ANTELME Robert, ‘L’espèce humaine’.

Sortie : 1947, Chez : Gallimard (1957)

Robert Antelme (1917-1990) est un écrivain entré dans la résistance durant la seconde guerre mondiale. Arrêté en juin 1944, il est déporté à Buchenwald puis transféré dans une « annexe » du camp à Gandersheim où se situait une usine dans laquelle travaillaient et étaient détenus des déportés affectés là pour travailler. Très vite après son retour en France, Antelme écrit et publie cet ouvrage qui prend immédiatement une place marquante dans la littérature de la barbarie.

Il décrit longuement de façon clinique l’état de dégradation extrême dans laquelle les déportés sombrent, non seulement physiquement du fait des mauvais traitements, mais aussi moralement face à la stratégie de déshumanisation appliquée par les geôliers (les Allemands) et leurs affidés : les kapos (de différentes nationalités), également détenus, souvent comme « droit commun » et à qui les Allemands délèguent les basses tâches qu’ils appliquent à l’encontre des prisonniers avec parfois encore plus de sauvagerie que leurs maîtres. Les kapos récoltent quelques avantages de leur compromission, notamment en étant moins mal nourris. Et l’on voit des égos prospérer sur la misère, les comptes se régler entre victimes du même système concentrationnaire, des égoïsmes se heurter violemment, des classes de prisonniers se créer. Dans la lutte pour la survie il n’est pas facile de rester noble.

Antelme insiste douloureusement sur l’état de famine dans lequel étaient laissés les déportés, sans doute de façon calculée pour diminuer les risques de révolte. Il décrit sa propre déchéance jusqu’à mendier des épluchures ou voler des pommes pourries lorsque la faim était par trop intolérable.

Ils avaient l’estomac vide, et, à défaut d’autre chose, la haine occupait ce vide. Il n’y avait que la haine et l’injure qui pouvaient distraire de la faim. On mettait à en découvrir le sujet autant d’acharnement qu’à chercher un morceau de patate dans les épluchures. Nous étions possédés.

Dans l’usine aéronautique dans laquelle ils travaillent, les prisonniers sont encadrés par des civils dont la majorité est plutôt pronazie et appliquent leurs méthodes. Parfois une heureuse surprise émerge avec la complicité entre les prisonniers et un civil allemand, ce qui ne permet pas d’arrêter la machine indusrielle de guerre mais fait briller un petit coin de ciel bleu sur l’horizon tragique des déportés.

Début 1945 les rumeurs du camp annoncent la fin de la guerre et, bientôt, le bruit de la canonnade de la ligne de front se rapproche de Buchenwald. Un bruit et une agitation qui réjouissent la majorité des déportés. Mais la libération n’est pas encore pour tout de suite. Les responsables du camp de Gandersheim l’évacuent avec les déportés encore valides, les éclopés sont assassinés dans le bois d’à côté par les SS et leurs kapos avant le départ. Ceux qui n’arriveront pas à suivre au cours du chemin le seront plus tard. La cohorte va marcher 15 jours pour rejoindre le camp de Dachau, traversant des villages allemands dans lesquels de bonnes familles bien nourries regardent, hallucinées, passer ces zombies en costumes rayés tout en commençant à réaliser que la guerre est en train d’être perdue. Ce voyage dantesque se termine en train d’où les déportés sont débarqués à Dachau. Le 29 avril 1945 les soldats alliés libèrent le camp, y entrent et découvrent l’indicible.

Le grand intérêt de l’écriture d’Antelme est qu’elle décrit de l’intérieur le processus de délabrement humain qui est infligé aux déportés tout autant que sur les sévices physiques qu’ils subirent sous le joug allemand. Il est difficile de comparer les deux traumatismes, beaucoup sont morts du second, tous ont été dévastés par le premier pour le restant de leurs jours. Il y a ceux qui ont choisi le silence pour survivre, et certains qui ont décidé de parler, voir d’écrire, pour transmettre : Robert Antelme, Charlotte Delbo, Primo Levi… Ils ont fait œuvre utile pour expliquer que la barbarie peut survenir même au cœur des civilisations les plus hautes. Ces ouvrages sont des appels à la vigilance et les évènements en cours dans la guerre d’Ukraine montrent une nouvelle fois combien ils sont nécessaires.

Le livre est dédié à sa sœur Marie-Louise, déportée elle aussi mais décédée après la libération du camp de Ravensbrück.

Antelme fut par ailleurs marié avec Marguerite Duras de 1939 à 1947. Dans un livre bouleversant, La Douleur, elle raconte le retour de son mari en 1945 et les soins moraux et physiques qu’elle lui prodigua pour tenter de le faire revenir à la vie d’avant les camps… On y apprend aussi l’énergie du désespoir qu’elle déploya pour faire libérer Robert qui était consigné dans le camp libéré mais en quarantaine pour cause d’épidémie de typhus. Il fut « enlevé » par des camarades français rendus sur place avec cette mission et ramené chez son épouse.

Lire aussi : DURAS Marguerite, ‘La Douleur’.

PEYREFITTE Alain, ‘C’était de Gaule 1/3 « La France redevient la France »‘.

Sortie : 1994, Chez : Editions de Fallois / Fayard.

Alain Peyrefitte (1925-1999), homme politique et écrivain, fut ministre de l’information et porte-parole du gouvernement à partir de 1962 pour cinq ans avant de poursuivre une carrière ministérielle jusqu’en 1981. C’est au titre de porte-parole du gouvernement de De Gaulle et qu’il aura des entretiens particuliers avec le Général après chaque conseil de ministres. En tant que ministre de l’information il était le seul autorisé à prendre des notes en conseil des ministres. Dès sa prise de fonction gouvernementale il décide de consigner pour l’Histoire tous ces entretiens qu’il publie dans les trois volumes de « C’était de Gaulle ».

C’est évidemment un très intéressant retour sur les débuts de la Vème République voulue par de Gaulle revenu au pouvoir en 1958 après l’effondrement de la IVème empêtrée dans son instabilité gouvernementale et la guerre d’indépendance de l’Algérie. Les entretiens commencent en 1962 et ce premier volume couvre les trois grandes affaires du moment.

Les accords d’Evian et les débuts de l’Algérie indépendante

Les temps sont à la dislocation des empires coloniaux, pas seulement en Algérie, mais, pour la France, dans toute l’Afrique.

Les peuples colonisés supportent de moins en moins leur colonisateur. Un jour viendra où ils ne se supporteront plus eux-mêmes. En attendant nous sommes obligés de tenir compte des réalités. Ce que nous avions à faire de plus urgent , c’était de transformer notre empire colonial, en remplaçant la domination par le contrat. Nous avons grand avantage à passer le témoin à des responsables locaux, avant qu’on nous arrache la main pour nous le prendre.

Puisque nous ne pouvons leur offrir l’égalité [aux populations d’outre-mer], il vaut mieux leur donner la liberté.

20/10/1959 (lors d’un entretien où Peyrefitte n’était que député et revenait d’un déplacement en Afrique)

Mais autant la décolonisation des pays africains suit son cours de façon relativement naturelle au début des années 1960, en Algérie, la guerre fait rage. De Gaulle a accepté le principe de l’indépendance algérienne. Les accords d’Evian ont été signés en 1962, le résultat du référendum pour l’indépendance organisé en Algérie est un « OUI » massif et de Gaulle veille a exécuter les accords au plus vite malgré nombre d’oppositions en France comme en Algérie. A Alger les attentats de l’OAS font rage et le général sera lui-même l’objet de deux tentatives d’assassinat en France métropolitaine. Les « pieds-noirs » finalement décident de revenir massivement en France, bien au-delà de ce qui avait été anticipé.

De Gaulle reste ferme sur ce qui a été décidé et dirige ses ministres, parfois indécis, durant la période de transition entre le référendum d’indépendance et la prise effective du pouvoir par les nouvelles autorités algériennes, elles-mêmes tiraillées entre leurs tendances contradictoires :

Quels que soient les délais qui ont été fixés par les accords d’Evian, ils seront respectés. Ils ne sauraient être remis en cause. A bon entendeur, salut !

18/04/1962

Le référendum constitutionnel de 1962

Dans la constitution élaborée en 1958 pour la création de Vème République, le président était élu par un collège de grands électeurs. Les premières années de cette nouvelle République marquent la prééminence du président. De Gaulle ressort son vieux projet d’une élection du président au suffrage universel direct afin d’enterrer définitivement la logique mortifère des partis qui pourrait réapparaître après lui. Le texte du référendum soumis au parlement déclenche une motion de censure qui fait tomber le gouvernement. Le président du sénat, Gaston Monnerville, accuse de Gaulle de « forfaiture ». Le président dissous l’assemblée nationale. Le référendum finalement organisé malgré l’opposition parlementaire, est remporté à plus de 62% et les gaullistes gagnent la majorité absolue dans la nouvelle assemblée issue de la dissolution.

Ils [les partis] sont à la fois incapables de gouverner, puisqu’ils n’existent qu’en divisant les Français, et incapables d’imaginer une autre pratique que celle-là. Voila pourquoi nous venons d’échapper à un grand danger. Maintenant, l’opposition est écrasée. Elle est en débris. Il faut en profiter pour travailler.

07/12/1962

La place de la France dans le monde

Nous sommes en pleine guerre froide et en période de construction de l’Europe des six. L’obsession du général de Gaulle est de redonner à la France une stature internationale et indépendante. Pour ce faire, il va reconnaître la Chine populaire, monter la force nucléaire française, se battre contre l’idée du pouvoir « multilatéral » de l’Europe et en bloquer l’accès au Royaume-Uni qui voulait « noyer le Marché commun dans une grande zone de libre-échange ».

Nous assistons à l’affrontement de deux énormes masses, la Russie [de Gaulle ne parle quasiment jamais de l’Union soviétique] et la Chine. Les Russes seront dans une position difficile. De deux choses l’une. Ou ils restent avec la Chine, mais elle les boulottera quand elle sera plus forte. Ou ils sont contre, mais alors c’est la fin des Rouges et le camp communiste s’effondrera. C’est peut-être déjà fait.

07/11/1962

Voyez-vous, la France est souveraine. Ou plutôt, elle le redevient, ce qui ne lui était pas arrivé depuis la Première guerre. Elle s’était blottie à l’ombre des Anglais dans l’entre-deux guerres, puis des Américains après la Seconde. Tout ça, c’est fini. La France a fini de se blottir.

19/12/1962

Le sentiment national s’est toujours affirmé en face d’autres nations : un sentiment national européen ne pourra s’affirmer que face aux Russes et aux Américains. L’idée européenne, depuis la fin de la guerre, a progressé grâce à la menace des Russes. Maintenant que les Russes s’amollissent, et c’est heureux, nous avons l’occasion de nous durcir à l’égard des Etats-Unis, et c’est notre devoir ; sinon, l’Europe dite intégrée se dissoudrait dans l’ensemble atlantique , c’est-à-dire américain, comme du sucre dans le café.

23/01/1963

A la lecture de ces dialogues on est frappé une nouvelle fois par la capacité d’analyse et d’anticipation du général ainsi que sa compétence pour diriger et commander. Certes, sa stature de sauveur de la France en 1940 et le respect qu’elle inspire y sont pour beaucoup mais l’homme est véritablement un chef, qui plus est, doté d’une remarquable intelligence. Chaque mot rapporté par Peyrefitte en atteste admirablement.

Ce récit dévoile aussi quelques détails de la vie politique de l’époque : la bonhommie de Pompidou (premier ministre), l’indéfectible soutien qu’il apporte avec constance à « son cher Malraux » en conseil des ministres, sa maîtrise de la langue française qui lui permet une expression limpide, sa remarquable capacité d’assimilation des sujets qu’il ne maîtrise pas complètement, sa capacité de synthèse exceptionnelle…

Passionnant !

« Les soldats du désert – Leclerc et les Britanniques » au Musée de la Libération de Paris

Le « musée de la Libération de Paris / musée du Général Leclerc / Musée Jean Moulin » (pourquoi un nom si long pour un musée plutôt modeste ?) raconte l’épopée des Français libres, en Afrique et dans le désert durant la deuxième guerre mondiale, sous le commandement de Philippe de Hauteclocque dit « Leclerc » (1902-1947), représentant du général de Gaulle sur le continent.

Fait prisonnier par les Allemands en juin 1940 après les combats en Champagne, il s’évade, rejoint de Gaulle à Londres qui l‘envoie au Cameroun d’où il commence une véritable épopée qui le conduira avec ses soldats jusqu’à Berlin après avoir libéré Paris puis Strasbourg qu’ils atteignent en novembre 1944.

En Afrique Leclerc a pour mission de convaincre les autorités françaises coloniales de passer sous la bannière gaulliste en abandonnant celle de Pétain. Quasiment seul, sans armes ni troupes, il monte progressivement une division de soldats de bric et de broc avec le soutien des Britanniques, le ralliement de soldats grecs et les « tirailleurs sénégalais », soldats plus ou moins volontaires issus de l’Empire français.

Il mène et emporte des batailles dans le désert devenues légendaires, contre les Italiens puis les Allemands, dans l’immensité hostile du Sahara. En 1943 il se place avec ses hommes sous l’autorité du commandant en chef britannique de la région, le général Montgomery. En avril 1944 il rejoint le sol français avec sa « 2ème DB », est envoyé libérer Paris en août et poursuit jusqu’à la reddition allemande. L’exposition décrit un chef de guerre de grand charisme, proche de ses hommes, stratège imaginatif et n’hésitant pas à prendre des risques personnels. Les opérations qu’il a menées en plein désert en 1942 et 1943 en infériorité criante par rapport aux ennemis sont admirables et participèrent à leur mesure à chasser les Italiens et les Allemands d’Afrique pour préparer la libération de l’Europe.

Après sa victoire dans la bataille de Koufra le 28/02/1941 (dans l’actuelle Libye) de Gaulle lui télégraphie :

Vous avez ramené la victoire sous les plis du drapeau. Je vous embrasse.

C’est à Koufra également qu’il prononce avec ses hommes le « serment de Koufra » dans lequel ils s’engagent à ne déposer les armes que lorsque les couleurs françaises flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ! Le serment sera tenu plus de quatre années plus tard. Le drapeau en question est présenté dans la dernière salle de l’exposition. Bricolé à la hâte dans la ville tout juste libérée, la couleur rouge du drapeau tricolore aurait été cousue avec des restes de drapeaux nazis !

de SAINT PIERRE Michel, ‘Le drame des Romanov 2/3 « La menace »‘

C’est le deuxième tome de la saga des Romanov racontée par Michel de Saint Pierre qui va de Nicolas 1er en 1827, petit-fils de la grande Catherine, frère d’Alexandre 1er qui vainquit Napoléon et termina le premier volume, à Nicolas II dont l’abdication en 1917 marquera la fin de la dynastie et la victoire des révolutionnaires bolchéviques. Il couvre presqu’un siècle au cours duquel l’empire va connaître des fortunes diverses, à commencer par l’intronisation de Nicolas qui va déclencher une féroce répression du mouvement des « décabristes » dès les premiers jours du règne.

A la tête d’un immense empire Nicolas va tenter de s’attaquer à nouveau à l’affranchissement des paysans et l’abolition du servage. Sur le plan extérieur il déclare encore une guerre à la Turquie et s’inquiète de l’opposition de la Pologne dont il est le Roi. Autocrate dans l’âme, il essaye de faire évoluer l’environnement légal de la Russie pour la moderniser. Il se heurte également aux premiers soubresauts révolutionnaires dans le pays et à la contestation de l’élite intellectuelle emmenée par le poète Pouchkine.

Son fils Alexandre II lui succède à sa mort en 1855. Il annexe la Pologne, c’est plus simple ainsi. Il perd la guerre de Crimée contre les alliés anglais, ottomans et français. Il fait proclamer l’abolition du servage, réforme l’armée, tente une réforme agraire, conclut « l’alliance des 3 empereurs » avec l’Autriche et l’Allemagne, et meurt assassiné par des anarchistes nihilistes en 1881.

Son fils prend les commandes sous le nom d’Alexandre III et va gouverner sous les règles de l’autocratie et de l’orthodoxie. Il poursuit sans trop de succès la lutte contre la révolution de plus en plus présente et va se rapprocher de la France. Son règne de 13 ans ne fut entaché d’aucune guerre. Il meurt en 1894.

Nicolas II, fils d’Alexandre III, s’installe au pouvoir à Saint-Pétersbourg pour un règne qui marquera la fin des Romanov et de la monarchie en Russie. La guerre perdue contre le Japon en 1905 sera un désastre pour l’empire qui entraîne de violentes contestations du pouvoir. Raspoutine fait son apparition dans l’entourage de l’empereur où il va progressivement exercer une forte influence que le couple impérial, mêlant politique, religion, médecine parallèle et lubricité. Il est assassiné en 1916 par un prince de la noblesse. Mais Nicolas II affronte surtout l’émergence des révolutionnaires. Même si les principaux meneurs, dont Lénine, sont exilés à l’étranger, la contestation populaire s’exprime de plus en plus dans la rue, donnant lieu à une répression toute autocratique. La Russie intègre en 1914 la guerre contre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’empire Ottoman. L’armée russe est malmenée au combat et affaiblie par le prélèvement d’unités rapatriées en Russie pour lutter contre la subversion.

Les manifestations et complots sur la scène intérieures, ajoutés à l’aveuglement impérial, amèneront à des rébellions dans l’armée, la police et les cosaques, poussant l’empereur à abdiquer en 1917 en faveur de son frère Michel qui renonce aussitôt, mettant ainsi fin à la monarchie en Russie.

Lire aussi :
de SAINT PIERRE Michel, ‘Le drame des Romanov 1/3’.
de SAINT PIERRE Michel, ‘Le drame des Romanov 2/3 « La menace »‘
de SAINT PIERRE Michel, ‘Le drame des Romanov 3/3 « La Chute »‘

La Russie vue par Michel de Saint Pierre en 1967

Relire l’essai de Michel de Saint Pierre (1916-1987) « Le drame des Romanov » est intéressant. Il fut un écrivain prolifique de XXème siècle, ancien résistant, plutôt conservateur, un peu « catho-tradi », un peu « Algérie française », anti-communiste féroce, tombé aux oubliettes depuis. Il n’en demeure pas moins l’auteur de nombre de romans, essais, dont on a parlé à l’époque. Le « Drame des Romanov » n’est sans doute pas un livre historique au sens scientifique du terme mais le récit d’un écrivain passionné par la Russie et fasciné par le destin tragique de cette famille de tsars qui l’a dirigée d’un main de fer.

Dans le premier chapitre, Saint Pierre trace un sentiment global de ce qu’est « l’âme russe » en citant certains auteurs russes. Certaines d’entre elles sont édifiantes à la lumière de la guerre d’Ukraine menée aujourd’hui par Moscou.

Le Russe a toujours besoin de dépasser la mesure, d’arriver au précipice, de se pencher sur le bord pour en explorer le fond et souvent même s’y jeter comme un fou. C’est le besoin de la négation chez l’homme le plus croyant, la négation de tout, la négation des sentiments les plus sacrés, de l’idéal le plus élevé, des choses les plus saintes de la patrie. Aux heures critiques de sa vie personnelle ou de sa vie nationale, le Russe de déclare avec une précipitation effrayante pour le bien ou pour le mal.

Dostoïevski (Journal d’un écrivain)

Une définition des Romanov :

Dans la maison des Romanov comme dans celle des Atrides une malédiction mystérieuse passe de génération en génération. Meurtre sur adultère, du sang sur de la boue, « le cinquième acte d’une tragédie jouée dans un lupanar », Pierre 1er tue son fils, Alexandre 1er tue son père, Catherine II tue son époux. Et, parmi ces victimes célèbres, les petits, les inconnus, les malheureux avortons de l’autocratie, dans le genre d’Ivan Antonovitch, étranglés comme des souris dans les recoins obscurs, dans les cachots de Schlusselbourg. Le billot, la corde, le poison, tels sont les vrais emblèmes de l’autocratie russe. L’onction de Dieu sur le front des tsars s’est transformée en la marque et la malédiction de Caïn.

Merejkowski (écrivain et critique littéraire russe 1865-1941)

La Russie, un empire nihiliste qui respecte ses traditions malgré le temps qui passe.

MASSU Jacques, ‘La vraie bataille d’Alger’.

Sortie : 1971, Chez : PLON.

Jacques Massu (1908-2002) est un militaire français, membre de la division Leclerc qui parcourut avec elle la longue route du Fezzan jusqu’à la libération de Berlin en août 1945. Compagnon de la libération, il participa aux guerres d’Indochine et d’Algérie, ainsi qu’à l’expédition de Suez, il fut marqué à jamais comme ayant été le patron de la 10ème division parachutiste (DP) chargée par le pouvoir politique de rétablir l’ordre à Alger face à la rébellion du FLN (Front de libération nationale) en lutte contre la France pour obtenir l’indépendance de l’Algérie. C’est la « célèbre » bataille d’Alger avec son cortège de dérives qui arrivent quand on demande à des miliaires de jouer un rôle qui n’est pas le leur. Cette bataille va durer toute l’année 1957 et le général Massu restera connu comme celui ayant patronné la torture pratiquée par sa division de parachutistes, et assumée comme telle par ce patron qui eut au moins le mérite de couvrir ses subordonnées.

15 ans après les faits, 10 ans après l’indépendance acquise par l’Algérie, il écrit ce livre comme une sorte de justification de son rôle et de celui de ses hommes. Les arguments sont éculés et avaient déjà été confrontés durant la guerre elle-même. Massu revient sur le combat militaire qui a été « gagné par ses paras » qui ont démantelé la rébellion dans la capitale algérienne. Il explique dans quel contexte a été pratiquée la torture ou les « interrogatoires musclés » : pour empêcher de nouveaux attentats dévastateurs du FLN. Il raconte avoir demandé à subir lui-même la « gégène » (torture par l’électricité) pour se rendre compte de son effet sur son propres corps.

Et, bien sûr, il relate la sauvagerie du FLN, avec force photos des massacres et mutilations commis par le mouvement révolutionnaire qui a sans doute tué bien plus d’algériens que l’armée française. On sait aujourd’hui que tout ceci s’est passé, que le combat fut féroce entre les paras et le FLN, que la bataille d’Alger fut gagnée par Massu mais que le combat politique fut perdu par la France qui laissa l’Algérie voguer vers son indépendance au terme des négociations menées à Evian en 1962 par les politiques. Bien sûr, aucune autre issue n’était envisageable et l’erreur fatale du pouvoir parisien est d’avoir laissé l’armée s’enferrer dans une impasse après lui avoir donné les pleins pouvoirs, au moins à Alger.

L’armée française avait connu moulte déconvenues après 1945 : Diên Biên Phu en Indochine en 1954, l’expédition de Suez en 1956. Massu était en Afrique lors de la défaite contre le Vietnam, il participa par contre au repli de Suez. Alors, quand les pleins pouvoirs lui sont confiés à Alger, il s’emploie avec cœur à rétablir l’honneur de l’armée… Et pendant que son épouse fait de l’humanitaire pour les enfants défavorisés de la ville, il mène ses paras à l’assaut des forteresses du FLN, à la poursuite de ses chefs (Ali « la Pointe », Yacef Saadi, Larbi Ben M’hidi…) et de leurs poseurs de bombe (Djamila Bouhireb, Djamila Bouazza…). Tous sont pourchassés, arrêtés (parfois sur dénonciation des clans adverses au sein du FLN) pour connaitre des sorts divers, dont des exécutions judiciaires ou extrajudiciaires, mais aussi des grâces accordées dans la foulée des accords d’Evian.

Massu mène combat contre ce qu’on lui désigne comme un ennemi de la France, selon un schéma relativement classique pour ce soldat à la déjà grande expérience. Mais il doit également affronter les membres de la « cinquième colonne », ces français installés en Algérie ou résidant en métropole, qui prennent fait et cause pour le FLN, position juste incompréhensible pour le général… Le plus souvent ils ne posent pas eux-mêmes les bombes mais aident ceux qui le font. Ces français eurent aussi des comptes à rendre aux paras de Massu. Certains n’en revinrent pas (Maurice Audin). Il règle ses comptes avec le Général de Bollardière placé sous ses ordres, qui demanda à être relevé de son commandement puis, à son retour à Paris en 1957, dénonce la pratique de la torture en Algérie. L’ethnologue Germaine Tillon est abondamment citée, elle qui rencontra certains chefs du FLN à Alger pendant la bataille pour essayer de leur en faire atténuer l’intensité. Elle joue aussi le rôle d’intermédiaire auprès des autorités françaises pour dénoncer le torture pratiquée au nom de la France et tenter de faire adoucir le sort des prisonniers algériens, toutes actions qui ne sont évidemment pas bien vues de Massu comme il le raconte vertement sans ce livre.

Massu en Algérie c’est l’histoire d’un soldat qui a obéi à des ordres stupides, un homme formaté par et pour le devoir, qui a été placé dans une position inextricable dont il s’est sorti par l’obéissance et l’action, au détriment de la morale, lui qui pourtant était un catholique pratiquant. Hélas pour lui, l’efficacité qu’il revendique n’a sans doute pas servi à grand-chose puisque l’indépendance de l’Algérie, inévitable et d’ailleurs souhaitable, a été finalement acquise en 1962. Ce « département français » ayant été conçu depuis 1830 comme une colonie de peuplement, la position des politiques était également très inconfortable : comment accorder pacifiquement l’indépendance à un territoire qui abrite plus d’un million de ressortissants français, certains y résidant depuis plusieurs générations ? Alors on a laissé se faire les choses qui ont mené tout naturellement à la violence.

Seul le Général de Gaulle eut le courage de trancher dans le vif et de mettre fin, dans la douleur, à ces errements coloniaux qui n’avaient plus d’avenir en cette deuxième moitié du XXème siècle.

La simple photo du général Massu sur la couverture de son livre suffit à comprendre le personnage : raide et ne pliant pas. C’est sans doute la raison pour laquelle en mai 1968, un autre général, de Gaulle, en plein désarroi face aux émeutes de mai 1968 à Paris, rendit une visite impromptue à Baden-Baden où son « fidèle compagnon » commandait les forces françaises d’occupation en Allemagne fédérale. Ils eurent deux heures d’entretien en tête-à-tête, personne ne sait ce qu’ils se sont dit malgré toutes les supputations qui ont circulé. Massu a juste déclaré en 1982 que de Gaulle était arrivé en disant : « Massu, tout est foutu » mais qu’au terme de cet entretien mystérieux de Gaulle avait immédiatement pris le chemin du retour vers l’Elysée pour reprendre la main politique.

Massu fut un exécutant zélé de la politique algérienne de la fin de la IVème République qui conduisit la France dans l’impasse et ses militaires dans la dérive. Il aurait pu démissionner mais un homme de devoir de sa trempe, qui à suivi Leclerc jusqu’à Berlin en 1945, ne quitte pas le navire en train de couler. Au crépuscule de sa vie en 2000 il a lui aussi, finalement, « plié » en déclarant au journal Le Monde regretter que la torture ait été pratiquée par les forces armées françaises pendant le guerre d’Algérie en précisant que :

La torture n’est pas indispensable en temps de guerre.

Le musée Historial Jeanne d’Arc à Rouen

Elle est partout dans la ville, sur les murs, dans les cœurs. Sur la place du Vieux-Marché subsiste le socle du bûcher où elle fut brulée vive et une église a été construite en son souvenir en 1979 et dénommée Sainte Jeanne d’Arc ! L’Historial Jeanne d’Arc retrace le parcours de cette héroïne française née vers 1412 et exécutée sur le bûcher en 1431.

Le Royaume de France est en partie occupé par les Anglais et les Bourguignons ont pactisé avec l’envahisseur. Jeanne entend des voix lui demandant de bouter l’Anglais hors de France et d’aider à rétablir sur le trône le roi Charles VII. Contre toute attente, elle va réussir, habillée en homme, à libérer Orléans du joug anglais et à faire couronner Charles VII à Reims. Elle échoue devant Paris tenu par les Anglais et les félons Bourguignons. Elle tente de se battre à Compiègne, est capturée par les Bourguignons, vendue par ceux-ci à l’Anglais qui l’emmène à Rouen où elle est jugée par des religieux à la solde de l’Angleterre qui la torturent puis la condamnent pour hérésie, ses voix étant inspirées par le démon. Elle bénéficie d’une grâce lui permettant ne pas être exécutée sous réserve qu’elle s’engage à ne plus porter d’habits d’homme.

De retour dans sa cellule elle enfile de nouveau des habits masculins. Elle est considérée comme récidiviste puis brûlée sur la place du Vœux Marché en 1431 et ses cendres dispersées dans la Seine pour que sa tombe ne se transforme pas en lieu de pèlerinage.

25 ans plus tard, à l’initiative du roi Charles VII, le pape ordonne de réétudier les actes du procès de Jeanne. Celui-ci est annulé, mais un peu tard pour Jeanne d’Arc qui est tout de même « béatifiée » en 1922. Aujourd’hui on parlerait d’un schizophrène (les voix entendues), LGBTQIA+ (les habits d’homme), déconstruite (la lutte contre l’Anglais)…

Le musée offre un parcours dans le sous-sol de l’évêché dans les pièces duquel sont diffusées des vidéos théâtralisant les scènes imaginées du procès en réhabilitation.

Le 30/05/1964, sur le lieu du supplice de Jeanne, André Malraux proclamait :

Ô Jeanne, sans sépulcre et sans portrait toi qui savais que le tombeau des héros est le cœur des vivants !

Voir aussi : Rouen

Le discours de Jean Jaurès sur l’Arménie en 1896

En 1896, l’Arménie fait partie de l’empire Ottoman et, déjà, les Arméniens (à majorité chrétienne) sont maltraités par les forces turques aidés par des tribus kurdes. On estime à 200 000 morts le bilan des massacres commis contre les arméniens entre 1894 et 1896. Ce furent les prémices du génocide arménien intervenu en 1915 et qui s’est soldé par plus d’un million de morts dans des conditions de barbarie élevées.

Le 3 novembre 1896, Jean Jaurès (1859-1914), homme politique de gauche, prononce un célèbre discours devant l’assemblée nationale française dans lequel il tance le gouvernement devant son inaction face aux massacres d’Arméniens, et, surtout, au non-respect des engagements de protection de l’Arménie délivrés par le Royaume-Uni, la France et la Russie.

En 1896, l’Arménie fait partie de l’empire Ottoman et, déjà, les Arméniens sont maltraités par les forces turques aidés par des tribus kurdes. On estime à 200 000 morts le bilan des massacres commis contre arméniens entre 1894 et 1896. Ce furent les prémices du génocide arménien intervenu en 1915 et qui s’est soldé par plus d’un million de morts dans des conditions de barbarie élevées.

Le 3 novembre 1896, Jean Jaurès (1859-1914), homme politique de gauche, prononce un célèbre discours devant l’assemblée nationale française dans lequel il tance le gouvernement devant son inaction face aux massacres d’Arméniens, et, surtout, au non-respect des engagements de protection de l’Arménie délivrés par le Royaume-Uni, la France et la Russie. Ces trois pays auraient pu entrer en guerre contre l’empire Ottoman ce qui aurait peut-être empêché le génocide arménien de 1915, ou peut-être pas…

Plus fondamentalement cet article vieux de 130 ans posait déjà la question de la guerre préventive pour éviter une guerre plus grave. L’Histoire a montré que ce concept de guerre préventive a toujours été difficile à mettre en œuvre de façon efficace. Il est aujourd’hui facile de dire que si la France et le Royaume-Uni avaient attaqué l’Allemagne en 1933 (année de l’arrivée au pouvoir d’Hitler), le monde aurait évité les ravages du nazisme. Et ensuite ? Les armées françaises et britanniques auraient de nouveau occupé l’Allemagne quinze années après la fin de la première guerre mondiale ? Imagine-t-on un instant que cette réoccupation aurait été paisible et que les Allemands seraient sagement revenus vers la République de Weimar ? Qui peut véritablement savoir à quoi elle aurait mené ?  La solution aurait-elle été plus saine que le problème ?

Les dirigeants et le parlement d’un pays doivent sans doute s’y reprendre à deux fois avant d’engager leurs nations dans une guerre. En 1870 la France déclare la guerre à la Prusse, les Français sont défaits en quelques mois ce qui soude l’unité allemande et l’empire allemand est fondé par Guillaume 1er dans… la galerie des glaces du Château de Versailles !

En 2003 les Etats-Unis d’Amérique partent en guerre contre l’Irak soupçonné de développer des « armes de destruction massive », accompagnés de quelques alliés. La coalition occidentale mettra plus de huit ans à se sortir du piège irakien qui a transformé tout le Moyen-Orient en poudrière dévasté par le terrorisme et le renouveau religieux. Le dictateur local a certes été arrêté, jugé et pendu, mais le chaos laissé dans la région a été dévastateur et dure encore, portant ses scories dans le monde entier.

En février 2022 la Fédération de Russie envahit à titre préventif l’Ukraine qui la « menaçait ». Elle y est encore et personne ne sait bien comment sortir de ce conflit qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts de part et d’autre et a des conséquences mondiales désastreuses que nous vivons aujourd’hui.

Déclarer ou entrer dans la guerre est sans doute l’une des décisions politiques les plus dures à prendre, tout particulièrement dans les démocraties qui n’envisagent que rarement de gaîté de cœur d’envoyer leurs enfants au combat ni de plonger leurs pays dans l’incertitude. Elle est bien plus facile à prendre à la tribune ou sur les réseaux dits « sociaux »… La critique est facile mais l’art est difficile. Même M. Jaurès a semblé avoir un peu oublié le dicton.

CHALAMOV Varlam, ‘Récits de la Kolyma’.

Sortie : 2003, Chez : Editions Verdier.

Un classique de la littérature du goulag dans lequel Varlam Chalamov (1907-1982) fut enfermé à deux reprises sous Staline pour « activité trotskiste contre-révolutionnaire » pour une durée totale de plus d’une quinzaine d’années. Il ne doit sans doute son salut qu’à la mort du dictateur en 1953. Après sa libération il doit rester sur place dans l’attente de sa réhabilitation avant d’être autorisé à revenir à Moscou en 1956. Il découvre que sa femme a été poussée à divorcer pour pouvoir rester à Moscou…

Journaliste et écrivain il va s’employer à son retour à décrire dans ses « Récits de la Kolyma » ce qu’il vécut dans cet univers concentrationnaire où lui étaient appliqués les traitements les plus rudes compte-tenu de ses « crimes ». L’édition de 2003 n’est composée que d’un choix de nouvelles qui sont bien plus nombreuses dans l’édition originale complète. Bien sûr, l’ouvrage fut censuré sous le régime de l’Union soviétique et n’a commencé à paraître localement que lors de la « perestroïka » à la fin des années 1980 après être déjà paru en Occident dès les années 1960.

La Kolyma est une région de l’Extrême-Orient russe arctique, une zone d’extraction minière importante (particulièrement pour l’or) à laquelle étaient employés les prisonniers envoyés en nombre dans le goulag local dans des conditions climatiques dantesques. Les « Récits » sont une succession de nouvelles inspirées par ce qu’a vécu l’auteur qui réussit à survivre à ce si long enfer.

Ces textes illustrent l’inhumanité des conditions de vie réservées aux détenus-travailleurs, destinés à mourir pour la plupart, surtout les prisonniers qualifiés de « politiques ». L’environnement n’est que froid, famine et mort par épuisement. Il n’y est finalement assez peu question de politique mais seulement de la manière dont la politique traite les hommes lorsqu’elle est menée par des dictateurs cyniques que rien n’arrête. Même si l’on sait aujourd’hui l’essentiel de ce qui s’est passé dans le Goulag, le relire sous la plume d’un de ceux qui en sont revenus et qui a trouvé le courage de l’écrire reste toujours un choc. Le style de Chalamov est parfois un peu ironique, malgré les circonstances et plutôt désabusé face à la machine concentrationnaire. Ses descriptions des sévices infligés aux travailleurs-prisonniers est effrayante et, en refermant l’ouvrage, le lecteur reste stupéfait de la capacité de résistance, de l’instinct de survie, de ceux qui en sont revenus. Pour certains, leur calvaire a duré plusieurs décennies, bien plus longtemps que celui des prisonniers des camps de concentration allemands durant la seconde guerre mondiale. La lecture de ces évènements terribles permet aussi de se rassurer sur les mérites de la démocratie contemporaine, pour ceux qui en douteraient.

Chalamov est mort tristement en 1982, pauvre et malade, la santé brisée par sa longue détention, dans un hôpital psychiatrique de Moscou où il avait été transféré après avoir passé trois années dans une maison de retraite pour écrivains âgés où il écrivait toujours des poèmes.

La destruction de l’homme avec l’aide de l’État n’est-elle pas la question principale de notre temps, de notre moralité, incluse dans la psychologie de chaque famille ?

Chalamov

BORTCHAGOVSKI Alexandre, ‘L’holocauste inachevé, ou comment Staline tenta d’éliminer les juifs d’URSS’.

Alors qu’il passait les 80 ans, le romancier et dramaturge « soviétique » Alexandre Bortchagovski (né en 1913, date de décès inconnue), éplucha les archives du pouvoir soviétique sur le dossier du « Comité antifasciste juif [CAJ] » et les tentatives staliniennes d’annihiler les juifs d’URSS, en commençant par l’élite représentée au sein du CAJ. Le récit raconte cette plongée dans l’absurde sanguinaire de la dictature stalinienne lancée contre les juifs. C’est très touffu, ponctué de référence à des personnages inconnus du grand public, du côté des victimes comme celui des bourreaux (ceux-ci ayant d’ailleurs vocation à devenir à leur tour des victimes un jour ou l’autre…), Wikipédia permet d’en savoir un peu plus sur ceux qui sont le plus cités.

L’antisémitisme de Staline et de son clan n’a pas pu vraiment s’exprimer durant la seconde guerre mondiale ni dans les quelques années qui suivirent tant l’idée même d’antisémitisme était associée à la barbarie nazie. C’est à cette époque qu’avait été créé le CAJ, en 1942, avec l’approbation de Staline afin de recueillir le soutien de la communauté juive internationale en faveur d’un soutien à l’Union soviétique dans son combat contre l’Allemagne nazie. Ce Comité joua son rôle jusqu’à la reddition allemande en 1945 puis les choses commencèrent à se gâter à la fin des années 1940 et l’antisémitisme du pouvoir russe put s’afficher de nouveau au grand jour.

On voit alors le régime stalinien se déchaîner contre le CAJ qui représente l’élite de la population juive d’URSS et dont les membres sont accusés de « nationalisme » et de menées « antisoviétiques ». Ils sont arrêtés, torturés parfois durant plusieurs années par des « officiers-instructeurs » jusqu’à ce qu’ils signent des aveux circonstanciés, le plus souvent de vrais tissus de mensonges qu’en l’occurrence ils contesteront lors de leurs procès, ce qui ne les empêchera pas pour la plupart d’être exécutés d’une balle dans la nuque. Généralement leurs bourreaux connaîtront le même sort quelques mois plus tard à l’occasion des purges suivantes tant la machine totalitaire avait besoin de coupables à se mettre sous la dent pour perdurer.

Rien de bien nouveau pour qui a vu le film « L’aveu » ou est familier avec la littérature du goulag, mais toujours cette incroyable constance du régime soviétique à extorquer des aveux aux contestataires du régime, même si tout le monde sait qu’ils sont montés de toutes pièces. Le mensonge et la désinformation sont érigés en mode de fonctionnement et vont générer des millions de morts.

Au détour des pages on apprend que la fille de Staline, Svetlana Allilouïeva, a épousé un russe d’origine juive en premières noces dont elle aura un fils et… des problèmes avec son père qui voyait cette union d’un très mauvais œil. On découvre également que Molotov, celui du pacte germano-soviétique (1939) encore appelé « Ribbentrop-Molotov », du nom des deux ministres des affaires étrangères des Etats signataires, était marié avec une femme juive, communiste pure et dure, soutien du CAJ. Arrêtée en 1948 pour « trahison » elle est condamnée à l’exil intérieur au Kazakhstan et le couple est poussé au divorce. Elle sera libérée après la mort de Staline en 1953 et pourra alors se remarier avec Molotov !

L’Histoire passe, les temps changent, les dictateurs succèdent aux autocrates à Moscou, mais la politique en Russie reste relativement linéaire. La guerre d’Ukraine déclenchée le 24/02/2022 repose sur la même volonté de puissance du clan au pouvoir, d’identiques mensonges auto-justificateurs et un similaire mépris de la vie humaine. Le résultat de cette guerre ne devrait pas grandir la Fédération de Russie qui a succédé à l’Union soviétique, hélas !

Les inextricables imbroglios juridiques de la guerre d’Ukraine

Dutreix / Le Canard Enchainé (21/09/2022)

A défaut de victoire nette sur le terrain militaire en Ukraine, la Russie s’efforce de tisser une toile juridique pour lier une partie de l’Ukraine à son territoire de façon désordonnée et quasiment inextricable. Quand on connaît le peu de cas que fait Moscou du droit international en général, cette tactique serait plutôt risible mais est annonciatrice de vraies difficultés lorsqu’il faudra défaire ce qui a été fait, si l’Ukraine et la communauté internationale y arrivent un jour et ce, quelque soit l’issue de la guerre en cours.

La constitution russe a été modifiée pour entériner l’annexion de quatre régions ukrainiennes et l’augmentation conséquente du territoire de la Fédération de Russie alors que l’armée russe n’avait pas encore conquis la totalité de ces régions. Depuis cette annexion célébrée en grande pompe à Moscou par le président russe et les responsables ukrainiens prorusses de ces régions, l’armée russe a perdu du terrain et même abandonné la ville de Kherson, capitale d’une des quatre régions, qu’elle ne pouvait plus tenir. À la suite de la mobilisation partielle de ses citoyens, la Russie mobilise maintenant aussi dans ces quatre régions annexées mais non totalement conquises puisqu’elles sont formellement devenues russes… envoyant sur le front contre l’Ukraine des citoyens ukrainiens devenus russes comme effet de cette annexion. Tous ne sont sans doute pas prorusses mais se retrouvent potentiellement enrôlés dans l’armée russe du fait d’une simple signature sur un décret…

Plus pernicieux, la Russie a saisi l’occasion de son occupation militaire sur une partie de ces régions pour procéder à des déplacements de population importants (une ancienne habitude soviétique) de ces territoires vers la Russie, le plus souvent sous couvert de « raisons humanitaires », pour les « protéger » des attaques ukrainiennes. Des milliers de passeports russes ont également été délivrés à des citoyens « ex-ukrainiens » selon l’entendement de Moscou mais pas forcément de celui des personnes concernées. Certains sont prorusses et ne verront pas cette démarche d’un mauvais œil mais ce n’est sûrement pas le cas de tous. Il semble que nombre d’enfants isolés sans leurs parents (que ceux-ci soient au front sous les couleurs ukrainiennes ou soient morts), aient été aussi « déportés » en Russie pour y être russifiés. Le moment venu, il sera bien sûr extrêmement difficile à leurs familles de les retrouver et de les récupérer.

Tout ceci est bien entendu en totale contradiction avec le droit international et le « droit de la guerre », mais cela est fait tout de même par Moscou qui suit ainsi une feuille de route machiavélique. Lorsque cette guerre se terminera, et qu’elle qu’en soit l’issue, ces manœuvres juridiques sont annonciatrices d’un chaos inédit probablement accompagnés de règlements de comptes entre ukrainiens, les prorusses et les fidèles à Kiev. Ceux-ci ont d’ailleurs déjà commencé dans les territoires annexés repris par l’armée ukrainienne.

La France a connu ce genre de circonstances dans son histoire contemporaine avec l’Alsace-Lorraine annexée par l’Allemagne en 1871 après la défaite française contre la Prusse, récupérée en 1918 après la défaite allemande, réoccupée et annexée de facto par le IIIème Reich en 1940 puis de nouveau « francisée » en 1945. Cette situation provoqua des tragédies comme celle des « malgré-nous » qui furent incorporés de force sous le drapeau nazi et qui, pour certains, subirent les affres de l’épuration après la libération en 1945. Ces annexions juridiques sont toujours synonymes de quasi-guerre civile pendant leur déroulement et après, si elles sont « démontées ». Il est à craindre que cela ne sera guère différent dans les régions ukrainiennes reconnues par le droit international et annexées par la Russie.

Khieu Sampan, le dernier acte

Le tribunal spécial chargé de juger les Khmers rouges a confirmé en appel la condamnation de Khieu Sampan à une deuxième peine de prison à perpétuité, cette fois-ci pour génocide et crimes contre l’humanité (meurtres, mise en esclavage, mariages forcés, viols). La première condamnation reposait sur des crimes contre l’humanité commis lors de l’évacuation forcée de Phnom Penh. Agé aujourd’hui de 91 ans, il est probablement le dernier survivant de la caste maoïste qui a conduit le génocide au Cambodge de 1976 à 1979 qui a assassiné près de deux millions de citoyens.

Formé dans les universités françaises à la fin des années 1950, il était chez de l’Etat cambodgien durant les années « Khmers rouges ». Compagnon de route du Parti communiste français et des militants anticolonialistes, notamment Jacques Vergès qui le défendra lors de son premier procès au Cambodge, il a mis en pratique lorsqu’il était au pouvoir les concepts économiques qu’il avait soutenu dans sa thèse parisienne. Le résultat fut l’extermination de 20% de la population cambodgienne.

Lire aussi : Les Khmers rouges au tribunal de l’Histoire

La France, ancienne puissance coloniale du Cambodge, gérant ses propres contradictions dans cette histoire morbide, s’est impliquée dans le déroulement des procès. Son ambassade au Cambodge a publié un communiqué :

Condamnation de l’ancien dirigeant khmer rouge Khieu Samphân (22 septembre 2022)

Déclaration de la porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

La Chambre de la Cour suprême des Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens a confirmé ce jour, en appel, la condamnation de l’ancien dirigeant khmer rouge Khieu Samphân à la réclusion criminelle à perpétuité pour génocide, crimes contre l’humanité et violations graves aux conventions de Genève.

La France salue cette décision. Elle soutient les Chambres extraordinaires depuis leur établissement en 2006. Les travaux de ces Chambres ont contribué à la consolidation de la paix et de l’État de droit au Cambodge, dans la continuité du processus ouvert par les accords de paix signés à Paris en 1991.

La décision prononcée ce jour, qui marque l’achèvement des travaux judiciaires des Chambres, constitue une étape majeure. À travers la préservation et la valorisation des archives des Chambres, les autorités cambodgiennes pourront favoriser la transmission de la mémoire du génocide à toutes les générations du peuple cambodgien. La France se tient prête à soutenir ces objectifs et rappelle son engagement déterminé en faveur de la justice et de la réconciliation.

Réunion du Groupe des amis des Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens

La France, co-présidente avec le Japon du Groupe des amis des Chambres extraordinaires (CETC), a organisé le 21 septembre 2022 une réunion du Groupe en présence de M. Stephen D. Mathias, Sous-Secrétaire Général des Nations Unies aux Affaires Juridiques, de représentants de l’administration des CETC et du Gouvernement royal du Cambodge. Ils ont échangé sur les dernières activités du Tribunal khmer rouge, la situation budgétaire et la transition vers les fonctions résiduelles des CETC.

La réunion s’est tenue à la veille du prononcé de l’arrêt en appel dans l’affaire 002/02 contre Khieu Samphân, la dernière affaire pendante devant la Chambre de la Cour suprême des CETC. Le Groupe des Amis des CETC, pleinement engagé dans la lutte pour la justice et contre l’impunité, a rappelé son soutien et les efforts considérables déployés par de nombreuses parties prenantes depuis le début des activités des CETC en 2006. Il espère que l’importance et l’héritage des CETC seront transmis à la prochaine génération.

Dernière modification : 23/09/2022

https://kh.ambafrance.org/Condamnation-de-l-ancien-dirigeant-khmer-rouge-Khieu-Samphan-22-septembre-2022

Lire aussi : BIZOT François, ‘Le portail’.

Lire aussi : BIZOT François, ‘Le silence du bourreau’.

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Catégorisé comme Asie, Histoire

ALLEG Henri, ‘La question’.

Sortie : 1958, Chez : Les Editions de Minuit.

« La question » fut un des livres clé qui fit basculer la guerre d’Algérie et comprendre à la population métropolitaine ce qui se passait vraiment dans ce « département français ». Publié en 1958, soit quatre années avant l’indépendance algérienne de 1962, le livre fut immédiatement censuré pour « atteinte au moral de l’armée » ce qui n’empêcha pas des exemplaires d’être imprimés en Suisse et de circuler largement en France.

Henry Alleg (1921-2013) était directeur du journal Alger Républicain et membre du Parti communiste français. Parti s’installer en Algérie depuis 1939 il était très proche du Partic communiste algérien et, bien entendu, en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Il fut arrêté à Alger par l’armée française en 1957, alors qu’il était déjà passé à la clandestinité, et torturé par des parachutistes durant plusieurs semaines en même temps que Maurice Audin, dont il était l’ami, qui, lui, fut finalement exécuté extrajudiciairement. Alleg pensait d’ailleurs subir le même sort :

« …j’étais convaincu qu’ils [l’armée française] préféreraient affronter le scandale de ma mort plutôt que celui des révélations que je ferais, vivant. Ils avaient dû peser cela puisque l’un des paras m’avait dit ironiquement, alors que j’étais encore incapable de me lever : ‘C’est dommage, tu aurais pu en raconter des choses, de quoi faire un gros bouquin !' »

Le livre expose avec simplicité et réalisme les tortures qui ont été appliquées à Alleg des jours durant : électricité, brûlures, noyade, soif, violences diverses, etc. Il résista à ces méthodes de militaires à la dérive et ne parla pas. Il s’empressa par la suite d’écrire ce qu’il avait vécu en désignant nommément les militaires qui l’avaient torturé. Après l’indépendance algérienne, il poursuivra ensuite sa carrière de journaliste en France au sein du journal communiste « L’Humanité ».

Ces chapitres écrits par un militant politique ont ouvert les yeux de la France sur les méthodes de guerre mise en œuvre par son armée à qui le monde politique avait laissé les pleins pouvoirs. Et c’est bien là sans doute la grande leçon de ce livre et des évènements qu’il narre : quand, dans une démocratie, le pouvoir politique abandonne ses pouvoirs, librement ou de force, à ses militaires, l’histoire se termine souvent mal. Quand des militaires en viennent à torturer leurs nationaux, nous sommes presque en guerre civile. C’est ce qui s’est passé dans les caves des parachutistes à El-Biar (Alger).

En l’occurrence, l’armée française déjà traumatisée par sa défaite en Indochine, voyant se profiler le même sort en Algérie, y compris cette blessure d’honneur de devoir abandonner leurs alliés locaux à un sort peu enviable, va commettre l’irréparable et lancer depuis Alger un putsch en 1961 contre la République qui l’avait menée dans cette impasse. Heureusement les choses vont rapidement rentrer dans l’ordre républicain côté français et l’Algérie obtenir son indépendance.

Alleg n’instruit pas dans ce livre le procès de l’institution Armée même s’il désigne les membres de cette institution qui l’ont torturé. Il n’évoque pas plus le fantasme de « l’Algérie française » tel que le vivaient les « Français d’Algérie (les « pieds-noirs ») mais son histoire personnelle illustre mieux que tout l’aveuglement d’une partie du pouvoir politique et militaire français qui n’a pas su accompagner pacifiquement l’indépendance algérienne qui était inévitable et souhaitable.

Plutôt revancharde, la France condamna Alleg en 1960 à 10 ans de prison « pour reconstitution de ligue dissoute -le Parti communiste algérien- et atteinte à la sûreté de l’Etat ». Emprisonné à Rennes, il s’évada, passa en Suisse puis en Tchécoslovaquie. Il revint en France après les accords d’Evian entre la France et l’Algérie en 1962, tenta de relancer l’Alger républicain en Algérie avant d’y être déclaré persona non grata par le régime Boumediene issu d’un coup d’Etat… Le reste de sa vie il gardera sa foi de militant communiste, soutenant l’intervention soviétique en Afghanistan ou l’ancien dirigeant d’Allemagne de l’Est Honecker. Il se sera beaucoup trompé mais au moins pas sur le destin de l’Algérie.

GOURAUD Joseph, ‘Les cendres mêlées’.

Sortie : 1998, Chez : Le Cherche Midi éditeur.

Joseph Gouraud (né en 1927, Gourenzeig de son nom originel), juif d’origine polonaise, est raflé avec sa famille en juillet 1944 à Lyon (zone « libre » jusqu’à novembre 1942) où ils s’étaient réfugiés pour fuir les persécutions antisémites. Seule sa jeune sœur échappe à l’arrestation. Ils feront partie de l’avant-dernier train vers Auschwitz. Il a 17 ans. Sa mère sera immédiatement assassinée à l’arrivée et dirigée vers les chambres à gaz, puis il verra mourir son frère et son père, d’épuisement et de découragement.

Son père lui confia comme mission de survivre pour raconter l’enfer de l’extermination des juifs et maintenir le nom Gourenzeig sur terre. Il s’acquitte de cette mission : survivra aux marches de la mort lors de l’évacuation d’Auschwitz-Birkenau à l’approche de l’Armée rouge, fuira dans la campagne allemande après l’abandon par les SS du camp provisoire où les déportés survivants avaient été entassés, rencontrera un officier français qui accompagnera son retour à la vie (y compris par des entretiens philosophiques sur la guerre), il lui servira d’interprète, s’engagera dans l’armée française pour quelques mois, sorte de sas de décompression avant le retour en France où il retrouvera sa petite sœur. Il affronte le silence plus ou moins imposé aux déportés à leur retour par des français qui se veulent insouciants au sortir de la guerre et tournés vers l’avenir et les « trente glorieuses » qui démarrent.

Ce parcours a été écrit 50 ans après les faits, pour ses enfants, ses petits-enfants, pour l’Histoire et pour respecter le vœux de son père adoré. Il retrace l’enfer vu avec les yeux de l’adolescent qu’il était à l’époque. Arrivé à Auschwitz avec la naïveté du gamin de Belleville travaillant dans l’atelier de confection de son père, il ressort, orphelin, dévasté par cette tragédie vécue de l’intérieur mais animé par l’inébranlable serment fait à son père, il doit se relever.

Ce livre décrit avec des mots simples et neutres des faits terribles, presqu’indicibles. Il clôt un cycle mais ne purge pas la mémoire de son auteur car « trop d’ombres gisaient dans nos cœurs ».

STEINER Jean-François, ‘Treblinka, la révolte d’un camp d’extermination’.

Sortie : 1966, Chez : Librairie Arthème Fayard.

Steiner, né en 1938, est le fils d’Isaac Kadmi Cohen, écrivain juif polonais assassiné à Auschwitz en 1944. Il écrit le roman « Treblinka » en 1966 (à 28 ans), époque où la connaissance de la Shoah était balbutiante. Le roman, préfacé par Simone de Beauvoir, composé à partir de nombre de témoignages de survivants et de l’histoire du camp telle qu’elle était connue dans les années 1960, déclenche alors une polémique sur le rôle que l’auteur prête aux responsables juifs dans ce camp. A peu près à la même époque, le récit publié par la philosophe Hannah Arendt « Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal » fait lui aussi polémique sur ce terme « banalité du mal » qu’elle emploie à propos de l’action d’Eichmann qui n’est qu’un logisticien de la mort, et sur l’action des conseils juifs dans les ghettos et les camps. Le sujet est explosif tant il remue de souffrance et de boue !

Dans l’univers sordide des « camps de la mort », Treblinka présente la caractéristique d’avoir subi une révolte des déportés, dont plusieurs centaines réussirent à s’évader, puis d’avoir été démantelé, le site ayant été ensuite transformé avant la fin de la guerre en un innocent domaine agricole et la plupart des archives détruites. La reconstitution de l’histoire du camp par Steiner dans son roman-récit est de ce fait sujette à discussion, surtout dans les années 1960. L’auteur reconnut d’ailleurs quelques erreurs historiques. Il semble toutefois qu’elles ne furent que de peu d’importance même si elles purent heurter la sensibilité de certains survivants.

Il n’en reste pas moins que ce livre décrit de manière terrifiante l’implacable organisation allemande mise au service de la destruction des hommes. Les réflexions et plans d’action du commandant du camp surnommé « Lalka » par les prisonniers (1) afin d’améliorer en permanence le « rendement » de l’usine à mort dont il était responsable, l’absence totale de considération pour la vie des juifs qui n’étaient que des sous-hommes destinés à servir la productivité industrielle puis à mourir, sont retracer de façon glaçante. Tous ces éléments ont d’ailleurs été largement confirmés par la suite à l’occasion des travaux d’historiens, des déclarations des survivants comme par les procès des nazis durant la seconde moitié du XXème siècle.

Toute la perversité de la machinerie nazie est tragiquement décrite dans l’implication qu’elle fit de certains travailleurs juifs dans l’organisation du camp : les « sonderkommandos » qui sont chargés d’accompagner les juifs sélectionnés à leur sortie du train pour être directement gazés, les dépouiller de leurs biens puis les enterrer ou incinérer leurs dépouilles, avant d’être eux-mêmes tués pour ne pas laisser de témoins ; les responsables juifs du camp (les fameux kapos), sorte d’interface entre les chefs nazis et la cohorte des déportés… Le vice est même poussé jusqu’à créer des sortes de lutte des classes entre les juifs eux-mêmes : ceux affectés au camp n°2 où se déroulent les opérations d’extermination de la masse et qui sont régulièrement « renouvellés », ceux du camp n°1 subdivisés entre le Hoftjuden (l’élite) et le prolétariat dont les Goldjuden chargé de la récupération de l’or et des bijoux des déportés gazés… Les « gardes ukrainiens » forment par ailleurs la phalange des nazis et se révèlent aussi cruels et antisémites que leurs maîtres. Ils sont redoutés de l’ensemble des déportés. Au sommet rège l’encadrement SS appliquant avec discipline et sans la moindre retenue l’idéologie hitlérienne et, in fine, mener les déportés sur l’allée menant au camp n°2 qu’ils avaient si délicatement surnommée Himmelstrasse (le chemin du ciel) !

Le format roman donne sans doute plus de liberté à l’auteur pour imaginer les hallucinants dialogues des nazis entre eux et des juifs dans leurs baraquements. S’ils font partie de la fiction on sait aujourd’hui qu’ils sont réalistes. Notamment ceux relatifs à la préparation de la révolte de Treblinka rapportés dans le détail, au cours de laquelle une poignée d’organisateurs juifs ont monté cette héroïque opération en août 1943 de laquelle bien peu survécurent mais qui dément ainsi la théorie des juifs « se laissant mener à l’abattoir » sans réagir. Robert Merle (« La mort est mon métier » en 1952) ou William Styron (« Le choix de Sophie » en 1979), notamment, se sont aussi essayés avec talent à la fiction sur le sujet. Le roman n’est pas un mauvais média pour expliquer sans relâche ce que fut l’extermination d’une population entière, ceux qui la conçurent et l’appliquèrent.

Evoquer le sujet de la barbarie nazie appliquée aux populations juives c’est s’exposer à la critique tant le sujet de la Shoah fut, et demeure, un sujet tragique de l’histoire européenne. Steiner le fait ici de façon neutre, son imagination littéraire ne lui ayant servi que pour retracer des conversations auxquelles il n’a pas participé. Il arrive avec précision à se mettre dans la tête des nazis comme dans celles de déportés pour expliquer ce qui les guidèrent durant ces années barbares. Bourreaux et victimes se retrouvent analysés et leurs comportements disséqués.

Un roman-récit qui valait la peine d’être écrit et qui mérite d’être lu.


(1) « la poupée » en raison de sa belle prestance, Kurt Frantz à l’état civil [1914-1998], condamné à la perpétuité après son arrestation en 1959

Lire aussi : Treblinka

BRUCK Edith, ‘Qui t’aime ainsi’.

Sortie : 1959, Chez : Points (2022).

Edith Bruck est une écrivaine italienne, née en Hongrie en 1932 dans une famille juive pauvre. Elle fait partie, avec toute sa famille, des déportations massives de la communauté juive hongroise en 1944. Elle avait 12 ans lorsqu’elle fut transportée à Auschwitz-Birkenau, endura les « marches de la mort » jusqu’à Bergen-Belsen dont elle fut libérée par les troupes alliées en avril 1945.

Elle écrit ce court récit autobiographique au début des années 1950 qui va marquer le début de sa carrière d’écrivaine qu’elle va mener en Italie dont elle a adopté la nationalité. C’est l’histoire d’une gamine aspirée dans le gouffre de l’histoire de cette région martyre du nazisme, qui raconte, finalement assez froidement, un parcours tragique d’un petit village extrêmement pauvre jusqu’aux camps de la mort.

Il n’y a pas de pathos dans les mots d’Edith Bruck, simplement l’exposé glaçant de la vérité humaine, vue avec des yeux d’enfant, lorsqu’elle sombre dans la barbarie. Le récit raconte aussi les quelques années de l’après, la recherche désespérée d’un pays d’accueil : où vivre après Auschwitz, et avec qui ? Trois mariages échouent rapidement après leur conclusion, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Israël…

On apprend dans l’épilogue du livre rédigé par un historien qu’elle a finalement trouvé son destin en Italie où elle s’est mariée avec le frère de Dino Risi, Nello, poète, et y poursuit toujours aujourd’hui son œuvre littéraire, en amitié avec les grands poètes italiens, dont Primo Levi dont elle fut proche avant le suicide de ce dernier.

« Varsovie 83, une affaire d’Etat » de Jan P. Matuszynski

Nous sommes en Pologne en 1983, le pays de l’Est le plus turbulent du bloc communiste, où la religion catholique a toujours aidé le peuple à lutter contre l’oppression marxiste un peu considérée comme l’antéchrist ! Basé sur une histoire vraie, le film détaille le processus de l’oppression dans lequel des forces de sécurité (la milice) se croient autorisées à toutes les pratiques non-démocratiques, les responsables de ces forces s’estimant investis de la mission divine de faire respecter l’ordre communiste quel qu’en soit le prix, en l’occurrence la mort d’un gamin « déviant » tabassé dans un commissariat par la milice.

La machine répressive cherche alors à « régulariser » le crime pour l’attribuer à d’autres, ce qu’elle va réussir à faire avec un relatif mais incomplet succès. En 1983 la Pologne est déjà agitée de soubresauts démocratiques, attisés par la religiosité de la majorité de sa population mais la machine communiste est encore la plus forte à cette époque pour broyer les aspirations démocratiques d’une grande partie de sa population. Devant la publicité et l’émotion populaire provoquée par la mort violente de ce gamin, le pouvoir communiste en place se sent quand même obligé de se justifier, à défaut d’avoir pu cacher ce décès, la meilleure façon d’y arriver étant encore de faire porter le chapeau par un autre.

Le film revient sur ce processus délétère du maquillage de la vérité, l’un des arts majeurs du communisme et des dictatures en général. Nous sommes en 1983, le communisme a encore quelques années à vivre et beaucoup y laisseront encore leur vie avant la « chute du Mur » et la débandade de l’idéologie afférente en Europe. On se souvient qu’il n’y eut pas d’intervention militaire du « grand frère » soviétique en Pologne lors des grandes contestations du communisme par le syndicat Solidarnosc. Le pouvoir polonais incarné par le général Jaruzelski décida de faire seul le travail de rétablissement de l’ordre et l’Union soviétique n’eut pas à intervenir directement comme elle le fit à Prague en 1968 par exemple.

Ce fut peut-être encore pire en Pologne car ce sont des Polonais qui ont martyrisé d’autres Polonais. Les comptes n’ont jamais été vraiment soldés ni réglés dans ce pays que l’on voit de nouveau dériver vers les rivages dangereux de la « démocrature » tout en ayant choisi le camp occidental et l’abri financièrement rassurant de l’Union européenne. Le film illustre bien cette période trouble.

« Abd el-Kader » au Mucem

Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM), les pieds plongeant dans la rade de Marseille, la grande bleue scintillant sur les infrastructures arabisantes du bâtiment, quel autre grand personnage de l’histoire méditerranéenne pouvait mieux symboliser pour le musée cette attraction-répulsion des deux rives Nord et Sud de cette mer civilisatrice que la personne de l’Emir Abd el-Kader (1809-1883). Et quel puissant symbole de l’exposer au Mucem aux portes du Vieux Port de Marseille qualifiée par les Algériens eux-mêmes de « première ville arabe en venant de Paris ».

Abd el-Kader est resté dans l’imaginaire franco-algérien comme un homme raisonnable, trahi par la France. Religieux certes, combattant l’invasion de 1830 de son pays par la France colonisatrice sans aucun doute, il accepta de signer des traités avec l’envahisseur français, reconnaissant son pouvoir sur l’Ouest algérien. Guerrier et administrateur, il remporte des succès militaires significatifs face à la brutalité de l’armée française du général Bugeaud notamment. Alors que Paris ne cesse de renier ses différents engagements en faveur de l’Emir, la guerre totale est menée contre lui qui doit finalement déposer les armes en 1847 contre la promesse de pouvoir s’exiler au Moyen-Orient.

Un dernier reniement français empêche son exil vers l’Orient et il prend finalement la route de la prison (Toulon, Pau, puis Amboise) avec sa suite. Un courant d’intellectuels européens prend fait et cause pour lui et pousse Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III le libère en 1952 et lui octroie une pension annuelle. Il prend alors la route de la Turquie puis de la Syrie où il décédera en 1883.

Cette exposition retrace de façon équilibrée le parcours de celui qui est devenu un héros de l’Algérie moderne, considéré par le pouvoir actuel en Algérie comme le véritable fondateur de l’Etat algérien. Descendant d’une famille de l’aristocratie religieuse soufi il s’est transformé en chef de guerre pour combattre l’envahisseur mais il n’échappa pas non plus à une certaine ambiguïté en négociant avec la France, ce qui continue à lui être reproché par certains extrémistes des deux bords de cette relation franco-algérienne si constamment houleuse 60 ans après l’indépendance.

Voir aussi : Marseille – Cassis

La Pologne n’aime pas la Russie

La Pologne s’est récemment frottée avec le président de la République française, lui reprochant de vouloir continuer à négocier avec le Kremlin dont elle qualifie le chef de « criminel » posant la question de savoir si on « négocierait avec Hitler, Staline ou Pol-Pot ? »

Evidemment, la Pologne a des raisons historiques de redouter la Russie. L’existence même de la Pologne a été niée depuis le XIXème siècle, et même avant, par les empires centraux et Moscou. Même Napoléon qui était attendu comme un sauveur a vassalisé ce pays, recruté nombre de soldats polonais dans la « Grande armée » en les embarquant dans le désastre de ses guerres européennes. Il y a même choisi une maîtresse, Marie Walewska, dont il eut un fils.

Dans un temps plus contemporain, la Pologne a souffert très directement de l’Union soviétique. Après la guerre russo-polonaise de 1920 est arrivée la seconde guerre mondiale. L’URSS, comme l’Allemagne nazie, a toujours considéré la Pologne comme un « non-pays », une plaine de passage, un peu comme Moscou apprécie aujourd’hui l’Ukraine qu’elle voit comme son arrière-cour et non pas comme un Etat souverain. Les clauses secrètes du pacte germano-soviétique signé en 1939 stipulent que ce pays est à partager entre Berlin et Moscou. Aussitôt signé aussitôt appliqué et la Pologne est envahie par les deux puissances totalitaires, l’invasion nazie étant d’ailleurs l’élément déclencheur de l’entrée en guerre de la France et du Royaume-Uni contre l’Allemagne.

Dès 1939 les Allemands installent en Pologne un « gouvernorat général », une sorte de statut colonial, dirigé par le tristement célèbre Hans Frank condamné à mort par le tribunal de Nuremberg puis exécuté. Ils construisent en Pologne des camps d’extermination qui joueront un rôle majeur dans la Shoah, dont Auschwitz-Birkenau, Treblinka, Sobibor…

Les soviétiques de leur côté ne veulent pas être en reste et annexent la partie du pays qui leur échoit, y instaurent le communisme, déportent en masse au Goulag, incorporent de force dans l’Armée rouge, livrent aux nazis les Polonais occidentalisés, assassinent l’élite (massacre de Katyn, 15 000 officiers tués d’une balle dans la nuque par le NKVD – services secrets soviétiques), entre autres joyeusetés. Dans les années 1980, le régime communiste polonais réprime durement les mouvements populaires de révolte, avec l’assentiment de Moscou bien entendu même s’il n’a pas été nécessaire d’envoyer l’Armée rouge pour rétablir l’ordre comme ce fut fait à Berlin-Est en 1953, à Budapest en 1956 ou à Prague en 1968, le pouvoir communiste polonais se débrouillant fort bien tout seul avec l’aide de son armée.

Tout ceci a laissé des souvenirs à Varsovie. L’Allemagne a été défaite en 1945, démocratisée, puis réunifiée et ne présente plus de grands dangers militaires à court terme pour la Pologne. Berlin continue d’essayer de se racheter mais une méfiance bien compréhensible régit les relations diplomatiques entre les deux pays. L’URSS, et son successeur la Fédération de Russie, n’a jamais fait amende honorable de ses exactions en Pologne durant le XXème siècle. Il a fallu attendre 2010 pour que le parlement russe reconnaisse que Staline avait ordonné l’exécution des officiers polonais, et non les Nazis comme le répétait Moscou depuis 60 ans.

Varsovie n’oublie rien et sait de quoi la Russie a été capable. Dès la chute de l’URSS et la libération des pays d’Europe de l’Est, elle a regardé vers l’Ouest et intégré l’alliance militaire atlantique en 1999 et l’Union européenne en 2004 afin d’installer un vrai fossé politique en principe infranchissable entre elle et la Russie. Les invasions russes contre la Géorgie, la Crimée et l’Ukraine n’ont fait que la renforcer dans son rejet définitif de la Russie et considérer que le fossé n’était peut-être plus aussi infranchissable que souhaité à l’origine, d’où l’attaque contre le président français qui n’a pas rompu la discussion avec le Kremlin dans l’espoir de favoriser une négociation entre les belligérants pour finir cette guerre insensée contre l’Ukraine. A moins que l’un d’eux ne soit écrasé par l’autre comme le fut l’Allemagne en 1945 il faudra bien négocier un accord entre eux pour arrêter les combats et convenir des relations futures. Il faudra donc parler à celui d’en face.

La Pologne reste tellement hérissée contre la Fédération de Russie qui lui a fait tant de mal dans l’histoire qu’elle se refuse à toute diplomatie avec Moscou. Ne reste comme seule alternative que la poursuite la guerre jusqu’à la reddition sans conditions de la Russie, hypothèse improbable à court terme, ou qui ne serait envisageable que dans le cadre d’une troisième guerre mondiale aboutissant à l’anéantissement d’un protagoniste voire même de la planète Terre. Ce n’est pas une solution raisonnable, le mieux est de continuer à garder le contact avec l’ennemi même en se pinçant le nez. En revanche il faudra aussi se souvenir des obsessions de la Russie et la laisser durablement en dehors de tout dialogue politique avec l’Occident même une fois les sanctions économiques levées, car elles vont bien être levées un jour. On fera du business avec la Russie mais pas plus, il faudra exclure ce pays du cercle des amis de l’Occident et le laisser retourner vers l’Asie à laquelle, après tout, appartient la très grande majorité de son immense territoire. Moscou se souvient par ailleurs que toutes les armées qui l’ont attaquée ont dû se retirer dans les affres d’une piteuse défaite, Napoléon et Hitler pour les plus récents.

A l’avenir, une fois cette guerre terminée, veillons à ce que chacun reste de son côté sans empiéter sur le voisin et cessons les grands raouts à Versailles ou au G8 pour se donner l’illusion que la Russie est un pays ami, ce qu’elle ne souhaite pas être. C’est d’ailleurs un des travers de la démocratie que de croire que tous les pays tiers veulent être en bons termes avec nous. La France de Chirac a reçu le fiston syrien Assad (le président français ayant été le seul chef d’Etat occidental à se rendre aux obsèques de son père en 2000), celle de Sarkozy a reçu le libyen Kadhafi, celle de Hollande a reçu le pouvoir malien et la France de Macron a reçu le président russe avec maints égards. A chaque fois les visiteurs ont été édifiés avec le discours occidental sur la démocratie et les droits de l’homme, et après chaque visite ils ont montré combien ils étaient rétifs à traduire ces principes dans leur gouvernance. N’oublions pas les leçons de l’histoire et ne rêvons pas de transformer ces pays en démocraties apaisées ce qu’ils ne seront jamais.

Varsovie devait se rendre à Moscou le 24 mars pour un match de qualification contre la Russie pour la coupe du monde de fouteballe, elle a refusé de le faire. Il va falloir faire un peu plus peur si l’on veut vraiment obtenir la reddition de Moscou dans sa guerre contre l’Ukraine…

MENGISTE Maaza, ‘Sous le regard du lion’.

Sortie : 2012, Chez : Actes Sud.

Maaza Mengiste est une écrivaine d’origine éthiopienne, naturalisée américaine. Née à Addis-Abeba en 1971, trois années avant l’instauration d’une dictature militaire communiste à la suite de la déposition de l’Empereur Haïlé Sélassié en 1974, elle garde un souvenir très prégnant de ces premiers mois de la « terreur rouge » qui s’abattaient sur ce pays, avant l’exil de sa famille au Nigeria puis au Kenya et, enfin, aux Etats-Unis d’Amérique.

Cette période trouble est le cadre de ce premier roman qui narre l’histoire d’une famille plutôt favorisée au cœur de la capitale éthiopienne en proie à la folie du régime. Arrestations, torture, exécutions, nationalisations, défilés à la « gloire de la Révolution » sont le quotidien de la ville et du pays. Dans ce contexte dangereux et idéologisé, les membres de la famille de Hailu, chirurgien, réagissent différemment, puis tous se retrouveront contre la terreur promue par le major Guddu, inspiré de Mengistu Hailé Mariam, militaire qui dirigea le pays durant ces années noires (il est aujourd’hui toujours exilé et protégé au Zimbabwe, il a été condamné à mort pour génocide par la justice éthiopienne en 2008, on estime le nombre de morts durant son régime aux alentour d’un million, de répression, de famines et de mauvaise gestion).

Ce roman rappelle cette sombre période le l’histoire contemporaine de l’Ethiopie, commencée par la guerre coloniale menée et gagnée par l’Italie dans les années 1930, et dont la violence se poursuit encore aujourd’hui avec la énième reprise de la guerre civile entre Addis-Abeba et la province rebelle du Tigré.

Il décrypte les comportements de résistance de chacun face à l’oppression, le questionnement intime des uns et des autres sur la meilleure réaction possible, les risques à prendre, et pour quel résultat tangible ? On imagine aisément que ce type de réflexion est mené par tout peuple en proie à la répression ou à l’occupation. Jusqu’où peut-on accepter, à quel moment la contestation doit être violente, quel prix est-on prêt à payer pour la liberté ? De l’occupation allemande de l’Europe en 1939-1945, à celle de l’Ukraine par la Russie en 2022, ce problème est aussi vieux que le monde et bienheureux sont les pays démocratiques qui n’ont pas eu à se la poser depuis près de 70 ans !