« Les âmes perdues » de Stéphane Malterre et Garance Le Caisne

Un documentaire glaçant sur l’affaire « César », du nom de code de ce photographe de l’armée syrienne qui a pris plus de 50 000 clichés des cadavres d’opposants syriens torturés puis tués par la police du régime au cours des années 2010 : fuyant Damas, il remit ses photos aux autorités occidentales (gouvernements, organisations non gouvernementales [ONG] et institutions multilatérales) qui les utilisent pour documenter les crimes du gouvernement syrien.

Le film suit surtout les démarches initiées par des familles syriennes exilées en France et en Espagne, bénéficiaires de la double-nationalité et qui ont reconnu des parents sur les photos des victimes, pour déposer plainte dans les pays d’accueil contre des dirigeants syriens. Ces processus judiciaires avancent difficilement car mettant en jeu des aspects politiques et diplomatiques, outre ceux ayant trait aux droits de l’homme. Toutefois des premières condamnations tombent en Allemagne contre des officiers syriens qui s’y étaient installés après avoir suivi la route des réfugiés en 2015 puis été identifiés par certaines de leurs victimes. La France s’apprête de son côté à juger par contumace trois généraux syriens pour crime contre l’humanité.

Les photos de « César » sont juste survolées. Même floutées elles montrent l’horreur à laquelle ont été soumises les victimes, hommes et femmes, jeunes et vieux. Elles illustrent aussi le sentiment de total impunité des autorités syriennes qui ont-elles-mêmes documenté leurs crimes avant d’émettre les certificats de décès nominatifs pour toutes victimes décédées, reconnaissant ainsi les faits… Un juriste explique dans le documentaire que les crimes syriens sont bien mieux documentés que l’ont été ceux des nazis au procès de Nuremberg en 1945 contre les 24 principaux responsables du régime nazis encore vivants à la fin de la seconde guerre mondiale.

Par les temps qui courent on peine à imaginer qu’un procès similaire puisse être tenu contre la famille al-Assad qui gouverne ce pays d’une main de fer depuis 1971, le fils Bachar ayant succédé à son père Hafez ayant en 2000. En réalité, sans doute la majorité des pays de la planète ne voit pas véritablement de problème dans la gestion de la Syrie. Le film montre d’ailleurs la Chine et la Russie voter contre une résolution du conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) condamnant le régime syrien, bloquant ainsi toute action de la communauté internationale.

Le concept des « droits de l’Homme » que l’on croyait universel depuis 1945 après la découverte des horreurs nazis est en train de faire naufrage. Même si la communauté des pays réunis au sein de l’ONU en a approuvé le principe à travers nombre de traités et conventions, les régimes autoritaires les récusent désormais par leurs actes. La guerre d’Ukraine en cours ne fait que confirmer cette tendance. Les migrants et les victimes, eux, votent avec leurs pieds en faveur des droits de l’Homme et viennent se réfugier dans les pays occidentaux qui respectent encore le concept. On voit même des tortionnaires se joindre aux flux des réfugiés pour tenter de se réinstaller en Europe. L’officier syrien en rupture de ban qui a été arrêté et condamné à perpétuité en Allemagne n’a pas choisi d’émigrer en Russie ni en Chine, mais… en Allemagne. L’oncle du dictateur Bachar as-Assad, Rifaat, ancien vice-président de son frère Hafez est venu se réfugier à Paris après un coup d’Etat manqué en 2004. Il serait récemment retourné en Syrie après avoir été condamné par contumace à quatre années de prison dans l’affaire des « biens mal acquis » concernant sa fortune immobilière constituée en France pour une somme estimée à 90 millions d’euros, ce patrimoine a été saisi par la justice.

C’est d’ailleurs la seule note d’espoir de ce film terrifiant, le fait que même les tortionnaires choisissent de s’installer et mener leurs affaires en Occident plutôt que chez leurs « amis » politiques semble indiquer que la démocratie a encore un peu d’avenir sur la planète. Il suffit sans doute de rester ferme sur les principes et… patient.

Fin de conflit en vue Yémen

Le Yémen est un vieux pays dont on retrouve des traces plusieurs millénaires avant Jésus-Christ. Mais une nation à problèmes dans l’histoire contemporaine, sans arrêt entre deux guerres civiles et trois coups d’Etat, en permanence le jouet d’interventions extérieures pour des motifs idéologiques divers, dont religieux bien entendu. Placé géographiquement au sud de l’actuelle Arabie Saoudite, le Yémen a été dirigé par différents califats islamiques, puis colonisé par les Ottomans, les Britanniques, puis partitionné en deux Yémen distincts dans les années 1960, dont l’un d’inspiration communiste, puis de nouveau réuni en un seul pays en 1990.

Depuis les années 2000 une énième rébellion agite les tribus, soutenue par l’Iran ennemi juré de l’Arabie Saoudite qui a toujours voulu exercer une sorte de tutelle sur le Yémen. Du coup, énervée par suite d’une tentative de coup d’Etat menée par la rébellion Houthis (pro-iranienne chiite), Ryad prend la tête d’une coalition arabe (sunnite, opposante à l’Iran) en 2015 et se met en tête de réduire la rébellion. Aussitôt décidée, l’opération « Tempête décisive » met en branle une armada arabe sunnite menée par l’Arabie Saoudite qui lance ses avions, ses chars, son artillerie et son infanterie contre les Houthis. Comme très souvent les guerres d’invasion à visée coloniale échouent. Celle-ci ne déroge pas à la règle. Sept ans plus tard le pays affronte l’une des plus graves crises humanitaires jamais endurée dans le monde selon l’ONU, des millions de déplacés, des destructions considérables, des milliers de morts de chaque côté, des hôpitaux bombardés, des cessez-le-feu non respectés, et, surtout, aucun but de guerre n’a été atteint par les uns ni par les autres, on est au point mort et le pays a régressé d’un siècle.

Plusieurs trêves sont convenues en 2022, plus ou moins respectées. En 2023, sous les auspices de la Chine, l’Arabie Saoudite et l’Iran se parlent et rétablissent leurs relations diplomatiques. Sans doute le sort de la guerre du Yémen faisait partie de l’accord ? Conscientes que cette guerre est vaine et couteuse, les deux parrains de Ryad et Téhéran poussent leurs affidés à s’entendre. Ils ont déjà procédé à des échanges de prisonniers et la trêve semble durer. Peut-être un accord de paix sera la prochaine étape ?

La fin d’une guerre au Yémen est une bonne nouvelle, même si elle est sans doute aussi fondée sur l’anti-occidentalisme de ses principaux acteurs. Elle pourrait inspirer les parties à la guerre d’Ukraine en cours, largement aussi meurtrière et, sans doute, sans plus d’avenir, que celle du Yémen. Et si la Chine est capable de mettre son grain de sel dans l’affaire ukrainienne pourquoi ne pas lui donner la main. Il faut mettre fin à ce conflit avant d’en perdre le contrôle et, si possible, sans attendre sept longues années comme au Yémen.

Lire aussi : La Chine a proposé un plan de paix pour la guerre d’Ukraine

Le Liban oublié

Le Liban fait de nouveau parler de lui après l’explosion dramatique qui s’est déroulée sur le port de Beyrouth en août 2020 qui avait fait plus de 200 morts, des milliers de blessés et provoqué la dévastation de la ville. Cet évènement avait aussi accéléré l’effondrement économique et financier du pays déjà bien engagé avant l’explosion. Aujourd’hui ce sont deux immenses silos à grains situés sur le port qui avaient été endommagés en 2020 et qui sont en train de s’effondrer.

C’est l’occasion de revenir sur l’échec quasi-total des tentatives françaises pour essayer de favoriser la réforme du pays malgré les déplacements très (trop) médiatiques du président Macron sur place qui a perdu là une bonne occasion de se taire et de rester discret. On se souvient qu’on l’avait vu déambuler sur le port en bras de chemises expliquer à la population que la France allait favoriser la rénovation politique du pays et l’aide directe à la population, sans passer par les intermédiaires habituels corrompus qui détournent plus qu’ils ne distribuent.

Deux ans plus tard il ne s’est pas passé grand-chose sinon les habituels blocages internes, politiques et confessionnels, empêchant l’enquête d’avancer. L’Etat est quasiment paralysé, l’inflation fait des ravages, la devise locale dévisse, la pauvreté de la population progresse, la corruption endémique est toujours là, la classe politique se protège, bref, le Liban continue sa route vers l’abîme.

Seule bonne nouvelle : les justices occidentales commencent à bouger légèrement au sujet des « biens mal acquis » de dirigeants libanais sur leurs territoires. En France on découvre avec effarement la fortune accumulée par l’inamovible chef de la banque centrale du Liban, Riad Salamé, et qui se chiffre en centaines de millions d’euros. Des saisies d’ampleur ont été réalisées sur des biens supposés appartenir à la famille Salamé et à certains de ses proches. Le garçon est pour le moment toujours en place à la tête de la banque centrale, expliquant que sa fortune est le fait d’investissements avisés…

Les tentatives de compromis entre les forces politiques et religieuses du pays échouent les unes après les autres. L’Iran agit comme en terrain conquis à travers la milice religieuse Hezbollah, Israël continue à surveiller le Liban comme le lait sur le feu et des millions de réfugiés syriens sont toujours sur place. Carlos Ghosn, franco-libano-brésilien, ex-pédégé de Renault-Nissan, fuyant la justice japonaise, est réfugié à Beyrouth mais même s’il est très riche, ses dépenses locales ne vont que faiblement participer au redressement de la balance des paiements libanaise. Pas plus que son comparse Ziad Takieddine, franco-libanais, fuyant la justice française dans l’affaire des financements des campagnes de Nicolas Sarkozy, qui s’affiche comme ruiné…

La « feuille de route » proposée par M. Macron en 2020 contenant un certain nombre de réformes n’a quasiment pas connu un début de commencement. Les objurgations lancées par le président à l’encontre de la classe politique libanaise lors de ses deux visites sur place en 2020 n’ont guère fait remuer les branches du cèdre libanais dont les racines sont profondément entremêlées avec les mauvaises habitudes de corruption, d’arrangements mafieux et de tentatives de compromis religieux.

Lire aussi : Le Liban a-t-il vraiment besoin d’un Macron en goguette ?

M. Macron se fait plus discret sur le sujet du Liban depuis un an. Il faut dire qu’il a perdu une bonne occasion de se taire en 2020. Bien sûr la France se devait d’essayer d’aider le Liban devant la nouvelle catastrophe endurée par ce pays, mais il aurait été plus approprié de le faire dans la discrétion. Entamer des procédures judiciaires, enfin, contre les biens mal acquis libanais en Europe, identifier les canaux civils par lequel faire transiter une aide humanitaire bienvenue plutôt que via un Etat défaillant, conditionner discrètement le sauvetage financier du Liban à des réformes politiques, mettre en branle la puissance européenne plutôt que le cavalier seul franchouillard… tout valait mieux pour aider ce pays méditerranéen plutôt que de venir agiter un petit drapeau bleu-blanc-rouge sur le port de Beyrouth en critiquant vertement la classe politique libanaise devant les médias.

N’importe quel connaisseur du monde arabe, et ils pullulent au Quai d’Orsay, aurait pu expliquer au président français que les grands effets de manche ne sont pas efficaces dans la région et qu’il vaut mieux agir avec froideur, détermination et discrétion si l’on veut atteindre ses objectifs, particulièrement lorsqu’ils viennent de l’ancienne puissance mandataire (coloniale). Mais une nouvelle fois on a privilégié esbroufe et publicité au détriment du fond et de l’efficacité.

« One more jump » de Emanuele Gerosa

Un film documentaire sur la pratique du parkour par de jeunes palestiniens résidant à Gaza. Le parkour est une espèce de running de banlieue, ponctué de franchissement d’obstacles façon breakdance. C’est impressionnant et pratiqué par ces jeunes de Gazacomme un moyen d’évasion de leur chaudron Gazaouite, entre mer Méditerranée, police du Hamas et gardes-frontière israéliens, sans aucun espoir de futur sur place.

Alors tous ces gamins n’ont qu’une idée en tête : fuir leur prison vers l’Europe pour tenter d’y mener une vie meilleure. Le titre du film est une allégorie à cette tentation désespérée. L’un d’eux réussit à partir pour l’Italie pour participer à des compétitions de parkour et le film alterne entre les deux personnages principaux celui de Rome et celui de Gaza. Ceux qui sont restés envient le premier et… le condamnent d’être parti sans eux.

Présent dans la salle, le réalisateur revient ensuite sur les conditions de tournage en 2019 relativement aisées dans un environnement plutôt agité, l’obsession de ces jeunes pour quitter leur territoire sans espoir de retour, la bouffée d’air frais que représente la pratique du parkour dans l’environnement dévasté de Gaza. Il nous apprend pour finir que le premier personnage a eu un accident lors d’un entraînement en Italie et finira sa vie sur une chaise roulante et que le second a finalement pu quitter Gaza, également pour l’Italie, laissant les siens sur place sans doute pour toujours. Pas très gai ce documentaire, pas plus que la situation gelée en Palestine.

Triste Liban

Après neuf mois de crise politique, le premier ministre Hariri, qui avait été nommé pour former un gouvernement en mesure de tenter de concevoir et d’amorcer le redressement économique du Liban, se montre incapable de mener la tâche à bien. Il faut dire que ce pays soi-disant multiconfessionnel est proprement ingouvernable. Fondée sur la base d’une constitution inspirée par le mandataire français (ou, pour parler plus clair : le colonisateur français) prévoyant la répartition des postes par religion : le président doit être chrétien maronite, le premier ministre est musulman sunnite et le président de l’assemblée nationale est musulman chiite. Une constitution confessionnelle élaborée par le pays de la laïcité, ce n’est pas le moindre paradoxe de ce pays méditerranéen.

Les guerres contre Israël, les camps palestiniens depuis 1948, la montée en puissance du Hezbollah pro-iranien, moitié milice-moitié parti politique, la corruption endémique qui ravage la société, le trafic de drogue, l’explosion en 2020 du port de Beyrouth, les conseils de la France qui continue à se mêler de ce qui ne la regarde plus, la crise sanitaire en cours font de ce pays un refuge pour des forbans comme Carlos Ghosn ou Ziad Takieddine , mais un désastre pour le reste de la population et l’avenir à court terme de ce sympathique pays.

Pendant ce temps, une enquête judiciaire est ouverte en France contre le gouverneur de la banque centrale du Liban pour « blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs », beaucoup de gens se demandant comment il a pu accumuler une fortune immobilière qui se chiffre en dizaines de millions d’euros, notamment en France. Et le pays n’a toujours pas de gouvernement officiel, les différents partis religieux ne voulant rien céder de leurs intérêts particuliers pour satisfaire l’intérêt général de leur pays à la dérive en voie de paupérisation accélérée. Les organismes financiers multilatéraux comme nationaux ont sorti leurs carnets de chèques mais ne veulent envoyer des sous que dans le cadre d’un plan de relance économique concocté par un gouvernement officiel ! On en est loin.

On ne sait pas ce qui va se passer dans le futur proche. Théoriquement il faudrait mettre le pays sous tutelle mais ne n’est évidemment plus possible, pas sûr d’ailleurs que cela serait efficace tant la population divisée se réunirait rapidement pour rejeter tout proconsulat étranger. Et puis qui serait prêt à l’assurer ? Heureusement la Syrie a autre chose à faire pour le moment sinon elle aurait réenvahit le Liban sans barguigner et probablement sans rencontrer vraiment d’opposition.

Alors il faut attendre et espérer l’élan collectif d’un peuple fatigué pour identifier un sauveur parmi les leurs, capables d’oublier son appartenance communautaire, de ne pas être trop corrompu et avoir une vision de l’avenir du pays partagée par une majorité… Vaste tâche !

Des journalistes de circonstance

A l’occasion du énième embrasement israélo-palestinien, la presse internationale s’émeut d’une possible manipulation dont elle aurait été l’objet de la part de la communication de l’armée israélienne. Celle-ci a en effet communiqué que « l’armée israélienne est rentrée dans Gaza » avant de démentir quelques heures plus tard évoquant une erreur technique de sa part. La presse a immédiatement diffusé cette information sans la vérifier. Il semblerait que les militaires palestiniens se seraient alors positionnés dans les tunnels, construits et utilisés par eux pour sortir sous les frontières terrestres, que les avions israéliens auraient alors bombardés. Le service de communication militaire israélien s’est empressé d’affirmer qu’il n’y avait aucune manipulation de sa part…

Tout est possible et on ne saura sans doute jamais la vérité. En revanche, ce qui est une certitude c’est l’incompétence de journalistes qui ont pris pour argent comptant des informations issues d’un service de communication militaire avant de les répercuter sans vérification. On se demande ce que l’on enseigne dans les écoles de journalisme ?

Les armées ne sont pas vraiment réputées pour la fiabilité de leur communication qui relève plutôt de la propagande que de l’information objective, et l’on comprend bien pourquoi. Ne pas se méfier a priori de cette source et, qui plus est dans le cas d’espèce, ne pas vérifier de visu la présence de soldats israéliens dans Gaza avant de diffuser relève de la faute professionnelle grave. Mais l’attrait du scoop l’emporte depuis longtemps sur le professionnalisme, ce nouvel exemple vient encore le confirmer, hélas !

Le problème palestinien n’est pas réglé

Une nouvelle montée de tension se produit au Proche-Orient, cette fois-ci entre Israël et le mouvement Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza (ce mouvement est considéré comme « terroriste » par l’Europe et les Etats-Unis mais emporte les suffrages des électeurs de Gaza). On retrouve l’habituel déchaînement de violence largement asymétrique entre la puissance militaire de l’Etat d’Israël et celle plus réduite de la branche armée du Hamas ne disposant que de missiles à tirer sur son voisin du nord. On assiste également aux non moins habituelles polémiques en France sur « qui a commencé » et « qui a droit de se défendre », à grands coups de tribunes médiatiques et de manifestations de rue. Elles n’ont guère d’intérêt tant elles sont récurrentes à chaque conflit depuis des décennies et n’apportent strictement aucun élément de solution, mais au contraire un méli-mélo de parti-pris et de mauvaise foi. Ce qui est également très répétitif c’est que les contribuables européens, notamment, vont maintenant devoir payer pour reconstruire ce qui a été détruit. Cela se passe ainsi en moyenne tous les dix ans. Ainsi va l’actualité dans cette région depuis 1948…

Ce qui est plus intéressant aujourd’hui c’est de constater que la question palestinienne n’est toujours pas réglée et qu’elle se rappelle à ceux qui pensaient que quelques accords de reconnaissance mutuelle habilement négociés entre Israël et des Etats arabes en échange de concessions de circonstance auraient pu suffire à aplanir la revendication palestinienne. Ce n’est manifestement pas le cas. Puissance militaire et marchandages politiques montrent une nouvelle fois leurs limites.

La Bible nous apprend dans la Genèse que « Dieu a promis Israël au peuple juif » mais il n’a pas dit ce qu’il fallait faire des Palestiniens qui s’y trouvaient. Alors les hommes cherchent une solution. Celle toujours promue par la communauté internationale de deux Etats n’arrive pas à être mise en place. Celle, plus récente, d’un seul Etat grignotant petit à petit les territoires palestiniens semble montrer ses limites. Là où l’on aurait besoin d’intelligence et de bienveillance, les parties au conflit manifestent haine et violence.

Lire aussi : Israël se déchaîne – Keep on rockin’ in the free world (rehve.fr)

C’est simplement l’histoire, vieille comme le monde, d’un même territoire revendiqué par deux populations qui ne sont pas d’accord sur sa possession. Israël dispose de la puissance militaire, ses adversaires sont animés par la volonté de pas être chassés de chez eux. Le premier belligérant est par ailleurs assis sur un volcan avec une population arabe de nationalité israélienne d’environ 20% dont le taux de natalité est supérieur à celui du reste de la population. Il y a même des députés « arabes-israéliens » à la Knesset. L’épine est dans le pied… et à chaque fois qu’Israël annexe ou colonise un nouveau territoire elle « annexe » aussi la population arabe qui y réside. Pas sûr que la seule force réussisse à éteindre ce volcan. En tout cas elle n’y a pas réussi jusqu’ici et on peut douter que cela change à terme.

A la prochaine !

Le Liban a-t-il vraiment besoin d’un Macron en goguette ?

Le Liban est un pays en faillite financière depuis quelques mois, en déliquescence politique depuis des décennies, en guerre chaude contre Israël de temps à autres, en guerre froide en permanence, en guerre civile régulièrement, occupé par des forces étrangères (palestiniennes, syriennes, israéliennes, Nations-Unies …) durant de longues et récurrentes périodes, tiraillé entre les idéologies religieuses, bref, le Liban est un pays en situation difficile de façon structurelle.

Et voici qu’un incroyable accident s’est produit au port de Beyrouth ce 4 août : l’explosion de près de trois mille tonnes de produits chimiques dévastant la moitié de la ville. On ne sait pas bien ce qui a déclenché l’explosion, de mauvaises conditions de stockage ou une intervention extérieure, voire terroriste.

La France qui se croit toujours plus ou moins protectrice de cet Etat, à la création duquel elle participa dans des conditions troubles, envoie son président de la République sur place dès le 6 août. Il se promène en chemise blanche dans les rues de Beyrouth, monopolise le président libanais, conférence devant la presse, lâche quelques incongruités diplomatiques et rentre chez lui en fin de journée. Comme si le Liban n’avait rien de mieux à faire en ces circonstances que de recevoir une délégation française de haut niveau. A quoi peut donc servir un Emmanuel Macron un 6 août à Beyrouth ?

L’ironie de l’histoire réside aussi dans la leçon de gouvernance infligée par Macron à son alter égo libanais, le Général Aoun, chrétien de 85 ans, passé par les milices, la sécession, les alliances hasardeuses et… l’exil en France durant quinze ans après avoir été exfiltré de l’ambassade de France où il s’était réfugié, ce qui lui a probablement sauvé la vie ! Ce qui ne l’empêche pas de refuser la proposition française d’une enquête internationale sur les causes de l’explosion. Cerise sur le gâteau, alors qu’il déambule dans la ville des habitants implorent l’aide de la France pour « se débarrasser de cette classe politique », et même le retour de Paris comme puissance mandataire, le président Macron répond :

 « Le Liban est un peuple souverain, ce n’est pas à moi de le faire, c’est à vous.

Cela manque pour le moins de diplomatie et, totalement, de réalisme politique. Paris a également expliqué que l’aide sera distribuée directement à la population pour contourner la corruption endémique. Là encore il s’agit d’un vœu pieux puisqu’il est techniquement impossible pour un donateur étranger d’accéder à chaque citoyen du pays aidé. A défaut de passer par l’Etat, il faudra évidemment utiliser d’autres intermédiaires, sans doute des organisations non gouvernementales elles-aussi soumises à la corruption car ce phénomène ne peut fonctionner que globalement : les gros sont grassement corrompus, les moyens sont moyennement corrompus et les petits sont petitement corrompus. C’est ainsi, la corruption est aussi un système de redistribution mais, à la différence de l’impôt, il est organisé informellement en dehors de la Loi.

Dans cet « Orient compliqué », le mieux à faire pour la France est d’aider matériellement ce pays mais surtout ne pas se mêler de sa gouvernance car il n’y a que des coups à prendre et aucun espoir de réussir à faire évoluer les choses. Il faut laisser les libanais et les puissances régionales réformer la gestion de ce pays fracturé, s’ils l’estiment nécessaire. Peut-être le président français est-il confronté à suffisamment de dossiers nationaux urgents pour ne pas aller se mêler de ce qui ne le regarde pas dans les affaires des autres pays, fussent-ils proches de Paris (ce qui d’ailleurs reste encore prouver dans le cas du Liban) ?

La Turquie fait revenir « provisoirement » sur son territoire les candidats réfugiés installés à la frontière gréco-turque

La Turquie qui avait facilité l’arrivée de candidats réfugiés à sa frontière avec la Grèce afin de faire pression sur l’Europe et l’OTAN qu’elle estime trop frileux dans leur soutien à ses actions militaires en Syrie, fait machine arrière à cause de l’épidémie de coronavirus. Elle a ainsi « rapatrié » les 5 à 10 mille réfugiés vers leurs camps de rétention à l’intérieur de son territoire en précisant bien que cette décision est provisoire et qu’une fois la pandémie achevée ces réfugiés seront de nouveau encouragés à essayer de passer en Europe.

Face à cette tactique turque, la Grèce soutenue par l’Europe avait refusé d’ouvrir ses frontières et finalement peu de réfugiés avaient pu les forcer, si ce n’est en passant par la mer. Comme elle l’a déjà annoncé, ne doutons pas que la Turquie va réitérer sa démarche dès que la situation sanitaire le permettra. L’Europe est soumise au chantage de soutenir, au besoin militairement, Ankara dans sa politique d’occupation du nord de la Syrie, ou alors de subir l’assaut des masses de réfugiés cherchant à migrer dans un pays européen. Cruel dilemme car la justification officielle avancée par Ankara de son invasion du nord de la Syrie est de pouvoir y réinstaller… les réfugiés syriens actuellement accueillis en Turquie tout en les protégeant de la répression du régime soutenu par la Russie, ce qui n’est pas en soi complètement illégitime, mais le devient tout de suite un peu plus lorsque l’on sait que cette occupation militaire a également comme but d’anéantir les forces kurdes syriennes, obsession d’Ankara depuis des années.

Ne faudrait-il pas imaginer une sorte d’accord multilatéral qui pourrait mettre cette zone sous protection internationale pour y réimplanter les réfugiés syriens avec un financement conséquent ? C’est évidemment un doux rêve qui nécessiterait l’accord du régime syrien (et de son allié russe) pour une perte de souveraineté sur une partie de son territoire. Il faudrait également que les 3 ou 4 millions de réfugiés syriens en Turquie, ou au moins une partie d’entre eux, acceptent de revenir « volontairement » en Syrie alors qu’ils se sentent sans doute plus en sécurité en Turquie. Les pays occidentaux ne manifestent pas non plus un grand enthousiasme à l’idée de mettre en place une UNRWA bis, cette organisation des Nations unies créée en 1949 pour s’occuper des réfugiés palestiniens chassés de leur terre lors de la création de l’Etat d’Israël et à la suite de la guerre de 1948. 70 ans plus tard l’organisation en est toujours à maintenir des camps de réfugiés dans tout le Proche-Orient dont les effectifs se sont multipliés car elle attribue également le statut de « réfugié palestinien » aux descendants des palestiniens expropriés en 1948.

La responsabilité originelle de tout ce désastre est tout de même essentiellement syrienne. On se souvient d’une relative vague d’optimisme qui avait saisi l’Occident, et sans doute aussi nombre de syriens, lorsque le président Bachar El Assad venait faire ses courses à Paris en se laissant prendre en photo avec son épouse sur le perron de l’Elysée avec le président de la République française. On parlait alors de modernité et d’espoir pour ce pays sur lequel la France avait exercé un mandat délivré par la Société des nations (SDN) entre les deux guerres mondiales. C’était en 2010, une éternité… Depuis la Syrie est revenue à ses démons, un inextricable patchwork de religions, de clans, d’intérêt et de sauvagerie.

La Syrie et le virus

Le ministre de la santé syrien a déclaré :

L’armée syrienne a nettoyé la Syrie de nombreux germes, il n’y a pas de cas de coronavirus pour l’instant.

Officiellement le coronavirus ne touche pas le pays ce qui laisse nombre d’observateurs sceptiques compte tenu de nombreux iraniens présents sur le territoire, l’Iran étant un foyer important de diffusion de la maladie au proche et moyen Orient. L’avenir devrait dire assez vite ce qu’il en est en Syrie. En attendant les autorités ont quand même pris des mesures contre l’épidémie comme le report d’élections et la fermeture d’écoles ou d’universités.

La Syrie reconnaît le génocide turc des arméniens

Afin de bien savonner la planche d’éventuelles négociations sur la stabilisation du conflit en Syrie, le parlement de Damas vient de reconnaître le génocide arménien pratiqué par la Turquie au début du XXème siècle. Ladite Turquie occupant militairement actuellement une partie de territoire syrien c’est la « réponse du berger à la bergère » pour titiller un peu plus l’orgueil national de la partie adverse.

La Syrie qui accuse un autre Etat de génocide c’est un peu « l’hôpital qui se moque de la charité » mais plus c’est gros plus ça passe. Turquie et Syrie sont en guerre quasi-chaude depuis quelques semaines et la réaction la plus censée d’Ankara aurait dû être de ne pas même réagir à cette provocation certainement inspirée par le satrape de Damas. Bien entendu ce ne fut pas le cas et les dirigeants turcs vocifèrent depuis sur leurs ondes nationales. Au moins peut-on espérer que lorsque ces dirigeants autoritaires s’affrontent par l’intermédiaire de leurs parlements et leurs télévisions, ils passent moins de temps derrière leurs canons.

L’aide turque aux réfugiés

Quelques milliers de réfugiés en Turquie sont « aimablement » véhiculés par les autorités turques vers les frontières européennes de la Grèce et de la Bulgarie. Il paraîtrait même qu’on leur distribue des cartes pour les guider et que des haut-parleurs les informent dans leurs langues natales que les frontières européennes leur sont ouvertes. Ils sont donc un peu surpris lors qu’ils sont accueillis auxdites frontières par des gaz lacrymogènes des forces de sécurité grecques et bulgares. D’autres migrants ont repris la mer depuis la Turquie vers les iles helléniques. Pour le moment il semble que la majorité de ces migrants soient iraniens ou afghans, mais peu syriens.

Cela n’est pas sans rappeler l’implication turque plus ou moins officielle au début de la crise migratoire en 2011/12 lorsque des cargos rouillés et délabrés remplis de candidats réfugiés étaient lancés sans pilote sur les côtes européennes, leurs équipages les ayant abandonnés avant de quitter les eaux internationales en fuyant dans des canots de sauvetage. « L’affrètement » de tels navires passait beaucoup moins inaperçu que des dinghies en caoutchouc de passeurs de circonstance, des photos satellites avaient montré clairement que ces navires sortaient de ports turcs et avaient été communiquées à Ankara qui avait fait ce qu’il fallait pour mettre fin à ce « mode de transport ». Contrairement à ce qui se passait en 2011, la Turquie revendique aujourd’hui haut et fort son action de pousser les migrants hors de son territoire vers ceux des pays membres de l’Union européenne mais n’a pas remis en service ses poubelles des mers.

L’objectif turque est de pousser l’Europe à soutenir la Turquie afin d’imposer son occupation illégale du nord de la Syrie. Pas sûr que ce ne soit la bonne méthode. En revanche elle est très efficace pour éloigner encore un peu plus la Turquie de l’Europe. Chacun se bat avec les moyens dont il dispose et le seul pouvoir qui ne dévie pas de sa route est le clan Assad en Syrie, soutenu par la Russie, qui veut achever la reconquête de son territoire, serait-ce au prix de l’émigration de millions de ses concitoyens et des 400 mille morts déjà répertoriés depuis le début de cette guerre civile en 2011. Le mal est parti de la et continue à prospérer. L’agitation inquiète de la Turquie n’en est qu’un dommage collatéral.

Les confettis de l’empire religieux

A l’occasion d’une chamaillerie entre les services de sécurité israéliens et leurs alter-egos français qui encadraient une visite du président de la République française dans le vieux Jérusalem-est, on apprend que la France détient quatre territoires abritant des édifices religieux dans cette ville. Ce sont non seulement des bâtiments français mais des territoires de la France, gérés par le consul de France. Le plus souvent ces minuscules parcelles sur un territoire étranger ont été données à ou achetées par Paris au XIXème siècle, la France se sentant sans doute légitime à les détenir comme actrice des lointaines et sauvages croisades menées en ces lieux au nom de Dieu. Les différents traités et accords dans la région n’ont jamais remis en cause cette « souveraineté » française sur ces sites chrétiens, de l’empire ottoman à l’autorité palestinienne en passant par la création d’Israël.

Evidemment, le citoyen-contribuable français se demande s’il est vraiment nécessaire au XXIème siècle que la République entretienne encore des colonies, qui plus est religieuses, dans cette région du monde toujours à feu et à sang ? La raison voudrait que Paris abandonne cette souveraineté et la remette aux autorités locales, ce qui risque d’être complexe compte tenu du statut toujours mouvant de cette ville, mais mérite véritablement d’être mené à bien.

« Pour Sama » de Waad Al-Kateab & Edward Watts

Waad Al-Kateab est une jeune étudiante syrienne installée à Alep pour y suivre des études d’économie après avoir renoncé à une carrière de journaliste, métier trop dangereux dans une dictature. De 2011 à 2016 elle filme d’abord le soulèvement étudiant lors de « la révolution », puis les combats et la reprise de la ville par le régime et ses alliés, russes notamment. Durant la guerre elle publie ses chroniques sur Youtube qui sont suivies dans le monde entier. Réinstallée au Royaume-Uni après la reddition de la ville elle les monte avec le documentariste Edward Watts pour un faire un film qui reçoit différents prix et un accueil enthousiaste de toute la profession.

A travers son quotidien, de plus en plus difficile, elle retranscrit le drame du siège de la ville, vécu de l’intérieur, car après l’enthousiasme de la rébellion étudiante voulant mettre à bas la famille Assad qui tient le pays d’une main de fer depuis 1970, la dure réalité de la guerre civile urbaine lui succède. Waad tombe amoureuse et se marie avec Hamza un médecin qui anime un hôpital dans les quartiers assiégés. C’est surtout depuis cet hôpital que l’on suit les évènements. Ils ont une petite fille, Sama, qui apparaît dans ce chaos ; le film lui est dédié car Waad a voulu lui expliquer pourquoi et pour quels idéaux ses parents sont restés au cœur de la tourmente, au risque de leurs vies. Le scénario alterne entre les images paisibles de Sama souriant dans la chambre qu’elle occupe avec ses parents, le bruit du canon au loin, et les images terribles de blessés qui arrivent en masse à l’hôpital. Jeune maman, Waad insiste sur le sort des enfants civils montrant des moments poignants de gamins morts ou gravement blessés. Le spectateur a souvent le cœur au bord des lèvres et les yeux humides devant une telle boucherie.

Les forces du régime ont pris l’habitude de bombarder les hôpitaux pour décourager la population et la pousser à fuir les quartiers rebelles. Hamza devra réinstaller son hôpital dans un autre endroit après sa destruction. Entre deux opérations chirurgicales il commente lui aussi les évènements via WhatsApp sur les chaînes d’information du monde entier assistant impuissant au siège d’Alep. Progressivement tous les quartiers tombent et, lorsque les chars du régime sont dans la rue du dernier hôpital du dernier quartier non soumis, les forces russes transmettent un message aux derniers assiégés par l’intermédiaire de l’ONU leur proposant la reddition et l’évacuation de la ville par les civils et les milices vers la province d’Idleb[1]. La mort dans l’âme, Waad (qui est de nouveau enceinte), Sama et Hamza évacuent leur quartier en janvier 2017 dans d’interminables convois, sans être interceptés lors des contrôles alors que leurs visages sont déjà très connus pour avoir tenu le monde informé au jour le jour de la bataille d’Alep. Les images de la ville rappellent celles de Stalingrad !

Le film ne fait pas de politique même si sa réalisatrice est clairement dans le camp anti-régime. Il ne parle pas des improbables coalitions montées d’un côté comme de l’autre, des massacres initiés de toutes parts. Il y a tout le Moyen-Orient et la Russie actifs sur le front (la coalition occidentale anti-Etat islamique n’est pas à l’œuvre dans cette ville) : le régime Assad, l’Iran, le Liban, la Turquie, les Emirats arabes, les milices des groupes l’Etat islamique et Al-Qaïda et bien d’autres… Les alliances se font et se défont, tout le monde tire sur tout monde avec des armes plus ou moins sophistiquées, plus ou moins hétéroclites… et les civils trinquent. La ville est détruite à 40%. C’est le propre d’une guerre civile, hélas ! Tout n’est pas sans doute pas fini, il faudra reconstruire, les civils évacués ont juré de revenir un jour, la réconciliation est impossible ; la famille Assad et son armée vont probablement geler la situation à défaut de pouvoir la faire évoluer. La dictature ne peut que refermer le couvercle sur la marmite bouillonnante. La démocratie est un leurre pour le moment. On reparlera de la Syrie pour encore plusieurs générations.

Après « Eau Argentée » sorti en 2014 sur le siège d’Homs « Pour Sama » suit le même principe : témoigner de la barbarie humaine. Des documentaires qui dérangent.


[1] Où se déroulent actuellement des combats pour la reprise de cette région par les forces pro-régime.

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 6/6.

Sixième et dernier épisode des aventures haletantes du Moyen-Orient de l’après IIème guerre mondiale : cela ressemble à une série policière télévisée, ce n’est que l’Histoire tragique narrée par Henry Laurens.

La rupture entre le nationalisme arabe et l’islam représenté par les Frères Musulmans est maintenant consommée. Le plan de paix Alpha apparu en 1955/56 est toujours poussé par les anglo-saxons mais reçu avec mesure par la partie arabe qui y voit surtout un cheval de Troie américain qu’elle refuse malgré le projet de construction du barrage d’Assouan qui est « vendu » avec.

Israël et les Etats arabes ne peuvent pas coexister dans un système de défense occidental auquel aboutirait l’exécution du plan Alpha, d’où l’option de l’URSS que commencent donc à considérer la partie arabe. En 1954 l’Egypte achète 40% de son pétrole aux Etats-Unis et à la Roumanie à qui elle vend son coton ; Nasser préfère par ailleurs acheter des armes à l’Occident plutôt qu’aux soviétiques. L’Egypte retient aussi la leçon du gouvernement guatémaltèque renversé à l’initiative des Etats-Unis car préférant acheter des armes à Moscou… En 1955, les Etats-Unis expliquent à l’Egypte qu’elle n’a pas vraiment besoin d’armes puisque l’accord tripartite garantit sa sécurité, d’autant plus que Le Caire n’a pas de devises pour payer de telles importations… Paris refuse également de fournir des armes à l’Egypte compte-tenu de son soutien aux indépendantistes algériens.

En juillet 55, Khrouchtchev a remplacé Staline, il envoie Chepilov, directeur de la Pravda et futur ministre des affaires étrangères, en Egypte. Il trouve Nasser politiquement confus ! L’URSS vend à l’Egypte ses produits manufacturés, robustes mais de mauvaise qualité, contre des matières premières. Moscou aide à l’industrialisation de l’Egypte croyant favoriser l’apparition d’une classe ouvrière, c’est une « « classe musulmane qui va émerger… L’URSS ne représente que 2% du commerce mondiale, c’est la « puissance pauvre » vers laquelle Nasser se rapproche pour acquérir des armes.

Au Soudan c’est la guerre civile, des mouvements indépendantistes y sont actifs. La question est de décider s’il faut fusionner l’Egypte et le Soudan. Le 1er janvier 1956 l’indépendance du Soudan est déclarée contre la volonté l’Egypte et la Grande-Bretagne.
Le 26 août 1955, Foster Dulles, secrétaire d’Etat américain du président Eisenhower évoque en Israël l’éventualité du rapatriement des réfugiés palestiniens contre le financement du développement économique. Israël de son côté refuse de reconnaître la propriété de l’Egypte sur Gaza. Le 12 septembre 1955 un accord de troc est conclu avec l’Egypte à Prague pour la livraison d’armes, d’avions et de chars soviétiques. En 1955 Eisenhower fait une première crise cardiaque (la seconde viendra en 1957), les frères Dulles (secrétaire d’Etat et directeur de la CIA) prennent la main sur la politique étrangère américaine.

Le Liban développe son économie de services et la place financière de Beyrouth, se tourne vers les économies du Golf. L’Egypte et l’Arabie-Saoudite fomentent de l’agitation dans le pays présidé par le chrétien pro-occidental Camille Chamoun. En Jordanie se développent des mouvements arabistes progressistes. Il y a une crainte forte d’une guerre israélienne de conquête de la Cisjordanie. La Syrie se demande si elle doit rejoindre le pacte de Bagdad, l’alliance entre les anglo-saxons, l’Iraq, la Turquie et quelques autres. Moscou protège l’indépendance de la Syrie et livre de l’armement pour se substituer à la France, laquelle soutient aussi l’indépendance syrienne considérant que menace communiste avancée par les Etats-Unis n’est qu’un prétexte pour favoriser fusion entre la Syrie et l’Irak.

Dans les années 50 subsiste en Israël un certain mépris des survivants de la Shoah qui sera inversé après procès Eichmann ; Ben Gourion dit alors : « on ne se laissera pas mener à l’abattoir » sur question des frontières entre plan de partage et lignes d’armistice.

La Jordanie adhère au pacte de Bagdad soutenue par les anglo-saxons, ce qui provoque la chute du gouvernement, par suite de la démission des députés palestiniens, et des violences populaires. En janvier 56, la Jordanie adhère aux Nations-Unis, y compris la Cisjordanie annexée qui est donc ainsi reconnue territoire jordanien par la communauté internationale.

Le projet de plan de paix Alpha continue son parcours, entre CIA et diplomatie. Une opération baptisée Caméléon ou Gamma est montée pour l’organisation d’entretiens secrets entre Ben Gourion et Nasser, sans succès. Nasser ne veut pas parler directement avec Ben Gourion, mais veut bien parlementer sur le Néguev avec Washington, Ben Gourion affiche la même position en direction inverse, malgré les pressions américaines. Israël mène des provocations en Syrie pour bloquer la fusion avec l’Egypte et pouvoir lancer une guerre préventive. Malgré son rapprochement avec Le Caire, Moscou reste modéré pour ne pas être trop engagée dans le conflit Israël-pays arabes.

Israël parle de guerre préventive pour déplacer les frontières et veut éviter des interventions étrangères. L’Egypte annonce son soutien à la Syrie en cas d’attaque israélienne. En décembre 55 Khrouchtchev s’en prend à Israël ce qui forge l’anticommunisme israélien. Les Etats-Unis ne veulent pas vendre d’armes à Tel Aviv si elle n’accepte pas le plan Alpha, en revanche ils autorisent la France à livrer des armes fabriquées sous licence américaine. En janvier 56, le nouveau gouvernement français Guy Mollet est en pleine confusion du fait de la guerre d’Algérie et lève les restrictions de ventes d’armes à Israël. En Jordanie l’officier britannique dit « Glubb Pacha » qui commandait la Légion arabe depuis 1941 est révoqué, avec ses proches, par le roi Hussein qui crée l’Armé arabe commandée par des officiers jordaniens qui savent qu’ils ne feront pas le poids face à Israël en cas de guerre.

La Grande-Bretagne et les Etats-Unis appellent à la paix. Nasser écrit une lettre secrète aux Etats-Unis acceptant le principe d’une négociation sur les frontières d’Israël, puis nie l’existence de cette proposition qui existe pourtant bel et bien revêtue de sa signature. En février 56 l’accord tripartite n’est pas réitéré car les puissances occidentales réalisent qu’elles n’interviendront pas en cas d’attaque israélienne. Ben Gourion écrit également aux Etats-Unis qui comprennent qu’Israël peut se procurer des armes ailleurs mais cherche plutôt un soutien politique, et que Nasser n’est pas du tout prêt à accepter la paix avec Israël. Ils cherchent alors à traiter avec les autres pays arabes pour isoler Le Caire. Israël met en avant le risque de destruction du pays et compare les pays arabes aux nazis.

De nombreux émissaires français parlent du sujet algérien en Egypte alors que le soutien apporté par Le Caire est surtout politique, les armes étant fournies au FLN par la Tunisie et le Maroc.
Les projets secrets Alpha et Gamma n’ont été vraiment connus qu’à ouverture des archives des années plus tard. Celles-ci révélèrent également que Nasser a toujours été insincère il voulait plus casser le pacte de Bagdad que lutter contre Israël. Les Etats-Unis avaient alors de la sympathie pour les pays arabes et foi en une alliance avec Israël, mais ils n’ont obtenu que des problèmes en retour.

Alors qu’il conclut ce cycle de six leçons, le conférencier note qu’à ce rythme il faudra encore dix-neuf années pour arriver à l’époque contemporaine de cette région. Le mieux est encore de lire ses livres… A l’année prochaine !

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 5/6.

Cinquième épisode des aventures haletantes du Moyen-Orient de l’après IIème guerre mondiale : cela ressemble à une série policière télévisée, ce n’est que l’Histoire tragique narrée par Henry Laurens.

En 1954 en Egypte les Frères musulmans présentent leur pays comme une dictature prooccidentale et la compare à la Syrie. Le traité de rétrocession de la base de Suez est signé avec la Grande-Bretagne incluant une clause de retour possible en cas de guerre mondiale ou d’attaque turque. En octobre a lieu un attentat a lieu contre Nasser du fait d’un tireur Frère musulman. C’est a priori un acte isolé et nom de résultat d’un complot. A cette occasion Nasser sort de l’ombre et se révèle un redoutable orateur. La répression déclenchée contre les Frères musulmans est sévère par suite de cet attentat. La tendance du nationalisme arabe est de casser toute relation avec un islam politique. Naguib est démis de ses fonctions et mis en résidence surveillée. Il y restera 20 ans avant d’en être libéré par Sadate.

Les Etats-Unis aident le régime, y compris via des ventes d’armes. Le procès des saboteurs juifs d’dEgypte se conclut par 2 exécutions. Le pays abrite les nationalistes des pays du Maghreb opposés à la présence française. Le Caire lance la radio « La voix des arabes » qui diffuse son nationalisme anti-impérialiste et supplante BBC et VOA (Voice America). Le FLN algérien est créé en Egypte où Nasser accueille Ben Bella (qui ne parle pas arabe).

En France, la guerre d’Indochine est financée par les Etats-Unis car jugée de nature anticommuniste. L’aide restera financière et Washington prendra la suite du combat après Dien Bien Phu. Paris poursuit son réarmement, y compris nucléaire. La France vend sa technologie nucléaire à Israël en 1954 (Simon Peres est le négociateur de Tel Aviv).

Les nationalistes arabes (et tout particulièrement en Irak) se désolidarisent avec les nationalistes du Maghreb en lutte contre la France. Après le traité passé entre l’Egypte et le Royaume-Uni, les anglosaxons initient le projet Alpha de règlement du conflit entre Israël et les pays arabes. Il prévoit la réinstallation des réfugiés palestiniens, la gestion des eaux du Jourdan, des garanties de sécurité offertes et un soutien à l’Egypte pour emporter un accord de paix avec Israël.

En février 1956 le « pacte de Bagdad » est signé entre l’Irak et la Turquie soulevant quelques réactions opposées de pays arabes compte tenu du passé de la Turquie au Moyen-Orient. Ce traité est censé organiser de façon apaisée la relation entre ces deux pays.

En 1954 des soldats israéliens sont faits prisonniers en Syrie. Israël détourne un avion Syrien pour obtenir leur libération inaugurant ainsi une longue série de détournements d’avion, la méthode devenant très prisée dans la région. Il existe un conflit interne en Israël entre Ben Gourion partisan de la solution forte et un clan plus modéré. En février 1955 une infiltration de palestiniens venant de Gaza fait des morts en Israël. Ben Gourion ordonne des représailles qui sont exécutées sous le commandement d’Ariel Sharon et la supervision de Moshe Dayan. L’attaque israélienne porte sur un camp en Egypte près de Gaza et fait beaucoup de morts arabes. Des manifestations populaires éclatent un peu partout, Nasser visite Gaza, même les angloaméricains sont mécontents de ces représailles qui provoquent la réprobation internationale.

En Egypte Nasser radicalise son discours et attaque verbalement tous les régimes de la région les traitant de laquais impérialisme, de réactionnaires, etc. Son arme est le verbe et celui-ci devient de plus en plus marxiste. Il cherche malgré tout aussi à moderniser son armée. Cette évolution politique le fait mal considérer par le Liban et la Syrie qui ont tendance à le mépriser.

Novembre 1955, la Grande Bretagne adhère au pacte de Bagdad, de même que le Pakistan. Désormais une série de pactes cernent l’URSS du Canada aux Philippines avec chaque fois un pays jonction d’un pacte à l’autre.

Cette période marque le rejet domination coloniale européenne. La chartre ONU retient la décolonisation comme « mission sacrée ». La capitulation du Japon a bloqué la reconstitution des empires coloniaux en Asie. C’est aussi le début des guerres de décolonisation : Indochine, Philippines, …

L’Orient arabe affiche son anti-impérialisme et envoie ses étudiants dans les universités américaines plutôt qu’européennes. Le « nouvel impérialisme » américain se construit sur un mode différent : il favorise l’influence par l’édification de bases militaires plutôt que les conquêtes territoriales qui étaient le but des anciens empires coloniaux….

L’URSS fait évoluer son discours vers l’antifascisme ce qui lui permet de s’allier aux… impérialistes. En Occident le débat intellectuel entre antifascisme et anti-impérialisme fait rage.

Dans les années 50 la guerre froide a gelé la situation en Europe et la violence a été exportée vers Asie. Alfred Sauvy invente le concept de « tiers monde » en plus de ceux de l’Occident et de l’URSS. C’est une référence au « tiers-état » de la révolution française : « il est tout et veut être quelque chose » !

Les nations Afro-asiatiques luttent ensemble pour l’autodétermination et contre impérialisme. L’URSS se rapproche de ces non-alignés. En 1955 se tient la réunion Bandung (Indonésie) sans les « blancs » (URSS et Israël) mais avec la Chine populaire. Moscou rappelle néanmoins sa position anti-impérialiste. Nasser y participe. Ces pays « non-alignés » discourent tous en… anglais… Le concept des droits de l’homme est mis en avant pour justifier l’autodétermination des peuples mais oublié face au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays. On parle de droits de l’homme pour le collectif mais pas pour les individus.

Les pays pro-occidentaux attaquent l’impérialisme soviétique en Asie centrale. Les pays Afro-asiatiques prônent le neutralisme et y associent URSS. Ils constituent un ensemble divisé, se retrouvant sur la nécessaire décolonisation et l’anti-impérialisme, mais supportant les dictatures locales.

A la conférence de Genève en 1955 apparaît la détente. C’est l’équilibre des forces nucléaires, on commence à parler désarmement.

Au Moyen-Orient le plan de paix Alpha continue à être (difficilement) discuté. Les va-t’en guerre israélien envisagent la conquête de Gaza pour en sortir l’Egypte. Celle-ci entraîne des commandos « fedayin » destinés à être infiltrés en Israël. Personne ne veut accepter un règlement politique. Israël veut juste des armes et des garanties de sécurité, mais n’est pas intéressée par un plan de partage de la Palestine ni, bien sûr, par un retour des réfugiés…

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 4/6.

Quatrième épisode des aventures haletantes du Moyen-Orient de l’après IIème guerre mondiale : cela ressemble à une série policière télévisée, ce n’est que l’Histoire tragique narrée par Henry Laurens.

En Iran, après la nationalisation de l’économie pétrolière en 1952 par le gouvernement de Mosaddeq, premier ministre du Shah, la Grande Bretagne et les compagnies pétrolières occidentales qui contrôlent le marché mondial, « les sept sœurs » (6 américaines et 1 britannique) boycottent l’Iran. Le cartel qui contrôle même le fret compense la perte de l’approvisionnement iranien par une augmentation de la source iraquienne. L’économie iranienne s’effondre rapidement. Le Shah et son premier ministre s’opposent pour le contrôle de l’armée. Mossadeq se maintient en se présentant comme un rempart contre les communistes. En octobre 1952 il rompt les relations diplomatiques avec Londres qui mène des actions secrètes avec les Etats-Unis pour le déchoir.

En février 1953 Royaume-Uni et Etats-Unis conviennent d’une opération clandestine nommée Ajax destinée à renverser le gouvernement Mossadeq pour le remplacer par un pourvoir pro-occidental. A l’occasion d’un soulèvement populaire ils diffusent des fausses nouvelles et agissent en sous-main. Les religieux soutiennent l’opération car conforme à leur vision anticommuniste. Le Shah hésite puis révoque Mossadeq le 12 août ; celui-ci conteste le pouvoir constitutionnel du Shah à la destituer. Le 15 août, devant la confusion générale le Shah quitte le pays pour Rome. L’armée et les religieux le soutiennent, il rentre à Téhéran le 22 août après la reddition de son ex-premier ministre. La répression est menée, Mossadeq est condamné trois ans de prison puis finira ses jours en résidence surveillée en 1967. Ce coup d’état a bien été financé par des fonds des services secrets américains et britanniques mais l’opposition était locale. Une fois le pouvoir su Shah rétabli à l’ombre du parapluie occidental anglo-saxon, il n’est toutefois pas possible de revenir sur la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC) alors un consortium est créé avec la National Iranian Oil Company (NIOC) qui deviendra la British Petroleum (BP).

En Egypte la République est proclamée en 1953, présidée par Mohammed Naguib qui était déjà à la tête du mouvement des officiers libres. Les Etats-Unis soutiennent ce mouvement qui s’oppose à la Grande-Bretagne présente militairement dans le pays avec la base de Suez qui irrite fortement ces officiers et la population. La menace soviétique d’une invasion du Moyen-Orient à travers Caucase suffit à convaincre le congrès de maintenir son aide aux officiers libres égyptiens. Par ailleurs, d’anciens nazis réfugiés dans la région les aident[1]. Nasser neutralise le Waft, les communistes et s’attaque aux Frères musulmans. Le 14/01/1954 il les accuse de complot avec la Grande-Bretagne et de vision réactionnaire. Le parti est interdit. Le noyautage de la police et de l’armée se met en place. Nasser n’est pas particulièrement pro-religieux, il attaque l’impérialisme qui a planifié la Naqba, cette catastrophe contre le monde arabe. Naguib s’oppose à lui puis démissionne en novembre pour être remplacé par Nasser. Le slogan en usage est « la révolution contre la réaction », celle-ci faisant référence à l’ancien système parlementaire. Naguib a cédé devant Nasser pour éviter guerre civile.

Nasser est soutenu par les occidentaux. Des négociations secrètes sont menées avec Israël sur le partage de la Palestine mais n’aboutissent pas face au refus de Tel-Aviv de tout partage du Néguev. Israël s’oppose à ce que l’Egypte récupère base militaire anglaise de Suez qui renforcerait ainsi les capacités offensives du Caire. Les Etats-Unis cherchent à favoriser un accord sur la répartition des eaux du Jourdain afin d’aider à la réinsertion des réfugiés palestiniens. En réalité nombre de ces réfugiés se sont déjà recosnvertis dans les pays du Golf.

Le réarmement militaire en cours aux Etats-Unis s’accompagne d’un réarmement religieux. En ces temps de guerre froide l’origine judéo-chrétienne de l’Occident est mise en avant. La devise américaine « In God we Trust » apparaît à cette époque. Cette référence est nouvelle, auparavant on parlait des origines grecques. La seule jonction historique entre chrétienté et judaïsme c’est… l’Islam.

En Israël il existe une forte opposition entre les activistes violents menés par Ben Gourion et les modérés. L’année 1954 voit une succession d’attentats et de raids de représailles en et par Israël. Eisenhower veut rester impartial. Activistes (Dayan, Sharon…) veulent lancer une nouvelle guerre contre les arabes et envisagent des alliances avec certaine minorités dans ces pays comme les druzes par exemple.

En Jordanie le roi Abdallah est assassiné en 1951. Son fils Tallal lui succède et met en place une politique plutôt libérale. Il est déposé un an plus tard pour problèmes médicaux (schizophrénie ?). Son fils Hussein (18 ans) lui succède. En 1950 la Cisjordanie a été annexée par Royaume hachémite de Jordanie (ex-Transjordanie jusqu’en 1949). A sa prise de pouvoir Hussein reste confronté à une opposition structurée par les communistes, une guerre des frontières en cours, des risques de conflit avec l’Irak. Il doit par ailleurs s’accommoder de la présence d’officiers britanniques dans son armée nationale.

En Syrie, l’année 1954 voit se succéder des soulèvements druze puis hachémite. L’armée dépose Chichakli[2] et c’est le retour à un régime civil. L’armée est divisée, la question Croissant fertile réapparaît : le projet d’une région rêvée allant du Liban à l’Irak. Les élections de septembre 1954 mènent à un glissement à gauche. La Syrie est instable, agitée de rumeurs diverses mais est aussi le foyer d’une vie culturelle moderne.

Cette période marque l’entrée de l’orient arabe dans la guerre froide. La Grande-Bretagne cherche à transformer une domination en partenariat mais les arabes veulent se débarrasser de présence étrangère sur meurs territoires. Churchill est premier ministre. Londres a restitué la base de Suez aux autorités égyptiennes avec une clause de retour en cas d’attaque turque ou de guerre mondiale (en 1954 la peur du feu nucléaire est répandue).

1953 c’est la fin de la guerre Corée, en 1954 la fin de la guerre d’Indochine. Il y a une certaine détente à l’ouest mais pas au Moyen-Orient. L’idée d’une frontière collective de Méditerranée jusqu’à Chine progresse, c’est le projet britannique de North frontier. Les Etats-Unis distribuent un aide militaire aux pays pro-occidentaux sur cette ligne de frontière ce qui inquiète Israël mais aussi d’autres pays arabes d’ailleurs, spécialement Irak. En juillet 1954, Londres et Le Caire paraphent l’accord de rétrocession de la base de Suez.

L’Egypte veut instaurer son hégémonie l’Orient arabe tout en se proclamant anticommuniste. Nasser parle surtout développement économique intérieur dans ses discours. Toutefois, il accuse les Frères musulmans et les communistes d’être opposés au traité avec la Grande-Bretagne de rétrocession de Suez et de combattre le régime. Israël continue à favoriser des attentats menés par des militants juifs en Egypte pour tenter de torpiller le traité avec Londres, ce qui aura impact négatif sur la situation des juifs en Egypte. Nasser charge Sadate de fonder un islam laïque.


[1] L’Egypte n’est pas le seul pays à « recycler » des nazis : à l’époque, sur 70 000 hommes de la Légion étrangère en France, la moitié sont allemands, ce qui fera dire à qu’à Diên-Biên-Phu en 1954 on parlait plus français du côté du vietminh que de l’armée française…

[2] Il part en exil au Liban puis au Brésil où il sera assassiné par un druze en 1964 sur ordre du gouvernement syrien voulant se venger des bombardements menés sur les montagnes druzes du temps de Chichakli. Toute sa famille sera également assassinée partout dans le monde.

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 3/6.

Troisième épisode des aventures haletantes du Moyen-Orient de l’après IIème guerre mondiale : cela ressemble à une série policière télévisée, ce n’est que l’Histoire tragique narrée par Henry Laurens.

1951-52 : le déclin britannique au Moyen-Orient se poursuit. Les peuples arabes critiquent l’Occident, qui les considèrent comme irrationnels, plutôt que leurs dirigeants dont certains le mériteraient assez largement. Pour les Etats-Unis, la « perte » de la Chine avec l’arrivée de Mao au pouvoir en 1949 a traumatisé Washington qui ne veut pas que le Moyen-Orient suive la même voie.

En Egypte le roi Farouq, déconsidéré pour sa vie personnelle, a écarté du pouvoir le parti nationaliste majoritaire Wafd. En Syrie, Shishakli, militaire, arrivé au pouvoir à l’occasion d’une succession de coups d’Etat depuis 1949, a rétabli le parlement après l’avoir dissous mais contourne le pouvoir des partis politiques. La Syrie est le seul pays arabe sans base militaire occidentale, l’islam en est la religion majoritaire mais pas la religion d’État. Les Frères Musulmans s’y définissent comme socialistes. Des tentatives d’assassinat contre Shiskakli ont lieu en 1950, soutenues par l’Egypte et l’Arabie Saoudite. Nationalisme arabe et anti-impérialisme caractérisent le politique de ce pays pro-Palestine et antisionisme suite à la Naqba. L’armée et les partis s’opposent pour revendiquer l’incarnation du peuple. La déclaration tripartite Etats-Unis/ Royaume-Uni/ France de mai 1950 est renforcée et marque une espèce de statu-quo territorial, doublé de ventes d’armes occidentales aux pays du Moyen-Orient…

Au Liban est établit une forme de libéralisme économique ; Beyrouth apparaît comme une enclave de modernité dans la Région, fortement aidée par bourgeoisie palestinienne exilée dans ce pays alors que population palestinienne « ordinaire » vit recluse dans les camps qui existent toujours aujourd’hui. Il y a (déjà…) des tensions avec la Syrie, la famille Joumblatt (déjà…) fonde le Parti socialiste progressiste qui est et restera propalestinien.

En Palestine les litiges et affrontements avec Israël se poursuivent sur la zone démilitarisée (DMZ) issue des accords de cessez-le-feu pots-guerre de 1948.

En Europe, les pays de l’Est autorisent leurs citoyens juifs à émigrer vers Israël entre 1950 et 53. De façon plutôt inattendue, ce mouvement renforcera l’antisémitisme local sur le thème : « pourquoi eux peuvent partir et pas nous » ? El République fédérale d’Allemagne (RFA, créé en mai 1949 sur les ruines du IIIème Reich) devient la seule représentation de l’Allemagne pour négocier les réparations collectives et individuelles de la Shoah. Israël donne la nationalité israélienne à tous les morts de la Shoah.

Juillet 1952 marque la rupture en Egypte avec le coup d’Etat militaires des « officiers libres ». Le roi Farouk abdique et quitte le pays mais la monarchie demeure sous la forme d’une régence. Les « officiers libres » sont nationalistes mais sans véritable direction politique. Ils entretiennent des contacts avec les communistes et les Frères musulmans. Les Etats-Unis semblent informés de la préparation du coup d’Etat, après avoir tenté de pousser Farouk à réformer le pays, sans succès. Washington intervient alors pour freiner la volonté de réaction militaire britannique et sauver la vie de Farouk. Il n’y a pas de véritable résistance au coup. Les officiers putschistes décident de la marche à suivre de façon collective et mettent en avant le général Naguib, Nasser restant en retrait. Ils purgent les partis politiques de leurs « éléments corrompus » et lancent la réforme agraire. En décembre 1952 constitution est dissoute et la révolution est instaurée comme seul fondement du pouvoir. Début 53 Nasser sort de l’ombre et discourt contre l’impérialisme, le parlementarisme, la pauvreté du peuple… Le slogan est « la religion est à Dieu, la patrie est à tous ». La révolution cherche à reprendre la rue aux Frères M. Malgré les apparences, les « officiers libre » sont pro-occidentaux et pro-américains, au moins au départ. L’Egypte demande aide alimentaire et armes aux Etats-Unis. Côté CIA les positions pro-arabes défendues par Kermit Roosevelt s’opposent à celles pro-israéliennes de James Angleton. Le premier rencontre rapidement Nasser et Naguib au Caire juste après leur arrivée au pouvoir. Les « officiers libres » acceptent de déconnecter dans leur revendication la question du départ des britanniques de celle de l’annexion du Soudan.
Israël mènent des contacts secrets avec l’Egypte en Europe mais pas ils ne donnent rien car Tel Aviv ne veut pas entendre parler de retour des réfugiés palestiniens ni revenir aux frontières existantes avant la guerre de 1948.

En 1953, les Etats-Unis sont en plein réarmement 1953 et voient aussi le Moyen-Orient comme un marché intéressant pour le complexe militaro-industriel. On entre dans l’après-guerre avec Eisenhower qui remplace Truman à la Maison Blanche en janvier 1953 et la mort de Staline au Kremlin en mars de la même année. Eisenhower est un grand chef militaire plutôt centriste habitués des coups tordus et tolérants pour les opérations clandestines comme il en a menées durant la IIème guerre mondiale. Les frères Dulles dirigent le Département d’État (Foster) et la CIA (Allen), ils sont tous deux farouchement anticommunistes. Foster entame rapidement une tournée au Moyen et Extrême Orients : Egypte, Israël, Jordanie, Syrie, Liban, Iraq, Arabie Saoudite, puis Inde et Pakistan. Il reçoit une délégation palestinienne, prend la mesure des conséquences de la création de l’Etat d’Israël. Il pousse Israël à s’intégrer dans la région et prône la neutralité des Etats-Unis.

Jusqu’en 1951 l’URSS soutient Israël à l’ONU et refuse principe du droit au retour des réfugiés qui pourrait le gêner dans le cas de la Pologne ou des minorités allemandes… La seconde guerre mondiale et son règlement ont entraîné des génocides, des purifications ethniques, des déportations et des transferts de population considérables de la guerre qui ont mis quasiment fin à l’existence de minorités dans les pays de l’Est (d’où les positions actuelles de ces pays réticents envers l’immigration) qui sont de ce fait plutôt réticents au concept de « droit au retour ». Cosmopolitisme et décadantisme sont haïs et conspués par Staline qui déclenchent des purges sinistres dont beaucoup les juifs soviétiques. A l’occasion du « complot des blouses blanches » en 1953 (les médecins juifs de Staline sont accusés d’avoir voulu l’éliminer) l’URSS rompt ses relations diplomatiques avec Israël. Staline meurt peu après et Beria qui lui succède provisoirement mène une politique de paix. Il aurait même envisagé une de-communisation de l’URSS ! Il est rapidement débarqué par le parti et exécuté. En août 1953 explose la première bombe H soviétique. Les relations diplomatiques sont reprises avec Israël. L’URSS continue s’opposer émigration des juifs soviétiques et souhaite des relations commerciales avec pays arabes. La nouvelle URSS se consacre à l’Europe plutôt à l’Europe qu’au Proche Orient.

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 2/6.

Henry Laurence poursuit son analyse des temps agités moyen-orientaux post-défaite de la coalition arabe en guerre contre Israël en 1948.

1950 : la Jordanie (alors Transjordanie) annexe « provisoirement » la Judée et la Samarie, y compris Jérusalem Est, qu’elle rebaptise Cisjordanie, tout en menant des négociations secrètes avec Israël sur un corridor d’accès à la mer Méditerranée qui n’aboutiront pas. Elle adhère à l’Organisation des Nations-Unies (ONU) en 1955. Israël continue à revendiquer l’intégralité de la Palestine. Les pays arabes continuent eux à affirmer qu’Israël est une « création » de l’Occident et menacent en conséquence de se tourner vers l’Union soviétique. Malgré tout, le caractère fondamentalement anti-communiste de l’islam les empêchera de mettre véritablement leur menace à exécution. Tout au plus ne voteront-ils pas la résolution de l’ONU sur la guerre de Corée. En réalité, Staline ne voulait pas intervenir au Moyen-Orient, préférant limiter le territoire d’influence soviétique aux zones occupées par l’armée rouge en 1945.

Les problèmes de frontière persistent (et sont d’ailleurs toujours d’actualité…) : zone démilitarisée, ligne verte, lac de Tibériade… Une déclaration tripartite des Etats-Unis, du Royaume-Uni et la France donne une garantie aux accords d’armistice israélo-arabes de 1949 en échange de ventes d’armes occidentales… Durant ces années Israël reçoit et intègre un nombre important de réfugiés, migrants ou exilés, ce que les puissances arabes échouent à faire de leurs côtés.

En 1948, l’intervention soviétique (le « coup de Prague ») met fin à la « rébellion » tchécoslovaque. Selon le mot de de Gaulle : « l’armée rouge est à deux étapes du Tour de France de nos frontières » ! Une union militaire occidentale se met en place qui deviendra l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord »), approuvée en 1950 sans la Turquie ni la Grèce. L’OTAN ne mentionne pas l’Europe pour ne pas effrayer les citoyens-contribuables américains qui ne veulent même pas envisager d’intervenir une troisième fois pour empêcher l’Europe de se suicider. Evidemment, ni la Grèce ni la Turquie, pays méditerranéens, ne sont concernées par « l’Atlantique Nord ».

Malgré tout, la Turquie, craignant l’URSS, souhaite intégrer le plan Marshal. Le pays se libéralise progressivement après la mort de Kémal et, comme gage de sa bonne volonté, envoie un bataillon combattre en Corée côté occidental. Après 1950, le réarmement est général et Grèce et Turquie seront acceptées au sein de l’OTAN afin de bloquer l’URSS dans le Caucase. Le Royaume-Uni est contre cette intégration qui diminue son influence propre au Moyen-Orient en donnant un label occidental à la Turquie. Londres privilégiait une alliance militaire moyen-orientale réunissant Turquie, Royaume-Uni, France, Australie et Nouvelle-Zélande (les puissances coloniales), en dehors de l’OTAN, sur laquelle elle aurait gardé la haute main.

C’est aussi à cette époque que des évolutions considérables touchent le marché pétrolier. Le principe du partage de la rente pétrolière 50/50% entre Etats producteurs et compagnies occidentales est généralisé, parfois même dépassé. Certains Etats comme l’Arabie Saoudite et l’Iraq voient leurs ressources financières propres augmenter considérablement. En octobre 1950 le président américain Truman garantit la sécurité de l’Arabie Saoudite mais des problèmes de délimitation des frontières de ce pays avec les anciennes possessions britanniques (Oman, futurs Etats Arabes Unis, etc.) ne sont toujours pas réglés et donnent lieu à des conflits locaux jusqu’en 1952 dans lesquels sont impliquées les compagnies pétrolières concessionnaires.

En Iran le Shah dirige un pays troublé et sous-développé. Il s’oppose à son premier ministre Mossadeq qui nationalise l’Anglo-Iranian Petroleum en 1951 qui sera évacuée par les britanniques mis devant le fait accompli après une vaine tentative de médiation américaine.

L’Egypte réclame le départ des britanniques et l’intégration du Soudan. Une forte hostilité contre le Royaume-Uni se développe dans le pays. L’Egypte dénonce ses accords avec Londres puis désigne le roi Farouq roi d’Egypte et du Soudan ! Des attentats ont lieu dans le pays contre les britanniques. En janvier 1952 l’armée coloniale veut réduire les policiers égyptiens d’Ismaïlia et attaque leur caserne. Cette intervention plutôt mineure, déclenche de violentes réactions de la population égyptienne du Caire contre l’occupation et, d’une manière plus générale, contre la monarchie considérée comme corrompue. C’est ce qu’on appellera « l’incendie du Caire ». Il ouvre la voie à des changements fondamentaux dans ce pays…

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 1/6.

Franc succès pour le cours d’Henry Laurens ce jour au collège de France : l’amphithéâtre principal est plein et les derniers arrivés verront le show en vidéo dans un deuxième amphi.

Il s’agit du Moyen Orient à partir de 1949 : la seconde guerre mondiale est terminée, les puissances mandatrices France et Royaume Uni se font des mauvais coups sur fond d’accord Sykes-Picot, l’Etat d’Israël est créé, la guerre de 1948 a été perdue par les pays arabes créant un traumatisme gigantesque parmi les populations et leurs dirigeants. Aux Etats-Unis un courant mi-universitaire mi-renseignement, entre université américaine à Beyrouth et CIA à Langley, tente d’influencer l’administration et les décideurs politiques vers une direction panarabiste qui a au moins comme avantage d’essayer de retenir dans l’orbite américaine des pays qui lorgnent vers l’Union soviétique.

L’Occident s’agite au Moyen-Orient comme une mouche prise dans bocal, se heurtant aux parois d’une recherche de paix impossible et de la construction illusoire d’Etats sur un modèle inusité dans cette région. Au même moment le plan Marshal soude l’Europe de l’ouest dans un modèle de société libérale, selon différentes déclinaisons, et donne accès au dollar américain à des pays vivant dans un monde de devises non convertibles, permettant ainsi des importations de biens inaccessibles sinon.

De la création du groupe religieux Frères Musulmans en Egypte à la succession des coups d’état au cours de cette année 1949 dans une Syrie indépendante depuis 1946, en passant par les intérêts pétroliers des uns et des autres, Henry Laurens dresse, parfois avec un peu de cynisme, les débuts d’un chaos arabe qui n’a pas vraiment cessé depuis.