifeste du futurisme » que « nous voulons glorifier la guerre -seule hygiène du monde-, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent et le mépris de la femme. » Au moins ces idéologues de l’anarchie du début du XXème siècle laissèrent des œuvres à la postérité.

  • MAUROIS André, ‘Olympio ou la vie de Victor Hugo’.

    MAUROIS André, ‘Olympio ou la vie de Victor Hugo’.

    Sortie : 1954, Chez : Librairie Hachette

    André Maurois nous raconte ici la vie de ce géant de la littérature et la politique françaises qu’est Victor Hugo (1802-1885). A 8 ans il traduit Virgile, à 15 ans, fervent admirateur de Chateaubriand, il reçoit une distinction au concours de poésie de l’académie française (il est trop encore trop jeune pour l’intégrer, ce qu’il fera en 1841). Sa jeunesse se déroule alors que Napoléon 1er dirige le pays et cherche à dominer l’Europe, son père est général de l’empereur, sa mère s’oppose à Napoléon. Nommé en Espagne sous l’autorité de Joseph Bonaparte, son père, séparé de son épouse, s’installe à Madrid avec ses trois fils. Victor vit sous les ors de l’Empire mais découvre aussi les affres de la répression contre les rebelles, répression dirigée par… son père.

    Marié avec Adèle Foucher, son amour de jeunesse, ils eurent 5 enfants dont le premier décède rapidement. Il verra mourir trois d’entre eux (Léopoldine d’une noyade accidentelle, Charles et François-Victor de pathologies diverses), seule Adèle sa fille lui survivra mais en proie à des troubles mentaux importants elle finira sa vie internée dans un asile. Affecté d’une sexualité d’ogre il accumule les conquêtes féminines jusqu’à la toute fin de sa vie. Sa femme commet aussi des infidélités avec Sainte-Beuve, ami de la famille, qui deviendra l’ennemi de Victor. Sa maitresse en titre est Juliette Drouet qui suivra son héros toute sa vie, composant ainsi un trio affectif avec Adèle plutôt original pour l’époque. Le grand homme pouvait tout se permettre…

    Travailleur acharné, il produit sans relâche de la poésie, des pièces de théâtre, des romans, des discours, une correspondance fournie, des dessins… Ses œuvres complètes se répartissent aujourd’hui en plusieurs dizaines de volumes. Mais il est sans doute avant tout un poète et versifie à tout moment et sur tous sujets. Sa maîtrise des mots dépasse l’entendement. Dans un style plutôt classique ses vers racontent son âme dans son époque.

    Jeunes amours, si vite épanouies,
    Vous êtes l’aube et le matin du cœur,
    Charmez l’enfant, extases inouïes !
    Et, quand le soir vient avec la douleur,
    Charmez encor nos âmes éblouies,
    Jeunes amours, si vite évanouies !.

    Mais il fut aussi homme politique, en rébellion contre Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III (qu’il qualifia de Napoléon « le petit » dans un article célèbre), après que celui-ci mena un coup d’Etat en 1851 pour rétablir un empire autoritaire. Jusqu’à la capitulation et la capture en septembre 1870 du dictateur par les Prussiens lors de la défaite de Sedan, Victor Hugo choisit l’exil, d’abord à Bruxelles puis à Jersey et Guernesey où il resta près de 20 ans, y poursuivant son œuvre magistrale. Malgré diverses amnisties dont il aurait pu bénéficier, il clama toujours : « quand la liberté reviendra, je reviendrai », ce qu’il fit en dès la proclamation de la IIIème République en septembre 1870. Accueilli comme un héros par des milliers de parisiens, il lui restait encore 15 années à vivre. Ses funérailles nationales rassemblèrent un million de personnes à Paris.

    André Maurois, lui aussi membre de l’académie française et spécialiste des biographies d’hommes illustres, trace la personnalité exceptionnelle de Victor Hugo avec force citations extraites de sa gigantesque production littéraire, illustrant les moments douloureux, glorieux, rebelles, solitaires, romantiques, naturalistes…

    Elle avait dix ans et moi trente ;
    J’étais pour elle l’univers.
    Oh ! Comme l’herbe est odorante
    Sous les arbres profonds et verts…

    Doux ange aux candides pensées,
    Elle était gaie en arrivant… –
    Toutes ces choses sont passées
    Comme l’ombre et comme le vent !

    1844, écrit pour le 1er anniversaire de la mort de sa fille Léopoldine

    Le biographe, tout en insistant sur l’œuvre détaille aussi la personnalité égocentrique de l’auteur, renforcée par les succès littéraires rencontrés, la fréquentation des plus grands, la reconnaissance du peuple comme de l’intelligentsia à toutes occasions. Bien sûr, ses cendres ont été transférées au Panthéon des grands hommes de la « Patrie reconnaissante ».

  • « À la cour du Prince Genji – 1000 ans d’imaginaire japonais » au musée Guimet

    « À la cour du Prince Genji – 1000 ans d’imaginaire japonais » au musée Guimet

    11ème siècle au Japon, c’est l’époque Heian, la vie culturelle à la cour de Kyoto est extrêmement riche, les caractères de l’écriture sont changés ce qui favorise la diffusion de la culture écrite, la poétesse Murasaki Shikibu écrit un vaste roman : le Dit du Genji qui déroule en 54 chapitres la vie du prince impérial Gengi à la cour. Cette fiction fondatrice inspire toujours la culture japonaise jusqu’au manga d’aujourd’hui. Ce long poème a donné lieu à des illustrations sous forme de dessins, décorations sur laque et de tissages depuis sa publication. Nombre d’entre eux sont exposés par le musée Guimet qui de plus a bénéficié d’un don de quatre rouleaux tissés par le maître tisserand Itarô Yamaguchi (1901-2007) qui voulut en fit don à la France, la patrie où a été inventé le métier à tisser « Jacquard » au début du XIXème siècle.

    Ces rouleaux, exposés dans de longues vitrines horizontales, alternent les caractères japonais de certains des chapitres du poème avec des tissages très sophistiqués et d’une grande finesse. Le maître Yamaguchi a mis trente ans à peaufiner cette réalisation poétique qui est l’œuvre de sa vie. La culture japonaise est quelque chose d’assez mystérieux pour le citoyen occidental, surtout lorsqu’elle remonte au XIème siècle. On pressent un monde extrêmement raffiné et précieux qui préserve ses traditions jusqu’à nos jours, ce qui confirme cette exposition d’un musée Guimet en pleine rénovation.

    Les cerisiers, arbres oh combien symboliques du Japon sont représentés sur dessins et tissages sous différentes formes.

    Le cerisier
    En vérité nous enseigne
    Par sa floraison
    Et par son rouge feuillage
    Que ce monde est éphémère

    Au deuxième étage est présenté l’exposition de photos « Portrait éphémère du Japon » de Pierre-Elie de Pibrac avec une galerie de personnages, figés sur de très grands formats, en couleurs ou en noir-et-blanc, avec qui généralement il dialogue préalablement pour créer le scénario des photos qui convoque l’histoire et la culture du Japon.

    Pierre-Elie de Pibrac
  • « Van Gogh à Auvers-sur-Oise – Les derniers mois » au musée d’Orsay

    « Van Gogh à Auvers-sur-Oise – Les derniers mois » au musée d’Orsay

    Le musée d’Orsay expose les dernières œuvres de Vincent Van Gogh à Auvers-sur-Oise où il arrive le 20 mai 1980 pour y passer les derniers jours de sa vie à laquelle il mettra fin en se tirant une balle dans le cœur. Il meurt le 29 juillet. Van Gogh fait preuve d’une incroyable productivité durant ces 70 jours réalisant 74 tableaux et 33 dessins, dont certains parmi les plus célèbres. C’est dire qu’il a fait plus d’un tableau abouti par jour, d’autant plus que les dernières 48 heures ont dû être moins fécondes avec une balle dans le cœur…

    Il s’installa dans l’auberge du village dont il portraitura la fille des aubergistes. Il fréquente le Dr. Gachet, psychiatre local tourné vers les arts qui l’accompagne dans les crises psychiques qu’il subit encore régulièrement. Van Gogh sort d’un internement à Saint-Rémy de Provence et affiche une personnalité manifestement très perturbée. Ses rencontres avec le docteur, qu’il portraiture également et s’inspire de son jardin pour peindre des natures mortes, n’empêchera pas son geste fatal sur le déroulement duquel subsiste encore quelques mystères.

    Eh bien mon travail à moi j’y risque ma vie et ma raison y a fondrée à moitié.

    A Théo 23/07/1890, lettre que Vincent portait le jour de sa tentative de suicide

    Ce petit village situé à une trentaine de kilomètres au nord de Paris, en pleine nature, au milieu des champs et du mode de vie rural de ses habitants a déjà inspiré les peintres avant Van Gogh. Installé au milieu des champs celui-ci peint dans l’urgence des paysages aux somptueuses couleurs : vert, bleu et jaune, dans une infinité de nuances que le tourbillon de ses pinceaux emmène bien loin dans l’imaginaire des spectateurs éberlués devant une telle maestria. Certains tableaux incluent le village et des fermes aux formes un peu biscornues avec cette notion singulière de la perspective développée par l’artiste.

    Tous ces tableaux expriment globalement de la joie ce qui ne manque pas d’étonner venant d’un artiste dont l’instabilité mentale l’a probablement conduit au suicide. Cette magie de couleurs et le côté un peu « bande dessinée » des formes représentées participent à l’immense succès de Van Gogh et de l’impressionnisme en France comme en atteste le nombre impressionnant de visiteurs qui se promènent aujourd’hui derrière leurs smartphones prenant un nombre incalculable de photos de ces tableaux devenus mythiques.

  • « Past lives » de Celine Song

    « Past lives » de Celine Song

    C’est une jolie comédie romantique que ce film tourné par la réalisatrice sud-coréenne Cecil Song. Nora et Hua Sung fréquentent la même école en Corée, ils ont 12 ans, le second est secrètement amoureux de la première qui va suivre ses parents, artistes, en émigration au Canada. 12 années plus tard, Nora est installée à New-York où elle écrit des pièces de théâtre. Un peu par hasard elle renoue avec Hua Sung devenu ingénieur à Séoul, Internet fait des miracles pour les réunir. Ils sont toujours sous le charme l’un de l’autre mais elle met fin à leurs vidéo-conférences par peur que la nostalgie du pays et de ses amours enfantines ne la submergent et elle veut réussir son intégration aux Etats-Unis. Encore 12 années plus tard, Hua Sung est de passage à New York, il est venu pour revoir Nora qu’il retrouve, mariée à un écrivain américain. Leur amour rode toujours. L’Américain, aimant, voit le risque arriver, laisse se dérouler les évènements en espérant que Nora fera le bon choix…

    Les deux acteurs sont émouvants de tact et de sensibilité. Nous sommes dans la culture asiatique, il n’y a donc pas un mot de trop, l’amour et sa souffrance sont exprimés tout en subtilité. Mais l’histoire est la même où qu’elle se déroule, quand une femme aime deux hommes il y a toujours un perdant. Quel que soit le continent, le retour d’un ex dans le paysage amoureux est souvent annonciateur de troubles. Et puis le temps et le destin font leur œuvre.

    Ce premier long-métrage de Celine Song est une réussite.

  • Etienne Daho – 2023/12/22 – Paris Bercy

    Etienne Daho – 2023/12/22 – Paris Bercy

    Flamboyant concert ce soir à Bercy de l’Etienne Daho Show qui met ici le point final à une tournée dans les grandes salles françaises. La mise en scène est gigantesque, plutôt inhabituelle pour notre crooner rennais habitué généralement aux salles classiques comme l’Olympia, plus propices à l’intimité de ses chansons tourmentées. Mais la tournée lancée après la parution cette année de son dernier disque, Tirer la nuit sur les étoiles, a volontairement pris le chemin d’un jouissif grandiose qui a émerveillé les Parisiens.

    Trois immenses murs de diodes LED bordent le fond de la scène, un quatrième au plafond et le sol brillant qui réfléchit les animations projetées referme la boîte à images dans laquelle sont positionnés les musiciens, comme dans un théâtre. Et le spectacle y est époustouflant, alternant animations et films naturalistes, le tout dans une permanente explosion de couleurs et de créativité assez exceptionnelle. Daho explique dans des interviews qu’il a fixé des mots clé pour chaque chanson afin que la société Mathematic Studio, habituée des grandes réalisations pour le rock (U2, The Chemical Brothers…), alliée à la puissance de calcul moderne, compose ce kaléidoscope féérique sur lequel sont posés les 26 morceaux joués ce soir.

    Lorsque les lumières s’éteignent les premières notes de L’Invitation retentissent. Daho apparaît au fond de la scène au pied des 4 lettres blanches composant son nom en 4 mètres de haut. Il est vêtu d’un pantalon noir et d’une veste sombre parsemée de paillettes dorées et cuivrées sur lesquelles vont se réfléchir la soirée durant les projecteurs braqués sur la vedette.

    Ah ! je brûle je brûle, les tentacules m’attrapant du fond des enfers
    Me donnent la cruelle sensation de marcher pieds nus sur du verre
    La bonté de ta main généreuse et parfaite qui me fait signe d’avancer
    Me donne l’aimable sensation d’être à la vie de nouveau convié, convié
    Ah ! qu’y puis-je ah qu’y puis-je, la liqueur volatile je veux toute la partager
    À la table des poètes, des assassins, tout comme moi ici conviés

    Volontiers j’accepte le meilleur traitement
    Que l’on réserve tout exclusivement
    Aux invités le festin nu, qui fait les langues au soir se délier, se délier yeah
    Yeah yeah yeah…

    On ne saurait si bien dire et 15 000 spectateurs font un triomphe à cette intro menée tambour battant, guitares et batterie marquant le beat brûlant de la chanson lançant l’éblouissante fantasmagorie de lumières qui va nous accompagner toute la soirée. Alors qu’il arpente le devant de la scène annonçant Sortir ce soir, Daho salue le public, le retrouvant avec affection dans la cathédrale de Bercy, expliquant que son « cœur explose » de jouer ici ce soir. Toujours timide et sensible, les années de métier n’ont pas entamé une émotivité à fleur de peau. Sur la scène immense sont étagés un quatuor à cordes (deux violons, un alto et un violoncelle), François Poggio (guitare), Colin Russeil (batterie), Marcello Giuliani (basse) et Jean-Louis Piérot (claviers & guitare).

    Les bases sont posées, le show commence, la soirée sera furieuse. Il enchaîne sur Le grand sommeil et Sortir ce soir, toute la mémoire musicale de nos jeunes années, quand Daho était portraituré par Gilbert & Gilles avec un perroquet sur l’épaule pour la couverture de La notte, la notte sortie en 1985, puis Le phare, extrait du dernier disque et annoncé comme « plein d’embruns », nous confirme que nous allons traverser près de 40 ans de la carrière hors normes de notre rocker français au cœur tendre.

    Crédit : Quentin Devillers

    C’est à Rennes, que Daho est entré sur la scène musicale alors très riche de cette ville bretonne. Il porte toujours autour du cou une chaîne avec un triskèle celte, emblème solaire symbolisant les trois états de l’astre : lever, zénith et coucher, et dont les trois jambes qui s’enroulent autour du centre pourraient aussi marquer le cycle de la vie, bref, du mystère et de la symétrie à l’image de ce concert. Le triskèle est diffusé sur les écrans au milieu des bandes noire-et-blanche du Gwen ha du, le drapeau breton, sur Le premier jour (du reste de ma vie), reprise de Sarah Crachnell popularisée par Edith Piaf qui occupe une place de choix dans le Panthéon musical de Daho.

    Il nous raconte ensuite sa première rencontre transie avec Gainsbourg rue de Verneuil pour lancer Comme un boomerang, chanson écrite par le maître pour Dani et que Daho avait réinterprétée avec elle, la sortant de l’oubli dans lequel elle était tombée. Car Etienne est aussi un artiste de la fidélité et de la reconnaissance à tous ceux qui ont forgé son univers musical. Plus tard il a interprété Comme un boomerang en duo avec Charlotte Gainsbourg… Il la chante tout seul ce soir pour une très belle version qui n’efface pas dans les yeux des fans les images de Dani ou Charlotte duettisant avec lui. L’enchaînement Saudade et sa ritournelle de piano avec Des attractions désastres aux riffs de guitare saccadés, revient sur l’excellent disque Paris ailleurs, enregistré à New York en 1991 avec Edith Fabuena à la guitare, cofondatrice du groupe Les Valentins, dont l’autre fondateur, Jean-Louis Piérrot, devenu compagnon de route de Daho, assure claviers et guitare ce soir à Bercy.

    Et puis il revient sur ce concert donné à l’Olympia où il repérât une fan en mezzanine « juste au milieu » qui avait dansé fiévreusement durant tout le show. Revenu dans les coulisses, il découvre que c’était… Jeanne Moreau. Il ressortit de cette rencontre impromptue une collaboration et la mise en scène et en musique (par Hélène Martin) du poème de Jean Genet « Le condamné à mort » dont Daho interprète ce soir Sur mon cou… C’est aussi le symbole d’une longue amitié-estime entre les deux artistes ; Jeanne fera même d’Etienne l’un de ses exécuteurs testamentaires à son décès en 2017.

    Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
    Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
    On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
    Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.

    Amour, viens sur ma bouche ! Amour, ouvre tes portes !
    Traverse les couloirs, descends, marche léger
    Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger
    Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.

    Ô traverse les murs, s’il le faut marche au bord
    Des toits, des océans, couvre-toi de lumière
    Use de la menace, use de la prière
    Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.

    C’est ensuite un melting-pot de ses tubes de légende : Duel au soleil, Week-end à Rome, En surface… Le public exulte, Tombé pour la France qui rencontre un franc succès avec ses montées d’accords tonitruantes sur huit temps, comme huit marches, pour lancer chaque couplet, comme pour recharger cette chanson d’amour endiablée lancée à la tête de celle qui n’est plus là :

    Dum di la, je m’étourdis, ça ne suffit pas
    A m’faire oublier que t’es plus là
    J’ai gardé cette photo sur moi, ce photomaton que t’aimais pas
    Si tu r’viens n’attends pas que je sois tombé pour la France

    Sur Le premier jour (du reste de ta vie), datant de 1998, les spectateurs, conformément au petit billet glissé sur chaque siège, couvre la lumière de leur téléphone d’un papier vert ou rouge et les agitent sur les paroles de cette chanson écrite aux temps dépressifs de Daho, qui fut reprise dix ans plus tard dans la bande originale du film éponyme de Rémi Bezanançon. Cette fois-ci le light-show vient de la salle et Daho, les larmes aux yeux, ne sait plus comment remercier son public énamouré, lui tendant ses mains ouvertes, comme pour le saisir dans ses bras.

    Alors que démarre Tirer la nuit sur les étoiles, les écrans se remplissent des images de Vanessa Paradis en très gros plan, virevoltant avec une longue robe blanche avant que ne surgisse du fond de la scène… Vanessa Paradis dans la même tenue, entourant Etienne de ses frou-frous, cette fois-ci sur scène, pour un duo charmant. Elle est éclatante et épanouie et tous deux débordent de la joie d’être ensemble à Bercy qu’ils concluent par un hug prolongé sous les hourras.

    Les meilleures choses ont une fin, Epaule tattoo vient nous le rappeler, interprété avec maestria sur ses riffs de claviers qui marquent le rythme entraînant de cette chanson inoubliable. Le déhanchement discret et félin de Daho émousse un public qui chante à tue-tête ce classique du répertoire.

    Après le délai de rigueur, le groupe réapparaît, Daho habillé d’un perfecto noir et clouté pour chanter Au commencement extrait de l’album Eden, avant un nouveau duo sur Boyfriend avec Jade Vincent, du groupe américain Unloved qu’elle a fondé avec Keefus Ciancia, dont Daho est un grand fan et avec lequel il a collaboré sur son dernier disque dont ce morceau est extrait, une ballade romantique, une histoire d’amour, d’amitié, de fidélité… on ne se refait pas. Mais il faut bien partir et c’est Ouverture qui clôt cette soirée. La chanson mystérieuse d’un amour difficile à trouver, entamée sur des nappes de clavier obsédantes en mode mineur, la voix sombre de Daho monte en puissance, puis éclate en une supplique scandée vers l’espérance alors que la batterie et les guitares entrent dans le jeu :

    Il fut long le chemin
    et les pièges nombreux
    avant que l’on se trouve
    Il fut long le chemin
    les mirages nombreux
    avant que l’on se trouve
    Ce n’est pas un hasard,
    c’est notre rendez-vous
    pas une coïncidence.

    Une fois leurs instruments délaissés, les artistes n’en finissent pas de saluer et ne savent plus comment nous quitter. Vanessa Paradis et Jade Vincent sont venues se joindre au groupe éperdu de bonheur. Daho remercie un par un tous ceux qui ont fait cette tournée magique et puis… les lumières se rallument pendant que la sono joue Noël avec toi, l’un des bonus de Tirer la nuit sur les étoiles.

    Quel talent, quelle élégance, quel parcours pour ce gamin né en 1956 en Algérie à Oran, expédié chez ses grands-parents à Cap Falcon pour fuir les horreurs de la guerre coloniale qui fait rage, délaissé très tôt par son père, exilé à Rennes où il devient la tête chercheuse de la pop électronique française des années 1980, ami ou admirateur des plus grands (Syd Barrett, Lou Reed, Françoise Hardy, Comateens, Dani, Chris Isaak, Alan Vega, Françoise Hardy, Eli & Jacno…), petit prince du rock français à la voix de velours il s’est inspiré de tout ce répertoire pour créer sa propre œuvre : des mots plein de tendresse et de nostalgie posés sur de superbes mélodies aux rythmes redoutables, entraînants et obsessionnels, donnant lieu à des prestations scéniques sans cesse renouvelées et toujours parfaites. Ce soir n’a pas dérogé à la règle en dévoilant un nouveau filon, celui d’une mise en scène numérique grandiose, à la fois hypermoderne mais aussi marquée d’images kaléidoscopiques dans lesquelles les symétries et les brisures ne sont pas sans rappeler des motifs Vasarely auxquels aurait été ajoutée la magie du mouvement.

    A 67 ans Etienne Daho nous surprend encore, continue à créer de la musique, à collaborer avec ses amis au gré d’improbables rencontres dans le monde du rock et de la chanson française et, surtout, à enchanter un public conquis. Ce soir, les spectateurs de Bercy sont sortis avec des étoiles plein les yeux. Pour ceux qui voudraient y revenir, le Zénith du 16 mai 2024 est déjà complet mais un nouveau show vient d’être annoncé pour le 15 mai dans cette même salle.

    Setlist : L’invitation/ Le grand sommeil/ Sortir ce soir/ Le Phare/ Comme un boomerang (Serge Gainsbourg cover)/ Virus X/ Réévolution/ Des heures hindoues/ Mon manège à moi (Jean Constantin cover)/ Saudade/ Des attractions désastre/ Sur mon cou… (Hélène Martin cover)/ L’homme qui marche/ Duel au soleil/ En surface/ Tombé pour la France/ Quatre hivers/ Bleu comme toi/ Soudain/ Le premier jour (du reste de ta vie) (Sarah Cracknell cover)/ Week-end à Rome/ Tirer la nuit sur les étoiles (with Vanessa Paradis)/ Épaule tattoo

    Encore : Au commencement/ Boyfriend (with Jade Vincent)/ Ouverture

    Song played from tape : Noël avec toi

    Warmup : Global Network, un duo de DJ’s qui chantent sur leurs machines et commentent leur présence à Bercy à grand renfort de « gros délires » et « trucs de ouf » qui manquent un peu de finesse. C’est sans doute la loi du genre mais on préfère quand ils ne parlent pas.

  • MORANTE Elsa, ‘La Storia’.

    MORANTE Elsa, ‘La Storia’.

    Pour ceux qui n’ont jamais lu Elsa Morante (1912-1985) il est urgent de se plonger dans La Storia, son grand-œuvre de 900 pages. Cette saga de l’écrivaine italienne se déroule à Rome entre 1941 et 1947 au cœur d’une période agitée qui voit l’Europe plonger dans la guerre pour contrer les ambitions du fascisme en Italie et en Allemagne.

    Ida est une jeune enseignante, juive par sa mère (mais toutes deux se sont toujours évertuées à cacher cette origine), elle a un fils d’un premier mari disparu, Ninnu, elle accouche d’un second, Useppe, issu de son viol par un soldat allemand. Elsa Morante raconte la vie en cette période difficile à travers le regard de ces trois personnages auquel il faut ajouter celui de la chienne Bella, membre incontournable de la famille qui cornaque les virées d’Useppe dans Rome.

    Ce roman fleuve déroule son cours au travers les idéologies qui emportent l’Europe et l’Italie : le fascisme mussolinien, l’alliance avec l’Allemagne nazie, la chasse aux juifs, la guerre civile italienne après la libération du Sud du pays par les alliés… Mais, surtout, il traverse l’âme et les émotions des personnages créés par la romancière avec une grande subtilité. On est emporté par le regard d’Useppe qui découvre le monde, d’abord limité à l’appartement dont sa mère n’ose pas le sortir, puis des rues de Rome où l’emmène Ninnu qui passe des chemises noires à la résistance puis au marché noir avec le même joyeux enthousiasme qui fascine son petit frère. Ida fait son possible pour survivre avec sa petite famille en ces temps de pénurie et d’incertitude, elle y réussit, guidée par l’amour sans limite prodiguée à ses deux fils. Et en 1945, alors que s’ouvrent les camps d’extermination, Useppe tombe par hasard sur un magazine publiant les photos des déportés et cet évènement va détériorer son état de santé déjà fragile. Ses crises d’épilepsie vont s’aggraver jusqu’à une issue fatale en 1947. Ida, qui a déjà perdu Ninnu dans les combats pour la libération de Rome tombe alors dans une apathie dont elle ne sortira plus.

    Elsa Morante réussit dans ce roman dramatique à véritablement rentrer dans le cœur de ses personnages dont elle décrit les élans avec pudeur et émotion, et une précision dans l’analyse impressionnante. C’est une histoire triste bien sûr, mais tellement vivante que le lecteur la dévore, pressentant la fin, toujours accroché à l’espoir qu’elle pourrait être moins dramatique tant les réflexes de vie et de bonheur du petit Useppe sont forts. Les sentiments et le dévouement d’une mère en temps de guerre, d’abord inquiète, puis désespérée, sont relatés de façon bouleversante. Quel talent de l’écrivaine italienne dans l’analyse et la restitution de ces sentiments ! C’est du grand art et la caractéristique d’une immense romancière.